Revoil Voyage au pays des Kangarous 1885/ch27

Traduction par Bénédict-Henry Révoil.
Mame (p. 189-195).

CHAPITRE XXVII

L’aire de l’aigle. — Inquiétudes dans la vallée solitaire. — Les prisonniers volontaires. — Le rapport de l’espion. — L’ennemi aux portes. — Un traitre dans le camp. – Dispersion des envahisseurs. – L’évasion heureuse. – Un excellent voyage.


Quelques jours s’étaient écoulés, et cette retraite absolue semblait fatigante à tous les habitants de la vallée solitaire. Baldabella, accoutumée à la plus grande liberté d’action, manifesta l’intention d’aller pêcher au clair de lune. Comme il y avait moins de danger pour elle que pour les « visages blancs » on la laissa aller, et quand elle revint, elle rapporta de magnifiques poissons, qui changèrent agréablement l’ordinaire des voyageurs.

Hugues et Gerald demandèrent à leur tour, malgré l’insuccès de leur dernière chasse, l’autorisation de « sortir de leur cage ».

« Je m’y oppose, répliqua Marguerite. Vous avez assez d’espace dans la vallée pour prendre vos ébats ; contentez-vous de ces limites.

— Rien ne nous empêche, je pense, de grimper sur ces hautes roches, dit alors Hugues. Nous voulons trouver les nids de ces oiseaux étranges qui volent dans l’espace. Il ne nous arrivera pas le moindre mal ; car nous pouvons monter comme avec une échelle, tant les broussailles sont courtes et dures. Viens, O’Brien ; allons inspecter les merveilles de notre volière. »

Max Mayburn, qui aimait tant à s’occuper d’histoire naturelle, eût bien voulu suivre les jeunes gens dans leur excursion ; aussi ne put-il pas s’opposer à leur départ. Ceux-ci ne se firent pas donner deux fois la permission. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, ils avaient disparu au milieu des rochers, grimpant souvent le long des parois perpendiculaires, à l’aide des branches qui poussaient dans les interstices de la pierre. On vit alors tourbillonner des milliers de pigeons troublés dans leur quiétude, des volées de kakatoès qui piaillaient à étourdir ; et enfin les hardis explorateurs parvinrent près de l’aire de deux aigles, qui défendaient hardiment l’asile de leurs aiglons.

« Je ne suis pas d’avis d’attaquer les oiseaux de proie : d’ailleurs, nous n’aurions peut être pas le dessus. Où allons-nous diriger nos pas ? dit Hugues à Gérald.

— Montons seulement jusqu’au sommet, dit O’Brien. Je voudrais me rendre compte du panorama qui nous entoure. »

En effet, les deux amis grimpèrent encore jusqu’à la cime la plus élevée. Gérald arriva le premier sur un pic pointu comme une colonne, et ressemblant à un dieu reposant sur le point culminant d’une « montagne caressant le ciel »,

« Quelle vue admirable cria-t-il à Hugues. Viens vite ici contempler la belle nature qui se déploie sous mes yeux. Des forêts, des vallons, des lacs, des rivières, et là-bas un chaos de rochers superposés. On dirait la fin ou le commencement du monde. Grand Dieu ! ajouta-t-il en se courbant rapidement et en se hâtant de descendre. Quel malheur »

Au même instant, la détonation d’armes à feu, répercutée par tous les échos des montagnes, prouva aux deux jeunes gens que leur solitude avait été violée par la présence des hommes.

« Mon bon ami Hugues, hâte-toi de descendre, fit Gérald, qui n’avait pas été atteint. Va-t’en dire à notre troupe de faire provision de charqui, de bois à brûler, et de ramasser tout ce qui traîne et peut trahir le secret de notre campement. Surtout que Ruth n’oublie pas ses volailles, et qu’elle enferme son coq. Les « coureurs des bois » sont à notre recherche. Je vais faire sentinelle, là, dans ce trou, au milieu des buissons, afin de m’assurer s’ils franchissent les remparts de notre vallée ou s’ils s’en éloignent. Et que l’on ne s’inquiète pas de moi, je suis mieux ici qu’en bas. »

Il n’y avait pas réellement de temps à perdre car partout, dans la petite vallée, on apercevait des traces d’habitation temporaire qu’il fallait faire disparaître. Près de la source, les baquets, les seaux étaient étalés ; le linge lavé séchait sur des buissons ; çà et là se trouvaient des couteaux et des haches ; les poules picoraient, le coq chantait, et les voyageurs humaient l’air pur sous les arbres.

