Recherches sur les substances radioactives/1904/Chapitre 2

Gauthier-Villars (p. 22-46).

CHAPITRE II.

LES NOUVELLES SUBSTANCES RADIOACTIVES.


Méthodes de recherche. — Les résultats de l’étude des minéraux radioactifs, énoncés dans le Chapitre précédent, nous ont engagés, M. Curie et moi, à chercher à extraire de la pechblende une nouvelle substance radioactive. Notre méthode de recherches ne pouvait être basée que sur la radioactivité, puisque nous ne connaissions aucun autre caractère de la substance hypothétique. Voici comment on peut se servir de la radioactivité pour une recherche de ce genre. On mesure la radioactivité d’un produit, on effectue sur ce produit une séparation chimique ; on mesure la radioactivité de tous les produits obtenus, et l’on se rend compte si la substance radioactive est restée intégralement avec l’un d’eux, ou bien si elle s’est partagée entre eux et dans quelle proportion. On a ainsi une indication qui peut être comparée, en une certaine mesure, à celle que pourrait fournir l’analyse spectrale. Pour avoir des nombres comparables, il faut mesurer l’activité des substances à l’état solide et bien desséchées.

Polonium, radium, actinium. — L’analyse de la pechblende, avec le concours de la méthode qui vient d’être exposée, nous a conduits à établir l’existence, dans ce minéral, de deux substances fortement radioactives, chimiquement différentes : le polonium, trouvé par nous, et le radium, que nous avons découvert en collaboration avec M. Bémont[1].

Le polonium est une substance voisine du bismuth au point de vue analytique et l’accompagnant dans les séparations. On obtient du bismuth de plus en plus riche en polonium par l’un des procédés de fractionnement suivants :

1° Sublimation des sulfures dans le vide ; le sulfure actif est beaucoup plus volatil que le sulfure de bismuth.

2° Précipitation des solutions azotiques par l’eau ; le sous-nitrate précipité est beaucoup plus actif que le sel qui reste dissous.

3° Précipitation par l’hydrogène sulfuré d’une solution chlorhydrique extrêmement acide ; les sulfures précipités sont considérablement plus actifs que le sel qui reste dissous.

Le radium est une substance qui accompagne le baryum retiré de la pechblende ; il suit le baryum dans ses réactions et s’en sépare par différence de solubilité des chlorures dans l’eau, l’eau alcoolisée ou l’eau additionnée d’acide chlorhydrique. Nous effectuons la séparation des chlorures de baryum et de radium, en soumettant leur mélange à une cristallisation fractionnée, le chlorure de radium étant moins soluble que celui de baryum.

Une troisième substance fortement radioactive a été caractérisée dans la pechblende par M. Debierne, qui lui a donné le nom d’actinium[2]. L’actinium accompagne certains corps du groupe du fer contenus dans la pechblende ; il semble surtout voisin du thorium dont il n’a pu encore être séparé. L’extraction de l’actinium de la pechblende est une opération très pénible, les séparations étant généralement incomplètes.

Toutes les trois substances radioactives nouvelles se trouvent dans la pechblende en quantité absolument infinitésimale. Pour les obtenir à l’état concentré, nous avons été obligés d’entreprendre le traitement de plusieurs tonnes de résidus de minerai d’urane. Le gros traitement se fait dans une usine ; il est suivi de tout un travail de purification et de concentration. Nous arrivons ainsi à extraire de ces milliers de kilogrammes de matière première quelques décigrammes de produits qui sont prodigieusement actifs par rapport au minerai dont ils proviennent. Il est bien évident que l’ensemble de ce travail est long, pénible et coûteux[3].

D’autres substances radioactives nouvelles ont encore été signalées à la suite de notre travail. M. Giesel, d’une part, MM. Hoffmann et Strauss, d’autre part, ont annoncé l’existence probable d’une substance radioactive voisine du plomb par ses propriétés chimiques. On ne possède encore que peu de renseignements sur cette substance[4].

De toutes les substances radioactives nouvelles, le radium est, jusqu’à présent, la seule qui ait été isolée à l’état de sel pur.


Spectre du radium. — Il était de première importance de contrôler, par tous les moyens possibles, l’hypothèse, faite dans ce travail, de l’existence d’éléments nouveaux radioactifs. L’analyse spectrale est venue, dans le cas du radium, confirmer d’une façon complète cette hypothèse.

M. Demarçay a bien voulu se charger de l’examen des substances radioactives nouvelles, par les procédés rigoureux qu’il emploie dans l’étude des spectres d’étincelle photographiés.

Le concours d’un savant aussi compétent a été pour nous un grand bienfait, et nous lui gardons une reconnaissance profonde d’avoir consenti à faire ce travail. Les résultats de l’analyse spectrale sont venus nous apporter la certitude, alors que nous étions encore dans le doute sur l’interprétation des résultats de nos recherches[5].

Les premiers échantillons de chlorure de baryum radifère médiocrement actif, examinés par Demarçay, lui montrèrent, en même temps que les raies du baryum, une raie nouvelle d’intensité notable et de longueur d’onde λ = 381µµ,47 dans le spectre ultra-violet. Avec des produits plus actifs, préparés ensuite, Demarçay vit la raie 381µµ,47 se renforcer ; en même temps d’autres raies nouvelles apparurent, et dans le spectre les raies nouvelles et les raies du baryum avaient des intensités comparables. Une nouvelle concentration a fourni un produit, pour lequel le nouveau spectre domine, et les trois plus fortes raies du baryum, seules visibles, indiquent seulement la présence de ce métal à l’état d’impureté. Ce produit peut être considéré comme du chlorure de radium à peu près pur. Enfin j’ai pu, par une nouvelle purification, obtenir un chlorure extrêmement pur, dans le spectre duquel les deux raies dominantes du baryum sont à peine visibles.

