Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 46

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 327-340).


CHAPITRE XLVI.
DE LA ONZIÈME PARTIE DU CANON.


Nobis quoque est la onzième partie du canon : et cette prière s’étend jusqu’à Per omnia secula seculorum.

I. Le prêtre, en prononçant ces paroles, élève un peu la voix, frappe sa poitrine et rompt ainsi le silence pour marquer la contrition et la confession du larron qui reprenait l’autre larron, à cet article de la passion du Seigneur, et disait : « Pour nous, nous recevons le châtiment mérité par nos crimes, mais celui-ci n’a fait aucun mal ; » et il disait à Jésus (Luc, xxiii) : « Seigneur, souviens-toi de moi quand tu seras dans ton royaume ; » à cause de quoi Jésus lui dit : « En vérité, je te le dis : aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. »

IL Cette action du prêtre d’élever la voix et de se frapper la poitrine signifie encore que le centurion et ceux qui étaient avec lui, voyant les prodiges qui se faisaient, furent saisis d’une grande crainte et dirent : « Celui-ci était vraiment le Fils de Dieu ; » et toute la foule de ceux qui étaient présents s’en retournait en se frappant la poitrine. Or, les amis de Jésus et les femmes qui l’avaient suivi depuis la Galilée se tenaient éloignés, voyant ce qui se passait. Ces derniers symbolisent les ministres, c’est-à-dire le diacre et le sous-diacre, qui se tiennent derrière le prêtre, et qui, à cette parole : Nobis quoque, lèvent la tête et se tournent en face du prêtre ou de l’évêque.

III. Or, l’unique fois que le prêtre frappe sa poitrine (selon l’Apôtre, aux Romains, vii), il marque que le Christ est mort une fois pour nos péchés. C’est avec trois doigts seulement, sans le pouce ni l’index, ce qui signifie que la Trinité se trouve dans l’unité ; cette action du prêtre désigne aussi quelquefois la pénitence, comme on l’a dit au chapitre de la Confession.

IV. Peccatoribus. Il parle ainsi, parce que « si nous disons que nous n’avons pas de péchés, nous nous séduisons nous-mêmes, et la vérité n’est pas en nous (De pœ., dist. ii. Si enim, inquit). Car, bien qu’en tout temps nous devions, de cœur, nous reconnaître pécheurs (v. g., dist. Testamentum), cependant nous devons principalement le faire lorsque nous célébrons le très-saint mystère pour la rémission des péchés.

V. De multitudine miserationum tuarum sperantibus, « Espérant en ta miséricorde infinie, » d’après ce que dit le Psalmiste : « Selon la multitude de tes miséricordes, détruis mon iniquité. Et remarque que Dieu n’a qu’une seule miséricorde, qui n’est autre chose que Dieu miséricordieux ; mais il possède un grand nombre d’affections qui sont appelées miserationes, « commisérations, sentiments de pitié. » D’où il est dit : « Souviens-toi, Seigneur, de tes commisérations et de tes miséricordes, qui sont éternelles. » Partem aliquam et societatem donare digneris, « Daigne nous donner quelque part et quelque société, etc. » Mais, comme Dieu est tout pour tous, c’est-à-dire le salut, la récompense et la gloire de chacun, d’après ces paroles : « Je suis le salut du peuple, » que signifie aliquam partem, etc., comme si tous ne devaient pas recevoir le même denier ?

VI. Sans doute, quoique la récompense de chacun soit une seule et même chose, c’est-à-dire Dieu lui-même, dans la connaissance duquel consiste le salut éternel, d’après ce qu’il dit lui-même en l’Évangile : « Cette vie éternelle est pour qu’ils te connaissent vrai Dieu, et qu’ils connaissent celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ; » cependant, selon la différence des mérites, les élus jouissent de la vue de Dieu, les uns plus, les autres moins ; car une étoile diffère d’une autre étoile en clarté, et c’est pour cela que le Seigneur lui-même dit : « Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père céleste » (De pœ., dist. iv, In domo) ; de même qu’il n’y a qu’un seul soleil à la lumière duquel tous participent, les uns plus, les autres moins, selon la différence des vues.

