Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 33

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 203-215).


CHAPITRE XXXIII.
DE LA PRÉFACE.


I. Au-devant de la préface, on dessine dans les livres une figure qui représente en haut la lettre U[1], et en bas la lettre D, et ces deux lettres jointes ensemble sont mises là pour Vere dignum ; ce sont les lettres initiales de ces deux mots. La lettre U, ouverte par le haut et fermée par le bas, symbolise l’humanité ou la nature humaine du Christ, qui part d’une race ancienne, et qui a eu son principe dans la Vierge, mais est sans fin. Le D, qui se ferme en cercle, est la figure de la divinité ou de la nature divine du Christ, qui n’a ni commencement ni fin. Le trait qui relie par le milieu les deux parties du D, c’est la croix, par laquelle l’humanité est unie à la divinité. On met donc cette figure au commencement de la préface, parce que, par le mystère de l’union et de la passion du Seigneur, les hommes font la paix avec les anges, et l’humanité s’associe à la divinité pour préconiser le Sauveur.

II. Dans toutes les préfaces les hommes et les anges se réunissent pour chanter tous ensemble les louanges de leur. Roi, et c’est pourquoi on chante les préfaces à haute et mélodieuse voix, parce qu’elles représentent les chants des anges. Et la préface est chantée devant l’autel et par le prêtre seul, selon cette parole de l’Apocalypse, chap. xiv : « Ils chantaient comme un cantique nouveau devant le trône…., et nul ne pouvait chanter ce cantique que ces cent quarante-quatre mille qui ont été rachetés de la terre. »

III. On appelle cette prière préface, parce qu’elle précède le sacrifice principal. C’est en quelque sorte un préambule, c’est-à-dire une préparation au saint ministère. C’est le préambule de toutes les prières qui commencent à Te igitur, et qui vont jusqu’à l’Agnus Dei, Dans la préface, le prêtre rend d’avance (prœloquitur) grâces et honneur à Dieu, afin de pouvoir mieux parvenir à consacrer le corps du Christ. La préface s’appelle aussi préparation, parce qu’elle prépare les âmes des fidèles au respect de la consécration qui va avoir lieu.

IV. On la nomme aussi l’hymne angélique, parce qu’elle es ; remplie des louanges des anges. Cependant le sacrifice s’appelle oblation dans la secrète (secretella) ; mais à partir du Dominus vobiscum, que l’on dit immédiatement après la secrète jusqu’au Sanctus, le sacrifice reçoit le nom d’hymne. C’est avec raison que dans le dernier chapitre on a dit qu’à la fin de la secrète on prononçait à haute voix ces mots : Per omnia secula seculorum, qui terminent cette oraison, et qui commencent la préface ; car le prêtre fait entendre par là que le Christ est la pierre angulaire qui de deux peuples n’en a fait qu’un en Judée en unissant les Juifs et les Gentils, afin qu’il n’y ait qu’une seule bergerie et qu’un seul pasteur. Donc le prêtre, qui va dire une chose très-digne d’attention, salue le peuple par ce mots : « Le Seigneur soit avec vous, » par lesquels il nous souhaite d’être tels, que le Seigneur daigne habiter avec nous et célébrer avec nous ce repas dans lequel une femme apporte un vase d’albâtre plein d’une huile de nard, qu’elle répandit sur la tête du Seigneur pendant qu’il était à table. Le peuple répondra : « Et avec ton esprit ; » et c’est ainsi que le prêtre et le peuple prieront mutuellement l’un pour l’autre.

V. Car dans l’Ancien-Testament tous les prêtres priaient pendant la consommation du sacrifice : Jonathas commençait, et les autres répondaient. Ensuite le prêtre, pour exciter le peuple à la prière, ajoute : « Elevez vos cœurs, » vers le ciel et non vers la terre. Et il élève ses mains pour les raisons que nous avons dites à la fin du chapitre de l’Oraison ou de la Collecte. Le chœur répondra : « Nous les avons vers le Seigneur, » c’est-à-dire nous devons les avoir ; d’où vient qu’on trouve ainsi ces mots dans un canon de Cyprien (De consec., dist. i, Quando papæ). C’est pourquoi le prêtre, en disant la préface avant l’oraison du canon, prépare l’ame de ses frères par ces mots : « Elevez vos cœurs, » afin que, quand le peuple lui répondra : « Nous les avons vers le Seigneur, » il se tienne pour averti qu’il ne doit penser à rien autre qu’au Seigneur. Le chœur ajoute encore : « Nous les avons vers le Seigneur, » pour que l’Eglise, à l’exemple de la femme au parfum, élève son cœur au Verbe divin et oigne de l’huile de la foi catholique la tête du Christ, égal à Dieu le Père, qu’elle atteindra par la foi, et dont le prêtre poursuit avec raison les louanges en disant :

