Rational (Durand de Mende)/Volume 5/Septième livre/Chapitre 24

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 5p. 77-81).


CHAPITRE XXIV.
DE L’ASSOMPTION DE LA GLORIEUSE VIERGE MARIE[1] (12).


I. Saint Jérôme rapporte comment la bienheureuse Marie fut ravie aux cieux. Fut-ce en corps, fut-ce hors de son corps, je l’ignore. Dieu le sait. Saint Augustin dit que ce fut en corps. Cependant la vérité est que d’abord elle fut ravie en ame ; mais son corps resta-t-il sur la terre, c’est ce qui est incertain. Il vaut mieux douter pieusement que d’affirmer quelque chose de téméraire à ce sujet. Cependant on doit croire pieusement qu’elle fut ravie en corps et en ame. Une certaine femme très-pieuse, nommée Elisabeth, de la Saxe, assura qu’il lui avait été révélé que le corps de la sainte Vierge fut ravi aux cieux quarante jours après l’assomption de son ame, et elle composa à ce sujet un certain traité qui, cependant, n’est pas authentique. Ephirius rapporte que la bienheureuse Vierge, quand elle conçut le Christ, était âgée de quatorze ans, qu’elle le mit au monde dans sa quinzième année et qu’elle resta avec lui trente-trois ans ; et, après la mort du Christ, elle lui survécut de vingt-quatre ans ; et, d’après cela, elle était âgée de soixante-douze ans quand elle mourut.

II. Il paraît plus probable, selon d’autres, qu’elle survécut à son fils de douze années, et ainsi son assomption eut lieu lorsqu’elle était sexagénaire. Les apôtres prêchèrent autant d’années dans la Judée et les pays d’alentour.

III. En cette fête on dit certaines choses que l’on chante à la dédicace des églises, parce qu’elles se rapportent à la Vierge. On chante aussi des extraits du Cantique des cantiques, savoir Osculetur me osculo, etc. Les répons, les antiennes et les leçons sont tirés du même livre. Ce livre traite de l’amour, parce que la Vierge, dans sa chair, eut un amour supérieur à celui de toute créature vivante dans la chair, excepté le Christ. C’est pourquoi, à cause de la charité excellente qu’elle eut sur la terre, elle a mérité de monter au-dessus des anges ; car vivre dans la chair, comme si l’on était hors de la chair, ce n’est pas une vie terrestre, mais une vie céleste.

IV. Cette fête convient bien à la saison d’été, parce que la charité monte par la chaleur du feu. On lit et l’on chante encore des extraits du Cantique d’amour, parce que la bienheureuse Vierge figure l’Eglise. Car, de même qu’elle est mère, vierge et épouse, de même aussi l’Eglise est la mère des saints, elle a le nom de vierge et d’épouse ; elle est vierge, dis-je, par l’esprit et la foi qui l’emportent sur la virginité de la chair ; épouse, puisqu’elle est l’épouse du Christ. C’est pourquoi l’Apôtre dit : « J’ai promis de vous donner à un seul époux, au Christ, comme des vierges chastes. » Or, il en est qui disent qu’on doit lire la moitié du Cantique jusqu’à l’octave, et réserver l’autre moitié jusqu’à la Nativité de la même Vierge. Joignez à cela que vers cette fête on lit très-convenablement les livres de Salomon, et qu’on fait précéder les antiennes de certains petits versets, comme il a été dit dans la sixième partie, au chapitre du Dimanche de la Trinité. Dans le Concile de Chalcédoine, que tint le bienheureux Léon, il fut statué que la vierge Marie serait appelée mère de Dieu. Cependant d’autres disent que ce fut dans le Concile d’Ephèse, tenu par ordre du pape Célestin Ier.

V. Remarque encore que l’épître ou l’écrit du bienheureux Jérôme, qui commence ainsi : « Vous me contraignez, ô Paule et Eustochie, etc., » que certains lisent dans l’église, est dite en cette fête, mais ne doit l’être que dans le réfertoire ou capitule, parce qu’elle fut composée pour cela. On dit aux heures le capitule In omnibus requiem quœsivi ( Eccles., chap. xxiv). A la vigile de l’Assomption, on dit l’épître Ab initia, et ante secula (Eccles., chap. xxiv). D’autres églises disent Ego quasi, tirée du même livre. L’évangile est : Exurgens Maria (Luc, chap, i). D’autres églises disent : Loquente Jesu ad turbas (chap. xi). L’offertoire est : Oratio mea munda (Job., chap. xvi). Au reste, à la messe du jour, on lit l’épître In omnibus requiem quœsivi, « J’ai cherché le repos en tout ; » car en tout et partout elle a cherché la vie éternelle, et c’est pourquoi elle l’a obtenue. Suivent ces mots : Et qui creavit me, etc., « Et mon créateur s’est reposé dans mon tabernacle ou ma tente, » c’est-à-dire dans mon sein. Et comme le Seigneur s’est reposé dans le soin de la bienheureuse vierge Marie, c’est pourquoi il lui a donné, lui aussi, son tabernacle, c’est-à-dire le ciel. Et comme la Vierge a élevé à Dieu un trône sublime et illustre, c’est pourquoi elle dit elle-même : « Mon ame glorifie le Seigneur ; » et il est dit dans le troisième livre des Rois (chap. x) : « Le roi Salomon éleva un trône magnifique en ivoire. » De même aussi, le Seigneur lui a fait un trône magnifique dans le ciel, en l’élevant au-dessus des anges.