VII. Cum Joanne, Stephano, Mathia, Barnaba ; « Avec Jean, Etienne, Mathias, Barnabé. » Dans cette seconde commémoration des saints, on supplée en grande partie à ce qui semblait manquer de saints primitifs dans la première partie. Mais pourquoi saint Jean est-il répété et pourquoi saint Etienne lui est-il associé avant les apôtres Mathias et Barnabé, qui sont passés sous silence ? A cela on peut répondre que saint Jean est placé dans la première commémoration et mentionné avec les autres, à cause de la dignité de l’apostolat ; mais, dans la dernière, son nom est répété et associé avec celui de saint Etienne, à cause du privilège du célibat, car ils sont vierges et suivent l’Agneau partout où il va ; voilà pourquoi ils sont placés avant les autres ; car la virginité de Jean est surtout recommandée par ce fait que le Christ, sur la croix, confia sa mère vierge à son disciple vierge, « et à partir de cette heure le disciple la considéra comme sa mère. » Or, la virginité de saint Etienne est surtout prouvée par ce fait, qu’il fut choisi pour remplir, sous la direction des apôtres, le ministère auprès des veuves, et, en ce qu’il fut chargé de servir les femmes, il mérita le témoignage de la plus irréprochable chasteté. Or, par saint Jean on pourrait entendre, non saint Jean l’évangéliste, mais saint Jean-Baptiste, si ce nom n’était précédé de ces mots : cum tuis sanctis aposlolis et martyribus, « avec tes saints apôtres et martyrs, » par où l’on est convaincu qu’il ne s’agit que des apôtres et des martyrs, quoique l’on pourrait à juste titre compter Jean-Baptiste au nombre des martyrs. Le prêtre énumère donc les saints dont il demande la société, parce que le prêtre de l’ancienne loi avait par écrit les noms des enfants d’Israël, comme on l’a vu ci-dessus. Et remarque qu’en cet endroit se trouvent désignés huit hommes et sept femmes, attendu que, par ce sacrifice, les sept dons de la grâce et les huit béatitudes s’unissent en nous.

VIII. Suivent ces mots : non œstimator meriti, « sans avoir égard aux mérites, » parce que Dieu ne nous récompense pas suivant la mesure de nos mérites, mais il nous punit moins sévèrement et nous rémunère plus largement que nous ne le méritons. D’où ces paroles du Psalmiste : « Dieu ne nous punit pas suivant nos péchés et ne nous charge pas suivant nos iniquités. » Et ailleurs il dit : « Et ils rapporteront dans votre sein une bonne mesure, une mesure pleine, pressée et surabondante. » — Per Christum Dominum nostrum, « Par le Christ notre Seigneur. » Ici, on ne répond pas Amen, tant parce que les anges, qui assistent toujours au sacrifice, répondent eux-mêmes, comme on l’a dit à la fin de la troisième partie, que parce que ces mots se disent à voix basse et que les ministres ne peuvent les entendre, ou bien encore parce que les paroles suivantes : Per quem hæc omnia leur sont unies et en dépendent de telle sorte qu’on ne peut rien interposer. Or, c’est en cet endroit que l’on bénit les raisins, comme on le dira dans la sixième partie, au Jeudi saint, où l’on traite de l’office du jour. Dans le canon des apôtres, inséré dans Bucard (lib. v, c. Offert.), on lit ce qui suit : « Qu’on n’offre rien à bénir à l’autel, excepté des épis nouveaux ou des raisins, de l’huile, des fèves et des parfums à brûler, dans le temps qu’on célèbre la sainte oblation. »

