Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 42

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 287-309).


CHAPITRE XLII.
DE LA SEPTIÈME PARTIE DU CANON.


I. Simili modo, etc. Ces paroles sont la septième partie du canon. Quoique le corps et le sang soient pris sous les deux espèces, cependant l’une et l’autre espèce est consacrée, et ni l’une ni l’autre n’est superflue (De cons., d. ii, Comperimus), afin que l’on voie que le Christ a pris la nature humaine, c’est-à-dire un corps et une ame pour racheter l’homme tout entier. Car le pain se rapporte à la chair, et le vin à l’ame, parce que le vin forme le sang, où réside l’ame (XIII, q. ii, Moses). D’où vient qu’on lit dans le Lévitique : Anima carnis in sanguine, « L’ame de la chair est dans le sang. » Moïse, de son côté, atteste que la chair est offerte pour le corps et le sang pour l’ame : c’est pourquoi le pain et le vin sont offerts en sacrifice pour la protection du corps et de l’ame ; qu’on ne prenne donc pas sous l’espèce du pain l’espèce du sang avec le corps, mais qu’on ne prenne le sang que sous son espèce particulière, avec la pensée qu’on ne peut parvenir au salut que de cette manière. Et, quoique sous l’espèce du pain le sang soit pris avec le corps, et que sous l’espèce du vin le corps soit pris avec le sang, selon Innocent III, cependant le sang n’est pas bu sous l’espèce du pain, et le corps n’est pas mangé sous celle du vin, parce que, comme on ne mange pas le sang et comme on ne boit pas le corps, ainsi ni l’un ni l’autre n’est bu sous l’espèce du pain ou mangé sous celle du vin, quoiqu’il paraisse que l’on peut accorder que le corps est pris en buvant et le sang en mangeant. Il est donc, d’après cela, une manière de prendre le corps et le sang par laquelle ni l’un ni l’autre n’est mangé ni bu. Et voilà pourquoi il est décrété avec raison, dans le canon (De consec., dist. ii, Comperimus) : « Que le prêtre ne prenne pas le corps du Christ, sans son sang. » C’est pour cela que dans certains endroits après que l’on a pris le corps et le sang du Christ, on réserve une partie du sang dans le calice et on verse par-dessus du vin pur, afin que les communiants eux-mêmes en prennent ; car il ne conviendrait pas de consacrer autant de sang, et on ne trouverait point de calice assez grand pour contenir une telle quantité de vin. Mais, par le contact du sang, le vin que l’on verse dessus devient-il sacrement ? Nous en parlerons à ce mots : Hic est calix.

II. Suivent ces paroles : Postquam cœnatum est, « Après qu’on eut soupé. » Ce fut dans la quatorzième lune du premier mois, vers le soir, que le Christ, selon la loi, célébra avec ses disciples la pâque typique, dont il avait dit : « J’ai désiré d’un vif désir de manger cette pâque avec vous avant que de souffrir. » En disant ces mots, il montra qu’il mettait fin à la pâque ancienne, et qu’il y substituait le sacrement de la pâque nouvelle ; car, prenant le pain, il le bénit, le rompit et le donna à ses disciples, en disant : « Prenez et mangez, ceci est mon corps qui sera livré pour vous ; » et il prit semblablement le calice, après qu’il eut fait la cène, en disant : « Buvez-en tous ; ceci est le sang du Nouveau-Testament, qui sera versé pour vous et pour beau coup, pour la rémission des péchés ; faites ceci en mémoire de moi. » Donc, instruits par cette institution, nous célébrons perpétuellement le sacrifice qui fut offert une fois pour notre rachat. En effet, là où la vérité a paru a cessé la figure ; car le Christ, après la cène, donna son corps et son sang à ses apôtres, afin que ce sacrement, comme étant la dernière volonté du testateur, se gravât plus profondément dans leur mémoire (De consec., dist. ii, Liquido). C’est pourquoi, en donnant son dernier testament à ses héritiers, il dit : « Vous êtes restés avec moi dans le temps de l’épreuve, et moi je vais préparer pour vous mon royaume, comme mon Père l’a préparé pour moi, afin que vous mangiez et buviez sur ma table, dans mon royaume. » Et, quoique les apôtres ne reçurent pas à jeun l’eucharistie, ils ne faut pas de cela, par une fausse interprétation, inférer que l’on doit recevoir ce sacrement après avoir mangé, comme faisaient ceux que blâme sévèrement l’Apôtre, en disant : « Lorsque vous vous rassemblez entre vous, ce n’est plus pour manger la cène du Seigneur ; mais chacun de vous prend d’avance son souper pour le manger, et il y en a qui souffrent de la faim tandis que d’autres sont ivres. » Il paraît encore, d’après ces paroles : « Postquam coenatum est, » que le prêtre doit communier avant que de passer à la consécration du calice. Mais nous parlerons de cela au chapitre de la Communion du Prêtre.

III. Suivent ces paroles : Accipiens et hune proeclarum calicem, etc., « Prenant ce calice illustre entre tous. » On parle du contenant pour le contenu. Car c’est toujours le seul et le même Jésus-Christ qui est sacrifié par tous les prêtres, maintenant, ici et ailleurs ; qui est tout entier dans le ciel, tout entier sur l’autel et tout à la fois à la droite du Père, et qui demeure sous l’espèce du sacrement, comme il en a été touché un mot dans la sixième particule du canon, à la formule : Elevatis oculis. Or, il est évident que c’est en voulant parler du vin qu’il a consacré dans le calice, qu’il ajoute : « Je ne boirai plus de ce fruit de la vigne, etc. » Et ces consécrations se font avec un signe de croix, comme il a été dit dans la sixième particule, à ce mot : Benedixit, parce que par la vertu de la croix et des paroles a lieu la transsubstantiation des natures. Or, ces paroles sont : Hic est calix mei sanguinis, « Ceci est le calice de mon sang, » c’est-à-dire contenant mon sang, ou signifiant la passion où je verserai mon sang.