Voici, d’après Demarçay[6], la liste des raies principales du radium pour la portion du spectre comprise entre λ = 500,0 et λ = 350,0 millièmes de micron (µµ). L’intensité de chaque raie est indiquée par un nombre, la plus forte raie étant marquée 16.

λ. Intensité. λ. Intensité.
482,63 10 453,35 9
472,69 5 443,61 8
469,98 3 434,06 12
469,21 7 381,47 16
486,30 14 364,96 12
464,19 4

Toutes les raies sont nettes et étroites, les trois raies 381,47, 468,30 et 434,06 sont fortes ; elles atteignent l’égalité avec les raies les plus intenses actuellement connues. On aperçoit également dans le spectre deux bandes nébuleuses fortes. La première, symétrique, s’étend de 463,10 à 462,19 avec maximum à 462,75. La deuxième, plus forte, est dégradée vers l’ultra-violet ; elle commence brusquement à 446,37, passe par un maximum à 445,52 ; la région du maximum s’étend jusqu’à 443,34, puis une bande nébuleuse, graduellement dégradée, s’étend jusque vers 439.

Dans la partie la moins réfrangible non photographiée du spectre d’étincelle, la seule raie notable est la raie 566,5 (environ), bien plus faible cependant que 482,63.

L’aspect général du spectre est celui des métaux alcalino-terreux ; on sait que ces métaux ont des spectres de raies fortes avec quelques bandes nébuleuses.

D’après Demarçay, le radium peut figurer parmi les corps ayant la réaction spectrale la plus sensible. J’ai, d’ailleurs, pu conclure, d’après mon travail de concentration, que, dans le premier échantillon examiné qui montrait nettement la raie 381,47, la proportion de radium devait être très faible (peut-être de 0,02 pour 100). Cependant, il faut une activité 50 fois plus grande que celle de l’uranium métallique pour apercevoir nettement la raie principale du radium dans les spectres photographiés. Avec un électromètre sensible, on peut déceler la radioactivité d’un produit quand elle n’est que de celle de l’uranium métallique. On voit que, pour déceler la présence du radium, la radioactivité est un caractère plusieurs milliers de fois plus sensible que la réaction spectrale.

Le bismuth à polonium très actif et le thorium à actinium très actif, examinés par Demarçay, n’ont encore respectivement donné que les raies du bismuth et du thorium.

Dans une publication récente, M. Giesel[7], qui s’est occupé de la préparation du radium, annonce que le bromure de radium donne lieu à une coloration carmin de la flamme. Le spectre de flamme du radium contient deux belles bandes rouges, une raie dans le bleu vert et deux lignes faibles dans le violet.

Extraction des substances radioactives nouvelles. — La première partie de l’opération consiste à extraire des minerais d’urane le baryum radifère, le bismuth polonifère et les terres rares contenant l’actinium. Ces trois premiers produits ayant été obtenus, on cherche, pour chacun d’eux, à isoler la substance radioactive nouvelle. Cette deuxième partie du traitement se fait par une méthode de fractionnement. On sait qu’il est difficile de trouver un moyen de séparation très parfait entre des éléments très voisins ; les méthodes de fractionnement sont donc tout indiquées. D’ailleurs, quand un élément se trouve mélangé à un autre à l’état de trace, on ne peut appliquer au mélange une méthode de séparation parfaite, même en admettant que l’on en connaisse une ; on risquerait, en effet, de perdre la trace de matière qui aurait pu être séparée dans l’opération.

Je me suis occupée spécialement du travail ayant pour but l’isolement du radium et du polonium. Après un travail de quelques années, je n’ai encore réussi que pour le premier de ces corps.

La pechblende étant un minerai coûteux, nous avons renoncé à en traiter de grandes quantités. En Europe, l’extraction de ce minerai se fait dans la mine de Joachimsthal, en Bohême. Le minerai broyé est grillé avec du carbonate de soude, et la matière résultant de ce traitement est lessivée d’abord à l’eau chaude, puis à l’acide sulfurique étendu. La solution contient l’uranium qui donne à la pechblende sa valeur. Le résidu insoluble est rejeté.

Ce résidu contient des substances radioactives ; son activité est 4 fois et demie plus grande que celle de l’uranium métallique. Le gouvernement autrichien, auquel appartient la mine, nous a gracieusement donné une tonne de ce résidu pour nos recherches, et a autorisé la mine à nous fournir plusieurs autres tonnes de cette matière.

Il n’était guère facile de faire le premier traitement du résidu à l’usine par les mêmes procédés qu’au laboratoire. M. Debierne a bien voulu étudier cette question et organiser le traitement dans l’usine. Le point le plus important de la méthode qu’il a indiquée consiste à obtenir la transformation des sulfates en carbonates par l’ébullition de la matière avec une dissolution concentrée de carbonate de soude. Ce procédé permet d’éviter la fusion avec le carbonate de soude.

