Recherches sur les substances radioactives/1904/Chapitre 3

Gauthier-Villars (p. 47-110).

CHAPITRE III.

RAYONNEMENT DES NOUVELLES SUBSTANCES.


Procédés d’étude du rayonnement. — Pour étudier le rayonnement émis par les substances radioactives, on peut se servir de l’une quelconque des propriétés de ce rayonnement. On peut donc utiliser soit l’action des rayons sur les plaques photographiques, soit leur propriété d’ioniser l’air et de le rendre conducteur, soit encore leur faculté de provoquer la fluorescence de certaines substances. En parlant dorénavant de ces diverses manières d’opérer, j’emploierai, pour abréger, les expressions : méthode radiographique, méthode électrique, méthode fluoroscopique.

Les deux premières ont été employées dès le début pour l’étude des rayons uraniques ; la méthode fluoroscopique ne peut s’appliquer qu’aux substances nouvelles, fortement radioactives, car les substances faiblement radioactives telles que l’uranium et le thorium ne produisent pas de fluorescence appréciable. La méthode électrique est la seule qui comporte des mesures d’intensité précises ; les deux autres sont surtout propres à donner à ce point de vue des résultats qualitatifs et ne peuvent fournir que des mesures d’intensité grossières. Les résultats obtenus avec les trois méthodes considérées ne sont jamais que très grossièrement comparables entre eux et peuvent ne pas être comparables du tout. La plaque sensible, le gaz qui s’ionise, l’écran fluorescent sont autant de récepteurs auxquels on demande d’absorber l’énergie du rayonnement et de la transformer en un autre mode d’énergie : énergie chimique, énergie ionique ou énergie lumineuse. Chaque récepteur absorbe une fraction du rayonnement qui dépend essentiellement de sa nature. On verra d’ailleurs plus loin que le rayonnement est complexe ; les portions du rayonnement absorbées par les différents récepteurs peuvent différer entre elles quantitativement et qualitativement. Enfin, il n’est ni évident, ni même probable, que l’énergie absorbée soit entièrement transformée par le récepteur en la forme que nous désirons observer ; une partie de cette énergie peut se trouver transformée en chaleur, en émission de rayonnements secondaires qui, suivant le cas, seront ou ne seront pas utilisés pour la production du phénomène observé, en action chimique différente de celle que l’on observe, etc., et, là encore, l’effet utile du récepteur, pour le but que nous nous proposons, dépend essentiellement de la nature de ce récepteur.

Comparons deux échantillons radioactifs dont l’un contient du radium et l’autre du polonium, et qui sont également actifs dans l’appareil à plateaux de la figure 1. Si l’on recouvre chacun d’eux d’une feuille mince d’aluminium, le second paraîtra considérablement moins actif que le premier, et il en sera de même si on les place sous le même écran fluorescent, quand ce dernier est assez épais, ou qu’il est placé à une certaine distance des deux substances radioactives.


Énergie du rayonnement. — Quelle que soit la méthode de recherches employée, on trouve toujours que l’énergie du rayonnement des substances radioactives nouvelles est considérablement plus grande que celle de l’uranium et du thorium. C’est ainsi que, à petite distance, une plaque photographique est impressionnée, pour ainsi dire, instantanément, alors qu’une pose de 24 heures est nécessaire quand on opère avec l’uranium et le thorium. Un écran fluorescent est vivement illuminé au contact des substances radioactives nouvelles, alors qu’aucune trace de luminosité ne se voit avec l’uranium et le thorium. Enfin, l’action ionisante sur l’air est aussi considérablement plus intense, dans le rapport de 106 environ. Mais il n’est, à vrai dire, plus possible d’évaluer l’intensité totale du rayonnement, comme pour l’uranium, par la méthode électrique décrite au début (fig. 1). En effet, dans le cas de l’uranium, par exemple, le rayonnement est très approximativement absorbé dans la couche d’air qui sépare les plateaux, et le courant limite est atteint pour une tension de 100 volts. Mais il n’en est plus de même pour les substances fortement radioactives. Une partie du rayonnement du radium est constituée par des rayons très pénétrants qui traversent le condensateur et les plateaux métalliques, et ne sont nullement utilisés à ioniser l’air entre les plateaux. De plus le courant limite ne peut pas toujours être obtenu pour les tensions dont on dispose ; c’est ainsi que, pour le polonium très actif, le courant est encore proportionnel à la tension entre 100 et 500 volts. Les conditions expérimentales qui donnent à la mesure une signification simple ne sont donc pas réalisées, et, par suite, les nombres obtenus ne peuvent être considérés comme donnant la mesure du rayonnement total ; ils ne constituent, à ce point de vue, qu’une approximation grossière.


Nature complexe du rayonnement. — Les travaux de divers physiciens (MM. Becquerel, Meyer et von Schweidler, Giesel, Villard, Rutherford, M. et Mme  Curie) ont montré que le rayonnement des substances radioactives est un rayonnement très complexe. Il convient de distinguer trois espèces de rayons que je désignerai, suivant la notation adoptée par M. Rutherford, par les lettres α, β et γ.

1° Les rayons α sont des rayons très peu pénétrants qui semblent constituer la plus grosse partie de rayonnement. Ces rayons sont caractérisés par les lois suivant lesquelles ils sont absorbés par la matière. Le champ magnétique agit très faiblement sur ces rayons, et on les a considérés tout d’abord comme insensibles à l’action de ce champ. Cependant, dans un champ magnétique intense, les rayons α sont légèrement déviés ; la déviation se produit de la même manière que dans le cas des rayons cathodiques, mais le sens de la déviation est renversé ; il est le même que pour les rayons canaux des tubes de Grookes.

2° Les rayons β sont des rayons moins absorbables dans leur ensemble que les précédents. Ils sont déviés par un champ magnétique de la même manière et dans le même sens que les rayons cathodiques.

3° Les rayons γ sont des rayons pénétrants insensibles à l’action du champ magnétique et comparables aux rayons de Röntgen.

Les rayons d’un même groupe peuvent avoir un pouvoir de pénétration qui varie dans des limites très étendues, comme cela a été prouvé pour les rayons β.

Imaginons l’expérience suivante : le radium β est placé au fond d’une petite cavité profonde creusée dans un bloc de plomb (fig. 4). Un faisceau de rayons rectiligne et peu épanoui s’échappe de la cuve. Supposons que, dans la région qui entoure la cuve, on établisse un champ magnétique uniforme, très intense, normal au plan de la figure et dirigé vers l’arrière de ce plan. Les trois groupes de rayons α, β, γ se trouveront séparés. Les rayons γ peu intenses continuent leur trajet rectiligne sans trace de déviation. Les rayons β sont déviés à la façon de rayons cathodiques et décrivent dans le plan de la figure des trajectoires circulaires dont le rayon varie dans des limites étendues. Si la cuve est placée sur une plaque photographique AC, la portion BC de la plaque qui reçoit les rayons β est impressionnée. Enfin, les rayons α forment un faisceau très intense qui est dévié légèrement et qui est assez rapidement absorbé par l’air. Ces rayons décrivent, dans le plan de la figure, une trajectoire dont le rayon de courbure est très grand, le sens de la déviation étant l’inverse de celui qui a lieu pour les rayons β.

Fig. 4.

Si l’on recouvre la cuve d’un écran mince en aluminium, (0mm,1 d’épaisseur), les rayons α sont en très grande partie supprimés, les rayons β le sont bien moins et les rayons γ ne semblent pas absorbés notablement.

L’expérience que je viens de décrire n’a pas été réalisée sous cette forme, et l’on verra dans la suite quelles sont les expériences qui montrent l’action du champ magnétique sur les divers groupes de rayons.


Action du champ magnétique. — On a vu que les rayons émis par les substances radioactives ont un grand nombre de propriétés communes aux rayons cathodiques et aux rayons Röntgen. Aussi bien les rayons cathodiques que les rayons Röntgen ionisent l’air, agissent sur les plaques photographiques, excitent la fluorescence, n’éprouvent pas de réflexion régulière. Mais les rayons cathodiques diffèrent des rayons Röntgen en ce qu’ils sont déviés de leur trajet rectiligne par l’action du champ magnétique et en ce qu’ils transportent des charges d’électricité négative.

Le fait que le champ magnétique agit sur les rayons émis par les substances radioactives a été découvert presque simultanément par MM. Giesel, Meyer et von Schweidler et Becquerel[1]. Ces physiciens ont reconnu que les rayons des substances radioactives sont déviés par le champ magnétique de la même façon et dans le même sens que les rayons cathodiques ; leurs observations se rapportaient aux rayons β.

M. Curie a montré que le rayonnement du radium comporte deux groupes de rayons bien distincts, dont l’un est facilement dévié par le champ magnétique (rayons β) alors que l’autre reste insensible à l’action de ce champ (rayons α et γ dont l’ensemble était désigné par le nom de rayons non déviables)[2].

M. Becquerel n’a pas observé d’émission de rayons genre cathodique par les échantillons de polonium préparés par nous. C’est, au contraire, sur un échantillon de polonium, préparé par lui, que M. Giesel a observé pour la première fois l’effet du champ magnétique. De tous les échantillons de polonium, préparés par nous, aucun n’a jamais donné lieu à une émission de rayons genre cathodique.

Le polonium de M. Giesel n’émet des rayons genre cathodique que quand il est récemment préparé, et il est probable que l’émission est due au phénomène de radioactivité induite dont il sera question plus loin.

Voici les expériences qui prouvent qu’une partie du rayonnement du radium et une partie seulement est constituée par des rayons facilement déviables (rayons β). Ces expériences ont été faites par la méthode électrique[3].

Fig. 5.

Le corps radioactif (fig. 5) envoie des radiations suivant la direction AD entre les plateaux P et P’. Le plateau P est maintenu au potentiel de 500 volts, le plateau P’ est relié à un électromètre et à un quartz piézoélectrique. On mesure l’intensité du courant qui passe dans l’air sous l’influence des radiations. On peut à volonté établir le champ magnétique d’un électro-aimant normalement au plan de la figure dans toute la région EEEE. Si les rayons sont déviés, même faiblement, ils ne pénètrent plus entre les plateaux, et le courant est supprimé. La région où passent les rayons est entourée par les masses de plomb B, B′, B″ et par les armatures de l’électro-aimant ; quand les rayons sont déviés, ils sont absorbés par les masses de plomb B et B′.

Les résultats obtenus dépendent essentiellement de la distance AD du corps radiant A à l’entrée du condensateur en D. Si la distance AD est assez grande (supérieure à 7cm), la plus grande partie (90 pour 100 environ) des rayons du radium qui arrivent au condensateur sont déviés et supprimés pour un champ de 2500 unités. Ces rayons sont des rayons β. Si la distance AD est plus faible que 65mm, une partie moins importante des rayons est déviée par l’action du champ ; cette partie est d’ailleurs déjà complètement déviée par un champ de 2500 unités, et la proportion de rayons supprimés n’augmente pas quand on fait croître le champ de 2500 à 7000 unités.

La proportion des rayons non supprimés par le champ est d’autant plus grande que la distance AD entre le corps radiant et le condensateur est plus petite. Pour les distances faibles les rayons qui peuvent être déviés facilement ne constituent plus qu’une très faible fraction du rayonnement total.

Les rayons pénétrants sont donc, en majeure partie, des rayons déviables genre cathodique (rayons β).

Avec le dispositif expérimental qui vient d’être décrit, l’action du champ magnétique sur les rayons α ne pouvait guère être observée pour les champs employés. Le rayonnement très important, en apparence non déviable, observé à petite distance de la source radiante, était constitué par les rayons α ; le rayonnement non déviable observé à grande distance était constitué par les rayons γ.

Lorsque l’on tamise le faisceau au travers d’une lame absorbante (aluminium ou papier noir), les rayons qui passent sont presque tous déviés par le champ, de telle sorte qu’à l’aide de l’écran et du champ magnétique presque tout le rayonnement est supprimé dans le condensateur, ce qui reste n’étant alors dû qu’aux rayons γ, dont la proportion est faible, quant aux rayons α, ils sont absorbés par l’écran.

Une lame d’aluminium de de millimètre d’épaisseur suffit pour supprimer presque tous les rayons difficilement déviables, quand la substance est assez loin du condensateur ; pour des substances plus petites (34mm et 51mm), deux feuilles d’aluminium au  ; sont nécessaires pour obtenir ce résultat.

On a fait des mesures semblables sur quatre substances radifères (chlorures ou carbonates) d’activité très différente ; les résultats obtenus ont été très analogues.

On peut remarquer que, pour tous les échantillons, les rayons pénétrants déviables à l’aimant (rayons β) ne sont qu’une faible partie du rayonnement total ; ils n’interviennent que pour une faible part dans les mesures où l’on utilise le rayonnement intégral pour produire la conductibilité de l’air.