Lorsque Hugues parut auprès d’eux et leur raconta ce qui se passait, quand ils eurent contemplé son visage, qui trahissait la plus vive émotion, ils se hâtèrent de tout remiser dans la plus grande des grottes. On n’oublia pas les poules, qui se laissèrent facilement prendre. Quant au coq, on fut obligé de lui jeter un manteau sur la tête, afin de s’en emparer ; l’oiseau crut alors que la nuit était venue, car il se résigna à ne plus chanter, et monta sur son perchoir pour dormir auprès de ses poules, dans l’intérieur de la grotte qui leur servait de poulailler.

Lorsque tout eut été remis en ordre dans la vallée solitaire, et quand plus rien ne resta dehors, les voyageurs rentrèrent dans la grotte, dont ils bouchèrent l’entrée à l’aide de rochers amoncelés avec un certain désordre ; puis on attendit le retour de Gérald, afin qu’il racontât ce qui se passait, et qu’il exposât les moyens d’éviter le danger.

Plusieurs heures se passèrent sans qu’O’Brien parût, et l’inquiétude se manifesta au milieu de tous les prisonniers. À la fin, Arthur, ne pouvant plus y tenir, se disposait à sortir pour aller à la recherche de son ami, lorsque l’on entendit la voix de Gérald, qui murmurait à travers une des fentes du rocher :

« Je ne suis ni serpent ni génie, et cependant je me glisse au milieu des fissures de la pierre. Sésame ! ouvre-toi ! »

On se hâta de livrer passage aux joyeux garçon, qui s’écria :

« Fermons bien toutes les issues ! dépêchons ! l’ennemi est à nos portes. Surtout que la clôture de notre retraite ne ressemble en rien à l’œuvre d’un maçon. »

On se mit à l’œuvre, et, grâce aux efforts communs, un énorme quartier de roche fut roulé devant l’ouverture qui fut presque fermée de cette façon car le reste était couvert par des lianes retombant du haut du rocher à mi-partie de l’orifice, ce qui permettait à la lumière de pénétrer, et laissait aux prisonniers la faculté d’observer ce qui se passait au dehors.

« Et maintenant que tout est en ordre, fit Marguerite en s’adressant à Gérald, dis-nous, mon ami, comment tout ceci s’est passé.

— C’est ma faute ; c’est ma mauvaise chance, je l’avoue, répondit-il. J’ai voulu « jouer à la statue » en montant sur la cime la plus élevée des rochers. Une fois là-haut, j’ai aperçu dans une vaste plaine, de l’autre côté de cette vallée, une douzaine d’hommes montés sur des chevaux, qu’à leur costume jaune j’ai immédiatement reconnus pour être des convicts évadés. Au moment où je les ai vus, je me suis laissé glisser au bas du rocher ; mais déjà leurs coups de feu avaient été dirigés sur moi sans qu’aucun d’eux m’ait atteint. Je m’attendais à les voir chercher à s’emparer de moi, dans le cas où ils pourraient gravir la montagne c’est pour cela que je me glissai dans un trou profond, d’où je pouvais tout inspecter sans être vu. Cette surveillance dura si longtemps, que je finis par fermer les yeux, et ne les rouvris qu’au moment où j’entendis autour de moi des jurements et des malédictions qui me faisaient frémir. Les hommes qui les proféraient semblaient être dans le paroxysme de la plus grande fureur.

« — C’est le même coquin sur qui j’ai fait feu il y a quelques jours, disait l’un de ces bandits. C’est un espion, il n’y a pas à en douter, un agent de la police de Melbourne, envoyé pour épier nos faits et gestes. S’il tombe entre nos mains, nous le brûlons vif. »

« Cette perspective n’était pas de mon goût, aussi je me pelotonnai dans mon trou comme une souris eût pu le faire.

« – Je prétends que l’homme que nous avons vu était plus gros, plus grand, disait un autre convict.