Le résidu contient principalement des sulfates de plomb et de chaux, de la silice, de l’alumine et de l’oxyde de fer. On y trouve, en outre, en quantité plus ou moins grande, presque tous les métaux (cuivre, bismuth, zinc, cobalt, manganèse, nickel, vanadium, antimoine, thallium, terres rares, niobium, tantale, arsenic, baryum, etc.). Le radium se trouve, dans ce mélange, à l’état de sulfate et en constitue le sulfate le moins soluble. Pour le mettre en dissolution, il faut éliminer autant que possible l’acide sulfurique. Pour cela, on commence par traiter le résidu par une solution concentrée et bouillante de soude ordinaire. L’acide sulfurique combiné au plomb, à l’alumine, à la chaux, passe, en grande partie, en dissolution à l’état de sulfate de soude que l’on enlève par des lavages à l’eau. La dissolution alcaline enlève en même temps du plomb, de la silice, de l’alumine. La portion insoluble lavée à l’eau est attaquée par l’acide chlorhydrique ordinaire. Cette opération désagrège complètement la matière et en dissout une grande partie. De cette dissolution on peut retirer le polonium et l’actinium : le premier est précipité par l’hydrogène sulfuré, le second se trouve dans les hydrates précipités par l’ammoniaque dans la dissolution séparée des sulfures et peroxydée. Quant au radium, il reste dans la portion insoluble. Cette portion est lavée à l’eau, puis traitée par une dissolution concentrée et bouillante de carbonate de soude. S’il ne restait plus que peu de sulfates non attaqués, cette opération a pour effet de transformer complètement les sulfates de baryum et de radium en carbonates. On lave alors la matière très complètement à l’eau, puis on l’attaque par l’acide chlorhydrique étendu exempt d’acide sulfurique. La dissolution contient le radium, ainsi que du polonium et de l’actinium. On la filtre et on la précipite par l’acide sulfurique. On obtient ainsi des sulfates bruts de baryum radifère contenant aussi de la chaux, du plomb, du fer et ayant aussi entraîné un peu d’actinium. La dissolution contient encore un peu d’actinium et de polonium qui peuvent en être retirés comme de la première dissolution chlorhydrique.

On retire d’une tonne de résidu 10kg à 20kg de sulfates bruts, dont l’activité est de 30 à 60 fois plus grande que celle de l’uranium métallique. On procède à leur purification. Pour cela, on les fait bouillir avec du carbonate de soude et on les transforme en chlorures. La dissolution est traitée par l’hydrogène sulfuré, ce qui donne une petite quantité de sulfures actifs contenant du polonium. On filtre la dissolution, on la peroxyde par l’action du chlore et on la précipite par de l’ammoniaque pure.

Les oxydes et hydrates précipités sont très actifs, et l’activité est due à l’actinium. La dissolution filtrée est précipitée par le carbonate de soude. Les carbonates alcalino-terreux précipités sont lavés et transformés en chlorures.

Ces chlorures sont évaporés à sec et lavés avec de l’acide chlorhydrique concentré pur. Le chlorure de calcium se dissout presque entièrement, alors que le chlorure de baryum radifère reste insoluble. On obtient ainsi, par tonne de matière première, 8kg environ de chlorure de baryum radifère, dont l’activité est environ 60 fois plus grande que celle de l’uranium métallique. Ce chlorure est prêt pour le fractionnement.


Polonium. — Comme il a été dit plus haut, en faisant passer l’hydrogène sulfuré dans les diverses dissolutions chlorhydriques obtenues au cours du traitement, on précipite des sulfures actifs dont l’activité est due au polonium.

Ces sulfures contiennent principalement du bismuth, un peu de cuivre et de plomb ; ce dernier métal ne s’y trouve pas en forte proportion, parce qu’il a été en grande partie enlevé par la dissolution sodique, et parce que son chlorure est peu soluble. L’antimoine et l’arsenic ne se trouvent dans les oxydes qu’en quantité minime, leurs oxydes ayant été dissous par la soude. Pour avoir de suite des sulfures très actifs, on employait le procédé suivant : les dissolutions chlorhydriques très acides étaient précipitées par l’hydrogène sulfuré : les sulfures qui se précipitent dans ces conditions sont très actifs, on les emploie pour la préparation du polonium ; dans la dissolution il reste des substances dont la précipitation est incomplète en présence d’un excès d’acide chlorhydrique (bismuth, plomb, antimoine). Pour achever la précipitation, on étend la dissolution d’eau, on la traite à nouveau par l’hydrogène sulfuré et l’on obtient une seconde portion de sulfures beaucoup moins actifs que les premiers, et qui, généralement, ont été rejetés. Pour la purification ultérieure des sulfures, on les lave au sulfure d’ammonium, ce qui enlève les traces restantes d’antimoine et d’arsenic. Puis on les lave à l’eau additionnée d’azotate d’ammonium et on les traite par l’acide azotique étendu.

La dissolution n’est jamais complète ; ou obtient toujours un résidu insoluble plus ou moins important que l’on traite à nouveau si on le juge utile. La dissolution est réduite à un petit volume et précipitée soit par l’ammoniaque, soit par beaucoup d’eau. Dans les deux cas le plomb et le cuivre restent en dissolution ; dans le second cas un peu de bismuth à peine actif reste dissous également.

Le précipité d’oxydes ou de sous-azotates est soumis à un fractionnement de la manière suivante : on dissout le précipité dans l’acide azotique, on ajoute de l’eau à la dissolution, jusqu’à formation d’une quantité suffisante de précipité ; pour cette opération il faut tenir compte de ce que le précipité ne se forme, quelquefois, qu’au bout d’un certain temps. On sépare le précipité du liquide surnageant, on le redissout dans l’acide azotique ; sur les deux portions liquides ainsi obtenues on refait une précipitation par l’eau, et ainsi de suite. On réunit les diverses portions en se basant sur leur activité, et l’on tâche de pousser la concentration aussi loin que possible. On obtient ainsi une très petite quantité de matière dont l’activité est énorme, mais qui, néanmoins, n’a encore donné au spectroscope que les raies du bismuth.

