Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885/ch28

Traduction par Bénédict-Henry Révoil.
Mame (p. 195-203).

CHAPITRE XXVIII

La marmite renversée. – La fusée-signal. – Une surprise et la captivité. – Le pillage. — L’essai de la poudre. — Une fatale explosion. — Les inventions de la nécessité. — Le pays de la famine. – Espérances nouvelles. – Une fanfaronnade.


Ces dispositions furent promptement prises. À l’endroit où les voyageurs débarquèrent, on amena les canots sur la plage, au milieu des canniers qui les cachaient à la vue. Un amas de joncs coupés sur le rivage servit de lit à Max Mayburn et à sa fille.

Arthur, Wilkins et Jack s’éloignèrent alors du camp, emportant fusils, arcs et flèches tandis que Gerald et Hugues se chargèrent de faire bonne garde. Baldabella s’en alla pêcher et rapporta de très beaux poissons, que Jenny et Ruth nettoyèrent et firent cuire.

La soupe au poisson commençait à bouillir et répandait une odeur des plus agréables. Déjà Nakina se réjouissait en songeant au repas, lorsque Baldabella, se levant d’un seul bond, prit le bras de Marguerite, à qui elle fit signe de prêter l’oreille.

« Baldabella a l’ouïe fine, Miss, dit-elle, elle entend venir les noirs ; ils sont nombreux, et mangeront tout le monde, y compris Nakina. »

Tandis que la pauvre négresse saisissait son enfant dans ses bras, les coo-ee des naturels se firent entendre à peu de distance.

Les deux jeunes gens qui se trouvaient à quelques pas au milieu des bambous, cherchant des nids et des œufs, revinrent en courant et supplièrent Max Mayburn et Marguerite de monter au plus vite dans les embarcations et de pousser au large.

Mais le vieillard déclara qu’il ne voulait pas abandonner les trois chasseurs.

« Dans ce cas, il faut tenter une sortie pour les ramener, fit Gérald ; il n’y a pas de temps à perdre. Arthur et Wilkins ont emporté les deux fusils, mais nous avons nos arcs et nos flèches.

— J’aime à croire qu’eux aussi ont entendu les coo-ee des indigènes, observa Hugues, et qu’ils sont en route pour revenir. Voyons, Jenny, nous mangerons le poisson froid. Éteignons vite le feu. »

Ruth s’empara d’un seau d’eau, le remplit, et se hâta d’obéir à cet ordre. La colonne de fumée qui s’éleva aussitôt indiqua d’une façon précise l’emplacement où se trouvaient les voyageurs, et les noirs poussèrent des coo-ee répétés en signe de joie.

« Ah ! ma pauvre Ruth, dit le cadet des Mayburn, tu viens de donner un vrai signal avec cette « fusée ». Vite, mon père, vite, Marguerite, dans les canots nous serons plus en sûreté que sur le rivage.

— Je ne le pense pas, répliqua le vieillard, car l’eau est fort basse en cet endroit, et les noirs arriveront facilement à nous. D’ailleurs je n’entends pas abandonner mon fils, Jack et Wilkins. »

Des cris stridents et le bruit des roseaux brisés empêchèrent le brave homme de continuer. Les jeunes gens se disposaient à tirer quelques flèches mais Marguerite s’y opposa, et Max Mayburn leur enjoignit de rester tranquilles, car il ne voulait pas que l’agression commençât de son côté. Du reste, toute défense eût été inutile ; car, quelques minutes après, une bande de naturels, armés d’arc, entoura complètement les naufragés du Golden-Fairy.

Un coup d’œil jeté à ces noirs suffit pour les convaincre que les indigènes présents n’étaient point hostiles, comme on pouvait le craindre. Les paroles qu’ils prononçaient ressemblaient plutôt à des paroles d’étonnement qu’à des signes de colère.

Un de ces moricauds s’empara du chapeau de paille de Marguerite, et le plaça sur sa tête, ce qui fit rire ses camarades, et, à son exemple, ils s’approprièrent les couvre-chefs de tous les « visages blancs » lesquels n’y mirent aucun obstacle. Ruth seule noua son bonnet sous son menton et faillit se faire étrangler mais Marguerite s’avança et défit le ruban, pour que le noir qui convoitait ce chiffon pût en jouir à son aise.

O’Brien, pour ne pas céder aux injonctions d’un naturel, avait jeté son feutre dans le courant du fleuve, où le noir se précipita à la nage afin de le rattraper ; ce sauvage, ayant alors découvert les canots, appela ses camarades pour examiner ce genre de locomotion aquatique.