IX. Suivent ces mots : Per quem hæc omnia, etc. Le prêtre dit omnia, parce que tout a été créé par le Fils. D’où saint Jean dit : « Tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui. Et Dieu vit tout ce qu’il avait fait, et il trouva que tout était très-bon. » Creas signifie donc en formant la nature ; sacrificas, en consacrant la matière ; vivificas, en transsubstantiant la créature ; benedicis, en accumulant la grâce. Or, ces mots hæc omnia ne sont qu’un simple pronom démonstratif, nécessité par la confusion du temps du verbe ; car le temps présent obscur n’a pas l’acception du présent. Et voici le sens des paroles sus dites, hæc omnia, « toutes ces choses, c’est-à-dire le pain, le vin et l’eau ; tu les crées toujours bonnes quant aux causes normales primordiales ; tu les sanctifies selon les causes sacramentelles ; tu les vivifie, afin qu’elles se changent en la chair et au sang ; tu les bénis, pour qu’elles conservent l’unité et la charité. »

X. De plus, en disant sanctificas, il marque que tout ce qui est sanctifié est sanctifié par la grâce du Christ. Nous avons tous reçu de sa plénitude ; d’où saint Jean dit (c. xvi) : « Mon Père, sanctifie-les dans la vérité, » c’est-à-dire dans le Fils. En disant vivificas, il signifie que tout ce qui est vivifié l’est par le Fils (Joan., ii) ; d’où on lit dans saint Jean : « Je suis la voie, la vérité et la vie » (VIII, d. Qui contempta). En disant benedicis, il insinue que la bénédiction céleste nous est donnée par le fruit béni de la Vierge ; ou bien encore : creas, tu crées ces choses pour qu’elles existent ; tu les sanctifies, en les dirigeant vers toi ; tu les vivifies, en les animant ; tu les bénis, pour qu’elles soient utiles, et tu nous les donnes pour qu’elles nous servent. Le prêtre fait trois croix en prononçant ces paroles : sanctificas, vivificas, benedicis. Ces croix représentent l’Eglise primitive, qui reçut la foi à la Trinité. Mais nous donnerons bientôt à ce sujet une explication différente. Lorsque le prêtre est sur le point de dire et præstas nobis, le diacre enlève le corporal de dessus le calice, pour marquer que, lorsque le Christ rendit l’esprit, le voile du temple fut déchiré depuis le haut jusqu’en bas, et alors nous furent manifestées les choses mystérieuses et obscures de l’ancienne loi, comme il est dit dans l’Evangile, au sujet de certaines choses comme celle-ci : « Et cette parole était cachée pour eux. » Mais elles nous furent révélées lorsque le Christ, après avoir pris le vinaigre, s’écria : « Tout est consommé. » Et après que le calice a été découvert, le prêtre, prenant l’hostie dit : et præstas nobis.

XI. Or, nous avons vu qu’on ne sait pas bien pourquoi le calice est couvert, et non l’hostie ; on peut en donner quatre raisons. Premièrement, à cause du danger où se trouve le sang de recevoir plus facilement une impureté que l’hostie. Secondement, parce que le calice et le sang signifient plus précisément la passion du Christ que l’hostie ; d’où ces paroles du Christ : a Mon Père, si c’est possible, fais que ce calice s’éloigne de moi. » Et dans le canon, l’acte de l’effusion est placé dans la forme du sang, comme ici : qui pro vobis effundetur. Et, comme le calice et le sang indiquent mieux que le corps la mort du Christ, c’est pour cela que, de même que le Christ mort fut couvert d’un linceul et d’une pierre, de même aussi le calice est couvert d’un voile, et le sang renfermé dans le calice et couvert du corporal. Troisièmement, le sang dans le calice couvert représente le corps du Christ dans un sépulcre fermé est scellé ; et l’hostie représente le corps du Christ hors du sépulcre. Quatrièmement, le sang du Christ dans le calice couvert représente le corps du Christ enveloppé dans un suaire : Or, ce n’est pas l’hostie qui le représente enveloppé dans le suaire.

XII. Suivent ces paroles : per ipsum. Ainsi, sans interposition d’aucune parole ni d’aucun temps, réunis les formules susdites : Per Christum Dominum nostrum, perquem hœc omnia, et en cet endroit tu marques un point. Et prœstas nobis ; la lettre est claire. Dis donc : « Par le Christ ; » c’est-à-dire comme par un médiateur qui s’adresse à son égal, parce que le Christ est égal à son Père. Il est en lui comme lui étant consubstantiel, ou bien il est en lui, c’est-à-dire dans ses membres. Car dans le Père, on remarque l’autorité, parce qu’il est le principe ; dans le Fils, l’égalité, parce qu’il est le milieu ; et dans le Saint-Esprit, la communauté, parce qu’il est le lien du Père et du Fils.