« — Allons donc ! t’imagines-tu que la police coloniale ait envoyé un troupeau de ses chiens de garde à nos trousses ? Où diable peut-il bien être caché ? disait un autre de ces misérables.

« — Regarde, ajoutait un troisième, là, dans cette niche au milieu du rocher c’est à cet endroit qu’il doit s’être hissé. Un vrai nid pour un agent de police.

« — Comment aurait-il pu grimper jusque-là ? il n’a pas les ailes d’un oiseau.

« — À propos d’oiseau, en voici un qui veut recevoir une balle, car il a l’air de se moquer de nous. C’est un aigle, ma foi !

« — Laisse-le tranquille, ce n’est pas d’aigles qu’il s’agit. Ah ! que n’avons-nous ici ce damné de Black Peter ! il nous guiderait vers quelque bonne prise, et nous pourrions nous établir avec le prix que cela nous rapporterait.

« — Au diable ce maudit « oiseau de rapine » ! ajouta un dernier interlocuteur : il cherche à mourir, bien sûr. »

« Un coup de feu se fit entendre, et l’aigle tomba presque devant mon refuge, se débattant et roulant de rochers en rochers. Je pensais que la pauvre bête allait faire découvrir la passe pour descendre du côté de la « vallée solitaire » il n’en fut rien ; c’était du côté opposé qu’elle cherchait à fuir ses agresseurs.

« Quand je me crus seul, je mis le nez hors de mon trou, et je vis les convicts poursuivant toujours l’oiseau blessé dans la partie de la montagne par laquelle ils étaient venus. Je repris alors courage, et me hâtai de descendre de ce côté le plus vite qu’il me fut possible. Voilà l’histoire. Ne penses-tu pas, Arthur, que nous sommes en danger ?

— Parbleu ! répliqua celui-ci. Le mieux que nous puissions faire est de rester enfermés aussi longtemps que ce sera possible. Au cas où nous serions découverts, nous nous battrons jusqu’à la mort. Nous possédons des armes, des fusils, des flèches, des épieux ; nous sommes dans une forteresse inexpugnable. Si ces hommes ne sont pas plus de six, ils ne peuvent rien contre nous.

— Avons-nous des provisions suffisantes, Jenny ? demanda Gérald à la cuisinière.

— Oui, monsieur O’Brien, reprit celle-ci ; de la viande desséchée, de la farine d’avoine, des seaux pleins d’eau.

— Cela suffira, répondit Wilkins. Voyons, monsieur Arthur, qui va se servir des fusils ?

— Vous et moi.

— Merci de cette confiance, Monsieur ; je vous montrerai que j’en suis digne.

— N’oubliez pas que c’est moi qui commanderai le feu.

— C’est convenu, fit le convict.

— Il ne faut pas assassiner ces malheureux : on pourrait peut-être les ramener au bien.

— Quelle plaisanterie ! monsieur Mayburn ; vous ne connaissez pas ces bandits. Moi je sais mieux que vous ce qu’ils pensent et ce qu’ils veulent.

— Mais quel est ce bruit ? » dit alors le vieillard.

On entendait des blocs de pierre rouler du haut de la montagne en bas. Arthur recommanda le silence, car il était important de ne point trahir la présence des voyageurs dans ces parages.

L’on entendait les voix des convicts dans la « vallée solitaire. » Ils blasphémaient, suivant leur usage, et Max Mayburn se mit à prier Dieu pour qu’il sauvât ses enfants et ses amis des mains de ces mécréants.

« Bon ! bon ! criait l’un des convicts. Voici des traces irrécusables du passage de ces gens-là ; il y a une femme dans le nombre. J’ai trouvé les marques des talons de ces souliers.

— Ils sont donc plusieurs ? » demandait un second coureur des bois.

Les convicts couraient de tous les côtés, explorant minutieusement la vallée, se glissant au milieu des buissons, entre les rochers ; ils allaient enfin se retirer après une recherche inutile, lorsque le coq de Ruth, reconnaissant l’erreur dans laquelle on l’avait induit, commença à chanter dans la grotte où on l’avait enfermé.