IV. Remarque que la passion est appelée calice, soit à cause du breuvage qui échauffe (calida potione), soit parce que ce breuvage, est pris avec mesure ; car Dieu, qui est fidèle, ne permet pas que nous soyons affligés au-delà de nos forces (I Cor., x). On a parlé du calice dans la première partie, au chapitre des Peintures. En cet endroit, après avoir élevé un peu le calice, le prêtre le dépose sans le quitter, pour signifier que chacun des apôtres reçut ainsi le calice que le Seigneur administra à chacun d’eux.

Suivent ces mots : « novi et æterni Testamenti, etc. ; » sous-entends confirmatio (l’assurance). Il dit novi, parce qu’il nous renouvelle par la foi du Christ ; il dit æterni (éternel), parce que la loi nouvelle n’est pas transitoire comme l’ancienne loi (Extra De celeb., c. Cum Marthæ). Car l’Ancien-Testament, dans lequel on offrait le sang des boucs et des veaux, promettait à l’homme des biens temporels et passagers, tandis que le Nouveau, qui a été consacré par le sang du Christ, promet des biens éternels. Voilà pourquoi le premier Testament est appelé ancien et transitoire, et le second nouveau et éternel. Saint Luc parle du Nouveau-Testament, lorsqu’il dit : « Je vais préparer pour vous mon royaume, etc., » comme on l’a vu précédemment.

Ce qui prouve encore qu’il est éternel, c’est-à-dire perpétuel, c’est qu’on l’appelle le Nouveau, c’est-à-dire le dernier Testament. Car le dernier testament d’un homme reste immuable, parce qu’il est confirmé par la mort du testateur, d’après cette parole de l’Apôtre : « Un testament est confimé par la mort ; autrement, tant que le testateur vit il n’a point de valeur. »

V. Or, le Testament n’est pas seulement appelé écriture, mais encore promesse, comme on le dira dans la préface de la sixième partie, et c’est dans ce sens que l’on dit : Hic est sanguis novi et æterni Testamenti, « Ce sang est celui du nouveau et éternel Testament, » c’est-à-dire la confirmation de la nouvelle et éternelle promesse, comme le Seigneur lui-même le promet, en disant : « Celui qui mange mon corps et boit mon sang a la vie éternelle. » D’où vient que l’Apôtre dit : « Le premier Testament n’a pas été non plus consacré sans l’effusion du sang ; car, après que tous les commandements de la loi eurent été lus, Moïse, recueillant le sang des boucs et des veaux, en fit une aspersion sur le livre même de la loi, puis sur tout le peuple, en disant : « Ceci est le sang du Testament dont le Seigneur vous a confié l’exécution. » On voit donc que Moïse ordonna précisément ce que fit le Christ dans la cène.

VI. On demande si l’eau est changée en sang avec le vin (et on traitera cette question plus bas). Car, si l’eau est changée au sang, donc l’eau est le sacrement du sang ; bien plus, il paraît qu’elle est le sacrement du peuple, car les grandes eaux, dans l’Ecriture, signifient la multitude des peuples. C’est pour cela que l’on mêle l’eau au vin, afin que le peuple soit uni au Christ. En effet, du côté de notre Seigneur sortit du sang et de l’eau, comme on l’a dit au chapitre de l’Oblation. Mais, si l’eau n’est pas changée au sang, on demande ce qu’elle devient après la consécration, et comment elle est séparée du vin, auquel elle avait été mêlée. Si, après la consécration, il ne reste que l’eau pure, il résulte que dans le sacrement le prêtre ne boit pas que le sang, et ainsi, après une première réception du sacrement, il ne peut communier une seconde fois le même jour, pas plus que s’il eût bu de l’eau auparavant ; car ce qui fait que le prêtre, après une première messe, ne peut plus sacrifier le même jour, c’est qu’il a pris les ablutions. Dira-t-on, par hasard, que, de même que le vin est changé au sacrement de la rédemption, ainsi l’eau se change au sacrement de l’ablution, qui coulèrent également du côté du Christ ? Qui oserait affirmer cette proposition ?

VII. Or, on demande aussi si le Christ, ressuscité d’entre les morts, reprit le sang qu’il versa sur la croix ? Mais, si un seul cheveu de notre tête ne doit pas se perdre, à combien plus forte raison ne s’est pas perdu le sang du Christ, partie intégrante de sa nature. Et cependant on dit qu’on en conserve en plusieurs églises. Que dira-t-on aussi de la circoncision du, prépuce ou de l’amputation du nombril ? Le Christ, en un mot, après sa résurrection, a-t-il repris d’autorité son intégrité, la nature humaine, glorifiée dans sa nouvelle condition ?