On peut étudier la radiation émise par le polonium par la méthode électrique. Quand on fait varier la distance AD du polonium au condensateur, on n’observe d’abord aucun courant tant que la distance est assez grande ; quand on rapproche le polonium, on observe que, pour une certaine distance qui était de 4cm pour l’échantillon étudié, le rayonnement se fait très brusquement sentir avec une assez grande intensité ; le courant augmente ensuite régulièrement si l’on continue à rapprocher le polonium, mais le champ magnétique ne produit pas d’effet appréciable dans ces conditions. Il semble que le rayonnement du polonium soit délimité dans l’espace et dépasse à peine dans l’air une sorte de gaine entourant la substance sur l’épaisseur de quelques centimètres.

Il convient de faire des réserves générales importantes sur la signification des expériences que je viens de décrire. Quand j’indique la proportion des rayons déviés par l’aimant, il s’agit seulement des radiations susceptibles d’actionner un courant dans le condensateur. En employant comme réactif des rayons de Becquerel la fluorescence ou l’action sur les plaques photographiques, la proportion serait probablement différente, une mesure d’intensité n’ayant généralement un sens que pour la méthode de mesures employée.

Les rayons du polonium sont des rayons du genre α. Dans les expériences que je viens de décrire, on n’a observé aucun effet du champ magnétique sur ces rayons, mais le dispositif expérimental était tel qu’une faible déviation passait inaperçue.

Des expériences faites par la méthode radiographique ont confirmé les résultats de celles qui précèdent. En employant le radium comme source radiante, et en recevant l’impression sur une plaque parallèle au faisceau primitif et normale au champ, on obtient la trace très nette de deux faisceaux séparés par l’action du champ, l’un dévié, l’autre non dévié. Les rayons β constituent le faisceau dévié ; les rayons α étant peu déviés se confondent sensiblement avec le faisceau non dévié des rayons γ.


Rayons déviables β. — Il résultait des expériences de MM. Giesel et de MM. Meyer et von Schweidler que le rayonnement des corps radioactifs est au moins en partie dévié par un champ magnétique, et que la déviation se fait comme pour les rayons cathodiques. M. Becquerel a étudié l’action du champ sur les rayons par la méthode radiographique[4]. Le dispositif expérimental employé était celui de la figure 4. Le radium était placé dans la cuve en plomb P, et cette cuve était posée sur la face sensible d’une plaque photographique AC enveloppée de papier noir. Le tout était placé entre les pôles d’un électro-aimant, le champ magnétique étant normal au plan de la figure.

Si le champ est dirigé vers l’arrière de ce plan, la partie BC de la plaque se trouve impressionnée par des rayons qui, ayant décrit des trajectoires circulaires, sont rabattus sur la plaque et viennent la couper à angle droit. Ces rayons sont des rayons β.

M. Becquerel a montré que l’impression constitue une large bande diffuse, véritable spectre continu, montrant que le faisceau de rayons déviables émis par la source est constitué par une infinité de radiations inégalement déviables. Si l’on recouvre la gélatine de la plaque de divers écrans absorbants (papier, verre, métaux), une portion du spectre se trouve supprimée, et l’on constate que les rayons les plus déviés par le champ magnétique, autrement dit ceux qui donnent la plus petite valeur du rayon de la trajectoire circulaire, sont le plus fortement absorbés. Pour chaque écran l’impression sur la plaque ne commence qu’à une certaine distance de la source radiante, cette distance étant d’autant plus grande que l’écran est plus absorbant.


Charge des rayons déviables. — Les rayons cathodiques sont, comme l’a montré M. Perrin, chargés d’électricité négative[5]. De plus ils peuvent, d’après les expériences de M. Perrin et de M. Lenard[6], transporter leur charge à travers des enveloppes métalliques réunies à la terre et à travers des lames isolantes. En tout point, où les rayons cathodiques sont absorbés, se fait un dégagement continu d’électricité négative. Nous avons constaté qu’il en est de même pour les rayons déviables β du radium. Les rayons déviables β du radium sont chargés d’électricité négative[7].


Étalons la substance radioactive sur l’un des plateaux d’un condensateur, ce plateau étant relié métalliquement à la terre ; le second plateau est relié à un électromètre, il reçoit et absorbe les rayons émis par la substance. Si les rayons sont chargés, on doit observer une arrivée continue d’électricité à l’électromètre. Cette expérience, réalisée dans l’air, ne nous a pas permis de déceler une charge des rayons, mais l’expérience ainsi faite n’est pas sensible. L’air entre les plateaux étant rendu conducteur par les rayons, l’électromètre n’est plus isolé et ne peut accuser que des charges assez fortes.

Pour que les rayons α ne puissent apporter de trouble dans l’expérience, on peut les supprimer en recouvrant le source radiante d’un écran métallique mince ; le résultat de l’expérience n’est pas modifié[8].

Nous avons sans plus de succès répété cette expérience dans l’air en faisant pénétrer les rayons dans l’intérieur d’un cylindre de Faraday en relation avec l’électromètre[9].


On pouvait déjà se rendre compte, d’après les expériences qui précèdent, que la charge des rayons du produit radiant employé était faible.

Pour constater un faible dégagement d’électricité sur le conducteur qui absorbe les rayons, il faut que ce conducteur soit bien isolé électriquement ; pour obtenir ce résultat, il est nécessaire de le mettre à l’abri de l’air, soit en le plaçant dans un tube avec un vide très parfait, soit en l’entourant d’un bon diélectrique solide. C’est ce dernier dispositif que nous avons employé.

Un disque conducteur MM (fig. 6) est relié par la tige métallique t à l’électromètre ; disque et tige sont complètement entourés de matière isolante iiii ; le tout est recouvert d’une enveloppe métallique EEEE qui est en communication électrique avec la terre. Sur l’une des faces du disque, l’isolant pp et l’enveloppe métallique sont très minces. C’est cette face qui est exposée au rayonnement du sel de baryum radifère R, placé à l’extérieur dans une auge en plomb[10]. Les rayons émis par le radium traversent l’enveloppe métallique et la lame isolante pp, et sont absorbés par le disque métallique MM. Celui-ci est alors le siège d’un dégagement continu et constant d’électricité négative que l’on constate à l’électromètre et que l’on mesure à l’aide du quartz piézoélectrique.

Fig. 6.

Le courant ainsi créé est très faible. Avec du chlorure de baryum radifère très actif formant une couche de 2cm2,5 de surface et de 0cm,2 d’épaisseur, on obtient un courant de l’ordre de grandeur de 10–11 ampère, les rayons utilisés ayant traversé, avant d’être absorbés par le disque MM, une épaisseur d’aluminium de 0mm,01 et une épaisseur d’ébonite de 0mm,3.

Nous avons employé successivement du plomb, du cuivre et du zinc pour le disque MM, de l’ébonite et de la paraffine pour l’isolant ; les résultats obtenus ont été les mêmes.

Le courant diminue quand on éloigne la source radiante R, ou quand on emploie un produit moins actif.

Nous avons encore obtenu les mêmes résultats en remplaçant le disque MM par un cylindre de Faraday rempli d’air, mais enveloppé extérieurement par une matière isolante. L’ouverture du cylindre, fermée par la plaque isolante mince pp, était alors en face de la source radiante.

Enfin nous avons fait l’expérience inverse, qui consiste à placer l’auge de plomb avec le radium au milieu de la matière isolante et en relation avec l’électromètre (fig. 7), le tout étant enveloppé par l’enceinte métallique reliée à la terre.

Fig. 7.

Dans ces conditions, on observe à l’électromètre que le radium prend une charge positive et égale en grandeur à la charge négative de la première expérience. Les rayons du radium traversent la plaque diélectrique mince pp et quittent le conducteur intérieur en emportant de l’électricité négative.

Les rayons α du radium n’interviennent pas dans ces expériences, étant absorbés presque totalement par une épaisseur extrêmement faible de matière. La méthode qui vient d’être décrite ne convient pas non plus pour l’étude de la charge des rayons du polonium, ces rayons étant également très peu pénétrants. Nous n’avons observé aucun indice de charge avec du polonium, qui émet seulement des rayons α ; mais, pour la raison qui précède, on ne peut tirer de cette expérience aucune conclusion.

Ainsi, dans le cas des rayons déviables β du radium, comme dans le cas des rayons cathodiques, les rayons transportent de l’électricité. Or, jusqu’ici on n’a jamais reconnu l’existence de charges électriques non liées à la matière. On est donc amené à se servir, dans l’étude de l’émission des rayons déviables β du radium, de la même théorie que celle actuellement en usage pour l’étude des rayons cathodiques. Dans cette théorie balistique, qui a été formulée par Sir W. Crookes, puis développée et complétée par M. J.-J. Thompson, les rayons cathodiques sont constitués par des particules extrêmement ténues qui sont lancées à partir de la cathode avec une très grande vitesse, et qui sont chargées d’électricité négative. On peut de même concevoir que le radium envoie dans l’espace des particules chargées négativement.

Un échantillon de radium renfermé dans une enveloppe solide, mince, parfaitement isolante, doit se charger spontanément à un potentiel très élevé. Dans l’hypothèse balistique le potentiel augmenterait, jusqu’à ce que la différence de potentiel avec les conducteurs environnants devînt suffisante pour empêcher l’éloignement des particules électrisées émises et amener leur retour à la source radiante.

Nous avons réalisé par hasard l’expérience dont il est question ici. Un échantillon de radium très actif était enfermé depuis longtemps dans une ampoule de verre. Pour ouvrir l’ampoule, nous avons fait avec un couteau à verre un trait sur le verre. À ce moment nous avons entendu nettement le bruit d’une étincelle, et en observant ensuite l’ampoule à la loupe, nous avons aperçu que le verre avait été perforé par une étincelle à l’endroit où il s’était trouvé aminci par le trait. Le phénomène qui s’est produit là est exactement comparable à la rupture du verre d’une bouteille de Leyde trop chargée.

Le même phénomène s’est reproduit avec une autre ampoule. De plus, au moment où l’étincelle a éclaté, M. Curie qui tenait l’ampoule ressentit dans les doigts la secousse électrique due à la décharge.

Certains verres ont de bonnes propriétés isolantes. Si l’on enferme le radium dans une ampoule de verre scellée et bien isolante, ou peut s’attendre à ce que cette ampoule à un moment donné se perce spontanément.

Le radium est le premier exemple d’un corps qui se charge spontanément d’électricité.


Action du champ électrique sur les rayons déviables β du radium. — Les rayons déviables β du radium étant assimilés à des rayons cathodiques doivent être déviés par un champ électrique de la même façon que ces derniers, c’est-à-dire comme le serait une particule matérielle chargée négativement et lancée dans l’espace avec une grande vitesse. L’existence de cette déviation a été montrée, d’une part, par M. Dorn[11], d’autre part, par M. Becquerel[12].

Considérons un rayon qui traverse l’espace situé entre les deux plateaux d’un condensateur. Supposons la direction du rayon parallèle aux plateaux, quand on établit entre ces derniers un champ électrique, le rayon est soumis à l’action de ce champ uniforme sur toute la longueur du trajet dans le condensateur, soit l. En vertu de cette action le rayon est dévié vers le plateau positif et décrit un arc de parabole : en sortant du champ il continu son chemin en ligne droite suivant la tangente à l’arc de parabole au point de sortie. On peut recevoir le rayon sur une plaque photographique normale à sa direction primitive. On observe l’impression produite sur la plaque quand le champ est nul et quand le champ a une valeur connue, et l’on déduit de là la valeur de la déviation δ, qui est la distance des points, où la nouvelle direction du rayon et sa direction primitive rencontrent un même plan normal à la direction primitive. Si h est la distance de ce plan au condensateur, c’est-à-dire à la limite du champ, on a, par un calcul simple,

m étant la masse de la particule en mouvement, e sa charge, v sa vitesse et F la valeur du champ.

Les expériences de M. Becquerel lui ont permis de donner une valeur approchée de δ.


Rapport de la charge à la masse pour une particule, chargée négativement, émise par le radium. — Quand une particule matérielle, avant la masse m et la charge négative e, est lancée avec une vitesse v dans un champ magnétique uniforme normal à sa vitesse initiale, cette particule décrit dans un plan normal au champ et passant par sa vitesse initiale un arc de cercle de rayon ρ tel que, H étant la valeur du champ, on a la relation

Si l’on a mesuré pour un même rayon la déviation électrique δ et le rayon de courbure ρ dans un champ magnétique, on pourra, de ces deux expériences, tirer les valeurs du rapport et de la vitesse v.

Les expériences de M. Becquerel ont fourni une première indication à ce sujet. Elles ont donné pour le rapport une valeur approchée égale à 107 unités électromagnétiques absolues, et pour v une grandeur égale à 1,6 × 1010. Ces valeurs sont du même ordre de grandeur que pour les rayons cathodiques.