Tandis que ceci se passait, d’autres indigènes dévoraient la cuisine de Jenny Wilson. Tout le poisson y passa, même celui qui n’était pas cuit.

Un de ces maraudeurs découvrit le châle de la cuisinière et s’en couvrit les épaules ; tandis qu’un autre, arrachant à Ruth un manteau de fourrure dont elle s’était revêtue afin de cacher sa cage à poules, aperçut ces deux oiseaux et examina avec la plus grande curiosité ces volatiles inconnus.

« Baldabella, dis-leur de ne pas leur tordre le cou, s’écria la jeune fille : apprends-leur que chaque jour elles pondent un œuf, et que ce sont des bêtes apprivoisées. »

La malheureuse négresse, en proie à la plus vive terreur, se cachait derrière tout le monde : ce fut Marguerite qui se chargea d’expliquer aux noirs la valeur des volailles, en leur montrant les œufs et en caressant les bêtes, qui se laissaient faire.

L’homme qui s’était emparé des poules fit la grimace, comme pour montrer qu’il comprenait l’explication ; il avala le contenu des œufs, et s’éloigna en emportant la corbeille, laissant Ruth désespérée.

Au moment où ceci se passait, Arthur se montra émergeant du milieu des canniers et ne put réprimer son étonnement à la vue de la troupe de noirs qui entourait son père, sa sœur, son frère et les trois femmes. Avant d’avoir pu se reconnaître, quelques naturels l’entouraient, lui arrachant son fusil, son chapeau, et un sac rempli de pigeons, qu’il avait placé sur ses épaules.

« Baldabella, dit-il à la négresse, demande au chef de la tribu ce qu’il veut et ce qu’il compte faire. Nous allons volontiers lui donner nos oiseaux, nos couteaux et des haches ; mais il faut qu’il nous laisse libres, et qu’ils se retirent ; lui et les siens, en nous laissant nos canots et nos fusils. »

Ce fut avec appréhension que Baldabella s’avança près du chef et lui traduisit les paroles de l’aîné des Mayburn ; elle parlait avec humilité et soumission. Le chef éleva la voix, et Baldabella tremblait en répétant les paroles de cet homme.

« Le visage noir dit qu’il prendra tout ; il est fort en colère. Les bons visages blancs doivent se retirer et courir bien loin, tout de suite car beaucoup de noirs vont venir, tous très irrités contre les étrangers qui mangent poissons, oiseaux, animaux, tout, tout. Partez vite, maître, mademoiselle, bons amis, hâtez-vous. »

Il n’y avait pas à s’y méprendre mais en pareille situation il était difficile de s’en aller rapidement. Wilkins et Jack, qui étaient survenus, avaient également été pris par les sauvages, désarmés et maintenus. L’attaque avait été si rapide, qu’ils n’avaient pas même songé à se défendre. Jack paraissait abattu, tandis que Wilkins manifestait la plus grande fureur. Il fallut qu’Arthur lui enjoignît de ne pas faire la moindre résistance, de se laisser prendre son chapeau et son gibier.

Cela fait, les voleurs exprimèrent leur admiration au sujet des vêtements compliqués de leurs prisonniers, dont ils désiraient s’emparer. Seulement ils ne savaient pas comment déshabiller les pauvres gens ; ils s’imaginaient peut-être que ces effets étaient partie intégrante du corps des « visages blancs ». Ils voyaient bien que Baldabella et son enfant appartenaient à leur race : aussi le chef, s’avançant vers elle, lui ordonna de le suivre pour faire partie de ses femmes.

L’infortunée, émue de terreur et d’indignation, refusa d’obéir ; mais alors le sauvage saisit Nakina et fit semblant de l’emporter, tandis que la mère, aidée par Arthur et Hugues, cherchait à reprendre la fillette, qui criait et pleurait. En ce moment-là, le chef, transporté de fureur, jeta l’enfant à l’eau. Hugues s’y précipita aussitôt ; et en quelques brasses rattrapa l’innocente créature, qu’il rendit à moitié étouffée à sa mère. Celle-ci s’était aussi précipitée dans le courant d’eau pour sauver Nakina.

Sur ces entrefaites, le chef s’était préoccupé des dépouilles des prisonniers. Les noirs avaient, par son ordre, pris tous les bagages, les couteaux, les haches, les fusils, les effets de toutes sortes, et les malheureux s’attendaient à être massacrés.

Lorsque le pillage des canots fut complet, quatre hommes se disposèrent à les emporter. En ce moment-là, un certain nombre de noirs se réunirent devant un sac de peau contenant la provision de poudre des voyageurs.

