Le Reveille-matin des François/Epistre aux polonois

Le Reveille-matin des François, et de leurs voisins
(p. 12-27).

E P I S T R ET R A D V I T E
E NF R A N C O I SD VL I V R EL A-
tin dedié aux eſtats, Princes, Sei-
gneurs, Barons, Gentilshommes, &
Peuple Polonois, par Euſe-
be Philadelphe, Coſ-
mopolite.



Les Frãçois, tres-illuſ‍tres Prin-
ces, magnanimes Seigneurs,
vertueux Gentilshommes, &
Peuple genereux, vous ſont en tãt
de ſortes redeuables, & obligez, &
ie leur ſuis tant loyal & affec‍tionné
amy : que ie penſeroyʼ faire grand
tort à mon deuoir, ſi ie ne faiſoye,
paroiſ‍tre par quelque bon & hon-
neſ‍te office l’amitié que ie leur por-
te & la ſincère affec‍tion que i’ay au
bien & trãquillité de voſ‍tre Repu-
blique & eſ‍tat. Voila pourquoy a-
yant tracé en deux Dialogues vn
ſommaire veritable des miſères paſ-


ſees & preſentes des François : i’ay
bien voulu pour teſmoigner ceſ‍te
mienne affec‍tion enuers vos deux
nations, n’ayant pour maintenant
rien en main de plus cõuenable au
temps qui court, le vous offrir &
conſacrer, comme aux plus gros &
plus notables creanciers de tous les
François.
 Que ſi quelcun de prime face
trouue ce preſent-cy faſcheux, &
l’accuſe de ce qu’il reueille les eſ-
prits de trop de gens : le pouuoir &
force indomptable de la treſpure
verité, à laquelle plus ie m’arreſ‍te
qu’à l’opinion d’vn tel Censeur, me
ſeruira en ceſt endroit de plege &
de bon garent, m’ayant contrainc‍t
de l’oppoſer aux flatteurs, menteurs
effrontez, en vn Latin auſ‍ſi facile
cõme eſ‍t le langage Frãçois, auquel
i’eſcris le meſme liure à la grande


Royne d’Angleterre ſimple & ſans
af‍feterie. Et ceux qui ſans paſ‍ſion le
liront pourront bien juger & co-
gnoiſ‍tre, que le fard duquel Puy-
brac en vẽdant ſa plume, cõme Ba-
laam ſe langue pour maudire le peu
ple de Dieu, a vſé en ſa belle epi-
ſ‍tre Staniſ‍laus Heluidius, & tout
ce que Monluc Eueſque de Valen-
ce, Lanſac & autres tels menteurs à
gages vous ont ſceu dire & propo-
ſer pour deſguiſer la verité, eſ‍t bien
fort loin de ceſ‍t ouurage, qui ne
marche que rondement, en ſon ſ‍ti-
le & au ſuiet.
 Mais vous me pourriez deman-
der.  Pourquoy dis-tu, ô Phila-
delphe, que les François nous ſont
deteurs ? A nous qui leur auons o-
ſ‍té le ſecond fils qui deuroit eſ‍tre
gardien de toute la France, & em-
mené auec luy des Princes, Sei-


gneurs, Gentilshommes & gens de
Conseil treſnotables, chargez d’or,
d’argent & de meubles dont ils ont
vuydé leur pays pour s’en venir
peupler le noſ‍tre. A nous qui leur a-
uons couſ‍té en faiſant nos propres
af‍faires vn monde d’argent de deſ-
pẽſe pour le def‍fray de nos Ambaſ-
ſadeurs, leſquels neantmoins n’ont
daigné accepter l’ordre de Mon-
ſieur S. Michel qui rend tous ceux
la qui le portent, couſins de Char-
les de Valois. Il ſemble pluſ‍toſ‍t que
nous ſommes leurs deteurs en tou
te façon. Et quãd bien tu pourroys
monſ‍trer que nous ſommes en quel
que ſorte les creanciers de tes Fran
çois, quel bien fay-tu Coſmopoli-
te ny à eux ny a nous auſ‍ſi, nous fai
ſant part de leurs miſeres & deſcou
urant leurs pouretez ? n’eſ‍t ce pas
autant comme ſi tu nous diſois ? Il


