La Maison de la bonne presse (p. 53-56).


RÊVERIE




Le mois de mai s’installe en roi sur la nature
Et lui prodigue, épars, ses apprêts radieux ;
Dans les bois, les ravins, un immense murmure
De bruissements, de voix, s’élève jusqu’aux cieux.
L’oiseau, lance son trille,
Et chante le réveil,
Et le matin, quand brille
Le bienfaisant soleil,
La fleur lève la tête,
Aspire ses rayons,
Puis ouvre, la coquette,
Ses bras aux papillons.


Tout vibre dans les bois, et j’aime ce langage…
Ces soupirs, ces accents divins, mystérieux,
Que la brise embaumée exhale au frais feuillage,
M’élèvent de la terre et me parlent des cieux.
Alors, dans un beau rêve,
J’interroge ta foi ;
Aimable fille d’Ève
Tout me parle de toi !
Le ruisseau qui babille
Sur son lit de velours,
Murmure, ô jeune fille,
Ton nom, et mes amours.

Tout sourit, se ranime, et l’air rempli d’arômes
Caresse mollement les rameaux et les prés ;
Aux regards attendris, en balançant leurs dômes,
Les grands arbres font voir mille nids diaprés.

C’est le temps où la flamme
Qu’inspire le printemps,
Réveille dans notre âme
Les souvenirs d’antan ;
Et moi, ô ma chérie,
Qui m’abreuve, rêveur,
À ces flots d’harmonie,
Je sens battre mon cœur.

Il bat, et chaque élan, soupirant ma tendresse,
S’emflamme sous le feu de ton puissant regard ;
Il semble que partout, friponne enchanteresse,
Il m’épie, et me suit, et me lance son dard.
Tu souris, et ta lèvre
Semble un rayon du ciel
Qui tempère ma fièvre
En y versant le miel.

Mais tu fuis, et je reste,
T’envoyant un baiser,
Dans mon songe céleste
Tu n’as fait que passer.

Reviens, ô ma mignonne, oui, oui, reviens… ta trace
En s’effaçant fait naître, en mon âme, des pleurs…
Je veux que le mystère où je puise ta grâce
Dure au moins plus longtemps que le parfum des fleurs.
Illusion dorée
Avant que de finir,
À ma chère adorée,
Porte mon souvenir…
Redis lui, dans ta course,
Ce qui m’a fait rêver ;
Que son cœur est la source
Où je veux m’abreuver.


Montréal, mai 1889.