VI. « Rendons grâces au Seigneur notre Dieu, » parce que nous devons le remercier de tous les bienfaits qu’il nous a ac cordés. Le chœur répondra : « Nous le devons, et il est juste, » parce que nous devons rendre grâces à Dieu tout-puissant. Le prêtre dit ensuite : « Par le Christ notre Seigneur, » ce qu’il faut compléter ainsi : « Confiants et croyants que par le Christ les Anges louent sa majesté, les Dominations l’adorent, les Puissances tremblent en sa présance. » L’Eglise conclut admi rablement les termes de cette sainte confession, lorsqu’elle chante avec les anges et les hommes, et de tout le dévoûment de son cœur, l’hymne : « Saint, saint, saint est le Dieu des armées, les cieux et la terre sont remplis de ta gloire, etc., » dont on parlera plus bas.

VII. On peut aussi rapporter l’office de la préface à ce que dit saint Luc, que Jésus monta dans une grande chambre haute, toute meublée, où il parla beaucoup avec ses disciples, et, ayant rendu grâces, il chanta à Dieu le Père cette hymne dont parle saint Mathieu en ces termes : « Et, ayant chanté le cantique d’action de grâces, ils allèrent à la montagne des Oliviers. » Donc le Dominus vobiscum représente la prière que le Christ fit avec ses disciples ; le Sursum corda c’est quand il monta au cénacle. Au Sursum corda nous nous levons pour confesser le Fils, et nous implorons le ministère des anges, que nous prions de recevoir nos vœux et de les porter à Dieu. En disant Grattas agamus, nous rendons grâces au Christ et nous invitons le peuple à remercier Dieu le Père par son Fils, qui nous a rachetés et qui nous a admis à le louer avec les anges. Le prêtre dit au peuple Sursum (en haut) ! c’est-à-dire qu’il les exhorte à s’élever au-dessus d’eux-mêmes, ou à élever leurs cœurs vers Dieu, selon ce conseil de l’Apôtre « Recherchez ce qui est dans le ciel, et non ce qui est sur la terre. » En effet, parmi tout ce qui couvre la terre on ne peut rien offrir à Dieu qui soit digne de lui ; « et où est ton trésor là est aussi ton cœur. » En effet, il y a beaucoup d’hommes qui parlent du ciel de bouche, dont le cœur est attaché à la terre ; c’est à ces hommes que le Seigneur adresse ce reproche par l’organe du Prophète : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. » Quand le chœur répond, il déclare qu’il a reçu les avis du prêtre en disant : « Nous avons nos cœurs vers le Seigneur. » Et le peuple veillera avec soin à ce que son cœur ne s’abaisse pas jusqu’à la terre, afin de ne pas mentir d’une manière condamnable. Le prêtre, à son tour après avoir rendu les autres attentifs et dévots, nous exhorte à rendre grâces au Seigneur notre Dieu, parce qu’il est Dieu, c’est-à-dire créateur ; il est aussi Seigneur, parce qu’il est rédempteur ; enfin, il est le Seigneur notre Dieu parce qu’il est notre sauveur, et il sera vraiment notre Dieu quand il sera tout pour nous, c’est-à-dire quand sa possession nous tiendra lieu de tout.

VIII. Le peuple ayant proclamé qu’il est tout entier au Seigneur, le prêtre ajoute : « Rendons grâces, » et le chœur, approuvant et confirmant la parole du prêtre, répondra : « Nous le devons, et il est juste. » Nous le devons à l’égard de Dieu, parce qu’il est le Seigneur notre Dieu. Il est juste par rapport à nous, parce que nous sommes son peuple et ses brebis qu’il nourrit dans ses pâturages. Nous le devons aussi, et il est juste par rapport à l’un et à l’autre, afin que le peuple et le prêtre ensemble rendent grâces à Dieu, dont nous, avons reçu tous les biens.

IX. Ensuite, le prêtre ajoute : Vere dignum, etc. Selon maître Pierre d’Auxerre, ici commence la préface, c’est-à-dire le prologue ou préambule du canon, qui se concilie la bonté du Seigneur par ces paroles : « Il est véritablement de notre devoir, et il est tout-à-fait juste, il est équitable et salutaire ; » c’est un devoir pour nous, parce que le Seigneur est bon ; c’est une chose juste, parce qu’il est bienfaisant ; c’est une chose équitable, parce qu’il est miséricordieux ; salutaire, parce qu’il est notre salut. Ou bien : C’est notre devoir, Seigneur, parce que tu nous as faits par ta simple volonté ; c’est juste, parce que tu nous as rachetés par pure miséricorde ; c’est équitable, parce que tu nous justifies gratuitement ; c’est salutaire, c’est-à-dire plein de salut, parce que tu nous glorifies perpétuellement. « De te rendre grâces en tout temps et en tous lieux, ô Seigneur, Père saint, Dieu tout-puissant et éternel ! » En effet, le Seigneur saint est partout, le Père tout-puissant est partout, et Dieu est toujours éternel. C’est ce qui fait dire au Psalmiste : « Mon ame, bénis le Seigneur partout où s’étend sa domination. » Et encore : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours dans ma bouche. »

X. Ensuite, le prêtre dit : « Par le Christ notre Seigneur. » Car nous avons, selon l’Apôtre, pour avocat auprès du Père, Jésus-Christ notre Seigneur, qui plaide pour nous et qui est la victime de propitiation pour nos péchés, qui nous exauce en toute chose qui est à son honneur. C’est donc par lui, comme par un médiateur, que nous offrons nos louanges ; c’est par lui, comme par un avocat, que nous rendons grâces au Père.

