La Maison de la bonne presse (p. 30-34).


« RENDS-MOI CRUELLE CET AVEU » !




Jeune fille, dans tes regards,
Que s’est-il donc passé d’étrange ?
Ils n’ont plus ces doux rayons d’ange,
Ils ne me lancent plus leurs dards.

Naguère, je voyais ton âme
Voltiger dans ton bel œil noir,
Elle s’en faisait un miroir
Qu’elle illuminait de sa flamme ;


Et quand tu l’élevais vers moi,
Je sentais mon âme se fondre,
Elle cherchait à lui répondre,
Et toute troublée, en émoi,

Penchée, au bord de ma paupière,
À la tienne voulant s’unir,
Elle l’encensait d’un soupir
Qui seul lui disait sa prière.

Sa prière, c’étaient les cieux
Qu’elle voulait en toi connaître ;
Car les cieux m’ouvraient leur fenêtre
Quand je voyais s’ouvrir tes yeux !

Mais aujourd’hui, pure allégresse !
Cette illusion d’or m’a fui ;
Le jour a fait place à la nuit
Et le bonheur à la tristesse.


Oui, je ne retrouve plus rien
De tout ce qui faisait mes charmes,
Et mon regard n’a que des larmes
Quand il se plonge dans le tien.

Dis-moi, dis-moi, ô jeune fille,
Dis-moi, ton cœur s’est-il fâché ?
Dis, l’amour en fut-il tranché,
Comme la fleur, sous la faucille ?

L’aveu que je te fis un jour,
Cet aveu plein de flamme pure
Que l’onde gazouille et murmure
Sur les cailloux et le velour ;

Qu’on entend le soir dans la brise,
Quand elle souffle, en soupirant,
À travers le bois frémissant,
À travers l’herbe qui s’en grise ;


Cet aveu, tendre élan du cœur,
Qu’entonne au printemps la fauvette,
Quand la nature, dans sa fête,
Sourit sous l’œil du Créateur ;

Cet aveu, tendant ton oreille,
Tu l’as reçu complaisamment,
Et je vis, belle, en souriant,
Répondre ta lèvre vermeille.

« Je t’aime ! » c’est bien son accent !
T’en souvient-il, fille cruelle ?
Alors, je vis une étincelle
Briller dans ton regard puissant.

Puis, nous ouvrant son aile tendre,
L’espérance nous en couvrit ;
Songe trompeur ! ce qu’elle a dit,
Non, tu n’as pas su le comprendre !


Le lendemain, ton œil sans feu,
Fripponne, n’était plus le même ;
Je retire ce mot « Je t’aime »,
Rend-moi, cruelle, cet aveu !…

Dis-moi, dis-moi, ô jeune fille,
Dis-moi, ton cœur s’est-il fâché ?
Dis, l’amour en fut-il tranché
Comme la fleur, sous la faucille ?