eſ‍t vray que vous auez pour debi-
teurs tous les François. Mais ne pen
ſez pas qu’ils vous payent de long
temps vn tout ſeul denier. Ils ſont
ſi poures & beliſ‍tres qu'ils dorront
toſ‍t du cul à terre, & feront (ſi Dieu
n y pouruoit) ceſ‍ſion de leurs biens
miſerable. C'eſ‍t bien loin de nous
reſiouyr, que de nous donner ces
nouuelles, & toutesfois c’eſ‍t le pre-
ſent que tu nous of‍fres, ce dis-tu.
Il eſ‍t certain (tres-illuſ‍tres Prin-
ces & Nation treſrenommee) que
vous pourriez tenir (ce ſemble) vn
tel langage que cela. Mais quoy
qu’il ſoit, tous les François ne laiſ-
ſent pourtãt de vous eſ‍tre cent mil
le fois plus obligez que vous à eux
ſi lon regarde le dedãs d’vn si grãd
myſ‍tere, qu’eſ‍t l’Elec‍tion de vo-
ſ‍tre Roy, plus que l’extérieur & le
dehors, où les fols ſeulement s’arre-


ſ‍tent, ne pouuãs penetrer plus loin.
Car poſé le cas que vous eſ‍tans de-
ſ‍tituez de Roy, ne pouuans viure
ſimplement ſous la loy & ſous ſon
ame la raiſon, ne voulans auſ‍ſi
vous commettre à la conduite de
quelcun d’entre vous, les François
vous ayẽt fourny d’vn Roy de leur
nation (ſi toutesfois il eſ‍t fils de
François : car de ſa mere vous ſcauez
qu’elle eſ‍t & ſera Florentine) & que
pour vous auoir nourry & fourny
vn Roy ils vous puiſ‍ſent auoir obli
gé à eux en quelque maniere & fa-
çon : comme il eſ‍t treſraiſonnable,
qu’on le ſoit à la nation & à la mai-
ſon qui les donne : Vous ne le ſerez
iamais tant aux François, comme
les vieux Iſraelites à la maiſon de
Iſai pour Dauid, Salomon, Ioſias &
ſemblables autres bons Roys qu’ils
ont receu de ce bon tige, ou comme


aux Sabins les Romains, pour Nu-
ma leur legiſ‍lateur, Les Spartains
aux deux familles des Agiades &
des Eurytiontides : ny comme le ſa-
cré Empire des Romains ſe peut di-
re l’eſ‍tre aux familles des Palatins,
des Saxons, de ceux de Bauieres
pour les grans & fameux Empe-
reurs, qu’il a receu de ces maiſons.
Ceſ‍tuy-cy n’a pas l’encouleure, la
deſmarche, ny la façon (ſous voſ‍tre
bon congé ſoit dic‍t) pour reſpõdre
en pas vne ſorte au rẽg auquel vous
1’eſ‍leuez. Et pluſ‍toſ‍t ſeroit il à crain
dre, que Dieu irrité contre vous, cõ-
me à bon droic‍t il le peut eſ‍tre, s’il
regarde à tant d’erreurs qui courẽt
en voſ‍tre Patrie, au lieu d’vn diable
qu’il employa quãd il voulut trom-
per Achab, n’ait employé ces deux
que ſcauez, Mõluc l’eueſque & Lan
ſac le cheualier pour eſ‍tre eſprits


de menſonge auec ef‍ficace d’erreur
au milieu de vos aſ‍ſemblees, & vous
donner par ce moyen vn monſ‍tre
Roy en ſa fureur. Mais tant y a, quãd
voſ‍tre Roy ſeroit meilleur qu’on
ne peut dire, & auſ‍ſi bon en voſ‍tre
endroic‍t qu’il a eſ‍té pernicieux vers
les François & Vers la Patrie : ſi eſ‍t-
ce encor comme i’ay dit qu’ils vous
ſeront à tout iamais bons amis &
bien redeuables, pour les biens que
Vous leur auez faic‍t: Premiere-
ment pour la bonne opinion que
vous auez euë de leur Nation, la pre
poſant en l’elec‍tion, dont eſ‍t que-
ſ‍tion, à beaucoup d’autres qui vous
ſont plus prochaines & voiſines. En
ce que, comme i’ay ſceu au vray,
pour mener à quelque heureuſe fin
ceſ‍te première elec‍tion, ou pluſ‍toſ‍t
le proiet & deſ‍ſein que vo’ en auiez
fait, vous defpechaſ‍tes en Frãce des



