Rational (Durand de Mende)/Volume 5/Septième livre/Chapitre 40

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 5p. 120-121).


CHAPITRE XL.
DU VÉNÉRABLE BÈDE, PRÊTRE.


Le vénérable Bède, prêtre et moine, illustre commentateur, florit en Angleterre vers l’an du Seigneur 666.

I. Bien qu’il soit compris dans le Catalogue des saints, cependant l’Église ne l’appelle pas Saint, mais Vénérable, pour deux raisons. Premièrement, parce qu’étant aveugle, et à cause de son extrême vieillesse, il se faisait conduire par les campagnes et les bourgades et prêchait partout la parole de Dieu. Comme un jour il passait par une vallée couverte et semée de grandes pierres, un de ses guides lui dit par dérision qu’il y avait là un grand peuple rassemblé, qui attendait en silence et avidement. Alors Bède se mit à prêcher avec ardeur ; lorsqu’il eut conclu par : « Dans tous les siècles des siècles, » aussitôt toutes les pierres, dit-on, se mirent à s’écrier : « Amen, vénérable père ; » et c’est pour cela qu’il est appelé le Vénérable.

II. D’autres assurent que les anges répondirent : « Tu as bien parlé, vénérable père. » La seconde cause, c’est qu’après sa mort un certain clerc, qui avait beaucoup de dévotion pour lui, désirait faire un vers qu’il avait l’intention de faire graver sur son tombeau. Ce vers commençait ainsi : Hœc sunt in fossa, « Dans cette fosse reposent, » et il voulut le terminer par Bedœ sancti ossa, « les os de saint Bède. » Mais comme une pareille fin de vers ne s’accordait guère avec la prosodie, il se creusait l’esprit avec ardeur et ne trouvait pas une fin convenable. Une nuit, après y avoir beaucoup réfléchi, il se dirigea en toute hâte le matin vers le tombeau du saint, et trouva son vers écrit de la main des anges et ainsi terminé :

Hœc sunt in fossa Bedœ venerabilis ossa.
En cette fosse sont les restes du vénérable Bède[1].

On dit que son corps est honoré à Gènes avec une dévotion convenable.

  1. Ce pieux personnage, fort savant et auquel on doit, entre autres choses,
    la première chronique des Angles, dont il fut le Grégoire de Tours, naquit en
    673 et mourut eu 763, à l’âge de 90 ans. Voici une épitaphe plus étendue
    qu’on lui fit au moyen-âge, mais nous ne savons en quelle année :

    __Beda, Dei famulus, monachorum nobile sidus,
    _____Finibus e terræ profuit Ecclesiæ.
    __Solers este Patrum scrutando per omnia sensum
    _____Eloquio viguit, plurima composuit.
    __Annos hac vita ter duxit rite triginta.
    _____Presbyter officio, utilis ingenie.
    __Jani septenis viduatus carne calendis,
    _____Angligena angelicam commeruit patriam.

      « Bède, serviteur de Dieu, astre brillant parmi les moines, né aux confins
    de la terre, fut utile à l’Église. Mangeur délicat des Pères, il donna de la force
    à son style en scrutant dans tous leurs ouvrages le sens qui y est caché ; et il
    composa un très-grand nombre d’écrits. Il passa saintement trois fois trente ans
    dans cette vie ; prêtre par sa charge, utile par son talent. Devenu veuf de la
    chair, aux viimes calendes de Janus (janvier), l’Angle mérita d’habiter la patrie
    des anges. »