Recueil général et complet des fabliaux des 13e et 14e siècles/XLIII

De l’Oustillement au Villain

XLIII

DE L’OUSTILLEMENT

AU VILLAIN
Bibl. nat., Man. Fr., no 837 (anc. 7218),
fol. 119 vo à 121 ro.[1]

1
Homme qui se marie
Moult par fet[2] grant folie ;
S’il n’est si[3] estorez
Et de pain[4] et de blez
5Et de fuerre et de paille
Que nule rien n’i faille,
Tost en est assotez
Et de la gent blasmez.
Li prestres del[5] moustier
10Li[6] demaine dangier ;
Si voisin ensement[7]
En parolent savent[8].
Se de plege[9] a mestier,
Nus ne li veut aidier,
15Et, se il n’a que prendre[10],
Tant a il mains[11] à rendre.
Si le plege à envis
Li granz et li petis,
Et, se il se corouce
20Et sa fame regrouce,

Maudient l’assamblée[12] ;
Or[13] sont à la meslée.
Si[14] venist miex, ce croi,
Que chascuns fustpar soi.
25Or vous vueil aconter
Com se doit estorer
Homme[15] qui fame prent.
Sachiez tout vraiement[16]
Qu’il[17] li covient meson,
30Et bordel et buiron ;
En l’un mete son grain[18]
Et en l’autre son fain,
Et en la tierce maingne.
Que riens ne li soufraingne,
35Si li covient fouier[19]
Et la busche el[20] buchier,
Et le bacon au feste ;
S’en menjust à la feste.
Si n’envoit[21] mie au vin,
40Mès chascun jor matin
Envoit[22] à la fontaine
Por une buire[23] plaine ;
De cele boive[24] assez
Qu’il ne soit enyvrez ;
45Tost est d’avoir delivre[25]
Home qui trop s’enyvre.
Se li covient les[26] feves
Et les chois et les reves[27],
Et aus et porions.
50Et civos et oingnons,

Et la[28] cuve à baingnier,
Charrete à charrier[29]
Et sele charretiere,
Et forrel et dossiere,
55Trais et avaléoire,
Panel[30] et menéoire,
Crameillie de fer
Et craisset[31] en yver.
Se li covient trepier[32],
60Et paiele et andier,
Et le pot et la louce
Où la[33] purée grouce,
Le graïl et le croc
A trere de son pot
65La char, quant ele[34] ert quite,
Qu’il ne s’arde ne cuise,
Tenailles et soufiet
A fere son fouet.
Mortier et molinel,
70Et pilete et pestel.
Se li covient coingnie
Trenchant et enmanchie,
Doléoire et cisel
Esmolu de novel,
75Besague d’acier[35],
Tarere por percier.
Fers à fere mortoise
Et en pierre et en boise,
La lingne et le compas.
80Ice n’est[36] mie gas,

Et se li covient roisne
Et canivet et foisne[37],
Et engin à peschier[38],
Et au col[39] le panier
85A metre[40] son poisson,
Quant il en a foison.
Puis[41] le covient armer,
Por sa[42] terre garder,
Coterele et hiaumet[43],
90Maçuele[44] et gibet,
Arc et lance et espée[45],
Se vient à la meslée[46] ;
Au chevès soit[47] couchie
L’espée enrœillie
95Qu’il n’ait soing d’estoutie[48]
Ne d’esmovoir[49] folie ;
Tost est .I. homme[50] mort,
Soit[51] à droit, soit à tort,
Par une saietele[52] ;
100Tele oevre[53] n’est pas bele
Par petite achoison[54],
Ce nous dit la reson.
Si[55] ait son viez escu
A la[56] paroit pendu,
105Por ce, se il n’est bel
Acesmez[57] de novel,
N’est il mie mains durs,
De ce sui toz seürs ;
A son col le doit pendre
110Por sa[58] terre desfendre.