VIII. Mais il vaut mieux remettre tout entre les mains de Dieu que de rien affirmer témérairement. Nous croyons, toutefois, que le prépuce est conservé dans la basilique de Latran,. quoiqu’il y en ait qui prétendent qu’il fut transporté à Jérusalem par un ange et donné à Charlemagne, qui le fit porter à Aix-la-Chapelle, où il fut déposé solennellement dans l’église de Sainte-Marie ; mais, dans la suite, Charles-le-Chauve le fit transporter dans l’église du Sauveur, à Charroux[1]. Si cela est vrai, il faut s’en étonner. En effet, comme cette chair posséda la nature humaine dans toute sa vérité, on croit qu’à la résurrection du Christ elle retourna glorifiée dans le ciel. Quelques-uns cependant ont dit que cela pouvait être vrai, d’après l’opinion de ceux qui prétendent que cela seulement appartient à l’intégrité de la nature humaine et ressuscite, qui a été transmis par Adam. Mais il est surtout défendu de s’arrêter à la présomption de ceux qui prétendent que l’eau se change en flegme. Car ils ont parlé contre la vérité, en disant qu’il est sorti du côté du Christ non de l’eau, mais une humeur dérivant de l’eau, c’est-à-dire un flegme (Extra De celeb. miss, in quadam). Deux sacrements, en effet, ont découlé principalement du côté du Christ, c’est-à-dire le sacrement de la rédemption dans le sang, et le sacrement de la régénération dans l’eau, car on ne nous baptise pas dans le flegme, mais dans l’eau, d’après ces paroles de l’Evangile : « Si quelqu’un ne renaît pas par l’eau et par l’Esprit saint, il n’entrera point dans le royaume des cieux. » Cependant il ne paraît pas absurde à quelques-uns que l’eau avec le vin passe dans la substance du sang, par cette raison que l’eau, par mixtion, passe dans le vin, et le vin, par consécration, dans le sang (ut in cap. Cum Marthæ, et nota, De consec., dist. ii, c. i, etc.) ; car l’eau passe dans le vin quand, dans une grande quantité de vin, on verse une petite quantité d’eau ; autrement, toute la substance du vin, par une seule goutte d’eau, serait changée de telle sorte qu’il en résulterait je ne sais quel mélange qui ne serait ni de l’eau ni du vin, et ainsi toute la masse d’eau d’une fontaine et même d’un fleuve, par une seule goutte de vin, serait changée en quelque chose d’indéfinissable. Le pain lui-même, qui est fait de froment, ne pourrait être consacré en l’eucharistie, si par hasard au blé venait se mêler un grain d’orge ou d’avoine. Ainsi donc, si l’on verse dans le calice plus d’eau que de vin, le sacrement n’a pas lieu, et il faut que le mélange d’eau soit tel que le vin garde toute sa saveur (Extra De celeb. miss., c. pen.). On parlera de cela dans la sixième partie, à l’article du Jeudi saint, à la fin. Si, après la consécration du calice, on verse d’autre vin dans le calice, il ne se change ni ne se mêle au sang, mais il se mêle aux accidents du premier vin, devenu corps du Christ, et environne la substance consacrée, sans pourtant la mouiller. (Extra De celeb. miss., c. Cum Marthœ). Cependant, les accidents paraissent modifier la matière qui leur est ajoutée, et qui ensuite est consacrée ; car, si c’est de l’eau pure qui a été versée dans le calice, elle contracte le goût du vin. Plusieurs, cependant, ont voulu établir que, de même que l’eau pure est bénie par le contact de l’eau bénite, de même le vin se trouve consacré par son contact avec le sacrement, et est ainsi changé au sang ; mais la raison ne s’accorde point avec cette prétention (Extra De consec. eccl. vel altaris). Nous reviendrons sur cette matière, à l’article du Jeudi saint.

IX. Mais ce que l’on fait n’est-il pas en pure perte, si l’on vient à omettre l’eau ? Il paraît qu’il en est ainsi, d’après ce que l’on a vu au chapitre de l’Oblation ; et il est déclaré dans le canon de saint Cyprien {De consec., d. ii, Sicut in sanctificando) que l’eau seule ni le vin seul ne peuvent être le calice du Seigneur, et qu’il faut pour cela que les deux choses soient mêlées ensemble ; et, comme le calice du Seigneur n’est pas l’eau seule ni le vin seul, de même de la farine seule ne peut devenir le corps du Seigneur : il faut donc que les deux matières soient réunies et formées en un seul pain ; ce que quelques-uns affirment être constamment, assurant que, de même que l’eau sans le vin ne peut être consacrée, ainsi le vin sans l’eau ne peut être transsubstantié, parce que du côté du Christ sortirent à la fois du sang et de l’eau. D’autres, au contraire, accordent que si un prêtre, sans avoir intention d’introduire une hérésie, vient à omettre l’eau par oubli ou par ignorance, le sacrement n’en subsiste pas moins. Cependant il pèche véniellement celui qui, par oubli, commet cette omission, et mortellement si c’est par négligence, et il doit être sévèrement puni. Mais on peut toujours ajouter l’eau avant la transsubstantiation, comme on l’a dit précédemment. Ils ne croient pas qu’on puisse offrir une matière sans l’autre, à moins que ce ne soit par ignorance ou par simplicité, ou, dès-lors qu’on ne peut le faire, on ne doit pas le faire. Car on dit que chez les Grecs on ne mêle pas le vin au sacrement, et saint Cyprien dit (De consec., d. ii, Scriptura) : « Si quelqu’un de nos prédécesseurs, ou par ignorance, ou par simplicité, n’a pas observé ce que le Seigneur nous a enseigné à faire par son exemple et par ses instructions, il peut trouver grâce pour sa simplicité dans l’indulgence du Seigneur, mais non devant nous, parce que maintenant nous avons appris du Seigneur que l’on doit offrir son calice avec du vin mêlé, c’est-à-dire avec du vin mêlé d’eau dans le calice, comme le Seigneur l’a offert lui-même. » D’après ces paroles, il est incontestable que le Christ, dans la cène, donna à ses disciples le vin mêlé avec de l’eau. Pour ce qui est de l’omission du vin, nous en avons parlé dans la sixième particule du canon, à ces paroles : Hoc est corpus.

X. Or, quoique l’on doive apporter le plus grand soin à se procurer du vin d’excellente qualité pour le sacrifice (20), cependant la mauvaise qualité du vin n’influe pas sur la pureté du sacrement. C’est pourquoi, soit que l’on offre du vin nouveau que l’on appelle vin doux, soit que l’on offre du vin acide que l’on nomme acetum (vinaigre), le sacrement a lieu et est consacré par la vertu divine. Cependant il faut éviter de verser dans le calice du moût, du vin cuit, du vin mixtionné, du vin rosat ou d’une espèce particulière. Pourtant il y en a qui disent que le vinaigre n’est pas du vin, puisqu’il a changé de nature particulière ; car le vin est chaud, et le vinaigre est froid, et que pour cela il ne peut servir à la consécration, pas plus que du vin de vigne sauvage (verjus). On peut accorder ceci du vinaigre qui provient d’une autre matière que du vin ; mais il n’en sera pas de même s’il a été fait avec du vin, puisque c’est proprement la même substance (en grec ousia), ff., De contrah. empt. venditionib. ; De consec., d. n, Ego, c. Desumm, Trinit. inter claras, § Omnes vero). Le pape Jules (De consec., d. ii, Cum omne, et c. præcedenti) dit aussi qu’on ne peut consacrer avec du lait ; mais dans le cas de nécessité, on peut exprimer le jus d’une grappe de raisin et consacrer avec. Cependant on ne peut communier avec une grappe qui n’a pas été pressée ; on ne peut pas non plus consacrer avec de l’eau où l’on aurait exprimé le vin contenu dans du pain trempé dans du vin doux.