On a malheureusement peu de chances d’aboutir à l’isolement du polonium par cette voie. La méthode de fractionnement qui vient d’être décrite présente de grandes difficultés, et il en est de même pour d’autres procédés de fractionnement par voie humide. Quel que soit le procédé employé, il se forme avec la plus grande facilité des composés absolument insolubles dans les acides étendus ou concentrés. Ces composés ne peuvent être redissous qu’en les ramenant préalablement à l’état métallique, par la fusion avec le cyanure de potassium, par exemple.

Étant donné le nombre considérable des opérations à effectuer, cette circonstance constitue une difficulté énorme pour le progrès du fractionnement. Cet inconvénient est d’autant plus grave que le polonium est une substance qui, une fois retirée de la pechblende, diminue d’activité.

Cette baisse d’activité est d’ailleurs lente : c’est ainsi qu’un échantillon de nitrate de bismuth à polonium a perdu la moitié de son activité en onze mois.

Aucune difficulté analogue ne se présente pour le radium. La radioactivité reste un guide fidèle pour la concentration ; cette concentration elle-même ne présente aucune difficulté, et les progrès du travail ont pu, depuis le début, être constamment contrôlés par l’analyse spectrale. Quand les phénomènes de la radioactivité induite, dont il sera question plus loin, ont été connus, il a paru naturel d’admettre que le polonium, qui ne donne que les raies du bismuth et dont l’activité diminue avec le temps, n’est pas un élément nouveau, mais du bismuth activé par le voisinage du radium dans la pechblende. Je ne suis pas convaincue que cette manière de voir soit exacte. Au cours de mon travail prolongé sur le polonium, j’ai constaté des effets chimiques que je n’ai jamais observés ni avec le bismuth ordinaire, ni avec le bismuth activé par le radium. Ces effets chimiques sont, en premier lieu, la formation extrêmement facile des composés insolubles dont j’ai parlé plus haut (spécialement sous-nitrates), en deuxième lieu, la couleur et l’aspect des précipités obtenus en ajoutant de l’eau à la solution azotique du bismuth polonifère. Ces précipités sont parfois blancs, mais plus généralement d’un jaune plus ou moins vif, allant au rouge foncé.

L’absence de raies, autres que celles du bismuth, ne prouve pas péremptoirement que la substance ne contient que du bismuth, car il existe des corps dont la réaction spectrale est peu sensible.

Il serait nécessaire de préparer une petite quantité de bismuth polonifère à l’état de concentration aussi avancé que possible, et d’en faire l’étude chimique, en premier lieu, la détermination du poids atomique du métal. Cette recherche n’a encore pu être faite à cause des difficultés de travail chimique signalées plus liant.

S’il était démontré que le polonium est un élément nouveau, il n’en serait pas moins vrai que cet élément ne peut exister indéfiniment à l’état fortement radioactif, tout au moins quand il est retiré du minerai. On peut alors envisager la question de deux manières différentes : 1° ou bien toute l’activité du polonium est de la radioactivité induite par le voisinage de substances radioactives par elles-mêmes ; le polonium aurait alors la faculté de s’activer atomiquement d’une façon durable, faculté qui ne semble pas appartenir à une substance quelconque ; 2° ou bien l’activité du polonium est une activité propre qui se détruit spontanément dans certaines conditions et peut persister dans certaines autres conditions qui se trouvent réalisées dans le minerai. Le phénomène de l’activation atomique au contact est encore si mal connu, que l’on manque de base pour se former une opinion cohérente sur ce qui touche à cette question.

Tout récemment a paru un travail de M. Marckwald, sur le polonium[8]. M. Marckwald plonge une baguette de bismuth pur dans une solution chlorhydrique du bismuth extrait du résidu du traitement de la pechblende. Au bout de quelque temps la baguette se recouvre d’un dépôt très actif, et la solution ne contient plus que du bismuth inactif. M. Marckwald obtient aussi un dépôt très actif en ajoutant du chlorure d’étain à une solution chlorhydrique de bismuth radioactif. M. Marckwald conclut de là que l’élément actif est analogue au tellure et lui donne le nom de radiotellure. La matière active de M. Marckwald semble identique au polonium, par sa provenance et par les rayons très absorbables qu’elle émet. Le choix d’un nom nouveau pour cette matière est certainement inutile dans l’état actuel de la question.


Préparation du chlorure de radium pur. — Le procédé que j’ai adopté pour extraire le chlorure de radium pur du chlorure de baryum radifère consiste à soumettre le mélange des chlorures à une cristallisation fractionnée dans l’eau pure d’abord, dans l’eau additionnée d’acide chlorhydrique pur ensuite. On utilise ainsi la différence des solubilités des deux chlorures, celui de radium étant moins soluble que celui de baryum.

Au début du fractionnement on emploie l’eau pure distillée. On dissout le chlorure et l’on amène la dissolution à être saturée à la température de l’ébullition, puis on laisse cristalliser par refroidissement dans une capsule couverte. Il se forme alors au fond de beaux cristaux adhérents, et la dissolution saturée, surnageante, peut être facilement décantée. Si l’on évapore à sec un échantillon de cette dissolution, on trouve que le chlorure obtenu est environ cinq fois moins actif que celui qui a cristallisé. On a ainsi partagé le chlorure en deux portions : A et B, la portion A étant beaucoup plus active que la portion B. On recommence sur chacun des chlorures A et B la même opération, et l’on obtient, avec chacun deux, deux portions nouvelles. Quand la cristallisation est terminée, on réunit ensemble la fraction la moins active du chlorure A et la fraction la plus active du chlorure B, ces deux matières ayant sensiblement la même activité. On se trouve alors avoir trois portions que l’on soumet à nouveau au même traitement.