Mès[59] gart qu’il ne soit mie
Devant à l’escremie,
Quar il feroit que fols[60],
S’il ert[61] aus premiers cops ;
115Tels vient aus primerains,
S’il ert des[62] daarrains
Qu’il n’i perdist jà[63] rien ;
De ce savons nous bien[64].
Toz jors soit en porpens
120De revenir par tens,
S’il[65] puet, à sa meson,
Et si ait son gaignon
Si afetié et duit
Que il n’abait par nuit
125Se il ne set por qoi,
Ainçois se tiengne qoi[66].
Et se[67] li covient huches,
Et corbeillons et cruches[68].
Le chat aus soris prendre
130Por les huches desfendre.
Et le banc el fouier[69]
Et la table[70] à mengier.
Se li covient en haut
Le chasier sus le baus
135Aus frommages garder,
Et l’eschiele à monter,
Trepier[71] et chauderon
A brasser son boillon.
Quant ce revient[72] au tens
140En Quaresme ès Avens

Et si reface en Mars
Assez cueillir des hars
A la charrue joindre ;
L’aguillon au buef[73] poindre
145N’i[74] doit estre oubliez,
Et port, comme senez[75],
Par[76] derrier son crepon,
Ou sarpe ou[77] faucillon
A ses hars detrenchier.
150Se il en a mestier,
Besche ou hache d’acier[78]
Aus busches esracier ;
Tout traie[79] à gaaignage,
Si fera moult que sage.
155Et si li covient herche[80],
La civiere et la fesche,
Le sarcel enhanter
Por les chardons oster.
Se[81] li covient faucille.
160Et alesne et estrille,
Coutel à pain taillier,
Et la jarce d’acier[82],
La keus et le fuisil
A aguisier l’ostil,
165Les aguilles poingnanz[83]
Et les forces trenchanz[84],
Sollers et estivaus[85].
Et chauces et housiaus,
Cotele et sorcotel[86],
170Chaperon et chapel[87]

Corroie et couteliere,
Et borse et aumosniere[88],
Et moufles bien cuiries,
De novel afeties,
175A espines cueillir
Por son Seignor servir
Por[89] fere heriçon
Tout entor sa meson.
Puis ait pendu au laz
180Le trible[90] et le saaz,
Chaelit à gesir,
Et la met à pestrir[91].
Se li covient le four
Et les forchons[92] entour ;
185S’il a la barbe uslée,
N’en face jà posnée,
Mès soit de bele here[93]
Et face bele chiere,
Quar bon est le mestier
190Où l’on puet gaaignier.
Se li covient sauniere[93],
A son feu par derrière
Toraille à brais sechier[94].
Ne li doit anoier
195De lui bien[95] estorer,
Quar il en doit prester
A son voisin sovent,
Se besoing le sorprent,
Les pilons et la pile,
200Nel tenez pas à guile[96],

Le sac et le boissel,
Le van et le rastel[97],
Picois, coingnie et pele[98].
Se la mesons est tele,
205A il de plus mestier
A son Seignor aidier[99] ?
Oil, par le mien chief.
Encore i a plus grief,
Quar[100], se il ne l’avoit,
210Querre li covendroit
Hanas et escueles,
Et platiaus et foisseles,
Granz gates et menues ;
Por ce, s’el sont fendues.
215Ne les get en puer mie[101],
Quar ce seroit folie[102].
Le bers face devant,
Ainz que naisse[103] l’enfant,
Doit il estre tout plain
220De drapiaus et d’estrain,
Et, se ce est vallet,
Se li quiere .I. auget[104]
Por baingnier estendu[105].
Si est ainçois creü,
225Et, se c’est baisselete[106],
Se li quiere minete[107].
Si sera miex fornie,
Quar ce[108] est la mestrie.
Et, se il bien li plaist[109].
230Si porchast, que il ait[110]

Viaus, une vache à lait[111],
Qu’il nel mete en delait[109]
A l’enfant alaitier,
Quant il en a[112] mestier ;
235Quar, se saouls n’estoit,
Toute nuit[113] ploerroit,
Si toudroit le dormir,
Quant s’iroient[114] gesir
Toz ceus de la meson[115]
240D’entor et d’environ,
Et l’endemain l’ouvraingne[116] ;
Ice n’est pas gaaingne[117].
Por ce di je souvent
Et faz sermonement
245Que li fol se[118] chastient
Quant li sage lor[119] dient :
Homme[120] qui fame prent,
S’il n’a estorement,
N’est ja tenuz por sage[121]
250A poissant ne à large ;
Quar, se il n’a que prendre.
Tant a il mains à rendre.
N’a garde de larron
Qu’il li brist[122] sa meson.
255Ne que par nul[123] engien
Li toille nule rien.
Por ce n’ai je que fere
De nule rien atrere.