L’un d’eux, ouvrant un des paquets, en mit une pincée dans sa bouche, et cracha aussitôt cette composition avec des marques de dégoût. En même temps il se disposa à jeter le sac dans le foyer, rallumé par les sauvages.

Arthur, qui vit ce mouvement, cria à son père, à sa sœur et à ses amis de fuir, et il s’élança, espérant arrêter le bras du noir ; mais il était trop tard. L’explosion, une explosion formidable, eut lieu : le paquet de poudre avait éclaté, et il fut renversé évanoui sur le sol.

La terre éclata autour de lui, et les noirs qui ne furent pas renversés s’enfuirent dans toutes les directions, poussant des cris de terreur. Les éclats enflammés, de toute nature, retombant sur les buissons, y avaient mis le feu.

Tous les naufragés, à l’exception d’Arthur, qui avaient couru du côté de la rivière, avaient bien ressenti la commotion, mais aucun n’était blessé. Arthur revint enfin de son évanouissement lorsque sa sœur et Jenny lui eurent jeté de l’eau à la figure. Il lui resta seulement un tremblement nerveux qui dura plusieurs heures, et il n’eut à regretter que la perte de ses cheveux, brûlés par l’inflammation.

Quoique délivrés de la présence odieuse des sauvages, les voyageurs ne s’en trouvèrent pas moins exposés aux plus grands dangers. Les roseaux qui avaient pris feu dans la savane formaient une muraille enflammée qui s’opposait à leur fuite. Par bonheur, c’était une chance providentielle, ils avaient eu la bonne pensée de déblayer un certain espace de terrain, près du courant d’eau.

Le vent entraînait la flamme, avec la rapidité d’un cheval au galop, dans la direction du sud. Il fallut que les voyageurs attendissent qu’un passage leur fût ouvert, pour qu’ils pussent continuer leur route.

Ils gardaient tous le silence, quand un chant lugubre exprimé à mi-voix vint frapper les oreilles de toute la famille. En cherchant d’où venait la voix qui s’exprimait ainsi, on apercevait Baldabella, qui, prosternée devant le cadavre du sauvage cause de l’explosion, se lamentait sur la fin malheureuse de son compatriote.

Nakina, à genou près de sa mère, semblait comprendre la solennité de cette triste « veillée du mort » et sa voix enfantine se joignit à celle de sa mère.

Max Mayburn très affecté de ce spectacle, s’avança près de ces deux individus de la race noire, et fit comprendre Baldabella que c’était Dieu qui avait voulu donner une leçon à ses frères ; il ajouta qu’il fallait recourir à la prière, afin d’obtenir le pardon de Celui qui est le maître de la vie humaine.

« Allons ! relevez-vous maintenant, ma chère sœur, dit-il en s’adressant à la mère ; prenez votre enfant par la main, et songeons à nous éloigner de cet endroit fatal.

— Comment faire ? où porter nos pas ? Mon avis est de ne point nous éloigner du fleuve, observa Arthur ; mais ici nous n’avons plus de chance de trouver la moindre nourriture. »

Baldabella désigna l’autre côté du courant d’eau.

« Allons là-bas, dit-elle il y a des racines, des noix et pas d’hommes noirs. Les amis du frère mort vont revenir bientôt, peints en guerre, pour reprendre leur camarade. Ils tueront tous les « visages blancs » mangeront Nakina et emmèneront Baldabella. »

Traverser la rivière paraissait être, en effet, le plan le meilleur à suivre ; mais c’était chose difficile à accomplir. Le courant d’eau était large et profond. Les jeunes gens eussent pu se jeter à la nage ; mais ni les femmes ni Max Mayburn ne pouvaient suivre cet exemple.

Jack regardait de tous côtés et semblait désespéré. Il n’y avait pas un arbre, et, en admettant qu’il y en eût eu, les sauvages leur avaient volé leurs haches. Tous les voyageurs examinèrent avec soin l’endroit où le pillage avait eu lieu, avec l’espoir d’y retrouver quelque instrument qui eût échappé aux voleurs ; mais, à l’exception des arcs des indigènes et de l’épieu servant pour pêcher à Baldabella, tout avait disparu. Par bonheur, Wilkins possédait encore un couteau de bonne dimension qu’il portait d’habitude sous sa blouse, et qui avait échappé à l’investigation des sauvages.

« Allons ! tout n’est pas perdu, observa Jack nous allons couper ces grands bambous, et nous en ferons un radeau pour les autres. Qu’en pensez-vous, monsieur Arthur ? Il me reste encore quelques clous dans la poche, et voici une pierre trouée, qui, emmanchée dans un bout de roseau, servira de marteau pour joindre les traverses. »

Sans plus tarder, Jack abattit un tas de bambous, qu’il aligna côte à côte par terre et sur lesquels il plaça des barres transversales. Les clous et le marteau improvisé firent le reste. Une demi-heure suffit pour achever ce travail.

