Reveille-matin des François/Lettre duc de Guise

Le Reveille-matin des François, et de leurs voisins
(p. 28-36).

D O V B L ED’V N EL E T R EM I S-
ſiue eſcrite au Duc de Guiſe par vn gen-
til homme, duquel on n’a peu
ſcauoir le nom.



Monſeigneur, m’eſ‍tant de bon heur tom
bee entre les mains une copie eſcrite à
main, intitulee le Reueille-matin des
François, en forme de Dialogue, & ayant bien
conſideré à part moy, les deuis & propos, que
Euſebe Philadelphe, qui s'en dit l'autheur, fait
tenir aux interlocuteurs : Il m'a ſemblé que ie
ne pouuois faire de moins, pour mon deuoir, que
de vous l'enuoyer par ce gentilhomme preſent
porteur : & vous dire là deſ‍ſus, ce que ie penſe e-
ſ‍tre expedient pour la grandeur de voſ‍tre mai-
ſon, & le bien de voſ‍tre ſeruice. Ie ne doute
point Monſeigneur, que quelque Huguenot de-
ſ‍pité pour les maſ‍ſacres, exercez ſur les freres,
(qu'on appelle,) n'ait esbauché ceſ‍te copie:
& ne doute non plus qu'il deſire le renuerſe-
ment de la maiſon de Valois, que ie le voy ſans
rien flater, ny dißimuler, dire tout ce qu il ſcait
de leur vie, & de la forme de leur gouuernemẽt.
il y a ſi longtemps que ceſ‍te maiſon vous occupe
vn ſi beau Royaume, qu'elle le gourmande, au
lieu de le gouuerner : le deſ‍truic‍t, & ruyne, au

lieu de l'edifier, & baſ‍tir. Les cœurs de la No-


bleſſe & du Peuple, ſont d’autre part tellement
alienez, de ceſ‍te maiſon, & ſi fort enaigris con-
tre ſes deſ‍portemens, Ils ſont par le contraire ſi
deuots enuers vous, & tant af‍fectionez à voſ‍tre
maiſon, qu’il ſemble bien qu’il n’y fit onques ſi
beau, qu'il y faic‍t maintenant.
Du party des Catholiques, voſ‍tre excellence
a autant d'occaſion de s’en aſ‍ſeurer, comme
s'il les tenoit tous, par maniere de dire, dans ſa
manche : Surtout maintenant, que tous eux re-
gardent, pour l’abſence du Roy de Poloigne, ſur
vous, que ſeul ils croyent, & par le nom du-
quel ils iurent, comme de leur Liberateur : Quãt
au party des Huguenotz, ce traic‍té monſ‍tre aſ-
ſez en diuers paſ‍ſages, le plaiſir qu’ils prendro-
yent à vous voir reprendre ce que de droit vous
appartient. Et combien que pour quelques re-
ſ‍pets de l’hiſ‍toire, il s’auiſe de marquer des cho-
ſes que les voſ‍tres ont exploité par le paſ‍ſé au de
ſauãtage de leurs af‍faires, le temps, (vray cyrur
gien des playes les plus deſeſ‍perees,) a tellemẽt
penſé ces coups, qu’il ne parle que par acquit, &
comme en paſ‍ſant de ces choſes : traic‍tant au re-
ſ‍te ſi rondement de vos droic‍ts, & de vos pre-
tenſions, qu’on ne peut mieux deſirer : Que s’il
ſe met à parler de vous en particulier, il fait

tellement ſonner l’execution que vous fiſ‍tes ſur


l’Amiral, que cependant il monſ‍tre bien, que
voſ‍tre querelle particuliere vous y a mené, plu-
ſ‍toſ‍t que la hayne cõtre leur Religion, de laquel-
le, & dans Paris & ailleurs il aſ‍ſeure, (comme
außi il eſ‍t vray,) que vous en avez ſauué plu-
ſieurs : entre autres le Seigneur d’Acier, l’vn de
leurs principaux chefs de ce temps là. Cela me
faic‍t croire, auec le diſcours que le Politique en
faic‍t en quelques endroic‍ts, que les Huguenots
ne deſireroyent rien mieux, que de vous voir
remis au throſne que Hugues Capet vſurpa ſur
les Roys vos predeceſ‍ſeurs. S'aſ‍ſurans bien (com-
me ce liure porte,) que non ſeulement vous lair-
riez leurs conſciences libres: ains außi tout
exercice de leur religion ſain, ſauf, & libre par
toute la France : Sans iamais leur fauſ‍ſer parole
conſiderant le mal qu’apporte auec ſoy la perfi-
die, à ceux meſmes qui la pratiquent . Monſei-
gneur, ie ſerois d’auis, que s'il ne tenoit qu’à ce-
la, (comme il ſemble bien qu'autre choſe, ne
vous peut deſrober ce bien) que vous fißiez, tout
paix & ayſe, ce qu’ils voudroyent en ceſ‍t en-
droit, & prenant d’eux foy, & hommage des
corps, & biens, comme bon Prince, vous laiſ‍ſaſ-
ſiez & leur conſcience, & leur Religion toute li-
bre, en la diſ‍poſition de Dieu. Ce qui vous inci-
teroit à les faire iouir d’une telle liberté, (outre