Des expériences précises ont été faites sur le même sujet par M. Kaufmann[13]. Ce physicien a soumis un faisceau très étroit de rayons du radium à l’action simultanée d’un champ électrique et d’un champ magnétique, les deux champs étant uniformes et ayant une même direction, normale à la direction primitive du faisceau. L’impression produite sur une plaque normale au faisceau primitif et placée au-dessus des limites du champ par rapport à la source prend la forme d’une courbe, dont chaque point correspond à l’un des rayons du faisceau primitif hétérogène. Les rayons les plus pénétrants et les moins déviables sont d’ailleurs ceux dont la vitesse est la plus grande.

Il résulte des expériences de M. Kaufmann que pour les rayons du radium, dont la vitesse est notablement supérieure à celle des rayons cathodiques, le rapport va en diminuant quand la vitesse augmente.

D’après les travaux de J.-J. Thomson et de Townsend[14] nous devons admettre que la particule en mouvement, qui constitue le rayon, possède une charge e égale à celle transportée par un atome d’hydrogène dans l’électrolyse, cette charge étant la même pour tous les rayons. On est donc conduit à conclure que la masse de la particule m va en augmentant quand la vitesse augmente.

Or, des considérations théoriques conduisent à concevoir que l’inertie de la particule est précisément due à son état de charge en mouvement, la vitesse d’une charge électrique en mouvement ne pouvant être modifiée sans dépense d’énergie. Autrement dit, l’inertie de la particule est d’origine électromagnétique, et la masse de la particule est au moins en partie une masse apparente ou masse électromagnétique. M. Abraham[15] va plus loin et suppose que la masse de la particule est entièrement une masse électromagnétique. Si dans cette hypothèse on calcule la valeur de cette masse m pour une vitesse connue v, on trouve que m tend vers l’infini quand v tend vers la vitesse de la lumière, et que m tend vers une valeur constante quand la vitesse v est très inférieure à celle de la lumière. Les expériences de M. Kaufmann sont en accord avec les résultats de cette théorie dont l’importance est grande, puisqu’elle permet de prévoir la possibilité d’établir les bases de la mécanique sur la dynamique de petits centres matériels chargés en état de mouvement[16].

Voici les nombres obtenus par M. Kaufmann pour et v :


unités
électromagnétiques.
1,865 × 107 0,70 × 1010 pour les rayons cathodiques.
1,310 × 107 2,36 × 1010 pour les rayons du radium (Kaufmann).
1,170 ×»07 2,480 ×»010
0,970 ×»07 2,590 ×»010
0,770 ×»07 2,720 ×»010
0,630 ×»07 2,830 ×»010

M. Kaufmann conclut de la comparaison de ses expériences avec la théorie, que la valeur limite du rapport pour les rayons du radium de vitesse relativement faible serait la même que la valeur de pour les rayons cathodiques.

Les expériences les plus complètes de M. Kaufmann ont été faites avec un grain minuscule de chlorure de radium pur, que nous avons mis à sa disposition.

D’après les expériences de M. Kaufmann certains rayons β du radium possèdent une vitesse très voisine de celle de la lumière. On comprend que ces rayons si rapides puissent jouir d’un pouvoir pénétrant très grand vis-à-vis de la matière.


Action du champ magnétique sur les rayons α. — Dans un travail récent, M. Rutherford a annoncé[17] que, dans un champ magnétique ou électrique puissant, les rayons α du radium sont légèrement déviés à la façon de particules électrisées positivement et animées d’une grande vitesse. M. Rutherford conclut de ses expériences que la vitesse des rayons α est de l’ordre de grandeur 2,5 × 109 et que le rapport pour ces rayons est de l’ordre de grandeur 6 × 103, soit 104 fois plus grand que pour les rayons déviables β. On verra plus loin que ces conclusions de M. Rutherford sont en accord avec les propriétés antérieurement connues du rayonnement α, et qu’elles rendent compte, au moins en partie, de la loi d’absorption de ce rayonnement.

Les expériences de M. Rutherford ont été confirmées par M. Becquerel. M. Becquerel a montré, de plus, que les rayons du polonium se comportent dans un champ magnétique comme les rayons α du radium et qu’ils semblent prendre, à champ égal, la même courbure que ces derniers. Il résulte aussi des expériences de M. Becquerel que les rayons α ne semblent pas former de spectre magnétique, mais se comportent plutôt comme un rayonnement homogène, tous les rayons étant également déviés[18].

M. Des Coudres a fait une mesure de la déviation électrique et de la déviation magnétique des rayons α du radium dans le vide. Il a trouvé pour la vitesse de ces rayons v = 1,65 × 109 et pour le rapport de la charge à la masse = 6400 unités électromagnétiques[19]. La vitesse des rayons α est donc environ 20 fois plus faible que celle de la lumière. Le rapport est du même ordre de grandeur que celui que l’on trouve pour l’hydrogène dans l’électrolyse : = 9650. Si donc on admet que la charge de chaque projectile est la même que celle d’un atome d’hydrogène dans l’électrolyse, on en conclut que la masse de ce projectile est du même ordre de grandeur que celle d’un atome d’hydrogène.

Or nous venons de voir que, pour les rayons cathodiques et pour les rayons β du radium les plus lents, le rapport est égal à 1,865 × 107 ; ce rapport est donc environ 2000 fois plus grand que celui obtenu dans l’électrolyse. La charge de la particule chargée négativement étant supposée la même que celle d’un atome d’hydrogène, sa masse limite pour les vitesses relativement faibles serait donc environ 2000 fois plus petite que celle d’un atome d’hydrogène.

Les projectiles qui constituent les rayons β sont donc à la fois beaucoup plus petits et animés d’une vitesse plus grande que ceux qui constituent les rayons α. On comprend alors facilement que les premiers possèdent un pouvoir pénétrant bien plus grand que les seconds.


Action du champ magnétique sur les rayons des autres substances radioactives. — On vient de voir que le radium émet des rayons α assimilables aux rayons canaux, des rayons β assimilables aux rayons cathodiques et des rayons pénétrants et non déviables γ. Le polonium n’émet que des rayons α. Parmi les autres substances radioactives, l’actinium semble se comporter comme le radium, mais l’étude du rayonnement de ce corps n’est pas encore aussi avancée que celle du rayonnement du radium. Quant aux substances faiblement radioactives, on sait aujourd’hui que l’uranium et le thorium émettent aussi bien des rayons α que des rayons déviables β (Becquerel, Rutherford).


Proportion des rayons déviables β dans le rayonnement du radium. — Comme je l’ai déjà dit, la proportion des rayons β va en augmentant, à mesure qu’on s’éloigne de la source radiante. Toutefois, ces rayons ne se montrent jamais seuls, et pour les grandes distances on observe aussi toujours la présence de rayons γ. La présence de rayons non déviables très pénétrants dans le rayonnement du radium a été, pour la première fois, observée par M. Villard[20]. Ces rayons ne constituent qu’une faible partie du rayonnement mesuré par la méthode électrique, et leur présence nous avait échappé dans nos premières expériences, de sorte que nous croyions alors à tort que le rayonnement à grande distance ne contenait que des rayons déviables.

Voici les résultats numériques obtenus dans des expériences faites par la méthode électrique avec un appareil analogue à celui de la figure 5. Le radium n’était séparé du condensateur que par l’air ambiant. Je désigne par d la distance de la source radiante au condensateur. En supposant égal à 100 le courant obtenu sans champ magnétique pour chaque distance, les nombres de la deuxième ligne indiquent le courant qui subsiste quand le champ agit. Ces nombres peuvent être considérés comme donnant le pourcentage de l’ensemble des rayons α et γ, la déviation des rayons α n’ayant guère pu être observée avec le dispositif employé.

Aux grandes distances on n’a plus de rayons α, et le rayonnement non dévié est alors du genre γ seulement.

Expériences faites à petite distance :

d en centimètres 03,4 05,1 06,0 06,5
Pour 100 de rayons non déviés 74,0 56,0 33,0 11,0

Expériences faites aux grandes distances, avec un produit considérablement plus actif que celui qui avait servi pour la série précédente :

d en centimètres 14 30 53 80 98 124 157
Pour 100 de rayons non déviés 12 14 17 14 16 014 011

On voit, qu’à partir d’une certaine distance, la proportion des rayons non déviés dans le rayonnement est approximativement constante. Ces rayons appartiennent probablement tous à l’espèce γ. Il n’y a pas à tenir compte outre mesure des irrégularités dans les nombres de la seconde ligne, si l’on envisage que l’intensité totale du courant dans les deux expériences extrêmes était dans le rapport de 660 à 10. Les mesures ont pu être poursuivies jusqu’à une distance de 1m,57 de la source radiante, et nous pourrions aller encore plus loin actuellement.

Voici une autre série d’expériences, dans lesquelles le radium était enfermé dans un tube de verre très étroit, placé au-dessous du condensateur et parallèlement aux plateaux. Les rayons émis traversaient une certaine épaisseur de verre et d’air, avant d’entrer dans le condensateur.

d en centimètres 02,5 03,3 04,1 05,9 07,5 09,6 11,3 13,9 17,2
Pour 100 de rayons non déviés 33,0 33,0 21,0 16,0 14,0 10,0 09,0 09,0 10

Comme dans les expériences précédentes, les nombres de la seconde ligne tendent vers une valeur constante quand la distance d croit, mais la limite est sensiblement atteinte pour des distances plus petites que dans les séries précédentes, parce que les rayons α ont été plus fortement absorbés par le verre que les rayons β et γ.

Voici une autre expérience qui montre qu’une lame d’aluminium mince (épaisseur 0mm,01) absorbe principalement les rayons α. Le produit étant placé à 5cm du condensateur, on trouve en faisant agir le champ magnétique que la proportion des rayons autres que β est de 71 pour 100. Le même produit étant recouvert de la lame d’aluminium, et la distance restant la même, on trouve que le rayonnement transmis est presque totalement dévié par le champ magnétique, les rayons α ayant été absorbés par la lame. On obtient le même résultat en employant le papier comme écran absorbant.

La plus grosse partie du rayonnement du radium est formée par des rayons α qui sont probablement émis surtout par la couche superficielle de la matière radiante. Quand on fait varier l’épaisseur de la couche de la matière radiante, l’intensité du courant augmente avec cette épaisseur ; l’augmentation n’est pas proportionnelle à l’accroissement d’épaisseur pour la totalité du rayonnement ; elle est d’ailleurs plus notable sur les rayons β que sur les rayons α, de sorte que la proportion de rayons β va en croissant avec l’épaisseur de la couche active. La source radiante étant placée à une distance de 5cm du condensateur, on trouve que, pour une épaisseur égale à 0mm,4 de la couche active, le rayonnement total est donné par le nombre 28 et la proportion des rayons β est de 29 pour 100. En donnant à la couche active l’épaisseur de 2mm, soit 5 fois plus grande, on obtient un rayonnement total égal à 102 et une proportion de rayons déviables β égale à 45 pour 100. Le rayonnement total qui subsiste à cette distance a donc été augmenté dans le rapport 3,6 et le rayonnement déviable β est devenu environ 5 fois plus fort.

Les expériences précédentes ont été faites par la méthode électrique. Quand on opère par la méthode radiographique, certains résultats semblent, en apparence, être en contradiction avec ce qui précède. Dans les expériences de M. Villard, un faisceau de rayons du radium soumis à l’action d’un champ magnétique était reçu sur une pile de plaques photographiques. Le faisceau non déviable et pénétrant γ traversait toutes les plaques et marquait sa trace sur chacune d’elles. Le faisceau dévié β produisait une impression sur la première plaque seulement. Ce faisceau paraissait donc ne point contenir de rayons de grande pénétration.

Au contraire, dans nos expériences, un faisceau qui se propage dans l’air contient aux plus grandes distances accessibles à l’observation environ de rayons déviables β, et il en est encore de même, quand la source radiante est enfermée dans une petite ampoule de verre scellée. Dans les expériences de M. Villard, ces rayons déviables et pénétrants β n’impressionnent pas les plaques photographiques placées au delà de la première, parce qu’ils sont en grande partie diffusés dans tous les sens par le premier obstacle solide rencontré et cessent de former un faisceau. Dans nos expériences, les rayons émis par le radium et transmis par le verre de l’ampoule étaient probablement aussi diffusés par le verre, mais l’ampoule étant très petite, fonctionnait alors elle-même comme une source de rayons déviables β partant de sa surface, et nous avons pu observer ces derniers jusqu’à une grande distance de l’ampoule.

Les rayons cathodiques des tubes de Crookes ne peuvent traverser que des écrans très minces (écrans d’aluminium jusqu’à 0mm,01 d’épaisseur). Un faisceau de rayons qui arrive normalement sur l’écran est diffusé dans tous les sens ; mais la diffusion est d’autant moins importante que l’écran est plus mince, et pour des écrans très minces il existe un faisceau sortant qui est sensiblement le prolongement du faisceau incident[21].

