Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 53
Après que le Seigneur eut salué les apôtres, comme nous l’avons vu, il leur dit pour la seconde fois : « La paix soit avec vous. » Nous montrerons que, non-seulement nous devons avoir la paix dans la bouche, mais encore dans le cœur, de peur que nous ne soyons du nombre de ceux qui parlent de paix avec le prochain et qui pensent du mal dans leurs cœurs. C’est pourquoi, quand le Christ eut ainsi parlé à ses apôtres, il souffla sur eux et dit : « Recevez le Saint-Esprit. »
I. Pour désigner cela, après avoir fait le mélange et dit l’oraison, le prêtre, dans certaines églises, reçoit la paix de l’eucharistie ou du corps même du Seigneur ; ou, selon d’autres, du sépulcre même, c’est-à-dire du calice ou de l’autel ; ensuite, il donne un baiser sur la bouche au ministre, c’est-à-dire au diacre. Ceux qui reçoivent du corps même ce baiser le font pour marquer que la paix spirituelle a été donnée par le Christ au genre humain. D’autres encore désignent la même chose. Alors le diacre donne la paix aux autres, qui se la donnent entre eux, pour marquer que tous doivent avoir la paix, surtout les enfants de l’Église. Et le diacre lui-même, en recevant la paix du prêtre, s’incline avec respect et baise la poitrine du prêtre. Suivant la coutume de certaines églises, il étend la planète[1] ou chasuble, afin que, par le baiser de paix et l’extension de la planète, qui désigne la charité, comme on l’a dit dans la troisième partie, il montre que la charité doit se répandre. Or, comme la charité de Dieu est répandue dans nos cœurs par l’Esprit saint qui nous a été donné, c’est pourquoi le baiser de paix s’étend à tous les fidèles de l’Église ; car l’Apôtre le recommande : « Saluez-vous, dit-il, en vous donnant un saint baiser. »
II. L’action du prêtre de donner la paix au peuple a été préfigurée par Josué qui, après avoir vaincu les ennemis, obtint la terré promise, qu’il partagea d’après le sort et qu’il posséda en paix. Et le Christ ressuscitant, après avoir vaincu le diable, donna aux hommes la paix et des dons. Or, le pontife commence par donner la paix au ministre, qui d’abord était à sa gauche, mais qui, pour recevoir la paix, a passé à sa droite, qui désigne les gentils qui, les premiers, sont passés dans la paix, quittant la gauche de l’infidélité pour passer à la droite de la foi et de l’éternité, et, par le diacre, la paix se transmet au peuple.
III. Au reste, dans la primitive Église, tous ceux qui assistaient à la célébration de la messe avaient coutume de communier chaque jour, parce que les apôtres burent tous du calice, le Seigneur leur ayant dit : « Buvez-en tous » (De consec., d. ii, Non iste). Car on offrait un grand pain suffisant pour tous, coutume que les Grecs, dit-on, conservent encore. Mais, le nombre des fidèles venant à croître, il est de tradition qu’il fut établi qu’on ne communierait que le dimanche (Ead. d., Quotidie), comme on l’a vu à la particule septième du canon, à ces mots : Hœc quotiescumque. Dans la suite, vu l’impossibilité d’observer dignement cette loi, on en suivit une troisième, qui enjoignait à tout chrétien de recevoir l’eucharistie au moins trois fois l’an. Et, si on ne le fait pas plus souvent, on est tenu aujourd’hui de communier au moins à Pâques. (Extra De pœnitentia et remissione), ce remède ayant été imaginé afin que, comme on recevait l’eucharistie chaque jour, on reçût chaque jour le baiser de paix, comme pour en tenir lieu et pour le ministère de l’unité. Car le prêtre, dans certains endroits, en donnant la paix au ministre, dit : « Recevez le lien de la paix et de l’amour, afin de vous préparer aux trois saints mystères, » comme s’il disait : « Prenez-en tous, et partagez entre vous. » Et, pour remplacer la communion qui avait coutume de se faire tous les dimanches, on donna tous les dimanches le pain béni (22), qui est comme le vicaire ou remplaçant de l’eucharistie, et qui est aussi appelé {{lang|grc|eulogia}, eulogie. Mais de plus, pour remplacer la communion quotidienne, on dit en carême, sur le peuple, à la fin de la messe, une prière que l’on fait précéder de cette formule : « Humiliez vos têtes devant Dieu. »
IV. Or, le peuple se donne le baiser pendant la messe : premièrement, parce que (et nous l’avons déjà dit), comme nous avons été réconciliés au Très-Haut, après avoir été purifiés de nos péchés par l’immolation de la victime salutaire, c’est avec raison que l’Église a voulu qu’on se donnât le baiser de paix, lorsque l’hostie salutaire est immolée pour nos péchés. Les hommes se donnent donc mutuellement le baiser, c’est-à-dire le signe de la paix, pour montrer qu’ils sont unis dans le corps du Christ, par lequel la paix a été faite dans le ciel et sur la terre.
