Revue Musicale de Lyon 1903-11-03/Chronique Lyonnaise

Chronique Lyonnaise

GRAND-THÉÂTRE


Hérodiade — Lakmé

Tout est relatif. Il est hors de doute que les mélodies de Massenet constituent une fort agréable audition quand on vient d’entendre consécutivement Salammbô qui n’est point gai et qui est long, et Mignon qui, joué comme il l’a été, était parfaitement insupportable.

Et cependant, le genre dramatique n’est point le fort de M. Massenet. À côté de la perle exquise qu’est le Portrait de Manon, à côté des pages charmantes que renferment Werther, Manon et le Roi de Lahore, les œuvres plus grandioses, ou plus sombres, telles que Le Cid, Esclarmonde, Le Mage, ou Hérodiade[1], semblent outrer les défauts et les boufissures et noyer les finesses sentimentales par quoi ce compositeur est attachant.

Le sujet d’Hérodiade, il faut le reconnaître, prête d’ailleurs fort peu. Il est absurde d’un bout à l’autre. Le droit qu’a l’auteur dramatique de faire des entorses à la vérité ne peut porter que sur de menus faits, non sur le caractère même des personnages et sur l’esprit général de l’époque où l’action se déroule. Or il n’est pas besoin d’être très versé dans la connaissance de l’histoire juive et des textes sacrés ou profanes pour voir à quel point le caractère de Saint Jean a été stupidement défiguré. Les absurdités de détail sont légions, mais ce n’est point ici le lieu de les relever une à une.

La partition outre encore cette inutile transformation du Baptiste en un bellâtre amoureux. Nulle part plus que dans ce rôle, Massenet n’a plus abusé de son arsenal de syncopes de points d’orgues de pâmoisons ; nulle part il n’a plus poussé à l’extrême ces oppositions, ces successions de fortissime à des pianissimi qui lui mériteraient le surnom de Victor Hugo de la musique, Totus in antithesi. Certes les mélodies intéressantes abondent, les effets harmoniques les plus heureux se rencontrent à chaque page, l’orchestration présente les détails les plus habiles, mais au milieu de tout cela, on retrouve trop le procédé, l’adresse. Massenet est un parfait metteur en scène, rarement il est véritablement inspiré. Dans Hérodiade, que de pages excessives, destinées à porter sur les masses, visant à l’effet, et pour tout dire communes et triviales. Massenet est intéressant en raison directe de sa simplicité. L’exquise mélodie de l’ouverture (partition p. 2), le motif de grande flûte et de violoncelle du ballet, le prélude pour cordes du troisième acte sont des pages charmantes. Mais que dire de l’arioso affreusement vulgaire du baryton, que dire de ces insupportables motifs l’un pour trombones et tuba, l’autre pour trompettes, au début du troisième tableau, et de la phrase de violoncelles si vulgaire et banale, qui suit ; comment qualifier enfin le chœur des Romains, inepte d’ailleurs au point de vue des idées exprimées, et qui n’a que des effets de sonorité outrancière.

L’interprétation a été bonne en général. M. Verdier est un habile chanteur, dont le talent fait pardonner les insuffisantes qualités de force et d’étendue. M. Rouard bien servi par une voix magnifique tend à devenir l’idole des galeries, ce qui le perdra s’il ne se défie d’une telle popularité : elle le conduirait en effet au culte du colpo di gola, et à une mauvaise tenue scénique.

Mlle Claessen a été fort applaudie, ainsi que M. Sylvain qui a mis sa belle voix au service d’un rôle moins qu’intéressant. Quant à l’orchestre, il s’est aussi parfaitement comporté que pour Salammbô, et il n’y a que des louanges à adresser à M. Flon.

La représentation de Lakmé nous a fait voir la troupe d’opéra comique sous un jour tout autre que celui où nous l’avait montré la reprise de Mignon. L’opéra comique, — il serait plus juste de dire l’opérette, — de Delibes a reçu en effet une interprétation satisfaisante. Mlle Davray dont l’amour pour les sons filés est peut-être un peu excessif, a plu en général par son indéniable talent, la pureté de sa voix, et son habileté de comédienne. M. Gauthier est d’une élégance et d’une tenue douteuses, il vise trop aux effets de force, mais sa voix est belle, et on peut mieux attendre de lui. Mlle de Véry a été exquise comme toujours. Les autres rôles étaient convenablement tenus, celui du Brahmine excepté. En définitive, et grâce surtout à l’orchestre, cette reprise a été tout à l’honneur du Grand-Théâtre.

