Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 35

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 221-226).


CHAPITRE XXXV.
DE LA SECRÈTE, OU DU CANON DE LA MESSE.


I. Après avoir proclamé les louanges de Dieu, on fait un profond silence, pendant lequel on dit dévotement le canon de la messe et on accomplit les saints mystères. Le prêtre seul fait cette prière, parce que, selon saint Mathieu, le Christ pria seul. Selon certaines personnes, c’est à ce moment que commence la messe, parce que tout ce qui précède le canon n’est qu’un assemblage de cérémonies (De consec., d. ii, Panis est). Le canon de la messe s’appelle oblation, comme on l’a dit au chapitre de la Préface ; on lui donne aussi les noms d’action, canon, sacrifice et secrète. On l’appelle action, à cause des saints mystères que l’on accomplit (aguntur) pendant sa durée, et parce qu’alors le prêtre plaide (agit) notre causé devant Dieu, comme on l’a dit dans la préface de cette partie. D’où vient qu’à ce début : Communicantes, etc., et à ces paroles : Hanc igitur oblationem, on ajoute et l’on dit, à certains jours fixés, certains mots en dehors des termes habituels du canon ou de l’action ; c’est pourquoi en divers endroits on écrit dans les Missels, au-dessus de ces additions, ce titre ou cette rubrique : Infra actionem, parce que ce que renferme cette rubrique doit être dit dans le cours du canon, ou en quelque sorte au milieu de l’action ou canon.

II. Le canon s’appelle ainsi, parce qu’il se compose des règles des Pères, lesquels ont institué quelques paroles mystiques dont la réunion s’appelle canon en grec et règle en latin. Le canon s’appelle ainsi, parce que l’on y représente dans les règles le Christ, qui est le véritable prêtre, ou parce que c’est par lui que la consécration du sacrement a lieu dans les règles.

On donne au canon le nom de sacrifice, parce que c’est la partie de la messe dans laquelle nous méritons le plus ; on a dit, au chapitre de l’Oblation, ce que c’était que le sacrifice. On appelle aussi le canon secrète, comme pour désigner une chose cachée à nos yeux, parce que la raison humaine ne peut jamais entièrement saisir un si grand mystère, et c’est pour figurer cela que l’on dit avec raison le canon à voix basse (secreta voce).

III. C’est aussi pour montrer que le prêtre lorsqu’il commence la secrète, est comme voilé par les rideaux qui sont de chaque côté de l’autel, comme on le dira ci-dessous dans la quatrième partie du canon, aux mots Hanc igitur. On appelle encore le canon secrète, parce qu'on le dit en secret et en silence. Car le Christ, au moment de consacrer son corps, pria en secret et seul depuis la Cène jusqu’à son crucifiement, et c’est ce que figurent les oraisons secrètes. Dans les temps anciens, nos pères sacrifiaient et communiaient en silence, ce que nous observons aussi le Samedi saint. En outre, comme le raconte saint Jean l’évangéliste, le Christ, après avoir été reçu avec honneur par la foule et glorifié par elle avec des rameaux et des chants, s’enfuit et se cacha, non par crainte, mais pour accomplir sa mission. Son heure n’était pas encore arrivée ; mais, quand elle fut venue, il s’offrit de lui-même aux souffrances de sa passion. Donc ce secret et ce silence représentent la retraite du Christ ; pendant ce silence, la dévotion seule s’applique à la recherche du Seigneur. Alors le prêtre doit entrer dans la retraite de son cœur, et, après avoir fermé la porte de ses sens, prier Dieu le Père, qui entend et exauce le cri du cœur, et non celui de la voix.

IV. C’est pourquoi Anne, figure de l’Église, obtint ce qu’elle, demandait, non par une prière à voix haute, mais par sa dévotion secrète et cachée. On lit dans le livre des Rois, qu’Anne parlait dans son cœur et que l’on voyait seulement remuer ses lèvres sans qu’on entendît aucune parole. Le Seigneur dit à Moïse : « Pourquoi cries-tu vers moi ? » quoiqu’il gardât le silence. Le Prophète dit aussi : « Parlez dans vos cœurs, et soyez touchés de componction dans vos lits. »

V. Cependant on peut dire que la première secrète (secretella) représente le temps auquel le Christ vint à Jérusalem, pour la fête, sans être connu, tandis que la deuxième secrète (secreta) figure le temps où il fut reçu dans Jérusalem avec des hymnes et des palmes, puis crucifié six jours après. La préface, c’est quand le Christ chanta dans le cénacle le cantique d’action de grâces après lequel il s’en alla avec ses apôtres sur le mont des Oliviers ; lorsque le prêtre dit : Sursum corda, cela représente l’ascension.

