Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 38

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 240-244).


CHAPITRE XXXVIII.
DE LA TROISIÈME PARTIE DU CANON.


I. Le mot Communicantes ouvre la troisième partie du canon. C’est le pape Sirice qui a ajouté au canon les paroles suivantes : « Participant à une même communion, et honorant la mémoire. » C’est avec raison que le pontife selon l’ordre de la loi portait avec lui dans le saint des saints un encensoir plein de charbons ardents, comme on l’a dit dans la préface de cette partie et que le Christ a élevé jusqu’au ciel l’encensoir de sa chair, rempli de toutes les vertus. De même, notre prêtre, qui tient la place du Christ, doit se préparer au sacrifice de l’autel en se dépouillant du péché et en se remplissant du parfum des vertus. « Participant à une même communion, et honorant la mémoire. » Communiquer est la même chose que participer, parce que nous devons nous rendre commune la nourriture des saints et des anges. On communie de quatre manières dans l’Eglise, comme on le dira dans la sixième parti cule du canon, aux mots : Qui pridie. — Honorer la mémoire, c’est la même chose que conserver avec honneur le souvenir de la bienheureuse vierge Marie, qui, par l’opération de l’Esprit saint, est devenue la mère du Fils de Dieu, Jésus-Christ notre Seigneur, qui est Dieu et homme.

II. Il faut remarquer que la secrète n’a pas été composée en une seule fois et par un seul homme, mais pièce à pièce par plusieurs auteurs ; ce que l’on reconnaît aux trois commémorations des saints que la secrète contient, bien que cette répétition ait pour but la louange et la gloire de la Trinité. Dans la seconde commémoration des saints, on a mis en supplément ceux qui paraissaient manquer au nombre des saints primitivement inscrits. Dans la commémoration qui précède la consécration du corps du Christ on réclame le suffrage des saints, et dans celle qui a lieu après cette consécration on implore la communauté des saints, parce qu’avant que le corps du Christ, qui est l’Eglise universelle, soit consacré, c’est-à-dire avant que son règne arrive, nous avons besoin du suffrage des saints sur le chemin qui y conduit, afin que, par leurs mérites et par leurs prières, nous soyons munis du secours de la protection divine. Mais quand le corps du Christ aura été consacré, c’est-à-dire quand son règne sera arrivé, nous serons associés à la communauté des saints dans la céleste patrie, et nous partagerons la société et le bonheur éternel des saints apôtres et des martyrs. Sur la route de cette vie nous communiquons avec les saints par la foi qu’ils ont eue ici-bas et que nous avons aussi ; mais dans la céleste patrie nous entrerons en participation avec les saints, par l’espérance qu’ils possèdent maintenant et que nous posséderons aussi.

III. Nous avons la foi et l’espérance, les saints ont l’espérance et la réalité ; nous courons dans la carrière, eux ils ont déjà remporté le prix ; nous combattons en chemin, eux triomphent dans la patrie. Nous participons à une même communion, et nous honorons la mémoire des apôtres et des martyrs, surtout celle de la glorieuse vierge Marie, mère de Dieu, afin que par leurs suffrages nous arrivions de la foi à l’espérance, de la carrière au prix, du chemin à la patrie. On nomme en premier lieu la bienheureuse Marie, parce que c’est elle qui a mis au monde Celui qu’on doit offrir et qui est la véritable hostie. Dans le ciel, la Vierge tient le premier rang. On nomme ensuite les douze apôtres et les douze martyrs, qui tous furent les témoins de ce sacrifice, et scélèrent leur foi en la passion du Christ par leurs paroles et par le témoignage de leur sang répandu. Dans cette commémoration des saints, l’Église observe l’usage qu’elle a toujours eu depuis la plus haute antiquité, de rappeler dans ses prières la mémoire des patriarches, afin d’obtenir plus facilement par le suffrage de leurs mérites ce qu’elle implore. C’est ainsi que Moïse, en intercédant pour le peuple qui avait péché, rappela le souvenir des patriarches, en disant à Dieu : « Souviens-toi d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, tes serviteurs. » C’est ainsi qu’on lit qu’Azarias pria dans la fournaise : « Nous t’en prions, Seigneur notre Dieu, ne retire pas de nous ta miséricorde, à cause d’Abraham, ton bien-aimé ; d’Isaac, ton serviteur, et d’Israël, ton saint. » Et parce qu’en dehors de l’unité de l’Eglise il n’y a pas lieu d’offrir un sacrifice d’union, voilà pourquoi nous participons à la mémoire des saints dans le sacrifîce de l’autel, pour offrir ce sacrifice en communion avec les saints.

