Redgauntlet. Histoire du XVIIIe siècle
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume XXp. 107-109).
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LETTRE IX.

ALEXANDRE FAIRFORD, W.-S.[1], À M. DARSIE LATIMER.


Mon cher M. Darsie,


Comme je fus votre factor loco tutoris, ou plutôt, pour parler plus exactement, puisque je remplissais cette charge sans arrêt de la cour, votre negotiorum gestor, cette relation entre nous m’engage à vous écrire. J’ai rendu, à la vérité, le compte de ma gestion, lequel a été régulièrement approuvé, non-seulement par vous-même, que je n’ai jamais pu décider à en lire plus long que le titre et la somme totale, mais encore par le digne M. Samuel Griffiths de Londres, par l’intermédiaire duquel les remises m’étaient faites. Je pourrais donc, dans un sens, être considéré en ce qui vous touche comme functus officio ; néanmoins, pour parler facétieusement, j’ose espérer que je ne vous semblerai pas comptable d’une obligeance mal entendue, si je m’intéresse encore de temps à autre à votre bien-être. Mes motifs pour vous écrire cette fois sont de deux espèces.

J’ai rencontré un M. Herries de Birrenswork, gentilhomme d’une famille fort ancienne, mais qui, en ces derniers temps, s’est trouvé dans la gêne, et j’ignore si ses affaires sont aujourd’hui bien bonnes. Birrenswork dit qu’il croit avoir été intimement lié avec votre père ; il prétend que ce dernier s’appelait Ralph Latimer de Langeote-Hall, dans le Westmoreland, et parle d’affaires de famille dont il peut être pour vous de la plus haute importance d’être informé ; mais, comme il semblait ne pas vouloir me les communiquer à moi, je ne pouvais civilement le presser sur ce sujet. Je sais seulement que M. Herries a contribué pour sa bonne part à la tentative malheureuse et désespérée de 1745, et qu’il a été par suite inquiété, quoique probablement on n’y songe plus aujourd’hui. D’un autre côté, quoiqu’il ne professe pas ouvertement la religion papiste, il lui garde toujours une petite place dans son cœur ; et ces deux raisons-là m’ont fait hésiter à le recommander à un jeune homme dont les opinions ne sont peut-être pas si solidement établies sur l’Église et l’État, qu’elles ne puissent être changées par quelque coup de vent soudain de doctrine. J’ai observé, M. Darsie, que vous n’étiez pas très-pur du vieux levain de l’épiscopat, soit dit avec votre permission ; et quoique, à Dieu ne plaise, vous ne soyez en aucune façon malintentionné pour la ligne protestante de Hanovre, pourtant vous avez toujours aimé à entendre les magnifiques et merveilleuses histoires que les gentils-hommes montagnards racontent sur ces temps de trouble, et qu’ils feraient mieux de taire, si la chose leur était possible, vu qu’elles tendent à les couvrir plutôt de honte que d’honneur. Il m’est venu aussi, par un vent de côté, comme je puis le dire, que vous avez vécu avec certaines gens de la secte pestiférée des quakers plus intimement qu’il n’était besoin, — bande qui ne reconnaît ni prêtre, ni roi, ni magistrat civil, ni recueil de lois, pas même le nôtre ; et qui refuse de déposer soit in civilibus, soit in criminalibus, s’inquiétant peu du dommage qu’ils peuvent causer ainsi à de loyaux sujets ; à propos desquelles hérésies il vous serait utile de lire le Serpent sous l’herbe, ou le Pied hors du piège, deux traités fort estimés touchant ces doctrines.

Maintenant, M. Darsie, vous jugerez vous-même si vous pouvez, sans compromettre le salut de votre âme, demeurer plus long-temps parmi ces papistes et ces quakers, avec des défections à votre droite et des chutes à votre gauche. D’autre part, s’il vous est possible en conscience de résister à ces mauvaises doctrines, je crois que vous pouvez aussi bien demeurer dans les lieux où vous êtes, jusqu’à ce que vous voyiez M. Herries de Birrenswork, lequel en sait assurément plus long sur vos affaires qu’il n’en a jamais été, je pense, communiqué à personne en Écosse. J’aurais bien voulu apprendre de lui quelques confidences sur ces matières ; mais je l’ai trouvé mal disposé à parler, comme je peux vous l’avoir déjà dit.

Pour appeler une nouvelle cause, — j’ai le plaisir de vous annoncer qu’Alan a passé ses examens privés sur les lois écossaises au contentement de ses juges — grand soulagement pour mon esprit ; d’autant plus que le digne M. Pest m’a dit à l’oreille qu’il n’y avait rien à craindre pour le « gaillard », comme il l’appelait familièrement, ce qui me donne grande espérance. Son examen public, qui n’est rien en comparaison, doit avoir lieu par ordre de l’honorable doyen de la faculté, mercredi prochain ; et vendredi il endosse la robe, et donne une espèce de petit dîner à ses amis et connaissances, comme vous savez que c’est l’usage. Votre absence en affligera d’autres que lui, M. Darsie, et je regrette de songer qu’il nous est impossible de vous avoir, tant à cause de vos engagements que par l’arrivée de notre cousin Peter Fairford qui vient exprès de l’Ouest, et à qui nous n’avons pas d’autre chambre que la vôtre à offrir dans la maison. Pour être franc avec vous, suivant mes us et coutumes, M. Darsie, il n’est peut-être pas mauvais que vous et Alan vous ne vous revoyiez que lorsqu’il sera pour ainsi dire enchaîné à son nouvel état. Vous êtes un jeune homme agréable et plein de gaieté ; ce qui peut vous bien convenir, puisque vous avez de la fortune, comme je ne l’ignore pas, pour entretenir votre joviale humeur. Si vous considériez sagement la chose, vous reconnaîtriez peut-être qu’un homme aisé devrait mener une conduite circonspecte et grave ; pourtant vous êtes si loin de devenir sérieux et réfléchi à mesure qu’augmentent vos revenus annuels, que plus vous allez, plus il semble que vous aimiez les plaisirs. Mais il doit en être suivant votre volonté, en tant qu’il s’agit de vous-même. Alan, au contraire, pour ne point parler de mes économies, a tout à acquérir, et en sautant, en riant comme vous et lui aviez coutume de le faire, il aurait bientôt fait envoler toute la poudre de sa perruque et tous les pence de son gousset. Néanmoins j’espère que vous viendrez nous voir quand vous aurez terminé vos escapades, car il est un temps, comme dit le sage, pour recueillir, et un temps pour dépenser, et c’est le fait d’un homme sensé de songer avant tout à la récolte. Je suis toujours, mon cher monsieur, votre dévoué ami et très-obéissant serviteur.

Alexandre Fairford.

P. S. La thèse d’Alan a pour titre De periculo et commodo rei venditœ[2] et c’est un fort joli morceau de latin. — Rose-House dans notre voisinage est presque fini, et l’on pense que Duff-House ne lui sera point comparable pour les décors.



  1. Abréviation de writer-signet, espèce de procureur ou avoué à la cour de justice à Édimbourg. Advocat est celui qui plaide seulement ; le simple writer est l’avoué en première instance, et le writer-signet est l’avoué avec certains privilèges de plus. a. m.
  2. Du danger et de l’avantage de la chose vendue. a. m.