Les rayons déviables β du radium se comportent d’une manière analogue, mais le faisceau déviable transmis éprouve, à épaisseur d’écran égale, une modification beaucoup moins profonde. D’après les expériences de M. Becquerel, les rayons β très fortement déviables du radium (ceux dont la vitesse est relativement faible) sont fortement diffusés par un écran d’aluminium de 0mm,1 d’épaisseur ; mais les rayons pénétrants et peu déviables (rayons genre cathodique de grande vitesse) traversent ce même écran sans aucune diffusion sensible, et sans que le faisceau qu’ils constituent soit déformé, et cela quelle que soit l’inclinaison de l’écran par rapport au faisceau. Les rayons β de grande vitesse traversent sans diffusion une épaisseur bien plus grande de paraffine (quelques centimètres), et l’on peut suivre dans celle-ci la courbure du faisceau produite par le champ magnétique. Plus l’écran est épais et plus sa matière est absorbante, plus le faisceau déviable primitif est altéré, parce que, à mesure que l’épaisseur de l’écran croît, la diffusion commence à se faire sentir sur de nouveaux groupes de rayons de plus en plus pénétrants.

L’air produit sur les rayons β du radium qui le traversent une diffusion, qui est très sensible pour les rayons fortement déviables, mais qui est cependant bien moins importante que celle qui est due à des épaisseurs égales de matières solides traversées. C’est pourquoi les rayons déviables β du radium se propagent dans l’air à de grandes distances.


Pouvoir pénétrant du rayonnement des corps radioactifs. — Dès le début des recherches sur les corps radioactifs, on s’est préoccupé de l’absorption produite par divers écrans sur les rayons émis par ces substances, J’ai donné dans une première Note relative à ce sujet[22] plusieurs nombres cités au début de ce travail indiquant la pénétration relative des rayons uraniques et thoriques. M. Rutherford a étudié plus spécialement la radiation uranique[23] et prouvé qu’elle était hétérogène. M. Owens a conclu de même pour les rayons thoriques[24]. Quand vint ensuite la découverte des substances fortement radioactives, le pouvoir pénétrant de leurs rayons fut aussitôt étudié par divers physiciens (Becquerel, Meyer et von Schweidler, Curie, Rutherford). Les premières observations mirent en évidence l’hétérogénéité du rayonnement qui semble être un phénomène général et commun aux substances radioactives[25]. On se trouve là en présence de sources, qui émettent un ensemble de radiations, dont chacune a un pouvoir pénétrant qui lui est propre. La question se complique encore par ce fait, qu’il y a lieu de rechercher en quelle mesure la nature de la radiation peut se trouver modifiée par le passage à travers les substances matérielles et que, par conséquent, chaque ensemble de mesures n’a une signification précise que pour le dispositif expérimental employé.

Ces réserves étant faites, on peut chercher à coordonner les diverses expériences et à exposer l’ensemble des résultats acquis.

Les corps radioactifs émettent des rayons qui se propagent dans l’air et dans le vide. La propagation est rectiligne ; ce fait est prouvé par la netteté et la forme des ombres fournies par l’interposition de corps, opaques au rayonnement, entre la source et la plaque sensible ou l’écran fluorescent qui sert de récepteur, la source ayant des dimensions petites par rapport à sa distance au récepteur. Diverses expériences qui prouvent la propagation rectiligne des rayons émis par l’uranium, le radium et le polonium ont été faites par M. Becquerel[26].

La distance à laquelle les rayons peuvent se propager dans l’air à partir de la source est intéressante à connaître. Nous avons constaté que le radium émet des rayons qui peuvent être observés dans l’air à plusieurs mètres de distance. Dans certaines de nos mesures électriques, l’action de la source sur l’air du condensateur s’exerçait à une distance comprise entre 2m et 3m. Nous avons également obtenu des effets de fluorescence et des impressions radiographiques à des distances du même ordre de grandeur. Ces expériences ne peuvent être faites facilement qu’avec des sources radioactives très intenses, parce que, indépendamment de l’absorption exercée par l’air, l’action sur un récepteur donné varie en raison inverse du carré de la distance à une source de petites dimensions. Ce rayonnement, qui se propage à grande distance du radium, comprend aussi bien des rayons genre cathodique que des rayons non déviables ; cependant, les rayons déviables dominent de beaucoup, d’après les expériences que j’ai citées plus haut. Quant à la grosse masse du rayonnement (rayons α), elle est, au contraire, limitée dans l’air à une distance de 7cm environ de la source.

J’ai fait quelques expériences avec du radium enfermé dans une petite ampoule de verre. Les rayons qui sortaient de cette ampoule franchissaient un certain espace d’air et étaient reçus dans un condensateur, qui servait à mesurer leur pouvoir ionisant par la méthode électrique ordinaire. On faisait varier la distance d de la source au condensateur et l’on mesurait le courant de saturation i obtenu dans le condensateur. Voici les résultats d’une des séries de mesures :

d cm. i. (i × d2) × 10−3.
010 127,00 13
020 038,00 15
030 017,40 16
040 010,50 17
050 006,90 17
060 004,70 17
070 003,80 19
100 001,65 17

À partir d’une certaine distance, l’intensité du rayonnement varie sensiblement en raison inverse du carré de la distance au condensateur.

Le rayonnement du polonium ne se propage dans l’air qu’à une distance de quelques centimètres (4cm à 6cm) de la source radiante.

Si l’on considère l’absorption des radiations par les écrans solides, on constate là encore une différence fondamentale entre le radium et le polonium. Le radium émet des rayons capables de traverser une grande épaisseur de matière solide, par exemple quelques centimètres de plomb ou de verre[27]. Les rayons qui ont traversé une grande épaisseur d’un corps solide sont extrêmement pénétrants, et, pratiquement, on n’arrive plus, pour ainsi dire, à les faire absorber intégralement par quoi que ce soit. Mais ces rayons ne constituent qu’une faible fraction du rayonnement total, dont la grosse masse est, au contraire, absorbée par une faible épaisseur de matière solide.

Le polonium émet des rayons extrêmement absorbables qui ne peuvent traverser que des écrans solides très minces.

Voici, à titre d’exemple, quelques nombres relatifs à l’absorption produite par une lame d’aluminium d’épaisseur égale à 0cm,01. Cette lame était placée au-dessus et presque au contact de la substance. Le rayonnement direct et celui transmis par la lame étaient mesurés par la méthode électrique (appareil fig. 1) ; le courant de saturation était sensiblement atteint dans tous les cas. Je désigne par a l’activité de la substance radiante, celle de l’uranium étant prise comme unité.

a. Fraction
du rayonnement
transmise
par la lame.
Chlorure de baryum radifère 57 0,32
Bromure » 43 0,30
Chlorure » 1200 0,30
Sulfate » 50000 0,29
Sulfate » 100000 0,32
Bismuth à polonium métallique 0,22
Composés d’urane 0,20
Composés de thorium en couche mince 0,38

On voit que des composés radifères de nature et d’activité différentes donnent des résultats très analogues, ainsi que je l’ai indiqué déjà pour les composés d’urane et de thorium au début de ce travail. On voit aussi que si l’on considère toute la masse du rayonnement, et pour la lame absorbante considérée, les diverses substances radiantes viennent se ranger dans l’ordre suivant de pénétration décroissante de leurs rayons : thorium, radium, polonium, uranium.

Ces résultats sont analogues à ceux qui ont été publiés par M. Rutherford dans un Mémoire relatif à cette question[28].

M. Rutherford trouve, d’ailleurs, que l’ordre est le même quand la substance absorbante est constituée par l’air. Mais il est probable que cet ordre n’a rien d’absolu et ne se maintiendrait pas indépendamment de la nature et de l’épaisseur de l’écran considéré. L’expérience montre, en effet, que la loi d’absorption est très différente pour le polonium et le radium et que, pour ce dernier, il y a lieu de considérer séparément l’absorption des rayons de chacun des trois groupes.

Le polonium se prête particulièrement à l’étude des rayons α, puisque les échantillons que nous possédons n’émettent point d’autres rayons. J’ai fait une première série d’expériences avec des échantillons de polonium extrêmement actifs et récemment préparés. J’ai trouvé que les rayons du polonium sont d’autant plus absorbables, que l’épaisseur de matière qu’ils ont déjà traversée est plus grande[29]. Cette loi d’absorption singulière est contraire à celle que l’on connaît pour les autres rayonnements.

J’ai employé pour cette étude notre appareil de mesures de la conductibilité électrique avec le dispositif suivant :

Fig. 8.

Les deux plateaux d’un condensateur PP et P’P’ (fig. 8) sont horizontaux et abrités dans une boîte métallique BBBB en relation avec la terre. Le corps actif A, situé dans une boîte métallique épaisse CCCC faisant corps avec le plateau P’P’, agit sur l’air du condensateur au travers d’une toile métallique T ; les rayons qui traversent la toile sont seuls utilisés pour la production du courant, le champ électrique s’arrêtant à la toile. On peut faire varier la distance AT du corps actif à la toile. Le champ entre les plateaux est établi au moyen d’une pile ; la mesure du courant se fait au moyen d’un électromètre et d’un quartz piézoélectrique.

En plaçant en A sur le corps actif divers écrans et en modifiant la distance AT, on peut mesurer l’absorption des rayons qui font dans l’air des chemins plus ou moins grands.

Voici les résultats obtenus avec le polonium :

Pour une certaine valeur de la distance AT (4cm et au-dessus), aucun courant ne passe : les rayons ne pénètrent pas dans le condensateur. Quand on diminue la distance AT, l’apparition des rayons dans le condensateur se fait d’une manière assez brusque, de telle sorte que, pour une petite diminution de la distance, on passe d’un courant très faible à un courant très notable ; ensuite le courant s’accroît régulièrement quand on continue à rapprocher le corps radiant de la toile T.

Quand on recouvre la substance radiante d’une lame d’aluminium laminé de de millimètre d’épaisseur, l’absorption produite par la lame est d’autant plus forte que la distance AT est plus grande.

Si l’on place sur la première lame d’aluminium une deuxième lame pareille, chaque lame absorbe une fraction du rayonnement qu’elle reçoit, et cette fraction est plus grande pour la deuxième lame que pour la première, de telle façon que c’est la deuxième lame qui semble plus absorbante.

Dans le Tableau qui suit, j’ai fait figurer : dans la première ligne, les distances en centimètres entre le polonium et la toile T ; dans la deuxième ligne, la proportion de rayons pour 100 transmise par une lame d’aluminium ; dans la troisième ligne, la proportion de rayons pour 100 transmise par deux lames du même aluminium.

Distance AT 3,5 2,5 1,9 1,45 0,5
Pour 100 de rayons transmis par une lame 0 0 5 10 25
Pour 100 de rayons transmis par deux lames 0 0 0 5 0,7

Dans ces expériences, la distance des plateaux P et P’ était de 3cm. On voit que l’interposition de la lame d’aluminium diminue l’intensité du rayonnement en plus forte proportion dans les régions éloignées que dans les régions rapprochées.

Cet effet est encore plus marqué que ne l’indiquent les nombres qui précèdent. Ainsi, la pénétration de 25 pour 100, pour la distance 0m,5, représente la moyenne de pénétration pour tous les rayons qui dépassent cette distance, ceux extrêmes ayant une pénétration très faible. Si l’on ne recueillait que les rayons compris entre 0cm,5 et 1cm, par exemple, on aurait une pénétration plus grande encore. Et, en effet, si l’on rapproche le plateau P à une distance 0cm,5 de P’, la fraction du rayonnement transmise par la lame d’aluminium (pour AT = 0cm,5) est de 47 pour 100 et, à travers deux lames, elle est de 5 pour 100 du rayonnement primitif.

J’ai fait récemment une deuxième série d’expériences avec ces mêmes échantillons de polonium dont l’activité était considérablement diminuée, l’intervalle de temps qui sépare les deux séries d’expériences étant de 3 ans.

Dans les expériences anciennes, le polonium était à l’étal de sous-nitrate ; dans celles récentes il était à l’état de grains métalliques, obtenus par fusion du sous-nitrate avec le cyanure de potassium.

J’ai constaté que le rayonnement du polonium avait conservé les mêmes caractères essentiels, et j’ai trouvé quelques résultats nouveaux. Voici, pour diverses valeurs de la distance AT, la fraction du rayonnement transmise par un écran formé par 4 feuilles très minces d’aluminium battu superposées :

Distance AT en centimètres 00 01,5 02,6
Pour 100 de rayons transmis par l’écran 76 66,0 39,0

J’ai constaté de même que la fraction du rayonnement absorbée par un écran donné croît avec l’épaisseur de matière qui a déjà été traversée par le rayonnement, mais cela a lieu seulement à partir d’une certaine valeur de la distance AT. Quand cette distance est nulle (le polonium étant tout contre la toile, en dehors ou en dedans du condensateur), on observe que, de plusieurs écrans identiques superposés, chacun absorbe la même fraction du rayonnement qu’il reçoit, autrement dit, l’intensité du rayonnement diminue alors suivant une loi exponentielle en fonction de l’épaisseur de matière traversée, comme cela aurait lieu pour un rayonnement homogène et transmis par la lame sans changement de nature.

