La Maison de la bonne presse (p. 16-20).


JEAN ET ROSE




Dieu que le ciel est pur !
Allons jouer, mignonne,
Près de ces flots d’azur
Que le grand bois couronne ?
Tout chante autour de nous,
Tout sourit, nous invite !
Je vois dans ton œil doux
Ton âme qui palpite !

Des derniers rayons
Du soleil qui se couche,
Ô Rose, profitons !
Que de ta belle bouche,
S’échappe un oui joyeux !
Il est dans ton sourire,
Dans le feu de tes yeux,
Tu n’as plus qu’à le dire.


Vois le papillon d’or
Qui s’ébat dans les roses,
Je ne vois aucun tort
À jouir de ces choses.
Nous apprendrons de lui,
Ô cher et candide ange,
Que les fleurs qu’il poursuit
Ont un langage étrange.

Comme lui, leur parfum
Enivra notre âme,
Et la main dans la main,
Ivre de leur dictame,
Nous irons nous asseoir
Sur les sonores grèves,
Et dans ton bel œil noir,
Je puiserai mes rêves.

L’amour est un doux miel
Préparé par les vierges ;
Dressons donc un autel,
Et brulons-lui des cierges !

Femme, tu dois aimer,
Ton âme est ainsi faite !
Pourquoi tant protester
Ô gentille fillette ?

Je l’ai très bien compris,
En vain ton cœur se cache,
À tes jolis souris,
La tendresse s’attache ;
Et je doute beaucoup
Que tu n’aies pas envie
De te voir à mon cou,
Souriante et ravie !

— Comment ! que dis-tu, Jean ?
Tes paroles m’offensent,
Je te quitte à l’instant —
Tout de même, ils avancent,
Elle avance, et tous deux,
Oubliant ciel et terre,
Marchent silencieux
À travers le mystère.


Cupidon, séduisant,
Fier de sa conquête,
Frappe de l’aile, Jean,
L’extasie et l’arrête.
Ils venaient d’aborder
L’onde mystérieuse ;
Rose semblait bouder,

Mais boudait toute heureuse !
Leur regard se croisa
Dans le miroir liquide,
Et l’ombre s’abaissa
Sur le couple timide.
Je l’ai vu s’enlacer,
Je n’ai pu rien comprendre,
Mais j’ai cru d’un baiser
Ouir le bruit doux et tendre…

Est-ce l’eau qui baisait
Le sable du rivage,
Où zéphyr qui bruyait
À travers le feuillage ?

Vraiment, je n’en sais rien !
J’ai revu Jean et Rose
Maintes fois ; Rose est bien,
Je ne sais autre chose.


Septembre 1890