On ne laisse pas augmenter constamment le nombre des portions. À mesure que ce nombre augmente, l’activité de la portion la plus soluble a en diminuant. Quand cette portion n’a plus qu’une activité insignifiante, on l’élimine du fractionnement. Quand on a obtenu le nombre de portions que l’on désire, on cesse aussi de fractionner la portion la moins soluble (la plus riche en radium), et on l’élimine du fractionnement.

On opère avec un nombre constant de portions. Après chaque série d’opérations, la solution saturée provenant d’une portion est versée sur les cristaux provenant de la portion suivante ; mais si, après l’une des séries, on a éliminé la fraction la plus soluble, après la série suivante on fera, au contraire, une nouvelle portion avec la fraction la plus soluble, et l’on éliminera les cristaux qui constituent la portion la plus active. Par la succession alternative de ces deux modes opératoires on obtient un mécanisme de fractionnement très régulier, dans lequel le nombre des portions et l’activité de chacune d’elles restent constants, chaque portion étant environ cinq fois plus active que la suivante, et dans lequel on élimine d’un côté (à la queue) un produit à peu près inactif, tandis que l’on recueille de l’autre côté (à la tête) un chlorure enrichi en radium. La quantité de matière contenue dans les portions va, d’ailleurs, nécessairement en diminuant, et les portions diverses contiennent d’autant moins de matière qu’elles sont plus actives.

On opérait au début avec six portions, et l’activité du chlorure éliminé à la queue n’était que 0,1 de celle de l’uranium.

Quand on a ainsi éliminé en grande partie la matière inactive et que les portions sont devenues petites, on n’a plus intérêt à éliminer à une activité aussi faible ; on supprime alors une portion à la queue du fractionnement et l’on ajoute à la tête une portion formée avec le chlorure actif précédemment recueilli. On recueillera donc maintenant un chlorure plus riche en radium que précédemment. On continue à appliquer ce système jusqu’à ce que les cristaux de tête représentent du chlorure de radium pur. Si le fractionnement a été fait d’une façon très complète, il reste à peine de très petites quantités de tous les produits intermédiaires.

Quand le fractionnement est avancé et que la quantité de matière est devenue faible dans chaque portion, la séparation par cristallisation est moins efficace, le refroidissement étant trop rapide et le volume de solution à décanter trop petit. On a alors intérêt à additionner l’eau d’une proportion déterminée d’acide chlorhydrique ; cette proportion devra aller en croissant à mesure que le fractionnement avance.

L’avantage de cette addition consiste à augmenter la quantité de la dissolution, la solubilité des chlorures étant moindre dans l’eau chlorhydrique que dans l’eau pure. De plus, le fractionnement est alors très efficace ; la différence entre les deux fractions provenant d’un même produit est considérable ; en employant de l’eau avec beaucoup d’acide, on a d’excellentes séparations, et l’on peut opérer avec trois ou quatre portions seulement. On a tout avantage à employer ce procédé aussitôt que la quantité de matière est devenue assez faible pour que l’on puisse opérer ainsi sans inconvénients.

Les cristaux, qui se déposent en solution très acide, ont la forme d’aiguilles très allongées, qui ont absolument le même aspect pour le chlorure de baryum et pour le chlorure de radium. Les uns et les autres sont biréfringents. Les cristaux de chlorure de baryum radifère se déposent incolores, mais, quand la proportion de radium devient suffisante, ils prennent au bout de quelques heures une coloration jaune, allant à l’orangé, quelquefois une belle coloration rose. Cette coloration disparaît par la dissolution. Les cristaux de chlorure de radium pur ne se colorent pas, ou tout au moins pas aussi rapidement, de sorte que la coloration paraît due à la présence simultanée du baryum et du radium. Le maximum de coloration est obtenu pour une certaine concentration en radium, et l’on peut, en se basant sur cette propriété, contrôler les progrès du fractionnement. Tant que la portion la plus active se colore, elle contient une quantité notable de baryum ; quand elle ne se colore plus, et que les portions suivantes se colorent, c’est que la première est sensiblement du chlorure de radium pur.

J’ai remarqué parfois la formation d’un dépôt composé de cristaux dont une partie restait incolore, alors que l’autre partie se colorait. Il semblait possible de séparer les cristaux incolores par triage, ce qui n’a pas été essayé.

À la fin du fractionnement, le rapport des activités des portions successives n’est ni le même, ni aussi régulier qu’au début ; toutefois il ne se produit aucun trouble sérieux dans la marche du fractionnement.

La précipitation fractionnée d’une solution aqueuse de chlorure de baryum radifère par l’alcool conduit aussi à l’isolement du chlorure de radium qui se précipite en premier. Cette méthode que j’employais au début a été ensuite abandonnée pour celle qui vient d’être exposée et qui offre plus de régularité. Cependant, j’ai encore quelquefois employé la précipitation par l’alcool pour purifier le chlorure de radium qui contient une petite quantité de chlorure de baryum. Ce dernier reste dans la dissolution alcoolique légèrement aqueuse et peut ainsi être enlevé.