Voici quelques résultats numériques relatifs à ces expériences :

Pour une distance AT égale à 1cm,5, un écran en aluminium mince transmet la fraction 0,51 du rayonnement qu’il reçoit quand il agit seul, et la fraction 0,34 seulement du rayonnement qu’il reçoit quand il est précédé par un autre écran pareil à lui.

Au contraire, pour une distance AT égale à 0, ce même écran transmet dans les deux cas considérés la même fraction du rayonnement qu’il reçoit et cette fraction est égale à 0,71 ; elle est donc plus grande que dans le cas précédent.

Voici, pour une distance AT égale à 0 et pour une succession d’écrans très minces superposés, des nombres qui indiquent pour chaque écran le rapport du rayonnement transmis au rayonnement reçu :

Série de 9 feuilles
de cuivre très minces.
Série de 7 feuilles
d’aluminium très minces.
0,72 0,69
0,78 0,94
0,75 0,95
0,77 0,91
0,70 0,92
0,77 0,93
0,69 0,91
0,79
0,68

Étant données les difficultés d’emploi d’écrans très minces et de la superposition d’écrans au contact, les nombres de chaque colonne peuvent être considérés comme constants ; seul, le premier nombre de la colonne relative à l’aluminium indique une absorption plus forte que celle indiquée par les nombres suivants.

Les rayons α du radium se comportent comme les rayons du polonium. On peut étudier ces rayons à peu près seuls en renvoyant les rayons bien plus déviables β de côté par l’emploi d’un champ magnétique ; les rayons γ semblent, en effet, peu importants par rapport aux rayons α. Toutefois, on ne peut opérer ainsi qu’à partir d’une certaine distance de la source radiante. Voici les résultats d’une expérience de ce genre. On mesurait la fraction du rayonnement transmise par une lame d’aluminium de 0cm,1 d’épaisseur ; cette lame était placée toujours au même endroit, au-dessus et à petite distance de la source radiante. On observait, au moyen de l’appareil de la figure 5, le courant produit dans le condensateur pour diverses valeurs de la distance AD, en présence et en absence de la lame.

Distance AD en centimètres 6,0 5,1 03,4
Pour 100 de rayons transmis par l’écran 3 7 24,0

Ce sont encore les rayons qui allaient le plus loin dans l’air qui sont le plus absorbés par l’aluminium. Il y a donc une grande analogie entre la partie absorbable α du rayonnement du radium et les rayons du polonium.

Les rayons déviables β et les rayons non déviables pénétrants γ sont, au contraire, de nature différente. Les expériences de divers physiciens, notamment de MM. Meyer et von Schweidler[30], montrent clairement que, si l’on considère l’ensemble du rayonnement du radium, le pouvoir pénétrant de ce rayonnement augmente avec l’épaisseur de matière traversée, comme cela a lieu pour les rayons de Röntgen. Dans ces expériences, les rayons α interviennent à peine, parce que ces rayons sont pratiquement supprimés par des écrans absorbants très minces. Ce qui traverse, ce sont, d’une part, les rayons β plus ou moins diffusés, d’autre part, les rayons γ, qui semblent analogues aux rayons de Röntgen.

Voici les résultats de quelques-unes de mes expériences à ce sujet :

Le radium est enfermé dans une ampoule de verre. Les rayons qui sortent de l’ampoule traversent 30cm d’air et sont reçus sur une série de plaques de verre d’épaisseur de 1mm,3 chacune ; la première plaque transmet 49 pour 100 du rayonnement qu’elle reçoit, la deuxième transmet 84 pour 100 du rayonnement qu’elle reçoit, la troisième transmet 85 pour 100 du rayonnement qu’elle reçoit.

Dans une autre série d’expériences, le radium était enfermé dans une ampoule de verre placée à 10cm du condensateur qui recevait les rayons. On plaçait sur l’ampoule une série d’écrans de plomb identiques dont chacun avait une épaisseur de 0mm,115.

Le rapport du rayonnement transmis au rayonnement reçu est donné pour chacune des lames successives par la série des nombres suivants :

0,40 0,60 0,72 0,89 0,92 0,94 0,94 0,97

Pour une série de 4 écrans en plomb dont chacun avait 1mm,5 d’épaisseur, le rapport du rayonnement transmis au rayonnement reçu était donné pour les lames successives par les nombres suivants :

0,09 0,78 0,84 0,82

De ces expériences il résulte que, quand l’épaisseur de plomb traversée croit de 0mm,1 à 6mm, le pouvoir pénétrant, du rayonnement va en augmentant.

J’ai constaté que, dans les conditions expérimentales indiquées, un écran de plomb de 1cm,8 d’épaisseur transmet 2 pour 100 du rayonnement qu’il reçoit ; un écran de plomb de 5cm,3 d’épaisseur transmet encore 0,4 pour 100 du rayonnement qu’il reçoit. J’ai constaté également que le rayonnement transmis par une épaisseur de plomb égale à 1mm,5 comprend une forte proportion de rayons déviables (genre cathodique). Ces derniers sont donc capables de traverser non seulement de grandes distances dans l’air, mais aussi des épaisseurs notables de substances solides très absorbantes telles que le plomb.

Quand on étudie avec l’appareil de la figure 2 l’absorption exercée par une lame d’aluminium de 0mm,01 d’épaisseur sur l’ensemble du rayonnement du radium, la lame étant toujours placée à la même distance de la substance radiante, et le condensateur étant placé à une distance variable AD, les résultats obtenus sont la superposition de ce qui est dû aux trois groupes du rayonnement. Si l’on observe à grande distance, les rayons pénétrants dominent et l’absorption est faible ; si l’on observe à petite distance, les rayons α dominent et l’absorption est d’autant plus faible qu’on se rapproche plus de la substance ; pour une distance intermédiaire, l’absorption passe par un maximum et la pénétration par un minimum.

Distance AD 07,1 06,5 06,0 05,1 03,4
Pour 100 de rayons transmis par l’aluminium 91,0 82,0 58,0 41,0 48,0

Toutefois, certaines expériences relatives à l’absorption mettent en évidence une certaine analogie entre les rayons α et les rayons déviables β. C’est ainsi que M. Becquerel a trouvé que l’action absorbante d’un écran solide sur les rayons β augmente avec la distance de l’écran à la source, de sorte que, si les rayons sont soumis à un champ magnétique comme dans la figure 4, un écran placé contre la source radiante laisse subsister une portion plus grande du spectre magnétique que le même écran placé sur la plaque photographique. Cette variation de l’effet absorbant de l’écran avec la distance de cet écran à la source est analogue à ce qui a lieu pour les rayons α ; elle a été vérifiée par MM. Meyer et von Schweidler, qui opéraient par la méthode fluoroscopique ; M. Curie et moi nous avons observé le même fait en nous servant de la méthode électrique. Les conditions de production de ce phénomène n’ont pas encore été étudiées. Cependant, quand le radium est enfermé dans un tube de verre et placé à assez grande distance d’un condensateur qui est lui-même enfermé dans une boîte d’aluminium mince, il est indifférent de placer l’écran contre la source ou contre le condensateur ; le courant obtenu est alors le même dans les deux cas.

L’étude des rayons α m’avait amenée à considérer que ces rayons se comportent comme des projectiles lancés avec une certaine vitesse et qui perdent de leur force vive en franchissant des obstacles[31]. Ces rayons jouissent pourtant de la propagation rectiligne comme l’a montré M. Becquerel dans l’expérience suivante. Le polonium émettant les rayons était placé dans une cavité linéaire très étroite, creusée dans une feuille de carton. On avait ainsi une source linéaire de rayons. Un fil de cuivre de 1mm,5 de diamètre était placé parallèlement en face de la source à une distance de 4mm,9. Une plaque photographique était placée parallèlement à une distance de 8mm,65 au delà. Après une pose de 10 minutes, l’ombre géométrique du fil était reproduite d’une façon parfaite, avec les dimensions prévues et une pénombre très étroite de chaque côté correspondant bien à la largeur de la source. La même expérience réussit également bien en plaçant contre le fil une double feuille d’aluminium battu que les rayons sont obligés de traverser.

Il s’agit donc bien de rayons capables de donner des ombres géométriques parfaites. L’expérience avec l’aluminium montre que ces rayons ne sont pas diffusés en traversant la lame, et que cette lame n’émet pas, tout au moins en quantité importante, des rayons secondaires analogues aux rayons secondaires des rayons de Röntgen.

Les rayons α sont ceux qui semblent actifs dans la très belle expérience réalisée dans le spinthariscope de M. Crookes[32]. Cet appareil se compose essentiellement d’un grain de sel de radium maintenu à l’extrémité d’un fil métallique en face d’un écran au sulfure de zinc phosphorescent. Le grain de radium est à une très petite distance de l’écran (0mm,5, par exemple), et l’on regarde au moyen d’une loupe la face de l’écran tournée vers le radium. Dans ces conditions l’œil aperçoit sur l’écran une véritable pluie de points lumineux qui apparaissent et disparaissent continuellement. L’écran présente l’aspect d’un ciel étoilé. Les points brillants sont plus rapprochés dans les régions de l’écran voisines du radium, et dans le voisinage immédiat de celui-ci la lueur paraît continue. Le phénomène ne semble pas altéré par les courants d’air ; il se produit dans le vide ; un écran même très mince placé entre le radium et l’écran phosphorescent le supprime ; il semble donc bien que le phénomène soit dû à l’action des rayons α les plus absorbables du radium.

On peut imaginer que l’apparition d’un des points lumineux sur l’écran phosphorescent est provoquée par le choc d’un projectile isolé. Dans cette manière de voir, on aurait affaire, pour la première fois, à un phénomène permettant de distinguer l’action individuelle d’une particule dont les dimensions sont du même ordre de grandeur que celles d’un atome.

L’aspect des points lumineux est le même que celui des étoiles ou des objets ultra-microscopiques fortement éclairés qui ne produisent pas sur la rétine des images nettes, mais des taches de diffraction ; et ceci est bien en accord avec la conception que chaque point lumineux extrêmement petit est produit par le choc d’un seul atome.

Les rayons pénétrants non déviables γ semblent être de tout autre nature et semblent analogues aux rayons Röntgen. Rien ne prouve, d’ailleurs, que des rayons peu pénétrants de même nature ne puissent exister dans le rayonnement du radium, car ils pourraient être masqués par le rayonnement corpusculaire.

On vient de voir combien le rayonnement des corps radioactifs est un phénomène complexe. Les difficultés de son étude viennent s’augmenter par cette circonstance, qu’il y a lieu de rechercher si ce rayonnement éprouve de la part de la matière une absorption sélective seulement, ou bien aussi une transformation plus ou moins profonde.

On ne sait encore que peu de choses relativement à cette question. Toutefois, si l’on admet que le rayonnement du radium comporte à la fois des rayons genre cathodique et des rayons genre Röntgen, on peut s’attendre à ce que ce rayonnement éprouve des transformations en traversant les écrans. On sait, en effet : 1° que les rayons cathodiques qui sortent du tube de Crookes à travers une fenêtre d’aluminium (expérience de Lenard) sont fortement diffusés par l’aluminium, et que, de plus, la traversée de l’écran entraîne une diminution de la vitesse des rayons ; c’est ainsi que des rayons cathodiques d’une vitesse égale à 1,4 × 1010 centimètres perdent 10 pour 100 de leur vitesse en traversant 0mm,01 d’aluminium[33] ; 2° les rayons cathodiques, en frappant un obstacle, donnent lieu à la production de rayons Röntgen ; 3° les rayons Röntgen, en frappant un obstacle solide, donnent lieu à une production de rayons secondaires, qui sont en partie des rayons cathodiques[34].

On peut donc, par analogie, prévoir l’existence de tous les phénomènes précédents pour les rayons des substances radioactives.

En étudiant la transmission des rayons du polonium à travers un écran d’aluminium, M. Becquerel n’a observé ni production de rayons secondaires ni transformation en rayons genre cathodique[35].

J’ai cherché à mettre en évidence une transformation des rayons du polonium, en employant la méthode de l’interversion des écrans : deux écrans superposés E1 et E2 étant traversés par les rayons, l’ordre dans lequel ils sont traversés doit être indifférent, si le passage au travers des écrans ne transforme pas les rayons ; si, au contraire, chaque écran transforme les rayons en les transmettant, l’ordre des écrans n’est pas indifférent. Si, par exemple, les rayons se transforment en rayons plus absorbables en traversant du plomb, et que l’aluminium ne produise pas un effet du même genre avec la même importance, alors le système plomb-aluminium paraîtra plus opaque que le système aluminium-plomb ; c’est ce qui a lieu pour les rayons Röntgen.

Mes expériences indiquent que ce phénomène se produit avec les rayons du polonium. L’appareil employé était celui de la figure 8. Le polonium était placé dans la boîte CCCC et les écrans absorbants, nécessairement très minces, étaient placés sur la toile métallique T.