Explicit de l’Estillement au Villain

  1. XLIII. — De l’Oustillement au villain, p. 148.

    A. — Paris, Bibl. nat., Mss. fr. 837, fol. 119 vo à 121 ro.

    B. — Paris,» Bibl. nat.,» Mss. fr.»1593, fol. 212 ro à 213 vo.


    Publié d’après le ms. A, par Monmerqué, Paris, Silvestre, 1833, et dans la Revue historique de l’ancienne langue française, janvier 1877, p. 18-30.


  2. Vers 2 — Moult par fet. B, Si fet molt.
  3. 3 — si. B, bien.
  4. 4 — Et de pain. B, D’avoinne.
  5. 9 — del. B, au.
  6. 10 — Li. B, L’en.
  7. 11-12 — Ces deux vers sont placés dans B avant le vers 9.
  8. 12 — souvent, lisez savent.
  9. 13 — de plege. B, d’aïde.
  10. 15-18 — Ces vers manquent dans B.
  11. 16 — moins, lisez mains.
  12. 21-22 — Ces vers sont intervertis dans B.
  13. 22 — Or. B, Lors.
  14. 23 — Si. B, Or.
  15. 27 — Homme. B, Li hons.
  16. 28 — B, S’il n’a estoremant.
  17. 29 — Qu’il. B, Il.
  18. 31-32 — B :

    L’une à metre son frein
    Et l’autre son estrain.

  19. 35 — B, Et le bief ou grenier.
  20. 36 — el. B, ou.
  21. 39 — Si n’envoit. B, Et ne voist.
  22. 41 — Envoit. B, S’envoist.
  23. 42 — buire. B, cruche.
  24. 43 — boive. B, boine.
  25. 45-46 — B :

    Car li hons qui s’enyvre
    Est tost d’avoir delivre.

  26. 47 — les. B, des.
  27. 48 — B, Des choleiz et des reves.
  28. 51 — li, lisez la.
  29. 52 — à charrier. B, et charretier.
  30. 56 — Penel. B, Banel. — meneoire. B, menjoire.
  31. 58 — craisset. B, grassot.
  32. 59-60 — Ces deux vers manquent dans B.
  33. 62 — la. B, sa.
  34. 65 — ale, lisez ele.
  35. 75 — B, Et besagu d’acier.
  36. 80 — Ice n’est. B, Nel tenez.
  37. 82 — foisne. B, soisne.
  38. 83 — B, La trugle pour peschier.
  39. 84 — au col. B, avec.
  40. 85 — A metre. B, Pour metre.
  41. 87 — Puis. B, Si.
  42. 88 — sa. B, la.
  43. 89 — hiaumet. B, harmet.
  44. 90 — Macuele. B, Et maçue.
  45. 91 — et espée. B, enfumée.
  46. 92 — B, Qu’il n’ait soing de meslée.
  47. 93 — Au chevès soit. B, Avec lui ait.
  48. 95 — B, Qu’il ne preigne estoutie.
  49. 96 — d’esmovoir. B, de feire.
  50. 97 — home, lisez homme.
  51. 98 — soit. B, ou.
  52. P. 151, l. 19, sajetele, lisez saietele.
  53. 100 — oeuvre, lisez oevre.
  54. 101-102 — Ces deux vers manquent dans B.
  55. 103 — Si. B, Puis.
  56. 104 — la. B, sa.
  57. 106 — Acesmez. B, Esmoluz.
  58. 110 — sa. B, la.
  59. 111 — Mès. B, Mès et. — Ce vers ne vient dans B qu’après le vers 112 qui se lit ainsi :

    Quant il vient ost banie.