XIII. Or, le Vendredi saint, le Christ fut crucifié, à la troisième heure, par les cris des Juifs, comme le raconte saint Marc ; à la sixième heure, par les mains des Gentils, ce que raconte saint Jean ; et, vers la neuvième heure, ayant incliné la tête, il rendit l’esprit. Or, pour rappeler le crucifiement fait à la troisième heure par les clameurs des Juifs, qui crièrent trois fois : « Crucifie-le, crucifie-le ; » puis ensuite : « Prends-le, prends-le, crucifie-le ; » le prêtre fait trois croix sur l’hostie et sur le calice en disant : sanctificas, vivificas et benedicis. Pour rappeler le crucifiement, qui eut lieu trois heures après, par les mains des Gentils, lorsque les soldats crucifièrent Jésus, le prêtre fait encore trois croix avec l’hostie sur le calice, à ces trois mots : per ipsum, et cum ipso, et in ipso.

XIV. Ensuite, pour désigner la division de la chair et de l’ame du Seigneur mourant, il fait deux croix avec l’hostie même sur le bord du calice, en disant : est tibi Deo Patri omnipotenti in unitate Spiritus sancti. Quoique, dans le Christ, il y ait trois substances unies, c’est-à-dire la divinité, le corps et l’ame, deux seulement, c’est-à-dire le corps et l’ame, ont été divisées dans la mort ; mais la divinité n’a été divisée et séparée ni de l’une ni de l’autre ; c’est pour cela que la mort du Seigneur n’est pas désignée par trois croix, mais par deux seulement.

XV. Au reste, le prêtre, en faisant ces croix, étend les mains sur la table de l’autel, parce que le Christ étendit ses mains sur l’autel de la croix, d’après cette parole prophétique d’Isaïe : « J’ai étendu mes mains vers le peuple qui ne croyait pas en moi. »

XVI. Secondement, encore les trois croix ci-dessus faites avec l’hostie sur le calice découvert signifient les trois tortures que le Christ endura sur la croix nue ; c’est-à-dire la passion, la propassion (pati, souffrir ; pro, pour) et la compassion ; la passion dans son corps, la propassion dans son ame, la compassion dans son cœur. Touchant la passion du corps, le Seigneur dit par le Prophète : « O vous tous qui passez par ce chemin, soyez attentifs, et voyez s’il est une douleur égale à la mienne ; car ils ont perce mes mains et mes pieds, et ils ont compté tous mes os. » Touchant la passion de l’ame, le Seigneur dit à ses apôtres : « Mon ame est triste jusqu’à la mort ; » car Jésus commença à être saisi d’ennui et de frayeur : il commença à être triste et abattu. Touchant la compassion de son cœur, il pria son Père pour ses bourreaux, en disant : « Mon Père, pardonne-leur ; ils ne savent ce qu’ils font. » Car s’ils l’eussent connu, ils n’eussent jamais crucifié le Seigneur de gloire. Et c’est pour cela que le prêtre fait ces croix avec l’hostie sur le calice, parce que le Christ souffrit ces tourments dans son corps, sur le gibet de la croix. Car le calice désigne la passion, comme on l’a déjà dit, etc.

XVII. Troisièmement, les trois croix faites avec l’hostie sur le calice désignent la foi du centurion, disant (dans saint Mathieu, xxvii) : « Celui-ci était vraiment le Fils de Dieu. » Et ainsi il ne connut qu’une seule personne dans la Trinité, c’est-à-dire le Christ, Dieu et homme. Les deux croix qui se font sur le bord ou sur le côté du calice désignent les deux sacrements qui s’échappèrent du côté du Christ, c’est-à-dire l’eau de la régénération et le sang de la rédemption, d’après le témoignage de saint Jean : « Un des soldats ouvrit de sa lance le côté de Jésus, et aussitôt il en sortit du sang et de l’eau ; » et c’est pour cela qu’immédiatement après ces deux croix, dans certaines églises, on touche le côté du calice avec l’hostie, ce qui désigne l’ouverture du côté du Christ par la lance du soldat. Quatrièmement, les trois croix susdites se font dans certaines églises, et c’est avec raison.

