La Maison de la bonne presse (p. 21-24).


JE T’AIME




Allons, c’en est assez, il me faut te le dire !
Depuis bientôt deux ans, mon pauvre cœur soupire,
Sans avoir pu l’oser.
Pourtant, tacitement, je t’ai bien dit la chose,
En déposant, un jour, sur ta lèvre de rose,
Un tendre et doux baiser.

Mais tu courbas soudain ta brune et belle tête,
De même qu’une fleur courbe sous la tempête,
Sa corolle d’azur.
Et tu n’as pas voulu, candide fille d’Ève,
— Car la fleur qui s’incline aussitôt se relève —
Relever ton front pur.


Ah ! je compris alors mon aveugle imprudence ;
Ce baiser que j’avais puisé dans l’espérance,
Oui, qu’il t’a fait rougir !
Et de te voir ainsi mon âme fut peinée ;
La fleur que j’avais mise à ton sein s’est fanée
En me voyant pâlir ;

Et je cherchai longtemps à racheter ma faute,
En te disant des riens, quand, marchant côte-à-côte,
Nous longions le buisson.
Hélas ! ce fut en vain, tu demeuras muette,
Ni ma voix, ni le chant de la tendre fauvette,
Ne me donna raison.

Ton regard demi-clos se voila de mystère,
Et je vis, hésitants, au bord de ta paupière,
Scientiller deux gros pleurs.
Pourquoi, pourquoi pleurer, quand peut-être, à cette heure,
Un ange se penchant du haut de sa demeure
Souriait à nos cœurs ?


Ah ! oui, pourquoi ces pleurs ! sur mon âme, j’en jure,
Ce baiser, pur rayon d’une flamme très pure,
Au souffle de l’amour,
Après s’être embrasé dans le feu de ma fièvre,
Glissa comme un parfum sur le bord de ma lèvre,
Et glissa sans retour.

Non, non, reviens à toi ! l’extase à sa caresse !
Et l’extase à cette heure avait jeté l’ivresse
Dans mon cœur, mes pensers ;
Dans l’air que je humais, je buvais ton haleine,
Et l’enivrant parfum de tes cheveux d’ébène
Qu’il avait traversés.

C’est l’extase, oui, crois-moi !… maintenant ma mignonne,
Tu vois mon repentir, sois chrétienne, pardonne !
Tout de même, dis-moi,
Dis-moi, si ce baiser dans ton cœur qui me gronde,
Fit entendre un doux mot qui jette par le monde
Le plus puissant émoi ;


Ah ! s’il te fut muet, ouvre-moi ton oreille,
Puis oublie un instant que ta lèvre vermeille
L’a reçu quelque jour !
Ma lyre en ce moment, en ce moment suprême,
Va te le soupirer, ah ! ce mot c’est : « je t’aime ! »
Dis, est-ce assez d’amour ?…