XI. Or, il faut remarquer que si le vin vient à se congeler dans le calice, le prêtre doit tâcher de fondre la glace avec son haleine, et que s’il n’y peut parvenir il doit le faire avec du feu.

XII. Mais si une mouche, une araignée ou quelque chose de semblable vient à tomber dans le calice, on doit jeter le vin dans la piscine et prendre d’autre vin avec d’autre eau. S’il arrive après la transsubstantiation qu’un insecte tombé dans le calice soit touché par lui, qu’on prenne le sang, après avoir mis l’insecte dans un calice et l’avoir arrosé de vin. On le purifiera avec le plus de soin et de précaution possible, et enfin on le brûlera sur la piscine, parce que c’est à peine si on pourrait le prendre sans horreur et sans vomir. Puis le prêtre ou le ministre prendra l’ablution après la consécration. Mais si quelqu’un, aussitôt après avoir pris le corps du Christ, est saisi par des nausées, ce qu’il aura vomi sera également brûlé sur la piscine, et la cendre en sera jetée dans la piscine. Si cependant on aperçoit dans le calice quelques parties d’insecte, ou si le corps du Christ, donné à un malade, vient à être rejeté, on le ramassera avec soin et on le prendra, en le mélangeant avec du vin dans le calice ; si on ne peut le recueillir entier et si l’on éprouve de l’horreur pour le prendre, on le gardera comme relique.

XIII. On ne doit donc pas donner l’eucharistie à un malade qui vomit ; mais qu’il ait la foi, et il a communié (De consec., dist. ii, Ut quid). Si quelqu’un est malade de telle sorte qu’il ne puisse opérer la mastication, il prendra seulement de l’eau touchée par le corps du Christ ; car en en prenant la moindre parcelle il reçoit le Christ tout entier, comme on l’a vu ci-dessus.

XIV. On ne doit pas non plus donner l’eucharistie à un homme ivre, à un fou, à un hérétique, à un épileptique et autres semblables, à moins que leur infirmité ne cesse (XXVI, q. ult., Is qui). Cependant on peut la donner à un lépreux, à un muet et à un malade jouissant de ses facultés, après la confession et l’absolution de leurs péchés. Mais quant à la pénitence qu’on doit imposer à celui qui, à cause de l’ivresse, par voracité ou par infirmité, a rejeté l’eucharistie, on la trouve dans le canon de Bède (De consec., dist. ii, Si quis per totum). Et remarque que celui qui a communié, s’il le peut commodément et sans faire violence à sa nature, doit s’abstenir de cracher ; autrement, à l’heure convenable, il le peut faire au moins dans un lieu où ce qu’il a craché ne sera point foulé aux pieds. En effet, l’homme spirituel juge tout et n’est jugé par personne, et tout est pur pour ceux qui sont purs.

XV. Que si l’eucharistie ou quelque partie du sang vient à tomber sur du bois, sur la pierre ou sur la terre, on doit lécher le sang, ensuite gratter et laver la place, puis en porter la poussière dans la sacristie, où on la mettra avec les reliques. Si c’est sur le corporal que le sang est tombé, on le sucera avec le plus de soin possible, on lavera trois fois le corporal dans le calice ; on prendra, après la messe, l’eau provenant de la lotion, puis on gardera le corporal comme relique.

XVI. Si la nappe de l’autel se trouve marquée du sang, on coupera la partie qui aura été teinte, et on la conservera de même comme relique. Si c’est sur la chasuble ou l’aube, on agira de même. Si c’est sur quelque vêtement profane, on doit brûler la partie qui aura été mouillée, et, si tu veux, en placer la cendre dans un lieu saint (comme on dit, ut dicunt). Cependant le pape Pie a statué (De consec., dist. ii) que si c’est par négligence que quelque goutte de sang tombe à terre, on doit le lécher avec la langue ; si c’est sur une planche, on grattera la place pour que le sang ne soit pas foulé aux pieds, on brûlera le résidu et on en placera la cendre dans l’autel. Si une goutte de sang tombe sur l’autel, le prêtre l’absorbera le mieux possible.

XVII. Si c’est sur un linge d’autel, le ministre lavera sur le calice les linges qui ont touché la goutte de sang, à trois reprises, et l’eau de l’ablution reçue dans le calice sera placée auprès de l’autel.