que c’eſ‍t vne Tyrannie qu’on exerce ſur leurs
conſciences de le vouloir faire autrement : &
que ceſ‍te violence eſ‍t cauſe de la perte de tant de
gens, qui ſe vont conſumant l’vn l’autre comme
le fuzil & la pierre) ce ſeroit vn exemple recent
qu’a dõne le Roy de Poloigne, au ſermẽt par luy
preſté cõme vous, monſeigneur, ſcauez, entre les
mains des Polonois d’entretenir dans Poloigne
toutes les religions qui y ſont : ores qu’il ſceuſ‍t
qu’il y a grãd nõbre d'Anabaptiſ‍tes, & Arriẽs,
treſdangereux & meſchans heretiques : L’e-
xemple außi de monſeigneur de Sauoye, fa-
uorizeroit grandement vos ac‍tions en cela,
quand bien, à ſon imitation, vous entretien-
driez, les miniſ‍tres, & paſ‍teurs de ceſ‍te religion
aux deſ‍pens des trop gras benefices, des diſmes,
& ſemblables reuenus, comme il le faic‍t en ſes
troys bailliages de Tonon, de Ges, & Terny, où
il ne ſouf‍fre nullement eſ‍tre dic‍te vne ſeule meſ-
chante petite meſ‍ſe baſ‍ſe : eſ‍tant, au reſ‍te, ſi bien
obey d’eux qu’il n’a nuls de ſes ſubiec‍ts deſquels
il ſe puiſ‍ſe mieux aſ‍ſeurer que de ceux cy, & de
ceux là du val d’Angrogne, auſquels il donne
preſque ſemblable liberté. Que ſi vous voulez
vn exemple du Pape, meſmes en plus grand cas
vous ſcauez comme c’eſ‍t qu’il ſouf‍fre les Iuifs,
auec leurs ſynagogues en toutes terres, & pays


qui ſont de ſon obeiſ‍ſance : les Iuifs (dy-ie) que
chaſcũ ſcait eſ‍tre vrays ennemis de Chriſ‍t : Mon
ſeigneur, mettons le cas que ces gens cy fuſ‍ſent
tõbez en quelque erreur : (cõme vn chacũ d’eux
confeſ‍ſe qu’ils en ont commis vn bien lourd,
quand ils ſe ſont par tant de fois fiez à ceux là
de Valois : Mais mettõs le cas que l’erreur fuſ‍t en
articles de la foy : ils ſe ſont touſiours ſouſmis
d’en vouloir eſ‍ter a l’eſcriture : Ils paſ‍ſeront con-
dẽnation, s'on leur mõſ‍tre qu’ils ſont deceus : &
ſont preſ‍ts à ſe retrac‍ter s'on leur pouuoit enſei-
gner mieux. Ils ont faic‍t voir tout ce qu’ils cro
yent. lls ſont touſiours preſ‍ts de le faire auec dou
ceur & cõme à Chreſ‍tiens appartiẽt. Ie ſuis icy
cõtraint de dire, qu’il me ſemble que ceſ‍te voye
eſ‍t la meilleure, & la plus ſeure, pour l’eſ‍tat &
pour la conſcience, que n’eſ‍t celle de feu, & ſang.
Quant à eux, ils ſcauẽt reſ‍pondre de leur foy, de
leur eſ‍perance, parlent de Dieu pertinẽment, &
preſque mieux que nos doc‍teurs : Quãt à nous,
nous ne ſcauõs pas bonnemẽt pourquoy nous vi
võs, nous ne parlõs iamais de Dieu, ſi ce n'eſ‍t le
blaſ‍phemãt, & ne croyõs qu’à nos curez, ou à ce
que leurs chãbrieres croyent. de leur vie, auec la
noſ‍tre, ſi l’on en faic‍t cõparaiſon, on ſcait qu’ils
ſont loin de desbauche, autant que nous en ſom-
mes pres : cependant nous nous diſ‍penſons de les


