Recherches bibliques sur le culte des chrétiens.djvu/État actuel de l’église


État actuel de l’église.

Si l’on compare ce qu’était l’église primitive avec l’état dans lequel l’église est aujourd’hui, on reconnaît immédiatement entre ces deux situations une immense différence. La puissance des ténèbres a corrompu toutes choses dans le royaume de Dieu sur la terre ; mais ici nous ne nous occupons que de ce qui concerne le démembrement de l’église.

La véritable église, tout en conservant son unité spirituelle, a perdu son unité extérieure : elle est démembrée, et elle est tombée dans un état où tout est confusion.

La chrétienté professante, ce royaume où le bon grain est aujourd’hui disséminé parmi l’ivraie[1], est par là même une Babel[2], vu que les enfants de Dieu y sont mêlés avec les enfants du malin. De plus, cette fausse chrétienté est elle-même divisée en plusieurs portions distinctes, qui se nomment églises orientales, église grecque, église romaine, église anglicane, église luthérienne, église réformée. Et ces diverses corporations, hostiles les unes aux autres, propagent la division partout ou pénètre le christianisme.

Et quant aux corporations religieuses qui se sont formées en dehors des églises de peuples, pour éviter soit le mélange avec le monde, soit seulement le gouvernement de l’État, ne sont-elles pas aussi elles-mêmes divisées en un nombre toujours croissant de fractions diverses de l’église ?

De plus, tout ce qui, dans le principe, unissait les croyants les divise aujourd’hui. Les différentes idées qu’on se fait de l’église, le culte, le ministère, le baptême, la cène sont tout au tant d’occasions de division ; et cette division des vrais chrétiens eux-mêmes se répand et s’établit dans toutes les contrées où s’établit l’Évangile, en sorte que partout la désunion s’introduit, subsiste, s’enracine et ne fait que grandir.

Ne disons pas, comme on le fait souvent, pour justifier cet affreux désordre, que ces diverses corporations sont les divers corps d’une même armée. Dieu n’a pas établi une armée divisée en plusieurs corps opposés les uns aux autres. Il a établi l’église ; répartie, il est vrai, dans une multitude de réunions locales, mais qui renfermaient chacune tous les chrétiens de leurs localités respectives ; assemblées unies, toutes entre elles par une même foi et un même culte et formant, par leur totalité, l’église, le corps de Christ sur la terre. Il y a un seul corps (Éph. IV, 4), et non plusieurs corps.

On entend aussi assez fréquemment soutenir que la diversité d’églises est un bien plutôt qu’un mal, en ce qu’elle entretient entre les divers corps religieux une émulation salutaire. Mais quand cette émulation se change en une rivalité humaine, ou qu’elle suggère une activité charnelle et des moyens peu délicats pour attirer ou re tenir à soi les âmes, est-elle un bien ?

Et si l’on avance, comme on le fait encore, qu’il y a cet avantage dans la variété des congrégations, savoir que chacune possède son don spécial et occupe sa place dans l’œuvre du Seigneur, ne sent-on pas que, supposé que cela fût vrai, il serait bien plus avantageux que tous ces dons, au lieu d’être isolés les uns des autres et de n’être utiles que chacun dans sa sphère particulière, fussent tous réunis et agissent tous en commun pour l’utilité commune ? Dieu, sans doute, peut utiliser le mal, et il le fait sans cesse ; mais quel bien peut-il y avoir dans la séparation de ce qu’il avait uni et dans le renversement de son ouvrage ?

Il n’est pas rare non plus d’entendre affirmer que cette division ne provient que d’une volonté obstinée et qu’il suffirait d’une persécution violente pour fondre ensemble tous ces éléments divers. — De tels propos révèlent évidemment peu d’intelligence du mystère d’iniquité et de la puissance persévérante qui en poursuit l’accomplissement. Et quant à l’effet de la persécution, il est possible qu’elle ébranlât des opinions mal établies et aussi qu’elle produisît un développement d’amour fraternel entre les chrétiens divisés. Mais de là à l’abandon de convictions fortes et dans lesquelles la conscience est engagée il y a loin : et la persécution ne peut pas faire que ce qui était vrai pour nous hier de vienne faux pour nous demain.

Cessons de recourir à ces consolations vaines et fâcheuses. Tout comme la chute de l’humanité est un sujet de deuil, de même la chute extérieure de l’église de Dieu en est un autre. Quand nous souffrons de la part du monde nous pouvons nous en réjouir (Math. V, 11, 12. Act. V, 41) ; mais qu’éprouver en voyant compromise et détruite l’unité du corps de Jésus ici-bas et en étant nous-mêmes si fréquemment victimes des froissements douloureux que produit ce renversement ? Ah ! bien au contraire, si un chrétien aime l’église, rien ne le fait au tant souffrir que l’église. Recherchons donc plutôt ce que l’Écriture nous autorise à faire encore, au milieu de la confusion, pour nous consoler quelque peu et nous édifier dans le culte avec des frères.

  1. Dans l’origine du royaume, c’était l’ivraie qui était mêlée parmi le bon grain (Matth. XIII).
  2. Babel signifie confusion.