La Maison de la bonne presse (p. 49-52).


DÉSILLUSION




Dis, mon amour, d’où viens-tu donc ?
Tu me reviens tout en alarmes,
Et je vois, en deuil, sur ton front,
L’illusion verser des larmes.
Dans ton vol, as-tu, quelque part,
Touché des épines cruelles ?
À la recherche d’un regard,
Aurais-tu blessé tes deux ailes ?


Tu n’es plus le même, tes yeux
Dont j’admirais la douce flamme,
Quand je les vois, mystérieux,
Me cachent l’ardeur de ton âme.
Dans ta course à travers les fleurs,
Qui fraîches, émaillaient ta route,
As-tu respiré des odeurs
Où ton cœur a puisé le doute ?

Tu m’as bien dit pourtant un soir :
« Je t’aime ! unissons nos pensées !
Ayons tous deux le même espoir,
Que nos âmes soient fiancées ! »
Naïf, je crus en ton serment…
Pour un regard, pour un sourire,
Pour la conquête d’un instant,
Tu livras ton aile au zéphyre.


Je te suivis, ô mon mignon,
D’un œil jaloux, plein d’amertume.
Alors je vis mon horizon
Se couvrir d’une épaisse brume.
Je te suppliai, mais en vain,
De te rappeler ta promesse,
De ne point verser le chagrin
Dans la coupe de ma tendresse.

Tu t’envolas, et tout en pleurs,
Seul témoin de ton inconstance,
Je te vis arracher les fleurs
Qui parfumaient mon existence.
Qu’en as-tu fait, amour fier ?…
À qui les as-tu donc données ?
La main qui les reçut, hier,
Demain les trouvera fanées ;


Et livrant leurs feuilles au vent,
Elles tomberont en poussière
Sur le chemin, où, si souvent,
Tu répondis à ma prière.
Ô tendres fleurs, sous l’œil de Dieu,
Tombez avec mon espérance,
De mon amour couvrez l’adieu,
Cet amour né pour la souffrance.


Sept. 1889.