VI. Deuxièmement, on dit la secrète en silence, de peur que le prêtre, en élevant la voix, ne soit moins attentif à ce qu’il fait. Troisièmement, c’est pour que la voix du prêtre ne se fatigue pas trop par un chant élevé. Quatrièmement, c’est pour que les très-saintes paroles ne soient pas divulguées et livrées au mépris.

VII. On rapporte que jadis, comme on disait publiquement et à haute voix le canon, presque tout le monde le savait par cœur et le chantait sur les places et dans les rues. Des bergers, le chantant un jour dans les champs et ayant mis un pain sur une pierre, au moment où ils prononcèrent les paroles du ca non le pain se changea en chair ; quant à eux, frappés par la justice de Dieu d’un feu céleste, ils périrent à l’instant (14). C’est pourquoi les Pères décrétèrent que l’on dirait ces paroles tout bas, défendant, sous peine d’anathème, de les prononcer à tous autres qu’aux prêtres à l’autel, pendant la messe et revêtus des ornements sacrés. On donne aussi le nom de secrètes à certaines oraisons qu’on dit tout bas avant la préface. On a parlé de cela et du silence qu’il faut garder, au chapitre de l’Inclinaison du prêtre.

VIII. L’esprit du prêtre, au moment de la consécration, doit être, comme on l’a dit ci-dessus, tout entier à ce qu’il fait, car

il faut que ceux qui adorent Dieu l’adorent en esprit et en vérité. Et afin que les mouches qui se mettent dans le parfum n’en gâtent pas la bonne odeur, c’est-à-dire pour que les pensées importunes n’ôtent pas la dévotion de la prière, on les chasse avec l’éventail (flabello) de l’esprit, c’est-à-dire qu’on les éloigne par l’inspiration de la grâce ; car lorsque le vent du midi souffle et que l’Esprit saint arrive, il agite les arbres du jardin, c’est-à-dire il féconde l’esprit pour que les parfums en découlent, c’est-à-dire que les vertus y croissent en abondance. C’est pour figurer ces choses qu’en été on se sert d’un éventail matériel (15) pendant la récitation de la secrète.

IX. C’est pour cette raison, savoir, afin que les mouches qui se mettent dans le parfum n’en gâtent pas la bonne odeur, que l’on peut dire que le canon doit être récité rapidement et non d’une manière traînante et capable d’ennuyer ceux qui l’entendent. D’où vient qu’il est dit dans l’Exode : « Hâte-toi, » ce qui s’entend de l’immolation de l’agneau, comme le prouve cet autre passage : « Vous mangerez à la hâte. » Il ne faut pas cependant dire le canon trop vite, parce qu’on ne doit pas offrir un sacrifice sans sel, c’est-à-dire sans discernement et sans dévotion. On doit aussi le lire dans le livre, pour qu’il ne puisse se produire aucune erreur.

X. Enfin le prêtre, en disant la messe, représente ce que dans l’ancienne loi le pontife faisait dans le saint des saints, et ce que le Christ a réalisé, car le pontife n’était que sa figure. Tout ce qui a lieu depuis le commencement jusqu’à la fin de la secrète représente la passion, la sépulture et la résurrection du Seigneur. On rappelle le souvenir de tout ce qui s’est fait dans la semaine avant Pâques, depuis la dixième lune du premier mois, quand Jésus sortit de Jérusalem, jusqu’à la dix-septième lune, quand il ressuscita d’entre les morts. C’est pourquoi dans la plupart des cartons d’autel (sacrariis) on représente le Christ en croix, entre la préface (prœdicationem) et le canon, afin que non-seulement le sens de la lettre, mais encore la vue de la peinture, inspirent le souvenir de la passion du Seigneur.