V. Deuxièmement, le pape Innocent Ier, qui statua qu’on se donnerait le baiser de paix dans l’église, ce que le pape Léon II avait déjà décrété (De consec., d. Pacem), s’exprime ainsi : « Vous désignez avant la consommation, c’est-à-dire avant la consécration des saints mystères, certains fidèles, pour donner le signal de la paix au peuple, ou bien vous faites en sorte que les prêtres se la donnent entre eux ; car, après toutes les choses, c’est-à-dire après la consécration, que je ne dois pas découvrir, c’est-à-dire que je ne peux pas découvrir, la paix doit nécessairement, c’est-à-dire à cause du mystère, être déclarée, par laquelle, c’est-à-dire parce que c’est par elle qu’il est constaté que le peuple a donné son assentiment à tout ce qui a eu lieu dans les saints mystères et a été célébré dans l’église, et dont l’achèvement ou la fin est désignée par le signe de la paix, qui les conclut ou les termine. »
VI. Troisièmement, le peuple se donne le baiser de paix, parce qu’il se félicite d’avoir mérité la grâce du Seigneur et d’être uni avec les anges par la mort de Jésus-Christ. Quatrièmement, dans ce baiser, la chair s’unit à la chair, et l’esprit à l’esprit, afin que nous, qui sommes unis par les liens du sang, par notre commune origine en Adam, nous soyions aussi unis par les liens de la charité. Ceux donc qui s’embrassent en se haïssant imitent le baiser du traître Judas.
VII. Cinquièmement, à cause du précepte de l’Apôtre dont nous avons déjà parlé. Nous nous donnons encore la paix avant que de communier, pour montrer que la concorde subsiste entre nous, et que nous prenons le corps du Seigneur dans cet esprit d’union, sans lequel nos présents ne sont pas reçus par le Seigneur.
VIII. Or, à la messe pour les morts, on ne donne pas la paix, parce que les âmes des fidèles ne sont déjà plus et ne seront plus désormais au milieu des désordres de ce monde ; mais déjà elles se reposent dans le Seigneur. D’où vient qu’elles n’ont pas besoin du baiser de paix, qui est le symbole de la paix et de la concorde. C’est pourquoi, dans cette messe, on ne dit point l’oraison : « Seigneur Jésus, qui as donné la paix à tes apôtres, etc., » et le prêtre ne reçoit pas la paix de l’autel. Nous parlerons de cela dans la sixième partie, au chapitre de l’Office des morts. De là vient que, même entre les moines, la paix ne se donne pas, parce qu’ils sont censés morts au monde (De consec., d. ii, Pacem).
IX. Les hommes et les femmes ne se donnent pas le baiser de paix dans l’église, de peur qu’il ne s’y glisse quelque indécence, parce que là on doit éviter les embrassements charnels, et les actes doivent être chastes et spirituels. C’est ce qui fait que les hommes sont séparés des femmes dans l’église.
La paix chasse la haine, la paix nourrit un chaste amour.
X. Le baiser, dans l’Écriture sainte, signifie certainement l’union, la charité, la paix, le respect. Touchant le baiser de l’union, l’épouse dit dans le Cantique des cantiques : « Il me donnera un baiser de sa bouche. » Sur le baiser de la charité, Isaac dit à son fils : a Approche-toi de moi, mon fils, et donne-moi un baiser. » Sur le baiser de paix, l’Apôtre dit : « Saluez-vous mutuellement dans un saint baiser. — Dieu est un Dieu de paix et d’amour, etc. » Touchant le baiser respectueux, le Seigneur dit à Simon : « Tu ne m’as pas donné le baiser, et cette femme, depuis le moment où je suis entré chez toi, n’a cessé de me baiser les pieds. » Et Esther, en signe de respect, baisa, dit-on, l’extrémité du sceptre royal. Donc, pour désigner les trois unions dans le Christ, c’est-à-dire l’union de la divinité à l’ame, de la divinité à la chair, de la chair à l’ame, ou l’union qui a uni au Christ la nature humaine, la sainte Eglise et l’ame fidèle, le prêtre baise trois fois l’autel, comme on l’a vu à la quatrième particule du canon, à ces mots : Diesque nostros, pour désigner la triple paix temporelle, spirituelle et éternelle.
XI. L’évêque célébrant solennellement, d’après la coutume de certaines églises, donne trois baisers : un au ministre, l’autre au diacre et le troisième au prêtre (23). Dans la messe, on prie aussi trois fois pour la paix, comme on l’a dit à ces mots : Diesque nostros.
XII. L’évêque baise encore deux fois le Missel, pour marquer l’accord des deux Testaments, parce que la roue se trouve (renfermée) au milieu de la roue, et que les deux chérubins se regardent le visage tourné vers le propitiatoire. Pour marquer encore la charité, le prêtre baise la patène, symbole du cœur dilaté (patens) par la charité. D’où ces paroles : « Notre cœur n’était-il pas brûlant en nous pendant qu’il nous parlait dans le chemin ? » Pour marquer le respect, le sous-diacre et le diacre baisent les pieds et les mains du souverain-pontife. Le sous-diacre baise le pied après la lecture de l’épître, et le diacre avant de lire l’évangile. Le sous-diacre baise la main en offrant la burette qui contient l’eau, le calice et le vin, et le diacre en offrant la patène avec l’hostie, et l’encensoir avec l’encens. L’un et l’autre reçoivent aussi l’eucharistie de la main du souverain-pontife, comme on le verra au chapitre suivant.
XIII. Ce n’est pas non plus sans quelque signification mystérieuse que le souverain-pontife reçoit le baiser de sept manières, c’est-à-dire à la bouche, à la poitrine, à l’épaule, aux mains, aux bras, aux genoux et aux pieds.
- ↑ C’est-à-dire la fait retomber sur les bras. Pour comprendre ce symbolisme, il faut se rappeler que l’ancienne chasuble, dont le vêtement actuel du même nom donne une si pauvre idée, couvrait entièrement le prêtre, et figurait ainsi la charité, qui couvre la multitude des péchés.