Recherches sur les végétaux nourrissans/Huitième Objection



Huitième Objection.


Faudra-t-il donc pour récolter beaucoup de pommes de terre, détruire ou abandonner nos prairies & y employer nos bonnes terres à blé ? d’ailleurs en s’appliquant trop à la culture de ces racines, ne négligera-t-on point celle du froment, toujours préférable ?


Réponse.


Il ne s’agit pas de ſubſtituer à la culture du blé & du ſeigle celle des pommes de terre, ni de déranger l’ordre ordinaire des récoltes ; ces racines réussiſſent dans tous les terreins bons & médiocres, leur production, à la vérité, eſt toujours relative à la nature du ſol, à la qualité des engrais, à la bonté de l’expoſition & aux ſoins intelligens qu’on en prend.

Toutes les terres ne ſont pas propres à la culture des grains, il n’y en a point dont les pommes de terre ne s’accommodent, pourvu qu’elles ſoient aſſez flexibles pour céder à l’écartement que les tubercules exigent pour groſſir & ſe multiplier ; elles viennent mal dans une terre trop forte, elles y contractent un mauvais goût ; on ne demande pour cette culture, que des terres qui ne rapporteront pas en grains la ſemence qu’on y auroit jetée.

Un arpent de terre ſablonneuſe produit aſſez communément quarante à cinquante ſetiers de pommes de terre, lorſque la même étendue du meilleur ſol ne donneroit que cinq à ſix ſetiers de froment : on a déjà commencé des défrichemens avec beaucoup de ſuccès, par ce genre de culture ; pluſieurs hommes éclairés, qu’on pourroit citer comme autant d’autorités en Agriculture, m’ont écrit qu’une longue expérience leur avoit prouvé que le produit de la pomme de terre à terrein égal, étoit dix fois plus conſidérable que celui de tous les grains que l’on sème ; & les Irlandois, qu’on peut regarder comme les plus habiles cultivateurs de pommes de terre, retirent ſuivant leur méthode, cent pour un, eu égard à la ſemence, c’eſt cette méthode que M. d’Eſpagnac de Puimarets a publiée. Que de terreins encore incultes dans le Royaume, auxquels on pourroit faire porter des pommes de terre, & que l’on diſpoſeroit par ce moyen à d’autres récoltes ! dans les Domaines du Roi & des Princes, il y a des vides plus ou moins grands, incultes, ſur leſquels on permet aux Gardes de faire paître des beſtiaux qui trouvent à peine un peu d’herbe à brouter ; que d’avantages n’en retireroit-on point s’ils étoient couverts de nos racines, qui réussiroient à cauſe de l’humidité qui y règne continuellement ? Il y a des forêts où il ne peut croître que de la bruyère & du genêt ; le gland qu’on y recueille eſt affermé juſqu’à douze mille francs : que de places inutiles qu’on pourroit occuper par cette Plante, la glandée manque ſi ſouvent !

Pendant le ſéjour que M. Blanchet fit dans le haut Poitou, il détermina par l’exemple & ſa généroſité, les petits cultivateurs qui n’avoient qu’une portion de terrein très-circonſcrit, à y planter des pommes de terre, qui ont ſuffi par la ſuite à leur ſubſiſtance pendant tout l’hiver : ſix années après, ayant eu occaſion de repaſſer dans le canton, il fut comblé de bénédictions par ces bonnes gens qui lui crioient les larmes aux yeux : vous nous avez ſauvé la vie, brave homme, en nous montrant à retirer du coin de notre champ ce qu’à peine des arpens entiers nous rendoient !

La pomme de terre préſentera toujours de grands avantages aux habitans des pays dont le ſol froid & stérile ne pourroit fournir ſuffiſamment de grains pour leur ſubſiſtance annuelle ; ces racines y ſuppléent, ils peuvent les recueillir ſans peine & mettre, à la faveur de quelques précautions ſimples, leurs petites proviſions à l’abri de tous les accidens.

Comment donc la culture des pommes de terre préjudicieroit-elle à celle des blés bien ſoignée, elle diminuera ſeulement la conſommation des grains dans les campagnes, procurera l’abondance dans les villes, & tiendra leur prix en équilibre, d’où s’enſuivra que le paysan fera mieux nourri & aura une plus grande quantité de beſtiaux ; que le journalier citadin y gagnera de quoi ſuffire à ſa ſubſiſtance, & qu’on pourra établir dans le Royaume une branche de commerce très-utile.


Neuvième Objection.


Si la récolte en grains ſe trouvoit proportionnément auſſi abondante que celle des pommes de terre, on préférera toujours la