gentilshommes d’entre vous enui-
ron le temps des maſ‍ſacres de Paris
pour auoir l’auis du def‍func‍t Sei-
gneur Amiral, l’vn des parens de la
France, & vous y conduire ſelon
ſon conſeil.
En ce qu’ayant ſceu les nouuel-
les des ces horribles maſ‍ſacres, eſ-
quels l’Amiral deuant l’arriuee de
vos gentils hõmes fut tué, vous deſ-
pouillaſ‍tes tout auſ‍ſi toſ‍t l’opinion
bonne que vous auiez de la maiſon
de Valoys, pour en veſ‍tir vne tres
veritable, la recognoiſ‍ſans pour la
plus traiſ‍treſ‍ſe, & deſ‍loyale mai-
ſon de la terre.
En ce que vous euſ‍ſiez lors vo-
lontiers en deteſ‍tation d’vn tel cri-
me, eſ‍leu pluſ‍toſ‍t vn muletier, ou
quelque autre bon toucheur d’aſ-
nes, que pas vn de tous ces Bou-
chiers, n’euſ‍t eſ‍té qu’il vous eſ‍toit


force de vous ſeruir de ceſ‍tuy-cy,
ayans irrité tous les autres, qui luy
eſ‍toyent competiteurs abbayans à
voſ‍tre Royaume.
Les François vous ſont auſ‍ſi bien
fort obligez, de ce que apres ces
maſ‍ſacres vous ne vouluſ‍tes iamais
paſ‍ſer outre à la cõfirmation de l’e-
lec‍tion, ſans vne promeſ‍ſe ſolennel
le, que Monluc & Lanſac vous firẽt
de pluſieurs articles, qu’ils iurerent
au nom de leur Maiſ‍tre. Entre leſ-
quels ceſ‍t article eſ‍toit l’vn des
principaux : Qu’il ſeroit faic‍te dili-
gente enqueſ‍te des maſ‍ſacres & pu
nition condigne des maſ‍ſacreurs :
moyen ſouuerain & vnique pour
eſ‍tablir la Paix en France.
En ce que vos ambaſ‍ſadeurs, leſ-
quels apres cela vous enuoyaſ‍tes ſa
luer voſ‍tre Roy en France, traic‍te-
rent auec grande inſ‍tance tout pre


mier de la paix de France, que nul
autre de vos negoces : tant vous e-
ſ‍tiez remplis d’enuie de voir tous
les François paiſibles.
En ce que n’ayans peu obtenir
autre choſe des articles, qui vous fu
rent iurez en Poloigne par l’Eueſ-
que, quelque pourſuite que vos
ambaſ‍ſadeurs en fiſ‍tent enuers le
Tyran, pour le moins le bruit de
leur venue auancea la fabrique &
publication de ce meſchant, trupe-
lu & traiſ‍tre Edic‍t de paix : & par
conſequent leua le ſiege deuant la
Rochelle.
En ce que l’inſ‍tante priere que
vos ambaſ‍ſadeurs firent, eſ‍tans ar-
riuez à la Cour du Tyran, a eſ‍té, cõ
me Dieu a voulu, cauſe & moyen
de la deliurance des poures gens
de Sancerre, que le Tyran eſ‍toit re
ſolu de faire mãger l’vn par l’autre.


Mais ſur tout ils vous ſont tenus,
de ce que vous ayans eu compaſ-
ſion du rude & barbare traitemẽt,
que les François ſouf‍frent ſous la
Tyrannie de ceux de Valoys : vous
auez oſté du milieu d’eux ce Roy
frere du Tyran auec vn bon nom-
bre des ſuppoſ‍ts & appuis de la Ty-
rannie, que vous auez faic‍ts cõdui
re en triomphe captifs ſous les loix
de voſ‍tre Patrie, au treſgrand bien
& contentement des vrays & natu-
rels François. Leſquels en ceſ‍t en-
droit s’aſ‍ſeurent que vous ſerez de
façon & maniere, que iamais plus
ces beſ‍tes farouſches ne retourne-
ront pour les mordre. Voila les
poinc‍ts, qui me font dire, que les
François vous ſont deteurs.
Quant à ce dõt vous vous pour
riez plaindre, que ie vay deſcou-
urant par trop leurs pouretez &