XVIII. La première, qui se fait à per ipsum, a lieu sur le bord extérieur du calice, pour signifier que Dieu est en dehors de toute chose, mais pourtant sans exclusion. La seconde, qui se fait aux mots cum ipso, a lieu un peu au-dessous de la première, c’est-à-dire d’un bord à l’autre du calice, pour marquer que Dieu est au-dessus de toutes choses sans élévation. La troisième, qui se fait à in ipso, a lieu à l’ouverture du calice, au milieu de sa concavité, pour indiquer que Dieu se trouve entre toutes choses, mais sans être renfermé dans aucune. La quatrième, qui a lieu au mot Deo Patri, se fait d’une manière diamétrale, à partir du milieu, d’un bord du calice, en venant aboutir en droite ligne à l’autre bord, qui se trouve en face du prêtre, pour signifier que toutes les choses qui se font d’une manière mystérieuse, dans le sacrifice de la messe, seront exposées à nos yeux à la fin des temps. La cinquième, qui se fait à ces mots : in unitate Spiritus sancti, a lieu au côté du calice, entre le calice et le prêtre, c’est-à-dire en descendant depuis la partie supérieure jusqu’à la partie inférieure, pour marquer que Dieu est au-dessus de toutes choses, et qu’il ne peut être ni comprimé ni renversé. Certains prêtres cependant réduisent ces deux dernières croix à une seule. Cinquièmement, les trois croix sus-mentionnées signifient les trois tortures que subit le Christ à trois époques différentes, c’est-à-dire : avant sa mort, les soufflets, les verges, les crachats et autres de cette espèce ; pendant sa mort, le crucifiement ; après sa mort, la plaie de son côté. La première croix signifie le premier supplice ; la seconde désigne le second ; la troisième marque le troisième. Mais la quatrième signifie la séparation de l’ame du Christ d’avec son corps ; la cinquième, sa descente dans les limbes ou le supplice de ses pieds. Sixièmement, il y a cinq espèces de signes de croix qui se font avant le sixième, c’est-à-dire avant que le prêtre touche le calice avec l’hostie. Or, si les deux derniers sont réduits à un seul, les cinq signes qui restent symbolisent les cinq âges du monde qui se sont écoulés avant la naissance du Christ. Or, le sixième signe, c’est-à-dire l’attouchement du calice avec l’hostie, signifie le sixième temps, qui s’étend depuis la naissance du Christ jusqu’à la fin du monde. Car le seul attouchement lui-même signifie que le Seigneur est une fois monté sur la croix pour finir sa vie mortelle. Mais la réalité de tout ceci est la torture par où passaient tous les hommes pendant les cinq siècles sus-énoncés.

XIX. Il faut donc remarquer que l’on fait sept fois des signes de croix sur le sacrifice pendant le canon. La première fois, on en fait trois, en disant : hœc dona, hœc munera, etc. La seconde fois, on en fait cinq, en disant : quam oblationem tu Deus, etc. La troisième fois, on en fait deux, dont un en disant : qui pridie, etc. ; tibi gratias agens benedixit ; et l’autre à ces mots ; Simili modo, à cet endroit : item gratias agens. La quatrième fois on en fait cinq, en disant : hostam puram, etc. La cinquième fois, on en fait deux, à ces mots : sacrosanctum Filii tui corpus, etc. La sixième fois, on en fait trois, à ces mots : sanctificas, vivificas, etc. La septième fois, on en fait cinq, à ces mots : per ipsum, comme on l’a dit en son lieu. Donc, dans ces sept fois, le sacrifice reçoit deux fois deux signes, deux fois trois, deux fois cinq, et la septième il en reçoit deux et trois.