tuer tous à crédit : Monſeigneur, le Conſeil vaut
mieux, que Gamaliel donna iadis, lors qu’on
pouſuivoit les Apoſ‍tres : c’eſ‍t de laiſ‍ſer ces gẽs en
paix : car ſi leur cõſeil ou doc‍trine eſ‍t des hõmes,
ſoyez certain qu’il ſera desfaic‍t tout à plat : que
ſi ceſ‍te œuure eſ‍t de Dieu, iamais on ne la pourra
def‍faire. Les estats aſ‍ſemblez à Orleans, quel-
ques partiaux qu’ils fuſ‍ſent, & peu libres, furẽt
cõme vous ſcauez, de ceſ‍t auis : les grãs perſonna
ges de là Frãce, apres auoir ouy les miniſ‍tres des
Huguenots à Poißy, conſeillerẽt la meſme choſe.
Ainſi, ſi vous tenez ce train, il ne faut ià que
vous doutiez, que les Huguenots ne deſirent vo
ſ‍tre auancemẽt, & grãdeur : & qu’ils n’oublyẽt
ayſeemẽt tout ce qu’ils ont receu de perte par vos
deuanciers, & parens : eſ‍tant choſe toute aſ‍ſeu-
ree, que les iniures nouuelles qu’on leur va iour
nellemẽt multipliãt, leur font perdre la memoi-
re des vieilles: Et que piecà on ne parle plus que
des tours de la Royne mere, de Birague, du Perõ,
& tels eſ‍taf‍fiers qui maniẽt tout ce poure Royau
me en rond, de pié coy, & à Paſ‍ſades, & tout ain
ſi cõme il leur plaiſ‍t. Außi ne faut il pas douter
que ceſ‍te voye debõnaire ne plaiſe bien aux Ca-
tholiques, deſquels les vns, partrop laſ‍ſez, ne de
mandent que le repos : & les autres, ont touſiours
eu en horreur toute cruauté.

Cela eſ‍t doncques reſolu que ces deux par-
tis là vous rient : & parconſequent, que le gros
de la France vous y deſire : il ne reſ‍te que le me-
nu. Ceux de Montmorency vous en veulent : &
vous leur en deuez, auſ‍ſi. Il eſ‍t à craindre qu’ils
ne montent bientoſ‍t en credit, ce dic‍t on, par la
faueur qu’vn Duc leur porte : mais deuancez
les dextrement : ils ſont iuſqu’à preſent bien foi-
bles, gardez qu’ils ne rentrẽt en cour. Que s’ils
y ſont, & bien auant, declarez vous ouuertemẽt
pour liberateur de la France : vous verrez ceux
de Valois bas, abandonnez de leurs ſuppos : le
peuple crier liberté, & les Gentilshommes vous
ſuyure : mettez au deſ‍ſus les Eſ‍tas : faic‍tes qu’ils
recouurent leurs forces : Remettez l’anciene po-
lice : faites que Iuſ‍tice ait lieu : rengez moy la
gendarmerie, & caſ‍ſez tout le ſuperflu : chaſ‍ſez
loin de nous l’eſ‍tranger, & les Italiens qu’on
hait tant, deſchargez le peuple d’impos & vous
contentez du domayne , & de l’ordinaire cou-
rant. Bref, monſ‍trez vous en ceſ‍t aage le pere de
voſ‍tre Patrie, qui ſemble vous tendre les bras :
Monſ‍trez vous tel, (dis-ie) par effet, & non par
eſcrit ſeulement, comme ont fait ceux là de Va-
lois, & vous les verrez bien camus. Ie vous di-
ſcourroys volontiers les moyens que i’eſ‍time les
plus propres, à mettre à fin vne ſi heureuſe en-


trepriſe, n’eſ‍toit que ie m’aſ‍ſeure, que monſei-
gneur le Reuerendißime voſ‍tre Oncle, vous les
ſcaura trop mieux tracer au vif, & außi, que
i’eſ‍pere auoir bien toſ‍t l’honneur de vous pou-
uoir aller baiſer les mains, & de vous dire a bou
che, ce que le papier ne peut que mal ſeurement
porter. Cependant, ie vous ſupplie treshumble
ment de vous reſoudre, a vn ac‍te ſi genereux,
& magnanime, & de vous y diſpoſer au plus
toſ‍t qu’il ſera poßible. Si vous ne le faic‍tes bien
toſ‍t, croyez, monſeigneur, ie me doute, que vous
n’y viendrez que trop tard : les Nobles, auecques
le Peuple, pourront bien vouloir recouurer par
eux meſmes, leur liberté perdue, & ſecouant le
ioug de Tyrannie, eſlire vn Roy ſubiet aux loix,
cõme iadis firent les noſ‍tres, tout ainſi que font
les Polaques. Ce ſeroit alors à briguer ce que
l’occaſion preſente (ſi vous la ſcauez empoigner)
vous met cõme deſſus la teſte. Souuiene vous
qu'elle eſ‍t chauue derriere : A tant ie ſupplieray
Dieu,
Monfeigneur, qu’il luy plaiſe vous toucher
le cœur de ſorte, qu’en ſuyuant mon auis, & con
ſeil, vous ayez à bon eſcient pitié, & compaßion
de voſ‍tre Patrie, que les Tyrans, les femmes, les
Italiens, les gabelliers, les Ruf‍fiens, & maque-
reaux, vont rongeant iuſques aux os : & qu’il

vous doint auec vn heureux ſuccez, & en treſ-
bonne ſanté, & proſperité, treslongue,
& treshereuſe vie, de Reims
le x. de Decembre
1 5 7 3.





Aduertiſ‍ſement au Lec‍teur.


Pag.1.lig.28.liſez n’eſloigner.pag.43.lig.10.les liſez ſes.pag.44.
lig.penult.ferdinand. liſez Charles pag.63.lig. 20.Cegier, liſez Legier.