M. Giesel, qui, dès la publication de nos premières recherches, s’est occupé de la préparation des corps radioactifs, recommande la séparation du baryum et du radium par la cristallisation fractionnée dans l’eau du mélange des bromures. J’ai pu constater que ce procédé est en effet très avantageux, surtout au début du fractionnement.

Quel que soit le procédé de fractionnement dont on se sert, il est utile de le contrôler par des mesures d’activité.

Il est nécessaire de remarquer qu’un composé de radium qui était dissous, et que l’on vient de ramener à l’état solide, soit par précipitation, soit par cristallisation, possède au début une activité d’autant moins grande qu’il est resté plus longtemps en dissolution. L’activité augmente ensuite pendant plusieurs mois pour atteindre une certaine limite, toujours la même. L’activité finale est cinq ou six fois plus élevée que l’activité initiale. Ces variations, sur lesquelles je reviendrai plus loin, doivent être prises en considération pour la mesure de l’activité. Bien que l’activité finale soit mieux définie, il est plus pratique, au cours d’un traitement chimique, de mesurer l’activité initiale du produit solide.

L’activité des substances fortement radioactives est d’un tout autre ordre de grandeur que celle du minerai dont elles proviennent (elle est 106 fois plus grande). Quand on mesure cette radioactivité par la méthode qui a été exposée au début de ce travail (appareil fig. 1), on ne peut pas augmenter, au delà d’une certaine limite, la charge que l’on met dans le plateau du quartz. Cette charge, dans nos expériences, était de 4000g au maximum, correspondant à une quantité d’électricité dégagée égale à 25 unités électrostatiques. Nous pouvons mesurer des activités qui varient, dans le rapport de 1 à 4000, en employant toujours la même surface pour la substance active. Pour étendre les limites des mesures, nous faisons varier cette surface dans un rapport connu. La substance active occupe alors sur le plateau B une zone circulaire centrale de rayon connu. L’activité n’étant pas, dans ces conditions, exactement proportionnelle à la surface, on détermine expérimentalement des coefficients qui permettent de comparer les activités à surface active inégale.

Quand cette ressource elle-même est épuisée, on est obligé d’avoir recours à l’emploi d’écrans absorbants et à d’autres procédés équivalents sur lesquels je n’insisterai pas ici. Tous ces procédés, plus ou moins imparfaits, suffisent cependant pour guider les recherches.

Nous avons aussi mesuré le courant qui traverse le condensateur quand il est mis en circuit avec une batterie de petits accumulateurs et un galvanomètre sensible. La nécessité de vérifier fréquemment la sensibilité du galvanomètre nous a empêchés d’employer cette méthode pour les mesures courantes.


Détermination du poids atomique du radium[9]. — Au cours de mon travail, j’ai, à plusieurs reprises, déterminé le poids atomique du métal contenu dans des échantillons de chlorure de baryum radifère. Chaque fois qu’à la suite d’un nouveau traitement j’avais une nouvelle provision de chlorure de baryum radifère à traiter, je poussais la concentration aussi loin que possible, de façon à obtenir de 0g,1 à 0g,5 de matière contenant presque toute l’activité du mélange. De cette petite quantité de matière je précipitais par l’alcool ou l’acide chlorhydrique quelques milligrammes de chlorure qui étaient destinés à l’analyse spectrale.

Grâce à son excellente méthode, Demarçay n’avait besoin que de cette quantité minime de matière pour obtenir la photographie du spectre de l’étincelle. Sur le produit qui me restait je faisais une détermination de poids atomique.

J’ai employé la méthode classique qui consiste à doser, à l’état de chlorure d’argent, le chlore contenu dans un poids connu de chlorure anhydre. Comme expérience de contrôle, j’ai déterminé le poids atomique du baryum par la même méthode, dans les mêmes conditions et avec la même quantité de matière, 0g,5 d’abord, 0g,1 seulement ensuite. Les nombres trouvés étaient toujours compris entre 137 et 138. J’ai vu ainsi que cette méthode donne des résultats satisfaisants, même avec une aussi faible quantité de matière.

Les deux premières déterminations ont été faites avec des chlorures, dont l’un était 230 fois et l’autre 600 fois plus actif que l’uranium. Ces deux expériences ont donné, à la précision des mesures près, le même nombre que l’expérience faite avec le chlorure de baryum pur. On ne pouvait donc espérer de trouver une différence qu’en employant un produit beaucoup plus actif. L’expérience suivante a été faite avec un chlorure dont l’activité était environ 3500 fois plus grande que celle de l’uranium ; cette expérience permit, pour la première fois, d’apercevoir une différence petite, mais certaine ; je trouvais, pour le poids atomique moyen du métal contenu dans ce chlorure, le nombre 140, qui indiquait que le poids atomique du radium devait être plus élevé que celui du baryum. En employant des produits de plus en plus actifs et présentant le spectre du radium avec une intensité croissante, je constatais que les nombres obtenus allaient aussi en croissant, comme on peut le voir dans le Tableau suivant (A indique l’activité du chlorure, celle de l’uranium étant prise comme unité ; M le poids atomique trouvé) :


A. M.
3500 140 le spectre du radium est très faible
4700 141
7500 154,8 le spectre du radium est fort, mais celui du baryum domine de beaucoup
Ordre de grandeur, 106 173,8 les deux spectres ont une importance à peu près égale
225 le baryum n’est présent qu’à l’état de trace.