XVIII. Et ici suit la pénitence qu’il faut imposer, avant qu’il célèbre, au prêtre à qui ces accidents sont arrivés. Et remarque que si c’est avant la transsubstantiation que quelques gouttes du sang sont tombées, le célébrant doit changer les linges d’autel en silence, et achever son office ; si tout le calice a été répandu, le ministre recommencera l’office (pour le pain et pour le vin) à partir de cet endroit : Hanc igitur oblalionem, etc., en le faisant précéder de la confession ; si c’est après la transsubstantiation qu’une partie s’est répandue, il accomplira semblablement l’office. Si tout le sang vient à se renverser, de telle sorte qu’il n’en reste plus dans le calice, ce qui est une énormité, le ministre placera l’hostie sur le propitiatoire, remettra du vin et de l’eau dans le calice, et recommencera, Hanc igitur oblationem, en commençant toutefois par la confession ; et il prendra ensuite, après la messe, l’hostie réservée, ou la conservera pour les malades. Le Concile d’Orléans statue ainsi (De consec., dist. ii) à l’égard de celui qui, gardant mal le sacrifice, le laissera dévorer par un rat ou par un autre animal : « il aura, dit-il, quarante jours de pénitence. Celui qui l’aura perdu dans l’église, ou en aura laissé tomber une partie qui n’aura pas été retrouvée, fera trente jours de pénitence. » Touchant le même article, on lit la même chose dans Bucard, livre v. D’où il a été écrit : « Celui qui renverse sur l’autel quelque partie du calice en l’offrant, fera six jours de pénitence ; ou celui qui en renversera plus est condamné à sept jours. Mais celui qui renverse le calice pendant la célébration de la messe est condamné à quarante jours de pénitence ; et si, après la célébration de la messe, le prêtre néglige de recevoir le sacrifice, il fera également quarante jours. Et celui qui aura éprouvé une pollution pendant la nuit et aura néanmoins offert le sacrifice, fera sept jours de pénitence. Celui qui, par négligence envers le sacrifice, l’aura laissé manger aux vers en entier, fera pénitence au pain et à l’eau pendant trois carêmes. Si le sacrifice a été trouvé entier, on brûlera les vers qui s’y sont mis, et on en placera la cendre sur l’autel. Et celui à qui sera imputée cette négligence la paiera par seize jours de pénitence. Si le vin du sacrifice, perdant sa saveur, vient à tourner au doux, le ministre jeûnera vingt jours. Celui qui laissera le sacrifice se conglutiner fera sept jours de pénitence. Si le sacrifice est perdu de sordide vétusté, on le brûlera et on en enterrera la cendre près de l’autel, » comme on le lit dans Bucard (lib. v, c. Omne).

XIX. Il faut encore remarquer que si le prêtre saigne du nez pendant la célébration de la messe, ou s’il lui survient des nausées, il les recevra dans un vase, afin que les choses saintes ne soient pas souillées ; et, après avoir lavé trois fois son nez ou sa bouche, il recommencera en silence à l’endroit où il en est resté. Si une faiblesse survient au prêtre, il s’appuiera sur le bord ou coin de l’autel, ou bien il s’asseoira jusqu’à ce qu’il se trouve mieux, et recommencera le sacrifice où il l’a laissé. S’il ne peut en aucune manière achever le sacrifice, un autre prêtre, revêtu des ornements sacrés, continuera la messe à partir de l’endroit où il en est resté, comme on l’a dit dans la sixième particule, aux mots Hoc est corpus meum. Et s’il n’est pas certain de l’endroit où son prédécesseur en est resté, comme il y aurait danger de réitérer les paroles sacramentelles ou de les passer sous silence, il placera cette hostie sur le propitiatoire, et recommencera à officier, comme nous l’avons dit plus haut.

Suivent ces mots : mysterium fidei, « mystère de foi. »

XX. On l’appelle mystère de foi, parce que l’on voit une chose et que l’on en comprend une autre. On nous ordonne de croire, nous n’osons pas discuter ; car la foi ne subsiste que pour les choses cachées, d’après ces mots : « La foi n’a pas le mérite, etc. » (ut supra, Greg., De consec., d. ii, Quid sit ad fidem). S. Grégoire dit qu’on l’appelle mystère de foi, parce que nous devons croire que notre salut consiste en cela, ou parce que sans la foi ce sacrement n’a pas lieu, c’est-à-dire, sans la foi, ce mystère ne peut être complètement compris. Or, on dit que c’est un mystère, parce qu’il renferme une économie secrète et cachée (I, q. i, Multi). Or, mystère en grec veut dire secret en latin. Et, selon Innocent III (De celeb. mis., c. Cum Marthœ), aucun des évangélistes n’a dit ces paroles. Or, de ces paroles de l’Écriture sainte, et d’autres encore, certains auteurs ont inféré que le corps et le sang du Christ ne se trouvent pas réellement dans le sacrement de l’autel, mais que c’est seulement une image, une apparence, une figure, par cette raison que l’Ecriture nomme quelquefois ce que nous recevons sur l’autel un sacrement, un mystère et un exemple ; mais certainement ils se laissent prendre au filet de l’erreur, comme nous l’avons dit dans la sixième particule du canon, au mot Fregit. Car serait-ce que le sacrement de l’autel n’est pas une réalité, parce qu’il est une figure ? Loin de nous cette erreur ! Et, s’il en était ainsi, la mort du Christ ne serait donc pas une réalité, parce qu’elle est une figure ? La résurrection du Christ ne serait donc pas une réalité, parce qu’elle est une figure ? Car la mort et la résurrection du Chrit sont une figure, une image et une similitude, comme l’Apôtre le déclare manifestement, lorsqu’il dit : « Le Christ est mort pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification. » Et Saint Pierre : « Le Christ a souffert pour nous, et il vous a laissé un exemple afin que vous marchiez sur ses traces. » Donc, la mort du Christ a été un exemple pour nous, afin que nous ne mourussions pas dans le péché, et sa résurrection a été pour nous un exemple, afin que nous vécussions justement. Car si elle n’a pas été une réalité, le Christ n’est donc pas mort véritablement, et il n’est pas vraiment ressuscité ; sa mort et sa résurrection sont donc fausses. Mais loin de nous ce blasphème ; car le Prophète a dit par avance de lui : « Il a vraiment porté nos langueurs et pris sur lui nos douleurs. » Le Sacrement de l’autel est donc tout à la fois vérité et figure.