XX. Ce qui, tout réuni, = 5 X 5 =25, nombre qui, élevé au carré, conserve toujours la même racine, quand même on le multiplierait jusqu’à l’infini. Car, quelle que soit la multiplication du sacrement de l’eucharistie, il est toujours le même sacrifice. S. Augustin, cependant (De consec., dist. ii, Semel), dit que, si l’on ne faisait qu’un signe de croix sur le pain et le vin, cela pourrait suffire, parce que le Soigneur n’a été crucifié qu’une fois. De plus, dans ce sacrement, les cinq sens du corps, la vue, l’ouïe, le goût, l’odorat et le toucher entrent en exercice par la couleur, la saveur, l’odeur, la fraction et la manducation, afin que les cinq sens spirituels de l’ame soient comblés Ces cinq sens spirituels, ce sont : la vue de l’intelligence, l’ouïe de l’obéissance, l’odorat du discernement, le goût de la charité et le toucher des œuvres. Au sujet de ces cinq sens, on trouve dans l’Évangile : « Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voici que j’en ai cinq autres de plus. » Mais le nombre deux et le nombre trois conviennent bien à ce sacrement ; le nombre deux à cause de la chair et du sang ; le nombre trois, à cause du pain, du vin et de l’eau. De même, le nombre deux convient, à cause de la double manière de prendre le sacrement, c’est-à-dire la manière sacramentelle, sous les espèces du pain et du vin, et la manière spirituelle, dans la foi du cœur. Le nombre trois convient, à cause des trois choses que l’on distingue dans ce sacrement, c’est-à-dire la forme visible du pain et du vin, la réalité du corps et du sang, et la vertu spirituelle de l’unité et de la charité, ce dont nous avons parlé dans la sixième particule, à ces paroles : mysterium fidei. Afin que, de même que le nombre trois sert à former le nombre deux, de même la foi en la Trinité opère en nous par l’amour de Dieu et du prochain. On fait donc trois croix, qui forment quatre angles sur le sacrifice, parce que le Christ, attaché sur la croix, racheta les quatre parties du monde. Ces signes de croix sont partagés en sept ordres, pour marquer les sept dons du Saint-Esprit, qui sont nécessaires dans ce mystère. Et presque tous les signes, dans chaque ordre, sont disposés par nombre impair, parce que le corps du Christ, restant un, n’est pas divisé, comme pour signifier que tout honneur appartient au Seigneur et toute gloire à Dieu.

XXI. Suivent ces mots : Per omnia secula, etc. Non-seulement le signe de la croix, mais encore l’élévation de la voix, l’action de se frapper la poitrine, insinuent ce qui se passa au pied de la croix, comme on l’a dit à cette parole : Nobis quoque. Or donc, parce que Jésus, poussant un grand cri, rendit l’esprit, le prêtre, pour cette raison, élève la voix et un peu aussi le calice, en disant : Per omnia ; ou bien le prêtre élève la voix pour avertir le peuple que le canon est terminé, et afin qu’il réponde Amen ; ou bien, encore, parce que le centurion s’écria : « Celui-ci était vraiment le Fils de Dieu. » Or, parce que les femmes se lamentaient en pleurant le Seigneur, le chœur, comme se lamentant aussi, répond Amen, représentant les fidèles qui, le cœur contrit, pleuraient le Seigneur, comme jadis Adam et Eve poussaient des lamentations sur Abel tué par la fureur jalouse de son frère.