Les nombres de la colonne A ne doivent être considérés que comme une indication grossière. L’appréciation de l’activité des corps fortement radioactifs est, en effet, difficile, pour diverses raisons dont il sera question plus loin.

À la suite des traitements décrits plus haut, j’ai obtenu, en mars 1902, 0g,12 d’un chlorure de radium, dont Demarçay a bien voulu faire l’analyse spectrale. Ce chlorure de radium, d’après l’opinion de Demarçay, était sensiblement pur ; cependant son spectre présentait encore les trois raies principales du baryum avec une intensité notable.

J’ai fait avec ce chlorure quatre déterminations successives dont voici les résultats :


Chlorure
de radium
anhydride.
Chlorure
d’argent.
M.
0,11500 0,11300 220,7
II 
0,11480 0,11190 223,0
III 
0,11135 0,10860 222,8
IV 
0,10925 0,10643 223,1


J’ai entrepris alors une nouvelle purification de ce chlorure, et je suis arrivée à obtenir une matière beaucoup plus pure encore, dans le spectre de laquelle les deux raies les plus fortes du baryum sont très faibles. Étant donnée la sensibilité de la réaction spectrale du baryum, Demarçay estime que ce chlorure purifié ne contient que « des traces minimes de baryum incapables d’influencer d’une façon appréciable le poids atomique ». J’ai fait trois déterminations avec ce chlorure de radium parfaitement pur. Voici les résultats :


Chlorure
de radium
anhydride.
Chlorure
d’argent.
M.
0,09192 0,08890 225,3
II 
0,08936 0,08627 225,8
III 
0,08839 0,08539 224,0


Ces nombres donnent une moyenne de 225. Ils ont été calculés, de même que les précédents, en considérant le radium comme un élément bivalent, dont le chlorure a la formule RaCl2, et en adoptant pour l’argent et le chlore les nombres Ag = 107,8 ; Cl = 35,4.

Il résulte de ces expériences que le poids atomique du radium est Ra = 225. Je considère ce nombre comme exact à une unité près.

Les pesées étaient faites avec une balance apériodique Curie, parfaitement réglée, précise au vingtième de milligramme.

Cette balance, à lecture directe, permet de faire des pesées très rapides, ce qui est une condition essentielle pour la pesée des chlorures anhydres de radium et de baryum, qui absorbent lentement de l’eau, malgré la présence de corps desséchants dans la balance. Les matières à peser étaient placées dans un creuset de platine ; ce creuset était en usage depuis longtemps, et j’ai vérifié que son poids ne variait pas d’un dixième de milligramme au cours d’une opération.

Le chlorure hydraté obtenu par cristallisation était introduit dans le creuset et chauffé à l’étuve pour être transformé en chlorure anhydre. L’expérience montre que, lorsque le chlorure a été maintenu quelques heures à 100°, son poids ne varie plus, même lorsqu’on fait monter la température à 200° et qu’on l’y maintient pendant quelques heures. Le chlorure anhydre ainsi obtenu constitue donc un corps parfaitement défini.

Voici une série de mesures relatives à ce sujet : le chlorure (1dg) est séché à l’étuve à 55° et placé dans un exsiccateur sur de l’acide phosphorique anhydre ; il perd alors du poids très lentement, ce qui prouve qu’il contient encore de l’eau ; pendant 12 heures, la perte a été de 3mg. On reporte le chlorure dans l’étuve et on laisse la température monter à 100°. Pendant cette opération, le chlorure perd 6mg,3. Laissé dans l’étuve pendant 3 heures 15 minutes, il perd encore 2mg,5. On maintient la température pendant 45 minutes entre 100° et 120°, ce qui entraîne une perte de poids de 0mg,1. Laissé ensuite 30 minutes à 125°, le chlorure ne perd rien. Maintenu ensuite pendant 30 minutes a 150°, il perd 0mg,1. Enfin, chauffé pendant 4 heures à 200°, il éprouve une perte de poids de 0mg,15. Pendant toutes ces opérations, le creuset a varié de 0mg,05.

Après chaque détermination de poids atomique, le radium était ramené à l’état de chlorure de la manière suivante : la liqueur contenant après le dosage l’azotate de radium et l’azotate d’argent en excès était additionnée d’acide chlorhydrique pur, on séparait le chlorure d’argent par filtration ; la liqueur était évaporée à sec plusieurs fois avec un excès d’acide chlorhydrique pur. L’expérience montre qu’on peut ainsi éliminer complètement l’acide azotique.

Le chlorure d’argent du dosage était toujours radioactif et lumineux. Je me suis assurée qu’il n’avait pas entraîné de quantité pondérable de radium, en déterminant la quantité d’argent qui y était contenue. À cet effet, le chlorure d’argent fondu contenu dans le creuset était réduit par l’hydrogène résultant de la décomposition de l’acide chlorhydrique étendu par le zinc ; après lavage, le creuset était pesé avec l’argent métallique qui y était contenu.

J’ai constaté également, dans une expérience, que le poids du chlorure de radium régénéré était retrouvé le même qu’avant l’opération. Dans d’autres expériences, je n’attendais pas, pour commencer une nouvelle opération, que toutes les eaux de lavage fussent évaporées.

Ces vérifications ne comportent pas la même précision que les expériences directes ; elles ont permis toutefois de s’assurer qu’aucune erreur notable n’a été commise.

D’après ses propriétés chimiques, le radium est un élément de la série des alcalino-terreux. Il est dans cette série l’homologue supérieur du baryum.

