Recherches sur les végétaux nourrissans/Neuvième Objection


La pomme de terre préſentera toujours de grands avantages aux habitans des pays dont le ſol froid & stérile ne pourroit fournir ſuffiſamment de grains pour leur ſubſiſtance annuelle ; ces racines y ſuppléent, ils peuvent les recueillir ſans peine & mettre, à la faveur de quelques précautions ſimples, leurs petites proviſions à l’abri de tous les accidens.

Comment donc la culture des pommes de terre préjudicieroit-elle à celle des blés bien ſoignée, elle diminuera ſeulement la conſommation des grains dans les campagnes, procurera l’abondance dans les villes, & tiendra leur prix en équilibre, d’où s’enſuivra que le paysan fera mieux nourri & aura une plus grande quantité de beſtiaux ; que le journalier citadin y gagnera de quoi ſuffire à ſa ſubſiſtance, & qu’on pourra établir dans le Royaume une branche de commerce très-utile.


Neuvième Objection.


Si la récolte en grains ſe trouvoit proportionnément auſſi abondante que celle des pommes de terre, on préférera toujours la nourriture que les premiers donnent pour les hommes & les beſtiaux ; que deviendroient alors ces racines qu’on ne peut garder en bon état que ſix mois au plus ? l’abondance d’une denrée n’eſt-elle pas ſuperflue quand on n’en trouve pas la conſommation ?


Réponse.


L’humidité continue fait un tort réel aux grains, en diminuant leur nombre & leur qualité ; la pomme de terre, au contraire groſſit & ſe multiplie, d’où il fuit que les années peu fromentacées ſont favorables à ces racines, & vice verſa ; c'eſt donc une ſorte de dédommagement que nous offre la Nature & dont il ne tient qu’à nous de profiter, mais quand les deux récoltes ſeroient également abondantes, & que la grande quantité de grains circonſcriroit l’uſage des pommes de terre, on pourrait toujours en tirer un parti avantageux, ſoit en en préparant de l’amidon, qui peut ſe conſerver des ſiècles, pour s’en ſervir dans tous les cas que nous avons indiqués, ſoit en l’employant en nature à l’engrais des animaux.

Les cochons aiment les pommes de terre, & il eſt difficile de trouver une matière plus ſubſtancielle, plus ſalubre, qui convienne mieux à leur conſtitution & aux vues que l’on a de les engraiſſer promptement & à peu de frais ; mais ils ne ſont pas les ſeuls animaux qu’on puiſſe nourrir ainſi, tous les autres s’en accommodent également : dans la ſaiſon où ils ne ſauroient trouver de quoi paître, il faut alors y ſuppléer par les fourrages ſecs qui donnent moins de lait ; les Fermiers feront indemniſés au-delà de la dépenſe qu’ils font pour nourrir ainſi leurs vaches, par la quantité de beurre & de fromage qu’ils en tireront en hiver. Le déſaut de ſubſiſtance empêche les habitans des pays où il y a des pâturages, de faire des élèves pendant l’été, en ſorte que les uns négligent cette branche de commerce ; que les autres vendent leurs beſtiaux à l’approche de l’hiver ; au moyen des pommes de terre, ces difficultés n’auraient plus lieu, & on auroit de quoi engraiſſer les animaux de toute eſpèce.

Dixième Objection.


L'uſage des pommes de terre pour les beſtiaux, n’eſt pas encore auſſi exempt d’inconvéniens qu’on veut bien l’aſſurer : quelques Obſervateurs ont déjà remarqué que le lard des cochons qui en avoient été engraiſſés, n’avoit pas beaucoup de conſiſtance.


Réponse.


L'avantage d’engraiſſer les animaux ſans employer les grains utiles à la conſommation de l’homme, ne ſauroit être conteſté, & dans le nombre des ſubſtances qui peuvent y ſuppléer la pomme de terre doit, ſans doute, être conſidérée comme la plus nourriſſante ; il eſt poſſible que, vu la quantité d'eau que renferme la pomme de terre, la graiſſe des animaux qui s’en alimentent, ne ſoit pas très-ferme, & en ſuppoſant que cet inconvénient ſoit vrai, ne pourrait on pas y remédier en ajoutant à ce manger, vers la fin, du ſon ou de la farine d’orge, pour absorber la ſurabondance d’humidité ? Voici une Obſervation qui mérite d’être connue.