RATONNE EST MORTE


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Il y avait une fois un raton et une ratonne qui demeuraient dans une petite maison au coin d’un champ. Raton partait tous les matins pour son travail et Ratonne restait au logis pour faire son ménage et sa cuisine.

Un soir que Raton rentrait chez lui, la journée faite, il trouva sur son chemin un bel épi de blé. Ah ! la bonne affaire, se dit-il, je vais le porter à Ratonne qui le donnera à moudre au meunier et nous fera une bonne bouillie.

Et Ratonne porta le blé au meunier pour qu’il le fit moudre et, quand le blé fut moulu, elle emporta sa farine. Ça ne faisait pas un bien gros tas, mais Raton et Ratonne n’étaient pas bien gros non plus.

Le lendemain matin, Raton partit travailler comme d’habitude.

— « Tu m’appelleras dès que la bouillie sera cuite, dit-il à Ratonne, pour qu’on la mange bien chaude » ; et Ratonne le lui promit.

Une voisine prêta un bassin pour faire la bouillie. Ratonne la démêla bien démêlée et, quand elle la trouva cuite, appela Raton de toutes ses forces. — Mais Raton n’entendait point.

Alors Ratonne, voulant se hausser pour que sa voix portât plus loin, ne trouva rien de mieux que de grimper sur le bord du bassin de bouillie. Le pied lui glissa, la voilà dans la bouillie…

Pendant ce temps-là Raton attendait toujours que sa Ratonne l’appelât, comme elle l’avait promis. Voyant que le temps passait et que rien ne venait, il se décida à rentrer pour ne pas risquer de laisser refroidir son dîner.

En arrivant à la maison il vit bien la bouillie toute prête, mais point de Ratonne.

— « Je vais toujours commencer à manger en l’attendant », se dit-il, mais comme il allait tremper sa cuiller dans le bassin, il aperçut dedans le corps de la pauvre Ratonne.

— « Ah ! cria-t-il, Ratonne est morte ! »

— « Ratonne est morte, dit le balai qui était dans un coin, alors je vais balayer la place » ; et le balai se mit à balayer tout seul.

— « Que fais-tu là, dit la porte étonnée, et pourquoi balayes-tu comme ça tout seul ? »

— « Tu ne sais donc pas, dit le balai, Ratonne est morte… Quand j’ai vu ça, je me suis mis à balayer. »

— « Eh bien, dit la porte, moi je vais me dégonder » ; et la porte se mit à se dégonder pendant que le balai balayait.

Arrive une charrette traînée par deux grands bœufs noirs.

« Que fais-tu là, dit-elle à la porte, et pourquoi te dégondes-tu comme cela ? »

— « Tu ne sais donc pas, dit la porte, Ratonne est morte, balai qui balaye ; alors moi je me suis mise à me dégonder. »

— « Eh bien, dit la charrette, moi je vais m’en aller à reculons. » Et la charrette de retourner d’où elle venait, entraînant après elle les bœufs qui n’y comprenaient rien du tout.

Par là passa une bande d’enfants qui allaient s’amuser. Ils avaient chacun un joli petit potuau[1] qu’on leur avait donné. Ils furent bien étonnés de voir une charrette qui marchait en arrière en traînant les bœufs après elle.

— « Que faites vous comme ça », lui dirent-ils ?

— « Vous ne savez donc pas, dit la charrette, Ratonne est morte, balai qui balaye, la porte qui se dégonde, alors moi je me suis mise à aller à reculons. »

— « Eh bien nous, dirent les enfants, nous allons casser nos petits potuaux » ; et là dessus ils allèrent chercher des pierres pour casser leurs petits potuaux.

Un femme passa par là avec une binelle pleine de pâte qu’elle portait au four.

— « Que faites-vous là, petits sots, dit-elle aux enfants, pourquoi cassez-vous ces jolis petits potuaux avec lesquels vous pourriez bien vous amuser ? »

— « Vous ne savez donc pas, dirent les enfants, Ratonne est morte, balai qui balaye, la porte qui se dégonde, la charrette qui va à reculons ; alors nous nous sommes mis à casser nos petits potuaux. »

— « Eh bien, dit la bonne femme, moi je vais jeter ma pâte au cochon » ; et elle s’en alla porter sa pâte au cochon.

Un homme passait par là.

— « Que faites vous là, ma bonne femme, dit-il ; êtes-vous folle de jeter votre pâte au cochon au lieu d’en faire un bon pain ? »

— « Vous ne savez donc pas, dit la bonne femme, Ratonne est morte, balai qui balaye, la porte qui se dégonder, la charrette qui va à reculons, les enfants qui cassent leurs petits potuaux… alors moi je suis allée jeter ma pâte au cochon. »

— « Eh bien, dit l’homme, moi je vais aller abattre ma maison. »

Et il s’en alla abattre sa maison.

Et tout cela, mes enfants, parce que la pauvre Ratonne était morte.

(À suivre.)

A. D. Roazoun.
  1. Potuau, petit pot.