Les Trois Brins de pimpenois


LES TROIS BRINS DE PIMPENOIS


Il y avait une fois un roi et une reine qui avaient trois enfants, deux fils et une fille. Le roi qui était vieux songeait, selon l’usage du pays, à se choisir un successeur. Un jour donc il appela ses enfants :

— « Je voudrais, leur dit-il, désigner avant de mourir celui qui doit régner à ma place, mais je ne sais que décider, car je vous aime tous également. Allez donc dans le grand bois où fleurissent les Pimpenois. À celui d’entre vous qui m’en rapportera trois brins, ma couronne appartiendra.

Et les trois enfants, ayant pris congé de leur père, se mirent à parcourir la forêt à la recherche de ces fleurs précieuses qui valaient un royaume. Ils errèrent longtemps par les sentiers, sur le bord des ruisseaux, à l’ombre des grands hêtres et des chênes sombres, partout où ils espéraient trouver des fleurs de Pimpenois. Leurs recherches furent d’abord inutiles. Il fallait naturellement que ces fleurs fussent d’une grande rareté pour être estimées à un si haut prix par le roi.

Enfin, vers le soir, la jeune fille arrivant près d’une fontaine, aperçut trois belles fleurs de Pimpenois fraîches épanouies. Elle s’empressa de les cueillir, toute joyeuse, et reprit bien vite le chemin du palais, car la route était longue et elle avait hâte de jouir de son triomphe.

À peine avait-elle fait cent pas qu’elle se trouva face à face avec son frère aîné dont la figure se rembrunit à la vue du bouquet qu’elle tenait à la main

— « Tu vas me donner ces fleurs », dit-il d’un ton impérieux.

— « Non certes, c’est moi qui les ai trouvées et notre père a dit qu’il donnerait sa couronne à celui qui lui rapporterait trois brins de Pimpenois. »

— « C’est pourquoi tu vas me les donner, reprit le jeune homme ; qu’est-ce qu’une femme pourrait faire d’une couronne ? D’ailleurs celle-ci m’appartient de droit, puisque je suis l’aîné. Donne-moi vite tes fleurs, si tu ne veux que je m’en empare de force, car il me les faut à tout prix ».

« — Viens donc les prendre, alors, car tu peux être sûr que je ne te les donnerai pas ».

Et à ces mots la jeune fille, s’enfuit en riant, car elle était loin de soupçonner toute la méchanceté de son frère et n’avait pas pris ses menaces au sérieux…

. . . . . . . . . . . . . . . .

La nuit était noire quand l’aîné des fils du roi arriva au palais où depuis longtemps déjà son jeune frère était rentré las d’inutiles recherches. Il tenait à la main trois fleurs de Pimpenois et les présenta triomphant au roi qui, tout en lui faisant ses compliments, lui demanda s’il n’avait pas rencontré sa sœur dont l’absence prolongée commençait à le préoccuper, les jeunes filles n’ayant pas coutume d’affronter volontiers la nuit dans les bois. Le jeune prince répondit audacieusement qu’il n’avait vu personne.

Le père inquiet envoya des serviteurs à la recherche de sa fille, supposant qu’elle s’était égarée ; mais ils eurent beau parcourir la forêt en tous sens jusqu’à l’aube, et la parcourir encore les jours et les nuits qui suivirent, ils ne purent retrouver sa trace.

Cependant le frère aîné demandait instamment qu’on le proclamât héritier de la couronne. Il avait rempli les conditions requises en apportant les trois brins de Pimpenois et réclamait l’accomplissement de la promesse du roi.

— « Il faut d’abord que nous ayons retrouvé votre sœur, répondit celui-ci, il se peut qu’elle ait eu la même chance que vous, mon fils, et nous ne pouvons rien décider avant d’être fixé sur son sort. »

Et les recherches continuaient, toujours infructueuses, et le temps passait…

Bien souvent le roi et la reine se rendaient avec les deux enfants qui leur restaient dans cette forêt d’où jamais leur fille n’était revenue. L’aîné n’osait se dérober à ces promenades qui le faisaient trembler de la tête au pieds.

Un jour qu’ils se promenaient tous ensemble, le père et la mère s’engagèrent inconsciemment dans le chemin conduisant à la source où avaient fleuri les Pimpenois, et cette fois le coupable, forcé de suivre la même route, se sentit pâlir d’horreur.

Tout à coup le jeune frère qui courait de tous côtés avec l’insouciance de son âge arriva tout ému près de ses parents. Il tenait à la main un sifflet comme les pâtres savent en tailler dans l’écorce nouvelle.

— « Oh ! père, dit-il, voyez donc l’étrange sifflet que j’ai trouvé là-bas, sur la mousse ; on dirait qu’il parle » ; et le portant à ses lèvres il souffla doucement. On entendit alors comme une voix plaintive qui disait :

— « Mon frère, mon frère,

J’ai été tuée dans un bois.

Pour trois brins de Pimpenois ! » [1]

— « Qu’est-ce que cela signifie, s’écria le roi », et prenant le sifflet il souffla à son tour.

— « Mon père, mon père, reprit la voix,

J’ai été tuée dans un bois

Pour trois brins de Pimpenois ! »

— « Comptez-vous vous amuser longtemps avec ce joujou, fit le frère aîné d’un air dédaigneux sous lequel il cherchait à dissimuler son effroi » ; mais déjà la mère avait pris le sifflet et la voix disait :

— « Ma mère, ma mère,

J’ai été tuée dans un bois

Pour trois brins de Pimpenois ! »

— « Voilà qui est étrange dit le père profondément troublé » ; et se tournant vers son fils :

— « À vous maintenant », dit-il.

— « Nous n’allons pas nous attarder à ce jeu puéril », fit le prince d’un ton méprisant ; et saisissant le sifflet magique il voulut le lancer au loin, mais le roi le prévint.

— « Je vous demandais de souffler à votre tour, maintenant je vous l’ordonne », dit-il, et sa voix était si sévère que le jeune homme dut obéir. Il porta à ses lèvres tremblantes le sifflet vengeur et aussitôt la voix reprit, terrible :

— Maudit, maudit,

Tu m’as tuée dans ce bois

Pour trois brins de Pimpenois !

Frappé de terreur le meurtrier tomba à genoux, confessant son crime. Il avait tué sa sœur pour s’emparer des fleurs qu’elle avait trouvées et obtenir la couronne ; puis il avait recouvert le corps de branches et de feuilles mortes.

Peu après le fils aîné du roi subit le châtiment dû à son forfait, et quand les temps furent accomplis, ce fut le plus jeune des trois enfants qui monta sur le trône de son père…… lui qui ne s’était point attardé à chercher dans la forêt les trois brins de Pimpenois[2].

(À suivre.)
A.-D. Roazoun.
  1. Julienne Leneveu de Rohan racontait, vers 1860, une histoire de ce genre. Les fleurs de Pimpenois n’y étaient pas mentionnées, mais on y retrouvait l’épisode du sifflet (parlant et non chantant) qui disait :

        — « Sifflez, sifflez, mon père,
        Mon frère m’a tuée… etc.