Pendant que les jeunes gens s’occupaient de la sorte, l’incendie s’était apaisé aux environs du fleuve, et Wilkins, qui en explorait les bords, découvrit trois autres cadavres calcinés. Hugues et Gérald avaient ramassé plusieurs oiseaux rôtis sur leurs nids, ces pauvres bêtes ayant été surprises par l’explosion. Ils les écorchèrent, et leur chair fournit un repas suffisant pour toute la famille.

« Plût à Dieu que nous eussions sauvé les cordes ! » s’écria Jack.

Mais, hélas ! ces auxiliaires de la navigation étaient perdus, et rien ne pouvait les remplacer sur ce sol calciné ; il fallut recourir aux deux nageurs pour diriger le radeau. Marguerite tenta la première le passage, conduite par Jack d’un côté, et de l’autre par Wilkins. Ils avaient pied en certains endroits, ou bien ils se mettaient à la nage. Cette frêle construction toucha enfin l’autre rivage, lequel, comme celui qui avait brûlé, était couvert de bambous et de roseaux.

Max Mayburn, Jenny Wilson et Ruth traversèrent à leur tour. Quant à Baldabella, tenant son enfant sur ses épaules et n’oubliant pas son épieu de chasse, elle se jeta hardiment à la nage. Arthur la suivit, et insista pour qu’elle acceptât sa main, dans les passages difficiles, aux endroits où le courant était rapide.

Hugues et Gérald avaient inutilement poursuivi leurs recherches sur les lieux du désastre, et, n’ayant rien trouvé, ils étaient allés rejoindre leurs compagnons d’infortune.

Une fois réunis ensemble, les courageux voyageurs traversèrent la haie de bambous et de roseaux qui obstruait la rive. Quelle ne fut pas leur terreur en apercevant le paysage désolé qui s’offrit à leurs yeux !

« Hélas ! murmura Max Mayburn, Dieu nous a jetés au milieu de cette contrée perdue, sans forces, sans moyens de vivre ; lui seul peut avoir pitié de nous. Déjà sa providence nous a tendu une main secourable en nous délivrant de la mort dont les sauvages ont été frappés à nos côtés ; le Seigneur nous sauvera de la famine. Ayons confiance en lui. Prions tous, mes enfants, mes amis, et nous serons sauvés. »

Tous à la fois, le convict, la pauvre Baldabella et son enfant, joignirent les mains et se mirent à genoux.

« Essayons de suivre le cours de la rivière, dit Marguerite ; de cette façon nous ne serons point menacés de mourir de faim ou de soif. J’ajouterai même qu’une intuition secrète m’engage à suivre cette route.

— Et d’ailleurs nous aurons toujours du poisson, fit Wilkins. On se lasse de tout, c’est possible, mais non pas lorsqu’on a faim. »

Au moment où ces paroles étaient prononcées, deux magnifiques pigeons au plumage couleur de bronze qui revenaient de boire à la rivière passèrent en volant au-dessus de la tête des malheureux. Ni les uns ni les autres n’avaient de moyen de les atteindre ; mais ils furent joyeux de voir ces oiseaux, cela leur prouvait que ce pays était habité par des animaux.

« Ne pourrions-nous pas fabriquer des arcs et des flèches avec ces bambous ? nous n’aurions plus qu’à nous procurer des cordes, fit Hugues.

— Essayons tout au moins d’appointer des roseaux pour nous servir de lances et nous défendre au besoin, ajouta Arthur. Et dans le cas où nous rencontrerions un kangarou, des wombats ou autres animaux.

— Excellente idée observa Marguerite ; mais qu’est devenu notre radeau ? il était fait avec des bambous tout coupés.

— Et mes clous que j’avais employés à fixer les traverses ! s’écria Jack. Hélas le radeau aura été emporté par le courant. »

Rien n’était plus vrai, la frêle embarcation avait disparu en aval du fleuve. Il fallut que les voyageurs se résignassent à marcher à travers les buissons souvent inextricables, ou parmi les canniers aux feuilles tranchantes.

De l’autre côté de l’eau l’incendie continuait, rallumé par le vent, et laissant derrière lui un terrain noirci et fumant.