Les bandits poussèrent des hourras qui exprimaient la surprise et la joie, tandis que les prisonniers de la grande caverne murmuraient à voix basse :

« Nous sommes trahis ! »

Et Ruth se glissa vers l’ouverture, afin de voir, si faire se pouvait, quel serait le sort de ses pauvres volailles.

Ce qui devait arriver arriva. Les convicts se ruèrent sur le poulailler, et tandis que deux des « gélines » de Ruth s’envolaient dans les buissons, un des hommes s’emparait du coq, lui tordait le cou de rage et de fureur.

À ce cruel spectacle, la malheureuse Ruth ne put se contenir : elle poussa un cri déchirant. Jenny s’était précipitée sur la jeune fille pour comprimer ces sons intempestifs, déclarant qu’elle allait l’étrangler.

« C’est fini maintenant, s’écria Wilkins ; allons, il s’agit de nous défendre ; armons nos fusils et visons juste.

— Ne tirez pas sur des ennemis qui se montrent à vous et ne vous voient pas, observa Max Mayburn ; ce ne serait pas loyal.

— Voyons, mon père, répliqua Hugues, ces convicts viennent nous attaquer, nous avons le droit de les repousser. Leur intention est de nous mettre à mort, empêchons-les de nous tuer. »

Le moment suprême était arrivé, car les convicts avaient entendu les cris poussés par la jeune fille.

Ils se ruèrent donc du côté de la grotte, et à coups de pierre et de bâton, s’efforcèrent de pénétrer dans l’intérieur. Une volée de coups de feu et une grêle de flèches les firent reculer ; mais, quand cette première décharge eut été essuyée, les misérables revinrent à l’attaque. Cette fois, les prisonniers de la caverne visèrent les assaillants, et deux des convicts tombèrent morts, ou du moins dangereusement blessés.

Les « coureurs des bois » se retirèrent aussitôt à une certaine distance pour tenir conseil, loin des oreilles des voyageurs. Quelques instants après, un homme à la figure hideuse se mit à crier d’une voix menaçante :

« Lâches que vous êtes ! montrez-vous donc, ou bien nous allons vous forcer à vous rendre à merci. Voyons ! nous vous traiterons bien, et si vous n’avez pas d’argent, nous attendrons que vous vous en soyez procuré pour payer votre rançon. Dans le cas contraire, si vous refusez, nous vous prendrons à la fin, et vous serez tous pendus, l’un après l’autre.

— Malheureux égarés, répliqua Max Mayburn, vous menacez de mort vos semblables ; que dis-je ? par bonheur, nous sommes des gens qui n’avons commis aucun crime, ni contre Dieu ni contre la société. Prenez garde ! Dieu nous protège.

— Allons exclama le convict, il y a un missionnaire dans la cachette de ces gentlemen. N’importe ! ses bons discours ne nous touchent guère.

— Nous ne vous voulons pas de mal, fit Arthur, mais nous ne sommes pas des lâches, et nul d’entre nous ne souhaite pactiser avec des convicts. D’autre part, nous n’avons rien à vous donner ; car, malheureux naufragés, nous n’avons sauvé que nos fusils, qui nous servent à défendre notre existence et à protéger notre liberté. Laissez-nous tranquilles, et nous ne songerons pas à vous inquiéter. Sachez bien encore que vous n’êtes pas en nombre pour nous soumettre.

— Nous verrons bien, répliqua le convict. Dans quelques heures, nous vous enfumerons comme des renards ou nous vous ferons mourir de faim. »

Les « coureurs des bois » tinrent encore conseil, et finirent par se retirer, en laissant croire aux assiégés qu’ils allaient quérir du renfort.

« Ces coquins sont loin de ressembler aux compagnons de Robin Hood, observa Hugues.

— La désobéissance aux lois conduit droit au crime, répliqua Max Mayburn, et si les archers de Sherwood se livraient de nos jours à leurs plaisanteries d’autrefois la police anglaise les empêcherait bientôt de continuer. Robin Hood et ses camarades seraient envoyés à Botany-Bay.

— Bah ! nous n’avons pas le temps de causer de choses oiseuses, ajouta Wilkins. Nos embarcations sont en bon état, je suis d’avis de partir. Nos ennemis ne reviendront pas de sitôt ; car ils sont allés sans doute chercher leurs amis les noirs, à qui ils vont compter mille mensonges. Croyez-moi, partons. Une fois sur le fleuve, nous aurons bien vite mis une grande distance entre ces gens-là et nous.