  60. 113-114 — Ces deux vers sont intervertis dans B.
  61. 114 — S’il ert. B, Devant.
  62. 116 — dus, lisez des. — B, Se il venist derreins.
  63. 117 — « ja » manque dans B.
  64. 118 — B, Ce savez vous luit bien.
  65. 121 — S’il. B, Se il. — « sa » manque dans B.
  66. 126 — B, Ainz se tiegne tout coi.
  67. 127 — Et se. B, Se. — huches. B, des huches.
  68. 128 — cruches. B, ruches.
  69. 131 — B, Le banc et le foier.
  70. 132 — Et la table. B, Et la trible.
  71. 137 — Trepier. B, Tonnel.
  72. 139 — revient, B, vient.
  73. 144 — au buef. B, as bues.
  74. 145 — N’i. B, Ne.
  75. 146 — B, Et voist touz jourz à pié.
  76. 147 — « Par » manque dans B. — son. B, sur le.
  77. 148 — Ou et ou. B, Et et et.
  78. 151-152 — Ces deux vers manquent dans B.
  79. 153 — traie. B, tourne.
  80. 155 — B, A blez covrir en terre.
  81. 159 — Se. B, Si.
  82. 162 — B, La jarce pour seignier.
  83. 165-166 — Ces deux vers sont intervertis dans B.
  84. 166 — trenchanz. B, taillans.
  85. 167 — B, Et solers à noiaux.
  86. 169 — B, Cotel et couteliere.
  87. 170-171 — Ces deux vers manquent dans B.
  88. 172 — B, Corroie et aumosniere.
  89. 177 — Por. B, A.
  90. 180 — trible. B, crible.
  91. 182 — pestrir. B, pretir.
  92. 184 — forchons. B, furgons.
  93. a et b 187-188 et 191-192 — Ces quatre vers manquent dans B.
  94. 193 — B, Toaille à blé senier.
  95. 195 — lui bien. B, soi à.
  96. 200 — Nel. B, Non.
  97. 202 — rastel. B, rasel. — Après ce vers, B ajoute:

    La fourche et le flael
    Et rabot et rastel ;
    Si li covient balai,
    Pourquoi le celerai ?

  98. 203 — B, Le picois et la pele.
  99. 206 — B, De son voisin prier.
  100. 209 — Quar. B, Que.
  101. 215 — B, Hors ne les gitez mie.
  102. 216 — Après ce vers, B ajoute :

    Mès face relier
    Et la frete alier.
    Car tout raestier aura
    Quant mesniée croistra.

  103. 218 — naisse. B, veigne.
  104. 222 — auget. B, baquet.
  105. 223-224 — Ces deux vers manquent dans B.
  106. 225 — baisselete. B, mechinette.
  107. 226 — minete. B, tinete.
  108. 228 — Quar ce. B, Ce en. — Après ce vers, B ajoute :

    Sachiez qu’il li estuet
    Se il feire le puet.

  109. a et b 229 et 232 — Ces deux vers manquent dans B.
  110. 230 — B, Il covient que il ait.
  111. 231 — B, Une vache à lait (vers faux).
  112. 234 — Quant il en a. B, Se il en est.
  113. 236 — Toute nuit. B, Volentiers.
  114. 238 — s’iroient. B, en iroit.
  115. 239-240 — Ces deux vers manquent dans B.
  116. 241 — l’ouvraingne. B, l’on maigne.
  117. 242 — pas gaaingne. B, mie gaingne.
  118. 245 — se. B, s’en.
  119. 246 — lor. B, le. — Après ce vers, B ajoute :
  120. 247 — Homme. B, Li hons.
  121. 249-252 — Ces quatre vers sont remplacés dans B

    Car se il n’a chastel,
    Tant a il moins troussel.

  122. 254 — li brist B, despient.
  123. 255 — nult, lisez nul.