Restons chez nous !/Chapitre IX

J. Alf. Guay (Damase Potvinp. 71-73).

IX



LE cœur humain, comme le corps, a ses lassitudes ; après les grandes crises il se détend, ainsi qu’un faisceau de nerfs, et semble demander un peu de repos avant de se lancer dans de nouvelles aventures…

Chez Paul, la glace était rompue maintenant qu’il avait fait, sans broncher, le premier aveu de son départ… Il était tranquille et plein de courage pour annoncer enfin à ses parents sa décision.

Son curé ne l’avait pas empêché ; l’eût-il essayé, d’ailleurs, jamais il n’y aurait réussi ; et cette presque soumission du prêtre devant son obstination, à lui, bien arrêtée, lui semblait un triomphe… Il avait même senti une approbation tacite dans chacune des paroles du curé. Et il se réjouissait, dans son cœur… il en était convaincu maintenant ; son curé l’avait approuvé… c’était même une bonne action qu’il allait faire ; dans sa pauvre tête échauffée, il était convaincu de cette chose absurde.

Les plus timides ont de ces hardiesses… ils ne calculent rien, quand une fois, ils croient avoir triomphé d’une difficulté ; aveugles, ils se précipitent dans des gouffres au risque de se rompre le cou…

Ce même soir, brusquement, il annonça à sa famille sa résolution de partir ; de partir bientôt, dans quelques semaines…

La scène fut pénible…

Le père et la mère sont silencieux, l’un près de l’autre, anéantis devant l’effondrement de leurs espoirs… ils n’avaient rien à se dire ; pendant ces derniers jours, ces jours d’attente en l’événement redouté, ils avaient épuisé le sujet dans leurs causeries inquiètes, examiné toutes les faces, prévu toutes les conséquences de cet irrémédiable malheur.

Tout leur paraissait maintenant brisé et fini… Des présages de deuil flottaient devant leurs yeux, et, sans s’expliquer pourquoi, ils jugeaient leur Paul comme perdu… Et, pendant leur long silence, il leur semblait qu’un souffle de mort et de dispersion passait sur leur chère demeure si péniblement acquise…

Les lueurs rougeâtres qui s’échappent du gros poêle tout rouge et dansent fantastiquement sur le mur leur paraissent sinistres… et le crépitement du bois franc, qui se tord dans le foyer, rompt, seul, le douloureux silence…

Lui, Paul, regardait son père et sa mère ; il les regardait d’un air décidé encore, mais très doux, de plus en plus doux, avec une immense tristesse qui allait, s’accentuant. C’est qu’une lueur se faisait dans son esprit distrait et rêveur… En ce moment, devant leurs sacrifices et leurs embarras, son amour pour eux s’était augmenté d’un sentiment nouveau qui était une sorte de pitié attendrie… Et puis cette perspective d’une vie nouvelle qui allait commencer pour lui, pleine d’inconnu, le fit s’attendrir davantage. Bientôt allait finir pour ainsi dire, son enfance, allait s’enfuir ce passé d’insouciance heureuse ; et il sentait cela, douloureusement, avec une impression inconnue de regret et d’effroi…

Ce soir-là, quand le père et la mère se furent retirés dans leur chambre, Paul, resté seul, dans la vaste pièce, pleura, la poitrine secouée, les joues ruisselantes de toutes les larmes qui, depuis des jours, s’étaient amoncelées en lui-même, sans qu’il en eût conscience.