XXII. Ensuite le diacre s’avance, et, après avoir un peu élevé de l’autel le sacrifice, c’est-à-dire le calice avec le corps, il le dépose après, conjointement avec le prêtre, parce qu’on lit dans saint Jean (20) que Joseph d’Arimathie et Nicodème, après avoir obtenu de Pilate le corps de Jésus, le descendirent de la croix et l’ensevelirent. Le prêtre donc, en élevant le Christ, représente Nicodème, et cette élévation même indiqué le Christ détaché de la croix ; et la déposition du calice marque l’ensevelissement dans le sépulcre. Et remarque que le prêtre, en disant : Prœceptis salutaribus moniti, dépose en même temps sur l’autel le calice et l’hostie. Pour l’intelligence de cela, il faut se rappeler que le corps du Christ et son sang furent deux fois élevés et descendus le Vendredi saint : la première fois, ils furent placés sur la croix et élevés ensuite, puis déposés à terre après leur détachement de la croix ; la seconde fois ils furent élevés de terre, puis placés dans la sépulcre. La première fois est représentée dans la première élévation et la déposition du corps et du sang du Christ, qui a lieu aussitôt après leur consécration ; la seconde est représentée à l’élévation et à la déposition qui ont lieu à l’endroit dont nous parlons. C’est donc avec raison qu’en prononçant ces paroles on élève le corps et le sang et qu’on les dépose ensuite sur l’autel, pour marquer l’élévation du corps du Christ de la terre et sa déposition dans le sépulcre, parce que Joseph, qui le détacha de la croix et l’éleva de terre, le plaça aussi dans le sépulcre. Il avait été averti et instruit des préceptes salutaires du Christ, dont il était le fidèle disciple ; et on lit de lui dans saint Marc : « et il attendait aussi le règne de Dieu. » Or, on élève en même temps le corps et le sang consacrés, parce que Joseph lui-même, comme quelques-uns le disent, plaça en même temps dans le sépulcre le corps avec le sang. On tient aussi l’hostie avec quatre doigts pendant cette élévation.

XXIII. Car, comme nous attendons et comme nous avons besoin d’obtenir quatre choses principales par les mérites de la passion du Christ, c’est-à-dire la puissance contre le diable, l’humilité contre le monde, la chasteté à l’égard de notre propre corps, la soumission et l’amour par rapport à Dieu et à notre prochain, c’est donc avec raison, et pour représenter cela, que l’on tient l’hostie avec les quatre principaux doigts. Cependant certaines églises, dans les trois premières demandes de l’oraison dominicale, tiennent le calice élevé, et alors l’élévation du calice signifie autre chose, comme on va le dire. Dans quelques églises aussi, tandis que le calice est un peu élevé de l’autel, un enfant, se tenant le dernier derrière le diacre, porte une chape renversée [la tête en bas], pour désigner que la tête est devenue la queue, c’est-à-dire que les Juifs attendent le Messie ou le Christ, quoiqu’il soit déjà venu. Or, parce que Nicodème, après avoir enseveli le Seigneur, roula une grosse pierre à l’entrée du monument, le diacre, pour rappeler cette particularité, place le corporal sur l’ouverture du calice déposé sur l’autel ; et en enveloppant le calice avec le corporal, il représente Joseph, qui enveloppa le corps du Seigneur dans un suaire blanc.

XXIV. De plus, parce que le lieu du sépulcre est devenu un séjour de paix, le diacre, suivant la coutume de certaines églises, baise la table de l’autel ; et parce que la principauté est venue se placer sur les épaules du Christ, le diacre baise l’épaule droite du pontife, pour signifier, par ces deux actes, que le Christ s’est reposé et qu’il a vaincu après sa mort, comme il l’a prédit lui-même par le Psalmiste : « Mais, pour moi, je dormirai en paix et je jouirai d’un parfait repos. » Et ailleurs : « O mort ! je serai ta mort ; je serai ton aiguillon, ô enfer ! » Car le Christ, par la mort, a triomphé de la mort, « Parce qu’il a été obéissant jusqu’à la mort, et jusqu’à la mort de la croix, Dieu l’a exalté, etc. » Cela signifie encore que le Christ porta sa croix sur ses épaules. Secondement, le baiser que le diacre donne à l’épaule droite du prêtre signifie qu’il veut participer à ses travaux, afin de participer aussi à la rétribution éternelle. Troisièmement, cela signifie encore que Joseph, en déposant dans le sépulcre le corps du Christ, l’embrassa. Dans certaines églises, le prêtre, en cet endroit, baise aussi l’hostie, pour marquer que Nicodème fit la même chose que Joseph, ou plutôt pour indiquer que par la passion du Seigneur a eu lieu notre réconciliation. Après ce baiser, le diacre se retire derrière le prêtre, pour représenter que les saintes femmes, quand le Seigneur fut enseveli, s’éloignèrent du sépulcre.