Écrans employés. Épaisseur.
mm
Courant
observé.
Aluminium 0,010 017,9
Laiton 0,005
Laiton 0,005 006,7
Aluminium 0,010
Aluminium 0,010 150,0
Étain 0,005
Étain 0,005 125,0
Aluminium 0,010
Étain 0,005 013,9
Laiton 0,005
Laiton 0,005 004,4
Étain 0,005

Les résultats obtenus prouvent que le rayonnement est modifié en traversant un écran solide. Cette conclusion est d’accord avec les expériences dans lesquelles, de deux lames métalliques identiques et superposées, la première se montre moins absorbante que la suivante. Il est probable, d’après cela, que l’action transformatrice d’un écran est d’autant plus grande que cet écran est plus loin de la source. Ce point n’a pas été vérifié, et la nature de la transformation n’a pas encore été étudiée en détail.

J’ai répété les mêmes expériences avec un sel de radium très actif. Le résultat a été négatif. Je n’ai observé que des variations insignifiantes dans l’intensité de la radiation transmise lors de l’interversion des écrans. Les systèmes d’écrans essayés ont été les suivants :

mm mm
Aluminium, épaisseur 0,55 Platine, épaisseur 0,01
» » 0,55 Plomb » 0,01
» » 0,55 Étain, » 0,01
» » 1,07 Cuivre » 0,01
» » 0,55 Laiton » 0,01
» » 1,07 Laiton » 0,01
» » 0,15 Platine » 0,01
» » 0,15 Zinc » 0,01
» » 0,15 Plomb » 0,01

Le système plomb-aluminium s’est montré légèrement plus opaque que celui aluminium-plomb, mais la différence n’est pas grande.

Je n’ai pu mettre ainsi en évidence une transformation notable des rayons du radium. Cependant, dans diverses expériences radiographiques, M. Becquerel a observé des effets très intenses dus aux rayons diffusés ou secondaires, émis par les écrans solides qui recevaient les rayons du radium. La substance la plus active, au point de vue de ces émissions secondaires, semble être le plomb.


Action ionisante des rayons du radium sur les liquides isolants. — M. Curie a montré que les rayons du radium et les rayons de Röntgen agissent sur les diélectriques liquides comme sur l’air, en leur communiquant une certaine conductibilité électrique[36]. Voici comment était disposée l’expérience (fig. 9).

Le liquide à expérimenter est placé dans un vase métallique CDEF, dans lequel plonge un tube de cuivre mince AB ; ces deux pièces métalliques servent d’électrodes. Le vase est maintenu à un potentiel connu, au moyen d’une batterie de petits accumulateurs, dont un pôle est à terre. Le tube AB est en relation avec l’électromètre. Lorsqu’un courant traverse le liquide, on maintient l’électromètre au zéro à l’aide d’un quartz piézoélectrique qui donne la mesure du courant. Le tube de cuivre MNM’N’, relié au sol, sert de tube de garde pour empêcher le passage du courant à travers l’air. Une ampoule contenant le sel de baryum radifère peut être placée au fond du tube AB ; les rayons agissent sur le liquide après avoir traversé le verre de l’ampoule et les parois du tube métallique. On peut encore faire agir le radium en plaçant l’ampoule en dessous de la paroi DE.

Fig. 9.

Pour agir avec les rayons de Röntgen, on fait arriver ces rayons au travers de la paroi DE.

L’accroissement de conductibilité par l’action des rayons du radium ou des rayons de Röntgen semble se produire pour tous les diélectriques liquides ; mais, pour constater cet accroissement, il est nécessaire que la conductibilité propre du liquide soit assez faible pour ne pas masquer l’effet des rayons.

En opérant avec le radium et les rayons de Röntgen, M. Curie a obtenu des effets du même ordre de grandeur.

Quand on étudie avec le même dispositif la conductibilité de l’air ou d’un autre gaz sous l’action des rayons de Becquerel, on trouve que l’intensité du courant obtenu est proportionnelle à la différence de potentiel entre les électrodes, tant que celle-ci ne dépasse pas quelques volts ; mais pour des tensions plus élevées, l’intensité du courant croît de moins en moins vite, et le courant de saturation est sensiblement atteint pour une tension de 100 volts.

Les liquides étudiés avec le même appareil et avec le même produit radiant très actif se comportent différemment ; l’intensité du courant est proportionnelle à la tension quand celle-ci varie entre 0 et 450 volts, et cela même quand la distance des électrodes ne dépasse pas 6mm. On peut alors considérer la conductivité provoquée dans divers liquides par le rayonnement d’un sel de radium agissant dans les mêmes conditions.

Les nombres du Tableau suivant multiplié par 10−11 donnent la conductivité en mhos (inverse d’ohm) pour 1cm3 :

Sulfure de carbone 20,0
Éther de pétrole 15,0
Amylène 14,0
Chlorure de carbone 08,0
Benzine 04,0
Air liquide 01,3
Huile de vaseline 01,6

On peut cependant supposer que les liquides et les gaz se comportent d’une façon analogue, mais que, pour les liquides, le courant reste proportionnel à la tension jusqu’à une limite bien plus élevée que pour les gaz. On pouvait, par analogie avec ce qui a lieu pour les gaz, chercher à abaisser la limite de proportionnalité en employant un rayonnement beaucoup plus faible. L’expérience a vérifié cette prévision ; le produit radiant employé était 150 fois moins actif que celui qui avait servi pour les premières expériences. Pour des tensions de 50, 100, 200, 400 volts, les intensités du courant étaient représentées respectivement par les nombres 109, 185, 255, 335. La proportionnalité ne se maintient plus, mais le courant varie encore fortement quand on double la différence de potentiel.

Quelques-uns des liquides examinés sont des isolants à peu près parfaits, quand ils sont maintenus à température constante, et qu’ils sont à l’abri de l’action des rayons. Tels sont : l’air liquide, l’éther de pétrole, l’huile de vaseline, l’amylène. Il est alors très facile d’étudier l’effet des rayons. L’huile de vaseline est beaucoup moins sensible à l’action des rayons que l’éther de pétrole. Il convient peut-être de rapprocher ce fait de la différence de volatilité qui existe entre ces deux hydrocarbures. L’air liquide qui a bouilli pendant quelque temps dans le vase d’expérience est plus sensible à l’action des rayons que celui que l’on vient d’y verser ; la conductivité produite par les rayons est de plus grande dans le premier cas. M. Curie a étudié sur l’amylène et sur l’éther de pétrole l’action des rayons aux températures de + 10° et de −17°. La conductivité due au rayonnement diminue de seulement de sa valeur, quand on passe de 10° à −17°.

Dans les expériences où l’on fait varier la température du liquide on peut soit maintenir le radium à la température ambiante, soit le porter à la même température que le liquide ; on obtient le même résultat dans les deux cas. Cela tient à ce que le rayonnement du radium ne varie pas avec la température, et conserve encore la même valeur même à la température de l’air liquide. Ce fait a été vérifié directement par des mesures.


Divers effets et applications de l’action ionisante des rayons émis par les substances radioactives. — Les rayons des nouvelles substances radioactives ionisent l’air fortement. On peut, par l’action du radium, provoquer facilement la condensation de la vapeur d’eau sursaturée, absolument comme cela a lieu par l’action des rayons cathodiques et des rayons Röntgen.

Sous l’influence des rayons émis par les substances radioactives nouvelles, la distance explosive entre deux conducteurs métalliques pour une différence de potentiel donnée se trouve augmentée ; autrement dit, le passage de l’étincelle est facilité par l’action des rayons. Ce phénomène est dû à l’action des rayons les plus pénétrants. Si, en effet, on entoure le radium d’une enveloppe en plomb de 2cm, l’action du radium sur l’étincelle n’est pas considérablement affaiblie, alors que le rayonnement qui traverse n’est qu’une très faible fraction du rayonnement total.

En rendant conducteur, par l’action des substances radioactives, l’air au voisinage de deux conducteurs métalliques, dont l’un est relié au sol et l’autre à un électromètre bien isolé, on voit l’électromètre prendre une déviation permanente, qui permet de mesurer la force électromotrice de la pile formée par l’air et les deux métaux (force électromotrice de contact des deux métaux, quand ils sont séparés par l’air). Cette méthode de mesures a été employée par lord Kelwin et ses élèves, la substance radiante étant l’uranium[37] ; une méthode analogue avait été antérieurement employée par M. Perrin qui utilisait l’action ionisante des rayons Röntgen[38].

On peut se servir des substances radioactives dans l’étude de l’électricité atmosphérique. La substance active est enfermée dans une petite boîte en aluminium mince, fixée à l’extrémité d’une tige métallique en relation avec l’électromètre. L’air est rendu conducteur au voisinage de l’extrémité de la tige, et celle-ci prend le potentiel de l’air qui l’entoure. Le radium remplace ainsi avec avantage les flammes ou les appareils à écoulement d’eau de lord Kelwin, généralement employés jusqu’à présent dans l’étude de l’électricité atmosphérique[39].


Effets de fluorescence, effets lumineux. — Les rayons émis par les nouvelles substances radioactives provoquent la fluorescence de certains corps. M. Curie et moi, nous avons tout d’abord découvert ce phénomène en faisant agir le polonium au travers d’une feuille d’aluminium sur une couche de platinocyanure de baryum. La même expérience réussit encore plus facilement avec du baryum radifère suffisamment actif, quand la substance est fortement radioactive, la fluorescence produite est très belle.

Un grand nombre de substances sont susceptibles de devenir phosphorescentes ou fluorescentes par l’action des rayons de Becquerel. M. Becquerel a étudié l’action sur les sels d’urane, le diamant, la blende, etc. M. Bary a montré que les sels des métaux alcalins et alcalino-terreux, qui sont tous fluorescents sous l’action des rayons lumineux et des rayons Röntgen, sont également fluorescents sous l’action des rayons du radium[40]. On peut également observer la fluorescence du papier, du coton, du verre, etc., au voisinage du radium. Parmi les différentes espèces de verre, le verre de Thuringe est particulièrement lumineux. Les métaux ne semblent pas devenir lumineux.

Le platinocyanure de baryum convient le mieux quand on veut étudier le rayonnement des corps radioactifs par la méthode fluoroscopique. On peut suivre l’effet des rayons du radium à des distances supérieures à 2cm. Le sulfure de zinc phosphorescent est rendu extrêmement lumineux, mais ce corps a l’inconvénient de conserver la luminosité pendant quelque temps, après que l’action des rayons a été supprimée.

On peut observer la fluorescence produite par le radium quand l’écran fluorescent est séparé du radium par des écrans absorbants. Nous avons pu observer l’éclairement d’un écran au platinocyanure de baryum à travers le corps humain. Cependant, l’action est incomparablement plus intense, quand l’écran est placé tout contre le radium et qu’il n’en est séparé par aucun écran solide. Tous les groupes de rayons semblent capables de produire la fluorescence.

Pour observer l’action du polonium il est nécessaire de mettre la substance tout près de l’écran fluorescent sans interposition d’écran solide, ou tout au moins avec interposition d’un écran très mince seulement.

La luminosité des substances fluorescentes exposées à l’action des substances radioactives baisse avec le temps. En même temps la substance fluorescente subit une transformation. En voici quelques exemples :

Les rayons du radium transforment le platinocyanure de baryum en une variété brune moins lumineuse (action analogue à celle produite par les rayons Röntgen et décrite par M. Villard). Ils altèrent également le sulfate d’uranyle et de potassium en le faisant jaunir. Le platinocyanure de baryum transformé est régénéré partiellement par l’action de la lumière. Plaçons le radium au-dessous d’une couche de platinocyanure de baryum étalée sur du papier, le platinocyanure devient lumineux ; si l’on maintient le système dans l’obscurité, le platinocyanure s’altère, et sa luminosité baisse considérablement. Mais, exposons le tout à la lumière ; le platinocyanure est partiellement régénéré, et si l’on reporte le tout dans l’obscurité, la luminosité reparaît assez forte. On a donc, au moyen d’un corps fluorescent et d’un corps radioactif, réalisé un système qui fonctionne comme un corps phosphorescent à longue durée de phosphorescence.

Le verre, qui est rendu fluorescent par l’action du radium, se colore en brun ou en violet. En même temps, il devient moins fluorescent. Si l’on chauffe ce verre ainsi altéré, il se décolore et, en même temps que la décoloration se produit, le verre émet de la lumière. Après cela le verre a repris la propriété d’être fluorescent au même degré qu’avant la transformation.

Le sulfure de zinc qui a été exposé à l’action du radium pendant un temps suffisant s’épuise peu à peu et perd la faculté d’être phosphorescent, soit sous l’action du radium, soit sous celle de la lumière.

Le diamant est rendu phosphorescent par l’action du radium et peut être distingué ainsi des imitations en strass, dont la luminosité est très faible.