XXI. Or, trois choses doivent être distinguées dans ce sacrement, c’est-à-dire la forme visible, la réalité du corps et la vertu spirituelle (De consec., d. ii, Corpus). La forme est celle du pain et du vin ; la réalité, celle de la chair et du sang ; la vertu, celle de la charité et de l’unité. La première est aperçue par les yeux du corps ; l’esprit croit à la seconde ; le cœur perçoit la troisième. La première est le sacrement et non la réalité ; la seconde est le sacrement et la réalité ; et la troisième est la réalité et non le sacrement. La première est le sacrement d’une double réalité ; la troisième, la réalité d’un double sacrement ; et la seconde est le sacrement de l’une et la réalité de l’autre. Carla forme du pain signifie les deux chairs du Christ, c’est-à-dire sa chair vraie et sa chair mystique ; elle contient et symbolise la vraie chair, et elle symbolise aussi la chair mystique sans la contenir. Car, de même qu’un seul pain est fait d’un grand nombre de grains, et que le vin est exprimé de diverses grappes ainsi le corps du Christ est composé de beaucoup de membres, et l’unité eucharistique de diverses personnes, c’est-à-dire les prédestinés, les appelés, les justifiés et les glorifiés ; car ceux que Dieu a prédestinés, il les a aussi appelés, et ceux qu’il a appelés, il les a justifiés. D’où vient que l’Apôtre dit : « Nous ne faisons tous qu’un seul pain, un seul corps composé de beaucoup de membres. » C’est pour marquer la figure et le type de cette chose, que l’arche du Seigneur fut faite de bois de Séthim, bois incorruptible et semblable à l’aubépine.

XXII. Il est donc évident que la substance du corps et du sang du Christ est sacrement et réalité ; mais elle et la réalité d’un autre sacrement, et le sacrement et la réalité d’une autre réalité ; elle est aussi la réalité d’un autre sacrement et le sacrement d’une autre réalité. En effet, elle est la réalité du premier, parce qu’elle est figurée et renfermée dans le premier, c’est-à-dire dans la forme visible, etc. Elle est le sacrement du troisième, parce qu’elle signifie et renferme tout à la fois le troisième, c’est-à-dire l’unité de l’Église. L’eucharistie est donc appelée mystère de foi, car on y voit une chose, tandis que l’on croit que c’en est une autre que l’on voit. En effet, on voit l’espèce du pain et du vin, et l’on croit, à la réalité de la chair et du sang. Or, ce qui, en cet endroit, est appelé mystère de foi, est dit ailleurs esprit et vie ; car l’esprit est un mystère, d’après cette parole : « La lettre tue, mais l’esprit vivifie ; » et la foi est une vie, d’après ceci : « Le juste vit de la foi. » C’est pourquoi le Seigneur a dit : « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie. » Mais, comme la consécration fait le sacrement, et qu’après la consécration il n’y a plus sur l’autel ni pain ni vin, on demande quel pain est le sacrement du corps, quel vin est le sacrement du sang ; car si l’on dit que c’est le pain qui a été et le vin qui a existé, certainement ni l’un n’est le sacrement du corps, ni l’autre le sacrement du sang, puisque le pain s’est changé au corps et le vin au sang. Mais si l’on dit que c’est cette espèce que l’on voit et qui est restée, certainement elle n’a pas été faite avec du grain, ni avec des grappes de raisin, puisqu’elle n’en provient pas comme accident, mais comme substance. Quelle similitude assignerons-nous donc entre le sacrement de la réalité et la réalité du sacrement ? Car, si les sacrements n’avaient pas la similitude des réalités dont ils sont les sacrements, c’est improprement qu’on les nommerait sacrements ; comme le sacrement de Baptême, qui est l’ablution extérieure de la chair, signifie, par similitude, l’ablution intérieure de l’âme. Sans doute, ce sacrement porte en lui la similitude du corps dans lequel le pain est figuratif ; l’espèce du pain est donc le sacrement du corps, non-seulement en raison de la chose signifiée, mais encore en raison de la chose contenue.

XXIII. Or, on demande si l’espèce du pain et la réalité du corps sont un seul ou plusieurs sacrements ? Et il paraît qu’elles en forment divers, parce que, comme il y a divers signes, il paraît aussi qu’il y a divers sacrements. En outre, il est écrit : « Nous te prions, Seigneur, que tes sacrements profitent en nous, » lesquelles paroles seront expliquées au chapitre de la dernière Oraison. Et il paraît, d’un autre côté, qu’elles n’en font qu’un seul ; car, comme elles signifient une même chose, il paraît qu’elles sont le même sacrement. On lit en outre : « Fais que ce sacrement de ton corps et de ton sang ne serve pas pour notre châtiment. » À ce sujet, certains auteurs disent que la forme du pain et du vin font un seul sacrement, non à cause de la seule chose contenue, mais à cause de la seule chose signifiée. Ceux-ci doivent accorder que, de même que diverses choses, à cause de leur seule et même signification, ne sont qu’un seul sacrement, ainsi une seule chose, à cause de ses diverses significations, forme divers sacrements. On leur objecte que si l’espèce du pain et la réalité du corps sont un même sacrement, puisque l’espèce du pain est le sacrement du corps, donc la réalité du corps est le même sacrement ; ainsi, la même chose est pour elle-même son propre sacrenent. Mais ceci n’avance en rien, parce que l’espèce du pain est comme un sacrement, qui est la réalité du corps. L’une est ce que n’est pas l’autre, puisqu’elles sont deux sacrements divers.

XXIV. Mais d’autres prétendent que, soit qu’il y ait diverses choses signifiées, soit qu’il y ait plusieurs signes, il y a divers sacrements, et qu’il faut accorder que sur l’autel il y en a au moins quatre, savoir : l’espèce du pain et l’espèce du vin, la réalité de la chair et la réalité du sang. En outre, comme les accidents du pain et du vin sont différents, tels que la saveur et l’odeur, le poids et la couleur, la quantité et la figure, il paraît que chacun en soi sont différents sacrements. Car, par quelle raison l’un serait-il appelé sacrement plutôt que l’autre ? et de quelle réalité l’odeur ou le goût sera le sacrement ? A ceci on peut répondre convenablement que tout ce que l’on reçoit à la fois forme l’unique sacrement de l’eucharistie, par cette raison qu’aucun de ces accidents en particulier n’a de signification par lui-même, mais que tous pris ensemble représentent l’espèce du pain qui contient et symbolise le corps du Christ.