Edmond Locard.
Faust

L’œuvre célèbre de Gounod est trop connue pour qu’il soit utile de porter sur elle un jugement quelconque. Du reste l’opinion publique est presque unanime :

Faust est le plus beau des opéras… Nous nous en voudrions de nous inscrire en faux contre cette opinion, mais nous reproduisons les réflexions très justes de M. Julien Tiersot parues naguère dans le Guide Musical :

« Certes, le Faust de Gounod est un ouvrage du plus grand attrait : il a pourtant un défaut, et c’est… d’être Faust ! Oh ! si la pièce, au lieu de se passer en Allemagne au xve siècle, avait pour théâtre quelque petite ville de la province française, pas trop loin de Paris, à une époque beaucoup plus récente ; si elle se déroulait dans quelque calme milieu familial, celui d’un roman de George Sand ou d’Alphonse Daudet ; si le principal personnage, au lieu de s’appeler Faust, conservait seulement son prénom d’Henri, — Marguerite pourrait garder le sien ; quant à Méphistophélès, il deviendrait… comment dire ? mettons Desgenais ; — si les soldats étaient de braves troupiers des armées d’Afrique ou de Crimée, rentrant dans leurs foyers, musique en tête, et si les vieillards regardaient passer les bateaux-mouches en buvant du petit vin d’Argenteuil, on n’aurait pas trop de louanges pour une musique si bien appropriée et d’une si haute valeur. Et le ténor pourrait chanter toutes les cavatines qu’il voudrait ; comme elles sont charmantes, personne ne se lasserait de les entendre. La tendre Marguerite roucoulerait avec lui des duos d’amour qui d’abord avaient été des chants d’église, comme ce fut le cas pour la jolie phrase : « Ô nuit d’amour, ciel radieux, » qui primitivement fut un O satularis de l’abbé Gounod (on n’a qu’à appliquer à ce chant les paroles latines pour se convaincre qu’elles s’y adaptent infiniment mieux que les vers français, que MM. Jules Barbin et Michel Carré y ont substitués). »

L’interprétation de samedi a été à peine suffisante. M. Gauthier a été d’une distinction douteuse et a, selon son habitude, chanté au-dessous de la note. M. Bruinen, lui, a chanté franchement faux et a donné au rôle de Méphistophélès un caractère grotesque tout à fait déplacé. Mme Mazarin n’a pas produit une aussi bonne impression que dans Salammbô. Les autres artistes étaient suffisants dans les rôles secondaires.

Quant à l’orchestre, il s’est reposé sous la direction de son second chef et nous a ramenés aux beaux jours de l’an dernier en faisant preuve d’un calme, d’une indifférence et d’une indépendance admirables.

L. V.

LES CONCERTS

La Symphonie Lyonnaise donnera incessamment son premier concert de la saison.

Au programme : Symphonie en ut majeur (No1) de Beethoven. — Prélude du 3e acte des Maîtres Chanteurs (R. Wagner). — Suite Algérienne (Saint-Saëns). — Le Calme de la Mer (Mendelssohn). Danses hongroises (Brahms).

La Schola cantorum lyonnaise va reprendre bientôt ses séances pour la préparation de son deuxième concert qui sera donné sous la direction du Maître Vincent d’Indy et dont le programme comportera probablement le premier acte d’Alceste de Gluck et une partie du Chant de la Cloche. Les personnes désirant faire partie de la Schola comme membres actifs (chanteurs et chanteuses) sont priées de s’inscrire au Secrétariat de la Société, 98, rue de l’Hôtel-de-Ville, où leur seront donnés tous les renseignements sur la Schola Cantorum.

  1. Hérodiade, écrite en 1878, fut représentée pour la première fois à la Monnaie de Brucxelles le 19 décembre 1881 et dut donnée successivement à Milan, Hambourg et à Pesth. La première ville de France qui l’accueillit fut Nantes (29 mars 1883). la première représentation fut donnée à Paris, au Théâtre italien dirigé par les frères Corti, le 1er février 1884.