miſeres. Il m’a ſemblé treſraiſon-
nable, que vous tous auſquels le fait
touche en ſoyez au vray aduertis.
A fin que vous puiſ‍ſiez cognoiſ‍tre
ce qu’il vous faut attendre d’eux en
voulant recouurer vos detes. Et cõ-
bien que vos Ambaſ‍ſadeurs vous
en puiſ‍ſent donner de bons teſmoi
gnages : ſi eſ‍t ce que i’oſe aſ‍ſeurer
que ce Reueille-matin, que ie vous
offre, vo’ en informera plus à plein
& plus à menu, qu’aucun autre ne
ſcauroit faire. Et vous monſ‍trera
quand & quand vne partie des re-
medes, dont les François entendẽt
s’ayder pour eſ‍ſayer à ſe remettre.
C’eſ‍t à vous ſi mieux vous ſauez de
leur en fournir de meilleurs : ſi vous
penſez que leur ſecours vous puiſ‍ſe
quelque iour ſeruir.
Que s’il y auoit quelque autre
Royaume vacquant plus outre que


vos contrees, auquel vous puiſ‍ſiez
faire eſ‍lire le Tirã pour chef, (quãd
bien ce ſeroit au Royaume des Fu-
ries) vous ſcauez combien il eſ‍t di-
gne auec ſa mere & ſon conſeil d’y
preſider : ou que vous peuſ‍ſiez trou
uer quelque habile moyẽ pour en
depeſ‍trer bien toſ‍t la Françe. Ce ſe
roit (ie le vous iure) combler les
François de tous biens. En ce cas la
vous pourriez tenir pour tous aſ‍ſeu
rez qu’ils vous erigeroyent des Co-
lomnes comme à leurs liberateurs,
& vous preſ‍teroyent à toute heure
l’aide que pourriez deſirer contre
ceux qui vous voudroyent nuire :
autrement il n eſ‍t pas poſ‍ſible pen-
dant que ces Schelmes viurõt, que
vous puiſ‍ſiez recouurer d’eux vn
tout ſeul brin de payement. Car
tout cela qu’ils peuuent faire, c’eſ‍t
de viure au iour la iournee, les ar-



mes au poing, les yeux au ciel, at-
tendans ſecours de Treshaut pour
la laſcheté de leurs freres. Il ne reſ‍te
plus (tres-illuſ‍tres Princes & nation
tres fameuſe) ſinon que vous pre-
niez en bonne part la hardieſ‍ſe de
laquelle i’ay vſé en voſ‍tre endroit,
vous of‍frant ceſ‍te tragique peintu-
re tracee au moins mal que i’ay peu.
Ma plume ne ſcauroit reſpondre
Au forfaic‍t tant eſ‍t inhumain :
Mais elle vous peut bien ſemondre
A le venger de voſ‍tre main.
A tout le moins (tres-illuſ‍tres
Princes, magnanimes Seigneurs,
vertueux Gentils hõmes, faites en
ſorte que ces tigres tãt inhumains
que Dieu a par ſa prouidẽce trainé
& mis entre vos mains ne vo’ eſchap
pẽt nullemẽt : Et les tenez ſerrez, de
ſorte qu’ils ne nuiſent à vos voiſins :
vous gardans en toutes façons de


leurs aguetz & leurs embuſches.
Autrement, ſi quelcun de vos bons
voiſins venoit quelque iour à perir
pour auoir laſché ces leopards, ſon
ame vous ſeroit ſans doute rede-
mãdee du Souuerain. Que s’il vous
en auenoit quelque mal en parti-
culier, vous ſeriez en riſee aux peu
ples qui habitent autour de vous
eſ‍tans allez querir ſi loin des ſan-
gliers pour vous diſ‍ſiper. Dieu par
ſa grace vous y vueille mieux pour-
uoir, vous dõnant confeil & ſageſ‍ſe
pour vous y ſcauoir bien conduire
au nom de ſon fils noſ‍tre Sei-
gneur Ieſus Chriſ‍t.
Amen.