Tous les composés de baryum radifère sont spontanément lumineux[41]. Les sels haloïdes, anhydres et secs, émettent une lumière particulièrement intense. Cette luminosité ne peut être vue à la grande lumière du jour, mais on la voit facilement dans la demi-obscurité ou dans une pièce éclairée à la lumière du gaz. La lumière émise peut être assez forte pour que l’on puisse lire en s’éclairant avec un peu de produit dans l’obscurité. La lumière émise émane de toute la masse du produit, tandis que, pour un corps phosphorescent ordinaire, la lumière émane surtout de la partie de la surface qui a été éclairée. À l’air humide les produits radifères perdent en grande partie leur luminosité, mais ils la reprennent par dessèchement (Giesel). La luminosité semble se conserver. Au bout de plusieurs années aucune modification sensible ne semble s’être produite dans la luminosité de produits faiblement actifs, gardés en tubes scellés à l’obscurité. Avec du chlorure de baryum radifère, très actif et très lumineux, la lumière change de teinte au bout de quelques mois ; elle devient plus violacée et s’affaiblit beaucoup ; en même temps le produit subit certaines transformations ; en redissolvant le sel dans l’eau et en le séchant à nouveau, on obtient la luminosité primitive.

Les solutions de sels de baryum radifères, qui contiennent une forte proportion de radium, sont également lumineuses ; on peut observer ce fait en plaçant la solution dans une capsule de platine qui, n’étant pas lumineuse elle-même, permet d’apercevoir la luminosité faible de la solution.

Quand une solution de sel de baryum radifère contient des cristaux qui s’y sont déposés, ces cristaux sont lumineux au sein de la solution, et ils le sont bien plus que la solution elle-même, de sorte que, dans ces conditions, ils semblent seuls lumineux.

M. Giesel a préparé du platinocyanure de baryum radifère. Quand ce sel vient de cristalliser, il a l’aspect du platinocyanure de baryum ordinaire, et il est très lumineux. Mais peu à peu le sel se colore spontanément et prend une teinte brune, en même temps que les cristaux deviennent dichroïques. À cet état, le sel est bien moins lumineux, quoique sa radioactivité ait augmenté[42]. Le platinocyanure de radium, préparé par M. Giesel, s’altère encore bien plus rapidement.

Les composés de radium constituent le premier exemple de substances spontanément lumineuses.


Dégagement de chaleur par les sels de radium. — Tout récemment MM. Curie et Laborde ont trouvé que les sels de radium sont le siège d’un dégagement de chaleur spontané et continu[43]. Ce dégagement de chaleur a pour effet de maintenir les sels de radium à une température plus élevée que la température ambiante ; l’excès de température dépend d’ailleurs de l’isolement thermique de la substance. Cet excès de température peut être mis en évidence par une expérience grossière faite au moyen de deux thermomètres à mercure ordinaires. On utilise deux vases isolateurs thermiques à vide, identiques entre eux. Dans l’un des vases on place une ampoule de verre contenant 7dg de bromure de radium pur ; dans le deuxième vase on place une autre ampoule de verre toute pareille qui contient une substance inactive quelconque, par exemple du chlorure de baryum. La température de chaque enceinte est indiquée par un thermomètre dont le réservoir est placé au voisinage immédiat de l’ampoule. L’ouverture des isolateurs est fermée par du coton. Quand l’équilibre de température est établi, le thermomètre qui se trouve dans le même vase que le radium indique constamment une température supérieure à celle indiquée par l’autre thermomètre ; l’excès de température observé était de 3°.

On peut évaluer la quantité de chaleur dégagée par le radium à l’aide du calorimètre à glace de Bunsen. En plaçant dans ce calorimètre une ampoule de verre qui contient le sel de radium, on constate un apport continu de chaleur qui s’arrête dès qu’on éloigne le radium. La mesure faite avec un sel de radium préparé depuis longtemps indique que chaque gramme de radium dégage environ 80 petites calories pendant chaque heure. Le radium dégage donc pendant une heure une quantité de chaleur suffisante pour fondre son poids de glace, et un atome gramme (225g) de radium dégagerait en une heure 18000cal, soit une quantité de chaleur comparable à celle qui est produite par la combustion, d’un atome gramme (1g) d’hydrogène. Un débit de chaleur aussi considérable ne saurait être expliqué par aucune réaction chimique ordinaire, et cela d’autant plus que l’état du radium semble rester le même pendant des années. On pourrait penser que le dégagement de chaleur est du à une transformation de l’atome de radium lui-même, transformation nécessairement très lente. S’il en était ainsi, on serait amené à conclure que les quantités d’énergie mises en jeu dans la formation et dans la transformation des atomes sont considérables et dépassent tout ce qui nous est connu.

Fig. 10.

On peut encore évaluer la chaleur dégagée par le radium à diverses températures en l’utilisant pour faire bouillir un gaz liquéfié et en mesurant le volume du gaz qui se dégage. On peut faire cette expérience avec du chlorure de méthyle (à −21°). L’expérience a été faite par MM. Dewar et Curie avec l’oxygène liquide (à −180°). et avec l’hydrogène liquide (à −252°). Ce dernier corps convient particulièrement bien pour réaliser l’expérience. Une éprouvette A, entourée d’un isolateur thermique à vide, contient de l’hydrogène liquide H (fig. 10) ; elle est munie d’un tube de dégagement t qui permet de recueillir le gaz dans une éprouvette graduée E remplie d’eau. L’éprouvette A et son isolateur plongent dans un bain d’hydrogène liquide H’. Dans ces conditions aucun dégagement gazeux ne se produit dans l’éprouvette A. Lorsque l’on introduit, dans l’hydrogène, liquide contenu dans cette éprouvette, une ampoule qui contient 7dg de bromure de radium, il se fait un dégagement continu de gaz, et l’on recueille 73cm3 de gaz par minute.

Un sel de radium solide qui vient d’être préparé dégage une quantité de chaleur relativement faible ; mais ce débit de chaleur augmente continuellement et tend vers une valeur déterminée qui n’est pas encore tout à fait atteinte au bout d’un mois. Quand on dissout dans l’eau un sel de radium et qu’on enferme la solution en tube scellé, la quantité de chaleur dégagée par la solution est d’abord faible ; elle augmente ensuite et tend à devenir constante au bout d’un mois ; le débit de chaleur est alors le même que celui dû au même sel à l’état solide.

Quand on a mesuré à l’aide du calorimètre Bunsen la chaleur dégagée par un sel de radium contenu dans une ampoule de verre, certains rayons pénétrants du radium traversent l’ampoule et le calorimètre sans y être absorbés. Pour voir si ces rayons emportent une quantité d’énergie appréciable, on peut refaire une mesure en entourant l’ampoule d’une feuille de plomb de 2mm d’épaisseur ; on trouve que, dans ces conditions, le dégagement de chaleur est augmenté de 4 pour 100 environ de sa valeur ; l’énergie émise par le radium sous forme de rayons pénétrants n’est donc nullement négligeable.


Effets chimiques produits par les nouvelles substances radioactives. Colorations. — Les radiations émises par les substances fortement radioactives sont susceptibles de provoquer certaines transformations, certaines réactions chimiques. Les rayons émis par les produits radifères exercent des actions colorantes sur le verre et la porcelaine[44].

La coloration du verre, généralement brune ou violette, est très intense ; elle se produit dans la masse même du verre, elle persiste après l’éloignement du radium. Tous les verres se colorent en un temps plus ou moins long, et la présence du plomb n’est pas nécessaire. Il convient de rapprocher ce fait de celui, observé récemment, de la coloration des verres des tubes à vide producteurs des rayons de Röntgen après un long usage.

M. Giesel a montré que les sels haloïdes cristallisés des métaux alcalins (sel gemme, sylvine) se colorent sous l’influence du radium, comme sous l’action des rayons cathodiques. M. Giesel montre que l’on obtient des colorations du même genre en faisant séjourner les sels alcalins dans la vapeur de sodium[45].

J’ai étudié la coloration d’une collection de verres de composition connue, qui m’a été obligeamment prêtée à cet effet par M. Le Chatelier. Je n’ai pas observé de grande variété dans la coloration. Elle est généralement violette, jaune, brune ou grise. Elle semble liée à la présence des métaux alcalins.

Avec les sels alcalins purs cristallisés on obtient des colorations plus variées et plus vives ; le sel, primitivement blanc, devient bleu, vert, jaune brun, etc.

M. Becquerel a montré que le phosphore blanc est transformé en phosphore rouge par l’action du radium.

Le papier est altéré et coloré par l’action du radium. Il devient fragile, s’effrite et ressemble enfin à une passoire criblée de trous.

Dans certaines circonstances il y a production d’ozone dans le voisinage de composés très actifs. Les rayons qui sortent d’une ampoule scellée, renfermant du radium, ne produisent pas d’ozone dans l’air qu’ils traversent. Au contraire, une forte odeur d’ozone se dégage quand on ouvre l’ampoule. D’une manière générale l’ozone se produit dans l’air, quand il y a communication directe entre celui-ci et le radium. La communication par un conduit même extrêmement étroit est suffisante ; il semble que la production d’ozone soit liée à la propagation de la radioactivité induite, dont il sera question plus loin.

Les composés radifères semblent s’altérer avec le temps, sans doute sous l’action de leur propre radiation. On a vu plus haut que les cristaux de chlorure de baryum radifères qui sont incolores au moment du dépôt prennent peu à peu une coloration tantôt jaune ou orangée, tantôt rose ; cette coloration disparaît par la dissolution. Le chlorure de baryum radifère dégage des composés oxygénés du chlore : le bromure dégage du brome. Ces transformations lentes s’affirment généralement quelque temps après la préparation du produit solide, lequel, en même temps, change d’aspect et de couleur, en prenant une teinte jaune ou violacée. La lumière émise devient aussi plus violacée.

Les sels de radium purs semblent éprouver les mêmes transformations que ceux qui contiennent du baryum. Toutefois les cristaux de chlorure, déposés en solution acide, ne se colorent pas sensiblement pendant un temps qui est suffisant, pour que les cristaux de chlorure de baryum radifère, riches en radium, prennent une coloration intense.


Dégagement de gaz en présence des sels de radium. — Une solution de bromure de radium dégage des gaz d’une manière continue[46]. Ces gaz sont principalement de l’hydrogène et de l’oxygène, et la composition du mélange est voisine de celle de l’eau ; on peut admettre qu’il y a décomposition de l’eau en présence du sel de radium.

Les sels solides de radium (chlorure, bromure) donnent aussi lieu à un dégagement continu de gaz. Ces gaz remplissent les pores du sel solide et se dégagent assez abondamment quand on dissout le sel. On trouve dans le mélange gazeux de l’hydrogène, de l’oxygène, de l’acide carbonique, de l’hélium ; le spectre des gaz présente aussi quelques raies inconnues[47].

On peut attribuer à des dégagements gazeux deux accidents qui se sont produits dans les expériences de M. Curie. Une ampoule de verre mince scellée, remplie presque complètement par du bromure de radium solide et sec, a fait explosion deux mois après la fermeture sous l’effet d’un faible échauffement ; l’explosion était probablement due à la pression du gaz intérieur. Dans une autre expérience une ampoule contenant du chlorure de radium préparé depuis longtemps communiquait avec un réservoir d’assez grand volume dans lequel on maintenait un vide très parfait. L’ampoule ayant été soumise à un échauffement assez rapide vers 300°, le sel fit explosion ; l’ampoule fut brisée, et le sel fut projeté à distance ; il ne pouvait y avoir de pression notable dans l’ampoule au moment de l’explosion. L’appareil avait d’ailleurs été soumis à un essai de chauffage dans les mêmes conditions en l’absence du sel de radium, et aucun accident ne s’était produit.

Ces expériences montrent qu’il y a danger à chauffer du sel de radium préparé depuis longtemps et qu’il y a aussi danger à conserver pendant longtemps du radium en tube scellé.


Production de thermoluminescence. — Certains corps, tels que la fluorine, deviennent lumineux quand on les chauffe ; ils sont thermoluminescents ; leur luminosité s’épuise au bout de quelque temps ; mais la faculté de devenir de nouveau lumineux par la chaleur est restituée à ces corps par l’action d’une étincelle et aussi par l’action du radium. Le radium peut donc restituer à ces corps leurs propriétés thermoluminescentes[48]. Lors de la chauffe la fluorine éprouve une transformation qui est accompagnée d’une émission de lumière. Quand la fluorine est ensuite soumise à l’action du radium, une transformation se refait en sens inverse, et elle est encore accompagnée d’une émission de lumière.

Un phénomène absolument analogue se produit pour le verre exposé aux rayons du radium. Là aussi une transformation se produit dans le verre, pendant qu’il est lumineux sous l’action des rayons du radium ; cette transformation est mise en évidence par la coloration qui apparaît et augmente progressivement. Quand on chauffe ensuite le verre ainsi modifié, la transformation inverse se produit, la coloration disparaît, et ce phénomène est accompagné de production de lumière. Il paraît fort probable qu’il y a là une modification de nature chimique, et la production de lumière est liée à cette modification. Ce phénomène pourrait être général. Il pourrait se faire que la production de fluorescence par l’action du radium et la luminosité des substances radifères fussent nécessairement liées à un phénomène de transformation chimique ou physique de la substance qui émet la lumière.