IV. Car, de même que le pain se compose d’un grand nombre de grains de blé, et le corps de l’homme de beaucoup de membres, ainsi l’Église, qui est une, compte dans son sein la multitude des fidèles. Il est écrit : « Nul étranger ne mangera de ces choses, parce qu’elles sont saintes. » C’est pourquoi nous ne recevons pour manger l’Agneau que celui-là seul qui fait partie de notre maison, c’est-à-dire tout serviteur de la foi ; depuis le prince jusqu’à l’homme du peuple, depuis le peuple jusqu’au publicain. Certains auteurs ont écrit que c’est parce que le grand-prêtre de l’ancienne loi avait en écrit sur son pectoral les noms des douze tribus ou des douze patriarches que le prêtre, de la nouvelle loi, pour conserver ce souvenir, fait mémoire de la bienheureuse Vierge, des apôtres et de quelques martyrs.

V. Mais, puisque l’Eglise, parmi les saints, honore avec magnificence la mémoire des confesseurs, pourquoi n’est-il pas fait commémoration d’eux dans le canon ? A cela on peut répondre que le canon a été publié avant que l’Eglise célébrât la mémoire des saints confesseurs. Car presque tous les saints dont il est fait commémoration dans le canon ont précédé saint Sylvestre, tels que pourtant Jean, Paul, Marcellin et Pierre, qui se sont suivis de près. Ce ne fut qu’après la mort du bienheureux Sylvestre que l’Eglise commença à honorer la mémoire des saints confesseurs. Une preuve convaincante que la publication du canon a précédé le culte des confesseurs, c’est que le catalogue des apôtres ne s’y trouve pas disposé de la même manière qu’on le rencontre dans des livres plus corrects, ou bien dans les évangiles. En effet, dans les premières éditions, comme le dit saint Jérôme, non-seulement l’ordre des évangélistes est changé, mais encore leurs paroles et leurs sentences sont mêlées confusément.

VI. On peut encore dire qu’il est seulement fait mention, dans le canon, des martyrs, parce que ce sacrement étant un sacrement d’amour, lorsqu’on l’offre on doit seulement faire mémoire de ceux chez qui le signe du véritable amour s’est plus spécialement révélé. Dans les apôtres, cet amour s’est révélé par le mépris des biens temporels ; dans les martyrs, par l’offrande de leurs corps aux tourments. En parlant du premier amour, saint Mathieu dit : « Pour nous autres, nous avons tout « quitté, et nous t’avons suivi. » En parlant du second, la Sagesse dit : « S’ils ont souffert des tourments devant les hommes, leur espérance est pleine d’immortalité. »

VII. On ne fait pas non plus mention des confesseurs, parce qu’ils n’ont pas souffert comme le Christ, dont ce sacrement rappelle la passion. Grégoire III a ajouté au canon les paroles suivantes, que l’on dit en certaines églises, et que voici : « dont aujourd’hui on célèbre la solennité, en présence de ta majesté, dans l’univers entier, ô Seigneur notre Dieu ! » Cette particule du canon se termine ainsi : « Par le même notre Seigneur. » Car, de même que tout a été fait par le Christ et que tout doit être réparé et terminé par lui, c’est pourquoi certains auteurs disent qu’on ne doit pas répondre ici Amen, ni jusqu’à la fraction de l’hostie, parce que le chœur des anges, qui assiste au saint sacrifice, répond Amen ; cependant cela ne s’observe pas partout, comme on le dira dans la deuxième particule du canon.