— Mais, fit Max Mayburn, ne sommes-nous pas plus en sûreté ici que dans les défilés des montagnes, où nous pourrions être surpris par ces assassins ?

— Je suis d’avis de nous éloigner, dit Arthur mais avant de quitter notre retraite, il faut dépêcher un de nous pour épier les démarches des convicts. Seulement ce n’est pas O’Brien que je choisirai, il se ferait prendre à coup sûr.

– Baldabella, ce me semble, fit Wilkins, pourrait, mieux que personne, aller aux informations. Les femmes des noirs ont l’astuce nécessaire pour ce genre d’opération. »

En effet, à peine eut-on expliqué à la mère de Nakina le service qu’on attendait d’elle, qu’elle s’avança et déclara qu’elle était prête à quitter ses amis pour aller en quette de nouvelles. On dégagea l’entrée, et la négresse se glissa à travers les pierres. Pendant son absence, les voyageurs s’occupèrent à refaire leurs paquets afin de continuer leur pèlerinage.

Baldabella revint, le visage exprimant une grande joie.

« Les méchants, dit-elle, sont partis là-bas, là-bas ; ils ont allumé un feu afin que les noirs vissent la fumée. « Visages blancs » peuvent partir maintenant, personne ne les verra fuir. »

Rassurés par ces paroles, les voyageurs sortirent de leur souterrain ; on alla retirer les canots de leur cachette et, ayant empilé les bagages dans ces deux véhicules, les naufragés errants se mirent en route.

À ce moment-là les poules de Ruth gloussèrent. Attirées par les appels de la jeune fille, qui leur offrit de l’avoine, les volatiles se groupèrent ; mais on ne put en attraper que deux, et Jack les plaça dans une cage, dont Ruth s’empara aussitôt, sans se plaindre de cette addition à son chargement.

Baldabella servait de guide, car elle avait découvert un chemin très court conduisant « de la vallée solitaire » à la rivière. On apercevait du haut des rochers le courant d’eau, et quand les deux canots eurent été remis à flot, tous les voyageurs remercièrent la Providence. Les embarcations disparurent bientôt, dans la direction du sud.

« Plaise à Dieu que ce chemin nous ramène bientôt près de nos colonies ! fit Max Mayburn. Ah ! si la divine Providence nous conduisait sur la plantation de nos amis les Deverell, quel serait notre bonheur !

— Je le voudrais pour vous tous, fit Wilkins ; mais, pour moi, ce moment-là sera bien pénible, car ce sera l’heure de la séparation.

— Pourquoi cela ?

— Parce que vos amis ne voudront pas un coquin de mon espèce sur leur domaine, et l’on me renverra à Botany-Bay avec mes vieux compagnons de chaîne.

— N’en croyez rien, Wilkins, répondit Hugues. Le cas échéant, si on vous repoussait, nous irions coloniser à part, et, comme Robinson Crusoé et son nègre Vendredi, nous bâtirions une hutte et nous ferions la chasse aux kangarous. »

Arthur se prit à rire de cette intention de son frère. Il rassura le convict repentant, et lui promit sa protection constante chez les Deverell ou ailleurs.

L’espérance était rentrée dans tous les cœurs et les journées s’écoulèrent joyeusement sur les eaux du fleuve, loin des dangers qu’on avait eu à redouter, jusqu’au moment où, les provisions ayant pris fin, on découvrit qu’on était parvenu dans une sorte de désert à l’aspect désolé.

« Il nous faut aller aux provisions, dit Arthur à ses amis. J’aperçois des moissons d’avoine à récolter, et peut-être trouverons-nous là des animaux qui se nourrissent de grain.

— N’oubliez pas le thé, monsieur Arthur, ajouta Jenny Wilson. C’est ce qui nous manque particulièrement.

— Emportez vos haches, mes camarades, nous déblayerons au milieu des roseaux un emplacement pour Marguerite et mon père. Tout d’abord il faut arrimer nos canots, que l’un de nous gardera, et puis nous partirons pour explorer le pays. »