VI. On lit l’évangile de Marthe et Marie, savoir Intravit Jesus (Luc, chap. x), qui, au premier abord, ne paraît point convenir au sujet et qui cependant lui convient bien, dans le sens allégorique. Car Jésus entra dans un certain château ou dans une certaine bourgade, quoddam castellum, c’est-à-dire dans la bienheureuse Vierge, qui est appelée castellum (château fort), car elle est redoutable aux démons, et s’est fortifiée soigneusement contre les démons et les vices. Or, elle est appelée castellum, qui est un diminutif, à cause de son humilité ; on dit quoddam, « un certain, » parce qu’elle est unique, et que jamais on n’en vit et on n’en verra jamais une semblable. Marthe, c’est-à-dire la vie active, reçoit le Seigneur. Car la Vierge, avec les soins les plus empressés, nourrit son fils et le porta en Égypte. Et d’abord elle fit ses preuves dans la vie active, en allant visiter Elisabeth et en la servant. Et de même qu’elle fut Marthe dans la vie active, de même aussi elle fut Marie-Madeleine dans la vie contemplative. C’est pourquoi, dans un autre évangile, il est dit : « Marie conservait toutes ces paroles et les méditait dans son cœur. »

VII. Les deux sœurs, Marthe et Marie, désignent la vie active et la vie contemplative, qui se trouvèrent réunies au suprême degré dans la bienheureuse vierge Marie ; et c’est par là qu’elle reçut le Christ en elle-même, d’une manière sublime et pleine d’honneur, et souverainement agréable. Or, il faut remarquer qu’il y a quatre évangiles qui traitent de la bienheureuse vierge Marie.

VIII. Le premier est : Missus est angelus Gabriel, qui ne doit être dit que dans l’Avent du Seigneur et à son Annonciation. On peut chanter les trois autres toutes les fois que l’on chante une messe particulière, ou spéciale, ou propre en l’honneur de la Vierge, et cela indistinctement. Ce sont : Extollens vocem mulier, etc. ; Abiit Maria in montana ; etc. ; et Stabat juxta crucem, etc.

IX. Remarque encore que cette fête est jeûnable et a une octave, ce qui n’a pas lieu pour les autres fêtes de la Vierge ; car cette fête est la plus solennelle de toutes celles qui se célèbrent en son honneur. De même, pour tout autre saint, la fête de la mort est plus grande que toute autre que l’on peut célébrer en son honneur (parce qu’il est passé de la misère à la vie), excepté pour saint Jean-Baptiste.

X. La légende de la Vierge indiquera pourquoi on recueille et bénit les herbes en cette fête. C’est que la bienheureuse Marie est comparée à la rose et au lis ; d’où ce vers :

Le buisson de Judée a donné naissance à la rose Marie.

L’office de la bienheureuse vierge Marie doit être dit tous les jours, et solennellement le samedi, comme on a dit dans la sixième partie, au chapitre de l’Avent. Cependant, dans certaines églises on ne le dit pas, depuis le Jeudi saint de la Cène du Seigneur jusqu’à l’octave de la Pentecôte, alléguant pour motif qu’alors, dans l’Église, tout doit être court. Pourtant on lit qu’un certain prêtre qui, n’en sachant pas d’autre, célébrait tous les jours la messe de la bienheureuse Vierge, ayant été interdit par l’évêque, la bienheureuse Vierge en fit à ce dernier les plus graves réprimandes ; c’est pourquoi il releva ledit prêtre de son interdit[2] (13).

  1. Nous avons reproduit à la fin de ce volume, note 12, un petit poème faussement attribué par Jacques de Varagio à S. Jean l’évangéliste ; il est de S. Jean de Damas ou Damascène. Le moyen-âge l’a popularisé en le peignant sur ses verrières et en le sculptant aux flancs des églises dédiées à N. D.
  2. On sait assez de quelle dévotion nos rois de France ont entouré la Reine des Anges ; mais peu de personnes connaissent les termes du fameux vœu de Louis XIII, qui déposa aux pieds de Marie son sceptre, sa couronne et son royaume ; vœu remis en vigueur par Louis XVIII. On trouvera donc avec intérêt ces deux pièces, sous la note 13, à la fin de ce volume.