Radiographies. — L’action radiographique des nouvelles substances radioactives est très intense. Toutefois la manière d’opérer doit être très différente avec le polonium et le radium. Le polonium n’agit qu’à très petite distance, et son action est considérablement affaiblie par des écrins solides ; il est facile de la supprimer pratiquement au moyen d’un écran peu épais (1mm de verre). Le radium agit à des distances considérablement plus grandes. L’action radiographique des rayons du radium s’observe à plus de 2m de distance dans l’air, et cela même quand le produit radiant est enfermé dans une ampoule de verre. Les rayons qui agissent dans ces conditions appartiennent aux groupes β et γ. Grâce aux différences qui existent entre la transparence de diverses matières pour les rayons, on peut, comme avec les rayons Röntgen, obtenir des radiographies de divers objets. Les métaux sont, en général, opaques, sauf l’aluminium qui est très transparent. Il n’existe pas de différence de transparence notable entre les chairs et les os. On peut opérer à grande distance et avec des sources de très petites dimensions ; on a alors des radiographies très fines. Il est très avantageux, pour la beauté des radiographies, de renvoyer les rayons β de côté, au moyen d’un champ magnétique, et de n’utiliser que les rayons γ. Les rayons β, en traversant l’objet à radiographier, éprouvent, en effet, une certaine diffusion et occasionnent un certain flou. En les supprimant, on est obligé d’employer des temps de pose plus grands, mais les résultats sont meilleurs. La radiographie d’un objet, tel qu’un porte-monnaie, demande un jour avec une source radiante constituée par quelques centigrammes de sel de radium, enfermé dans une ampoule de verre et placé à 1m de la plaque sensible, devant laquelle se trouve l’objet. Si la source est à 20cm de distance de la plaque, le même résultat est obtenu en une heure. Au voisinage immédiat de la source radiante, une plaque sensible est instantanément impressionnée.

Fig. 11. — Radiographie obtenue avec les rayons du radium.


Effets physiologiques. — Les rayons du radium exercent ; une action sur l’épiderme. Cette action a été observée par M. Walkhoff et confirmée par M. Giesel, puis par MM. Becquerel et Curie[49].

Si l’on place sur la peau une capsule en celluloïd ou en caoutchouc mince renfermant un sel de radium très actif et qu’on l’y laisse pendant quelque temps, une rougeur se produit sur la peau, soit de suite, soit au bout d’un temps qui est d’autant plus long que l’action a été plus faible et moins prolongée ; cette tache rouge apparaît à l’endroit qui a été exposé à l’action ; l’altération locale de la peau se manifeste et évolue comme une brûlure. Dans certains cas il se forme une ampoule. Si l’exposition a été prolongée, il se produit une ulcération très longue à guérir. Dans une expérience, M. Curie a fait agir sur son bras un produit radiant relativement peu actif pendant 10 heures. La rougeur se manifesta de suite, et il se forma plus tard une plaie qui mit 4 mois à guérir. L’épiderme a été détruit localement, et n’a pu se reconstituer à l’état sain que lentement et péniblement avec formation d’une cicatrice très marquée. Une brûlure au radium avec exposition d’une demi-heure apparut au bout de 15 jours, forma une ampoule et guérit en 15 jours. Une autre brûlure, faite avec une exposition de 8 minutes seulement, occasionna une tache rouge qui apparut au bout de 2 mois seulement et son effet fut insignifiant.

L’action du radium sur la peau peut se produire à travers les métaux, mais elle est affaiblie. Pour se garantir de l’action, il faut éviter de garder longtemps le radium sur soi autrement qu’enveloppé dans une feuille de plomb.

L’action du radium sur la peau a été étudiée par M. le Dr  Danlos, à l’hôpital Saint-Louis, comme procédé de traitement de certaines maladies de la peau, procédé comparable au traitement par les rayons Röntgen ou la lumière ultra-violette. Le radium donne à ce point de vue des résultats encourageants ; l’épiderme partiellement détruit par l’action du radium se reforme à l’état sain. L’action du radium est plus profonde que celle de la lumière, et son emploi est plus facile que celui de la lumière ou des rayons Röntgen. L’étude des conditions de l’application est nécessairement un peu longue, parce qu’on ne peut se rendre compte immédiatement de l’effet de l’application.

M. Giesel a remarqué l’action du radium sur les feuilles des plantes. Les feuilles soumises à l’action jaunissent et s’effritent.

M. Giesel a également découvert l’action des rayons du radium sur l’œil[50]. Quand on place dans l’obscurité un produit radiant au voisinage de la paupière fermée ou de la tempe, on a la sensation d’une lumière qui remplit l’œil. Ce phénomène a été étudié par MM. Himstedt et Nagel[51]. Ces physiciens ont montré que tous les milieux de l’œil deviennent fluorescents par l’action du radium, et c’est ce qui explique la sensation de lumière perçue. Les aveugles chez lesquels la rétine est intacte, sont sensibles à l’action du radium, tandis que ceux dont la rétine est malade n’éprouvent pas la sensation lumineuse due aux rayons.

Les rayons du radium empêchent ou entravent le développement des colonies microbiennes, mais cette action n’est pas très intense[52].

Récemment, M. Danysz a montré que les rayons du radium agissent énergiquement sur la moelle et sur le cerveau. Après une action d’une heure, des paralysies se produisent chez les animaux soumis aux expériences, et ceux-ci meurent généralement au bout de quelques jours[53].


Action de la température sur le rayonnement. — On n’a encore que peu de renseignements sur la manière dont varie l’émission des corps radioactifs avec la température. Nous savons cependant que l’émission subsiste aux basses températures. M. Curie a placé dans l’air liquide un tube de verre qui contenait du chlorure de baryum radifère[54]. La luminosité du produit radiant persiste dans ces conditions. Au moment où l’on retire le tube de l’enceinte froide, il paraît même plus lumineux qu’à la température ambiante. À la température de l’air liquide, le radium continue à exciter la fluorescence du sulfate d’uranyle et de potassium. M. Curie a vérifié par des mesures électriques que le rayonnement, mesuré à une certaine distance de la source radiante, possède la même intensité quand le radium est à la température ambiante, ou quand il est dans une enceinte à la température de l’air liquide. Dans ces expériences, le radium était placé au fond d’un tube fermé à un bout. Les rayons sortaient du tube par le bout ouvert, traversaient un certain espace d’air et étaient recueillis dans un condensateur. On mesurait l’action des rayons sur l’air du condensateur, soit en laissant le tube dans l’air, soit en l’entourant d’air liquide jusqu’à une certaine hauteur. Le résultat obtenu était le même dans les deux cas.

Quand on porte le radium à une température élevée, sa radioactivité subsiste. Le chlorure de baryum radifère qui vient d’être fondu (vers 800°) est radioactif et lumineux. Toutefois, une chauffe prolongée à température élevée a pour effet d’abaisser temporairement la radioactivité du produit. La baisse est très importante, elle peut constituer 15 pour 100 du rayonnement total. La baisse proportionnelle est moins grande sur les rayons absorbables que sur les rayons pénétrants, qui sont sensiblement supprimés par la chauffe. Avec le temps, le rayonnement du produit reprend l’intensité et la composition qu’il avait avant la chauffe ; ce résultat est atteint au bout de 2 mois environ à partir de la chauffe.



  1. Giesel, Wied. Ann., 2 novembre 1899. — Meyer et von Schweidler, Acad. Anzeiger Wien, 3 et 9 novembre 1899. — Becquerel, Comptes rendus, 11 décembre 1899.
  2. P. Curie, Comptes rendus, 8 janvier 1900.
  3. P. Curie, Comptes rendus, 8 janvier 1900
  4. Becquerel, Comptes rendus, t. CXXX, p. 206, 372, 810.
  5. Comptes rendus, t. CXXI, p. 1130. Annales de Chimie et de Physique, t. II, 1897.
  6. Lenard, Wied. Ann., t. LXIV, p. 279.
  7. M. et Mme  Curie, Comptes rendus. 5 mars 1900.
  8. À vrai dire, dans ces expériences, on observe toujours une déviation à l’électromètre, mais il est facile de se rendre compte que ce déplacement est un effet de la force électromotrice de contact qui existe entre le plateau relié à l’électromètre et les conducteurs voisins ; cette force électromotrice fait dévier l’électromètre, grâce à la conductibilité de l’air soumis au rayonnement du radium.
  9. Le dispositif du cylindre de Faraday n’est pas nécessaire, mais il pourrait présenter quelques avantages dans le cas où il se produirait une forte diffusion des rayons par les parois frappées. On pourrait espérer ainsi recueillir et utiliser ces rayons diffusés, s’il y en a.
  10. L’enveloppe isolante doit être parfaitement continue. Toute fissure remplie d’air allant du conducteur intérieur jusqu’à l’enveloppe métallique est une cause de courant dû aux forces électromotrices de contact utilisant la conductibilité de l’air sous l’action du radium.
  11. Dorn, Abh. Halle, mars 1900.
  12. Becquerel, Comptes rendus, t. CXXX, p. 819.
  13. Kaufmann, Nachrichten d. k. Gesell. d. Wiss. zu Gœttingen, 1901, Heft 2.
  14. Thomson, Phil. Mag., t. XLVI, 1898. — Townsend, Phil. Trans., t. CXCV, 1901.
  15. Abraham, Nachrichten d. k. Gesell. d. Wiss. zu Gœttingen, 1902, Heft 1.
  16. Quelques développements sur cette question ainsi qu’une étude très complète des centres matériels chargés (électrons ou corpuscules) et les références des travaux relatifs se trouvent dans la Thèse de M. Langevin.
  17. Rutherford, Physik. Zeitschrift, 15 janvier 1903
  18. Becquerel, Comptes rendus des 26 janvier et 16 février 1903.
  19. Des Coudres, Physik. Zeitschrift., 1er  juin 1903.
  20. Villard, Comptes rendus, t. CXXX, p. 1010.
  21. Des Coudres, Physik. Zeitschrift, novembre 1902.
  22. Mme  Curie, Comptes rendus, avril 1898.
  23. Rutherford, Phil. Mag., janvier 1899.
  24. Owens, Phil. Mag., octobre 1899.
  25. Becquerel, Rapports au Congrès de Physique, 1900. — Meyer et von Schweidler, Comptes rendus de l’Acad. de Vienne, mars 1900 (Physik. Zeitschrift, t. I, p. 209).
  26. Becquerel, Comptes rendus, t. CXXX, p. 979 et 1154.
  27. M. et Mme  Curie, Rapports au Congrès 1900.
  28. Rutherford, Phil. Mag., juillet 1902.
  29. Mme  Curie, Comptes rendus, 8 janvier 1900.
  30. Meyer et von Schweidler, Physik. Zeitschrift. t. I, p. 209
  31. Mme  Curie, Comptes rendus, 8 janvier 1900.
  32. Chem. News, 3 avril 1903
  33. Des Coudres, Physik. Zeitschrift, novembre 1902.
  34. Sagnac, Thèse de doctorat. — Curie et Sagnac, Comptes rendus, avril 1900.
  35. Becquerel, Rapports au Congrès de Physique, 1900.
  36. P. Curie, Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 17 février 1902.
  37. Lord Kelwin, Beattie et Smolan, Nature. 1897
  38. Perrin, Thèse de doctorat.
  39. Paulsen, Rapports au Congrès de Physique, 1900. — Witkowski, Bulletin de l’Académie des Sciences de Cracovie, janvier 1902.
  40. Bary, Comptes rendus, t. CXXX, 1900, p. 776.
  41. Curie, Soc. de Physique, 3 mars 1899. — Giesel, Wied. Ann., t. LXIX, p. 91.
  42. Giesel, Wied. Ann., t. LXIX, p. 91.
  43. Curie et Laborde, Comptes rendus, 16 mars 1903.
  44. M. et Mme  Curie, Comptes rendus, t. CXXIX, novembre 1899, p. 823.
  45. Giesel, Soc. de Phys. allemande, janvier 1900.
  46. Giesel, Ber., 1903, p. 347. — Ramsay et Soddy, Phys. Zeitschr., 15 septembre 1903.
  47. Ramsay et Soddy, loc. cit.
  48. Becquerel, Rapports au Congrès de Physique, 1900.
  49. Walkhoff, Phot. Rundschau. octobre 1900. — Giesel, Berichte d. deutsch. chem. Gesell., t. XXIII. — Becquerel et Curie, Comptes rendus, t. CXXXII, p. 1289.
  50. Giesel, Naturforscherrersammlung, München, 1899.
  51. Himstedt et Nagel, Ann. der Physik, t. IV, 1901.
  52. Aschkinass et Caspari, Ann. der Physik, t. VI, 1901, p. 570.
  53. Danysz, Comptes rendus, 16 février 1903.
  54. Curie, Société de Physique, 2 mars 1900.