XXV. Or, parmi ces signes, les uns sont naturels, les autres positifs. Les signes naturels sont ceux dont la signification est tirée de la nature, comme certains qui, par l’antécédent, annoncent ou signifient le conséquent. Ainsi la rougeur du ciel, sur le soir, annonce un temps serein pour le matin du lendemain. D’autres, par le conséquent, signifient l’antécédent ; ainsi la fumée et la cendre annoncent qu’il a existé du feu. Les signes positifs sont ceux qui n’ont de sens que par imposition, c’est-à-dire qui ont une signification particulière qu’on leur a imposée, comme le serpent d’airain, qui signifiait notre Seigneur élevé sur la croix, préservant l’homme des atteintes du démon. Parmi ces signes, les uns signifient une, chose sacrée, comme le serpent d’airain élevé dans le désert ; les autres une chose non sacrée, comme l’arc de triomphe élevé à l’endroit où viennent aboutir deux chemins. Or, parmi les signes d’une chose sacrée, les uns sont sacrés, comme le baptême ; les autres non sacrés, comme l’agneau pascal. Sont sacrés les signes du Nouveau-Testament ; ne sont pas sacrés les signes de l’Ancien. Quoique les uns et les autres soient le signe d’une chose sacrée, c’est-à-dire signifiant une chose sacrée, cependant les uns et les autres ne sont pas sacrés, c’est-à-dire qu’ils ne servent pas à la justification, quoique quelques-uns aient prétendu que les sacrements de l’ancienne loi procuraient la justification.

XXVI. Car la différence entre les sacrements de l’ancienne loi et ceux de l’Évangile consiste en ce que les premiers ne faisaient que signifier, tandis que les derniers signifient et justifient tout à la fois. Mais quelquefois le mot sacrement est pris dans une large acception, quelquefois dans un sens restreint : dans une large acception/ quand on appelle sacrement tout signe de la chose sacrée, que ce signe soit sacré ou qu’il ne le soit pas ; d’où vient que les symboles de l’ancienne loi sont appelés sacrements ; dans un sens restreint, quand le signe sacré seulement est appelé sacrement (De cons., d. ii, Sacrificium, etc. ; Signum, etc. ; Species, i, q. i, Multi).

XXVII. Or, le sacrement se dit actif et passif, selon que la chose sacrée signifie ou qu’elle est signifiée ; car tout sacrement est appelé diversement, quelquefois le signe de la réalité, d’autrefois la réalité du signe, suivant que le sacrement est pris pour le signe de la chose signifiée. Sacrement vient de sacrum (chose sacrée). C’est aussi un signe, comme si on disait un signe sacré. En tant que sacrement est pris pour le signe de la chose, il dérive de sacrum (secret), comme si on disait un secret sacré. Donc l’espèce du pain s’appelle sacrement dans le sens actif, c’est-à-dire dans le sens que la chose sacrée est signifiante ; mais l’unité de l’Église s’appelle sacrement dans le sens passif, c’est-à-dire dans le sens que la chose sacrée est signifiée. Le corps du Seigneur se dit sacrement dans les deux sens, c’est-à-dire qu’il est une chose sacrée signifiant et signifiée tout à la fois.

XXVIII. Or, le sacrement consiste en trois points, c’est-à-dire dans les choses, dans les faits et dans les paroles, suivant la propriété, la similitude et l’interprétation. Suivant la propriété, le lion signifie le diable ; d’où vient qu’il est dit : « Le diable, votre ennemi, court çà et là comme un lion rugissant, cherchant une proie à dévorer. » Semer, par similitude, signifie prêcher ; d’où vient que l’Évangile dit : « Le semeur sortit pour semer son grain ; une partie tomba dans la bonne terre, l’autre sur la pierre, une autre dans les épines. » Emmanuel, par interprétation, signifie le Christ ; d’où Isaïe dit : « Et son nom sera Emmanuel, » ce qui signifie, par interprétation, « Dieu avec nous nous. » On entend par la chose ou l’essence du sacrement, par exemple, l’eau du baptême ; par fait, le signe de la croix ; par parole, par exemple, l’invocation de la Trinité. Toutes trois se trouvent dans ce sacrement, le plus excellent de tous ; la chose ou l’essence s’y trouve, c’est-à-dire le corps du Christ et son sang ; le fait, c’est-à-dire la nourriture et le breuvage ; la parole, comme : « Ceci est mon corps ; ceci est mon sang. »

XXIX. Suivent ces mots : qui pro vobis et pro multis effundetur in remissionem peccatorum, « qui sera versé pour vous et pour beaucoup, pour la rémission des péchés. »

Il a été répandu pour les seuls prédestinés, quant à son efficacité ; mais il l’a été pour tous les hommes, quant à sa suffisance. Car l’effusion du sang du juste pour les injustes a été si. riche et d’un si haut prix, que si l’universalité des hommes croyait à la rédemption, tous les liens du diable seraient impuissants à leur égard. Or, le mot effusion signifie abondance (XVI, q. Revertimini).