D’après son poids atomique, le radium vient se placer également, dans le Tableau de Mendeleeff, à la suite du baryum dans la colonne des métaux alcalino-terreux et sur la rangée qui contient déjà l’uranium et le thorium.


Caractères des sels de radium. — Les sels de radium : chlorure, azotate, carbonate, sulfate, ont le même aspect que ceux de baryum, quand ils viennent d’être préparés à l’état solide, mais tous les sels de radium se colorent avec le temps.

Les sels de radium sont tous lumineux dans l’obscurité.

Par leurs propriétés chimiques, les sels de radium sont absolument analogues aux sels correspondants de baryum. Cependant le chlorure de radium est moins soluble que celui de baryum ; la solubilité des azotates dans l’eau semble être sensiblement la même.

Les sels de radium sont le siège d’un dégagement de chaleur spontané et continu.

Le chlorure de radium pur est paramagnétique. Son coefficient d’aimantation spécifique K (rapport du moment magnétique de l’unité de masse à l’intensité du champ) a été mesuré par MM. P. Curie et C. Chéneveau au moyen d’un appareil établi par ces deux physiciens[10]. Ce coefficient a été mesuré par comparaison avec celui de l’eau et corrigé de l’action du magnétisme de l’air. On a trouvé ainsi

K = 1,05 × 10-6.

Le chlorure de baryum pur est diamagnétique, son coefficient d’aimantation spécifique est

K = – 0,40 × 10-6.

On trouve d’ailleurs, conformément aux résultats précédents, qu’un chlorure de baryum radifère contenant environ 17 pour 100 de chlorure de radium est diamagnétique et possède un coefficient spécifique

K = 0,20 × 10-6[11].


Fractionnement du chlorure de baryum ordinaire. — Nous avons cherché à nous assurer si le chlorure de baryum du commerce ne contenait pas de petites quantités de chlorure de radium inappréciables à notre appareil de mesures. Pour cela, nous avons entrepris le fractionnement d’une grande quantité de chlorure de baryum du commerce, espérant concentrer par ce procédé la trace de chlorure de radium si elle s’y trouvait.

50kg de chlorure de baryum du commerce ont été dissous dans l’eau ; la dissolution a été précipitée par de l’acide chlorhydrique exempt d’acide sulfurique, ce qui a fourni 20kg de chlorure précipité. Celui-ci a été dissous dans l’eau et précipité partiellement par l’acide chlorhydrique, ce qui a donné 8kg,5 de chlorure précipité. Ce chlorure a été soumis à la méthode de fractionnement employée pour le chlorure de baryum radifère, et l’on a éliminé à la tête du fractionnement 10g de chlorure correspondant à la portion la moins soluble. Ce chlorure ne montrait aucune radioactivité dans notre appareil de mesures ; il ne contenait donc pas de radium ; ce corps est, par suite, absent des minerais qui fournissent le baryum.



  1. P. Curie et Mme Curie, Comptes rendus, juillet 1898. — P. Curie, Mme Curie et G. Bémont, Comptes rendus, décembre 1898.
  2. Debierne, Comptes rendus, octobre 1899 et avril 1900.
  3. Nous avons de nombreuses obligations envers tous ceux qui nous sont venus en aide dans ce travail. Nous remercions bien sincèrement MM. Mascaret et Michel Lévy pour leur appui bienveillant. Grâce à l’intervention bienveillante de M. le professeur Suess, le gouvernement autrichien a mis gracieusement à notre disposition la première tonne de résidu traitée (provenant de l’usine de l’État, à Joachimsthal, en Bohême). L’Académie des Sciences de Paris, la Société d’Encouragement pour l’Industrie nationale, un donateur anonyme, nous ont fourni le moyen de traiter une certaine quantité de produit. Notre ami, M. Debierne, a organisé le traitement du minerai, qui a été effectué dans l’usine de la Société centrale de Produits chimiques. Cette Société à consenti à effectuer le traitement sans y chercher de bénéfice. À tous nous adressons nos remerciments bien sincères.

    Plus récemment, l’Institut de France a mis à notre disposition une somme de 20000fr pour l’extraction des matières radioactives. Grâce à cette somme, nous avons pu mettre en train le traitement de 5t de minerai.

  4. Giesel, Ber. deutsch. chem. Gesell., t. XXXIV, 1901, p. 3775. — Hoffmann et Strauss, Ber. deutsch. chem. Gesell., t. XXXIII, 1900, p. 3126.
  5. Tout récemment, nous avons eu la douleur de voir mourir ce savant si distingué, alors qu’il poursuivait ses belles recherches sur les terres rares et sur la spectroscopie, par des méthodes dont on ne saurait trop admirer la perfection et la précision. Nous conservons un souvenir ému de la parfaite obligeance avec laquelle il avait consenti à prendre part à notre travail.
  6. Demarçay, Comptes rendus, décembre 1898, novembre 1899 et juillet 1900.
  7. Giesel, Phys. Zeitschrift, 15 septembre 1902.
  8. Berichte d. deutsch. chem. Gesell., juin 1902 et décembre 1902.
  9. Mme  Curie, Comptes rendus, 13 novembre 1899, août 1900 et 21 juillet 1902.
  10. Société de Physique, 3 avril 1903.
  11. En 1899, M. St. Meyer a annoncé que le carbonate de baryum radifère était paramagnétique (Wied. Ann., t. LXVIII). Cependant M. Meyer avait opéré avec un produit très peu riche en radium, et ne contenant probablement que sel de radium. Ce produit aurait dû se montrer diamagnétique. Il est probable que ce corps contenait une petite impureté ferrifère.