À la fin, la fatigue et le besoin de manger forcèrent les voyageurs à s’arrêter au milieu d’un hallier de bambous, et tous se regardèrent avec une expression de tristesse indéfinissable. Baldabella fut la première à relever le courage de ses compagnons. Elle se rendit sur la rive du fleuve, et revint bientôt avec un énorme poisson et une grande quantité de moules d’eau douce.

On se hâta d’allumer du feu, et sur les charbons ardents on grilla la « morue de rivière », par tranches, de façon que chacun eût sa part. Le souper fut aussi confortable que possible, et l’on se coucha sous un abri de bambous. Chacun dormit malgré la fraîcheur de la nuit.

Plusieurs jours se passèrent, pendant lesquels les naufragés du Golden-Fairy longèrent les rives du fleuve et se contentèrent de leur nourriture de poissons. Enfin l’on trouva des rochers qui encaissaient le courant d’eau de telle façon, qu’il était souvent difficile de se procurer la provende indispensable aux repas.

On rencontra plus loin de grands arbres et des plaines verdoyantes, qui, même à cette époque hivernale de l’année, étaient couvertes de fleurs. Les jeunes gens rencontrèrent des traces de kangarous, et aperçurent souvent des oiseaux qui leur pronostiquaient une diversion dans la nourriture. Il ne s’agissait plus que de façonner les engins indispensables pour atteindre les animaux et les habitants de l’air.

Jack fut le premier à indiquer un arbre à écorce textile dont chacun s’empressa de prendre sa part, afin de fabriquer des cordes avec ses excellentes fibres.

Hugues, ayant achevé le premier l’arrangement de son arc, visa deux pigeons et eut l’heureuse chance de les abattre. Il passa ensuite à l’attaque des kakatoès, si bien que, quand l’approvisionnement fut complet, on pluma les bêtes, on les flamba et on les confia à Jenny Wilson, qui les fit cuire, coupées en morceaux, dans des écailles de moules ; ce qui offrit un ragoût assez appétissant aux pauvres affamés.

Le repas achevé, chacun se mit à fabriquer des arcs et des flèches ; Baldabella elle-même, excellant dans l’art du cordier, prépara toutes les ficelles destinées aux armes de ses protecteurs. Lorsqu’on se remit en route, ce fut avec une entière confiance dans l’avenir, car chacun pouvait à la fois se défendre et subvenir à ses besoins.

— Le jour suivant, les voyageurs découvrirent une récolte d’avoine sauvage, et, — au grand plaisir des dames, — on ramassa une provision de thé.

Les figuiers ne donnaient plus de fruits ; mais dans leur feuillage hospitalier se cachaient des volées de pigeons, de kakatoès et d’oiseaux satinés, ainsi nommés pour leur radieux plumage et leurs yeux brillants. De temps à autre on cueillait quelques concombres-melons et des racines que Baldabella assurait être excellentes, et qui l’étaient en effet.

La petite caravane ne quittait pas les bords du courant d’eau, et Marguerite disait à son père et à ses compagnons :

« Je suis assurée que nous avançons du côté des établissements des colons. Ah ! que nous serions heureux si enfin il nous était donné de reposer nos têtes sous un toit protecteur et d’échanger des paroles avec des hommes civilisés !

– Je crains bien qu’il ne nous faille encore cheminer fort longtemps avant d’arriver à la dernière colonie, fit Wilkins, car les « défricheurs » n’ont certainement pas l’audace de s’aventurer trop près de la « gueule des loups. » Ce que je crains bien de rencontrer auparavant, ce sont des noirs et des « coureurs des bois ».

— C’est aussi ce que je redoute, répliqua Arthur ; car le voisinage des troupeaux de kangarous indique que ces gens-là sont, comme nous, avides de tuer ces animaux, afin de s’en nourrir.

— Plût à Dieu que nous vissions ce succulent gibier bondir devant nous ! observa Gérald. Quelle adresse je mettrais à lui décocher une ou deux flèches bien affilées ! Rappelez-vous, amis qui m’écoutez, que j’entends porter bas le premier museau pointu qui s’offrira à ma vue. »

À peine ces mots étaient-ils prononcés, qu’un énorme animal de l’espèce des marsupiaux s’élança du milieu d’un buisson, et se montra près des voyageurs.

Avant que Gérald et les autres chasseurs eussent pu s’emparer d’une flèche, bander leur arc et viser, la bête légère bondissait et disparaissait hors de la portée voulue.

Un éclat de rire général réveilla O’Brien de la surprise qu’il éprouvait mais il ne se laissa pas démonter aussi facilement qu’on eût pu le croire.

« C’est bien, moquez-vous aujourd’hui, mais demain vous applaudirez, » dit-il d’un air de confiance absolue.