XXX. Le péché est remis de deux manières, c’est-à-dire quant à la peine de la coulpe, et c’est la foi au sang qui justifie de cette peine ; et quant à la dette de la peine, c’est le prix du sang qui nous en rachète ; car tous nous avons erré comme des brebis, chacun s’égarant dans sa voie, et le Seigneur l’a chargé (le Christ) de toutes nos iniquités ; c’est pourquoi il a été blessé à cause de nos iniquités, il a été brisé à cause de nos crimes : le châtiment qui nous devait procurer la paix est tombé sur lui ; nous avons été guéris par les meurtrissures de ses plaies ; il a pris véritablement sur lui toutes nos langueurs, etc. (Isa., liii) ; et parce que le juste a été injustement puni, les injustes ont été justement délivrés. Il a pris sur lui la peine de tous les hommes, pour donner toujours sa grâce à tous les hommes ; et en cet endroit le prêtre élève le calice pour le montrer au peuple, et cette élévation n’est pas inutile, comme on l’a dit à la fin de la particule précédente. Il faut remarquer que certaines églises ont deux corporaux, et quand on élève le calice il est couvert de l’un de ces corporaux, pour marquer que ce sacrement doit être le plus mystérieux et le plus difficile à comprendre ; pour marquer aussi qu’au moment de l’institution de ce sacrement du sang du Christ, le sang était invisiblement le même qui coulait dans ses veines. Mais d’autres églises n’ont qu’un corporal, et au moment de l’élévation on élève le calice découvert et sans voile : Premièrement, pour désigner qu’après l’institution de ce sacrement du sang du Christ, ce sang se rendit visible par son effusion sur la croix ; d’où vient cette parole : Hic est sanguis meus, etc., « Ceci est mon sang. » Car, en ce que le calice n’est pas couvert du corporal sur lequel est l’hostie consacrée, on désigne que le sang du Christ a été versé et séparé de son corps. Secondement, parce que l’hostie est sur le corporal, et ne pourrait convenablement être placée ailleurs. Troisièmement, parce que, à cause du souffle du vent, il est dangereux de lever le calice couvert du corporal. Et remarque que le prêtre représente les actes du Christ, quand il dit : Accipiens calicem. Il élève un peu le calice, le bénit ensuite ; et, pour le bénir sans danger, il le dépose sur l’autel. Il dit encore ensuite : Accipite ; il tient le calice un peu élevé, jusqu’à ce qu’il l’élève entièrement pour le montrer au peuple. Suivent ces mots : Hœc quotiescumque feceritis, « Toutes les fois que vous ferez ces choses. » Cette clause, qui a rapport tant à la consécration du corps qu’à celle du sang, doit se dire après que le calice a été remis sur l’autel. Sans doute, nous devons apporter une grande discrétion dans la réception du corps et du sang du Christ ; car il faut prendre garde, si on diffère trop, d’encourir le danger de mort dont nous menace le Seigneur en nous assurant que « si nous ne mangeons la chair ou ne buvons le sang du Fils de l’homme, nous n’aurons pas la vie en nous. » Mais si quelqu’un le reçoit indignement, d’après l’Apôtre il mange et boit son jugement, c’est-à-dire sa propre condamnation (De consec., dist. ii, Iis qui scelerate, et cap. seq.). C’est pourquoi, selon le même apôtre, « que l’homme s’éprouve lui-même, et qu’après s’être ainsi éprouvé il mange de ce pain et boive de ce calice, etc. » Mais l’un dira qu’il faut communier tous les jours, l’autre dira le contraire ; que chacun fasse donc ce qu’il croit devoir faire pieusement : car Zachée et le centurion de l’Évangile ne se concertèrent pas entre eux et ne se proposèrent pas comme exemple l’un à l’autre, lorsque le premier, plein de joie, reçut le Seigneur dans sa maison, et que l’autre dit : « Seigneur, je ne suis pas digne que tu entres dans ma maison. » Et voici ce que dit saint Augustin à ce sujet (xii d. illa. De consec., Quotidie) : « Les uns communient tous les jours au corps et au sang du Seigneur ; les autres ne les reçoivent qu’à certains jours ; » et c’est ce qu’il appelle la libre observance. Nous reviendrons sur ce sujet au chapitre du Baiser. de paix.

XXXI. Et remarque que, bien que le Christ ait racheté une fois les croyants par sa mort, l’Église, cependant, réitère nécessairement ce sacrement tous les jours pour trois causes principales : Premièrement, parce que ceux qui travaillent à la vigne ont besoin de se restaurer tous les jours. Secondement, pour que, par ce sacrement, les néophytes soient incorporés au Christ. Troisièmement, pour que le souvenir de la passion du Christ se grave tous les jours dans l’esprit des fidèles, afin qu’ils puissent l’imiter ; car tous les jours nous avons besoin, et voilà pourquoi l’eucharistie est appelée pain quotidien. Donc le sacrifice quotidien, comme le prouve le pape Paschase (De consec., dist. ii), lorsqu’il est réitéré, est le souvenir et non la réitération de la passion, et c’est pour cela que suivent ces paroles : in mei memoriam facietis, c’est-à-dire, dans ce sacrement, chaque jour le souvenir de la mort et de la passion du Christ sera renouvelé pour vous (De consec., dist. ii. Corpus, etc., c. Iteratur). C’est pourquoi saint Paul, dans la 1re épître aux Corinthiens (c. x), dit : « Toutes les fois que vous mangerez ce pain et que vous boirez ce calice, vous annoncerez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. » Voilà pourquoi le Christ disait lui-même à ses apôtres : « Faites ceci en mémoire de moi. » C’est là le dernier souvenir que nous a laissé le Seigneur, comme on l’a dit à cette parole : postquam cœnatum est. Et remarque que nous avons un triple mémorial de la passion du Seigneur.

XXXII. Le premier se présente à notre vue dans les images et les peintures. C’est pour cela que l’image du Crucifié est figurée sur le Missel et dans les églises. Le second frappe l’ouïe, comme la prédication de la passion du Christ. Le troisième se manifeste au goût, comme le sacrement de l’autel, où la passion du Christ est évidemment exprimée ; c’est pourquoi le Christ a dit tout d’abord : « Faites ceci en mémoire de moi. » Suivent ces mots : Unde et memores. Or, ceux qui élèvent le calice découvert, le couvrent avec le corporal en cet endroit, pour signifier que, lorsque le Seigneur fut enseveli et la pierre roulée sur le sépulcre, l’entrée du monument fut fermée, comme dit saint Marc, etc. (ut d. Mar., etc.).

  1. Apud Crosium. — Saint-Sauveur de Charroux, abbaye dans le haut Poitou ; Charroux est dit pour chair rousse. (V. le cardinal Tolet, Comment. in Luc. ; et Salien, anno 1 Jesu Christi.)