XI. Et il est arrivé, par la permission de Dieu, sans que l’industrie humaine ait rien fait pour cela, que le canon commence par la lettre T, qu’on appelle en hébreu thau, et cette lettre représente et exprime par sa forme la figure et le mystère de la croix ; d’où vient que le Seigneur dit, par la bouche d’Ezéchiel : « Marque un thau sur le front des hommes qui gémissent et qui sont dans la douleur de voir toutes les abominations qui se font au milieu de Jérusalem, » parce que, par la passion du Christ, toutes ces choses ont été accomplies et ont leur efficacité dans la croix. Cependant, en certains livres, on représente la majesté du Père et aussi l’image de Jésus crucifié, afin que le prêtre ait en quelque sorte présent Celui qu’il invoque et auquel il parle en ces termes : Te igitur, etc., et qu’il contemple avec les yeux du cœur la passion qui est représentée dans le livre. Le prêtre baise le bas de cette image, qui représente la majesté du Père, et fait le signe de la croix sur son front, pour témoigner qu’il s’approche avec respect du mystère de la Passion : il y en a cependant qui baisent d’abord les pieds du Père et ensuite ceux du Fils, selon l’ordre du canon. D’autres, au contraire, baisent les pieds du Christ, puis ceux du Père, parce que c’est par le Fils qu’on arrive au Père. Ensuite, le prêtre s’incline aux mots : Te igitur, comme on le dira en cet endroit. La secrète représente la passion, et la pas sion commence en cet endroit : Unde et memores, etc. Le crucifiement a lieu quand le prêtre dit : « L’hostie pure, l’hostie sainte, l’hostie immaculée. » La prière que fit le Christ sur la croix commence à ces mots : « Nous te faisons donc cette humble prière, etc. » Quand l’évêque ou le prêtre s’incline devant l’autel, cela signifie que Jésus rendit l’esprit la tête inclinée. Quand le prêtre élève la voix, en disant : « Et à nous pécheurs, » il reproduit le cri du Centurion, qui dit : « Celui-ci était vraiment le fils de Dieu. » Les deux croix que le prêtre fait sur lui et sur le calice nous apprennent que le Christ a été crucifié pour les deux peuples, les Juifs et les Gentils ; l’hostie dans le calice figure le corps du Christ ; le vin dans le calice, son sang. Quand le sous-diacre se retire d’auprès de l’évêque au moment où il commence le Pater noster, il représente les femmes qui, après que le Seigneur eut été enseveli, s’éloignèrent du tombeau. La patène représente le cœur des femmes dans leur sollicitude pour la sépulture du Christ, et ouvert (patentia) par la charité qui le dilatait, comme on l’a dit au chapitre de l’Oblation ; et on traitera de toutes ces particularités en leurs lieux.

XII. La tradition nous apprend que Gélase, le cinquante-et-unième pape depuis le bienheureux Pierre, fut le premier qui mit en ordre le canon. Mais la secrète tout entière n’a pas été composée à la fois par un seul auteur, comme on le dira à la troisième particule du canon, au mot Communicantes. Et quoique quelques paroles du canon aient été ajoutées par quelques auteurs que nous ne connaissons pas, elles ne se trouvent pas dans le texte de l’Évangile, comme on le dira dans la sixième partie du canon, aux mots Elevatis oculis. Cependant il n’es permis à personne de soustraire ou d’ajouter quelque chose au canon autre que les noms de ceux pour qui l’on offre nommément le saint sacrifice, comme on le montrera plus bas, dans la dixième partie du canon.

XIII. Il est à remarquer qu’il y en a qui s’asseoient pendant le canon de la messe ; ils représentent les apôtres, qui s’étaient assis dans le cénacle, pleins de tristesse à cause de la mort du Seigneur ; d’autres se tiennent debout, pour figurer Moïse, qui priait les mains élevées, pendant qu’Aaron et Hur lui soutenaient les bras, ce dont on a parlé au chapitre de l’Oraison. Quelques-uns, enfin, comme plusieurs des assistants du célébrant, ne sont ni assis, ni debout ; mais, revêtus des ornements sacrés, ils inclinent leurs têtes, comme on l’a dit au chapitre du Sanctus et au chapitre qui a pour titre : Comment le Prêtre et ses Ministres doivent se tenir devant l’autel.