XI. « C’est par lui que les anges louent ta majesté, etc. » Majesté, c’est comme si l’on disait major stans, celui qui est plus grand, ou major potestas, parce que la puissance du Seigneur est plus grande que celle des hommes. « Les Anges louent, les Dominations adorent, les Puissances tremblent, » parce qu’ils louent, adorent et redoutent Celui par qui tout a été fait, et par qui tous les ordres d’esprits ont été créés dans la société du Père. Car Dieu dit : « Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite ; » il dit un mot et créa d’un mot, parce que c’est par la parole du Seigneur que les cieux ont été affermis ; tout a été fait par lui, et rien n’a été fait sans lui. Le prêtre nomme les chœurs des anges, parce qu’il est hors de doute que les anges sont présents à cette partie de la messe ; et il faut remarquer que l’Église doit être semblable aux anges, pour plaire davantage à Dieu.

XII. En disant : « Seigneur, Père saint. Dieu tout-puissant et éternel, par le Christ notre Seigneur, que les Anges louent, etc., » on donne à entendre que l’Église et les Anges louent Dieu, non-seulement en tant que Dieu, mais encor en tant que homme. Or, on dit que les Anges le louent, parce qu’on lit dans le Psalmiste : « Louez-le, vous tous qui êtes ses anges, adorez-le, etc. » Et Esdras : « Les armées du ciel t’adorent. »

XIII. « Les Puissances tremblent, » car on lit dans Job : « Les colonnes du ciel tremblent devant lui, et il les fait trembler en sa présence. » On dit que les justes tremblent ; mais ce n’est pas parce qu’ils redoutent le bras de Dieu, puisqu’ils sont parfaitement heureux, mais c’est par un effet de sa puissance ou de leur obéissance, car, selon l’Apôtre, tous les anges sont des esprits qui tiennent lieu de serviteurs et de ministres. Les Puissances tremblent, non parce que les ordres des anges sont corporels ; mais on s’exprime ainsi pour que nous comprenions que tout ce qui est dans le ciel, sur la terre et dans les enfers tremble et est rempli de crainte devant la face de la divine Majesté, de même que nous nous avons coutume de trembler et d’être pleins de crainte devant nos maîtres,

XIV. Ensuite viennent ces mots : « Les Cieux et les Vertus des cieux. » Par les Cieux on entend les Trônes, car le Seigneur a dit : « Le ciel est mon trône ; » et l’on dit que les Cieux louent Dieu, parce qu’ils sont un sujet de louange ; ce qui a fait dire au Prophète : « Que les Cieux des cieux et que toutes les eaux qui sont au-dessous des cieux louent le nom du Seigneur. » Les Cieux obéissent à l’ordre de Dieu ; car par eux-mêmes ils n’ont pas le pouvoir de se montrer purs et nébuleux.

XV. « Les Chérubins et les Séraphins. » Pour comprendre ce qu’on dit en cet endroit, il faut remarquer qu’il y a neuf ordres d’anges, savoir : les Anges, les Archanges, les Trônes et les Dominations, les Vertus, les Principautés, les Puissances, les Chérubins et les Séraphins. Aggeloi en grec, se traduit en latin par nuntii, envoyés d’en haut et du ciel, parce qu’ils sont envoyés des cieux pour annoncer et exécuter la volonté du Seigneur.

XVI. Le terme d’anges est le nom de leur emploi et non de leur nature, car ils sont avant tout des esprits ; mais quand ils sont envoyés ils reçoivent le nom d’anges. Les peintres se permettent de leur donner des ailes pour symboliser la rapidité de leur course en toutes choses, comme les fables des poètes attribuent des ailes au vent, à cause de sa vitesse, selon cette parole du Psalmiste : « Ils marchent sur les ailes des vents. » Arkangeloi, en grec, se traduit par grands envoyés ; en effet, ce sont les anges qui annoncent les petites choses ou celles d’un intérêt minime, tandis que les archanges proclament les grandes nouvelles. Les archanges sont ainsi appelés, parce qu’entre les anges ils tiennent le premier rang ; car 'Arkhôn en grec, se traduit en latin par princeps, prince ou premier. Les archanges sont donc les chefs (duces) et les princes par l’ordre de qui chaque ange reçoit ses commissions. Certains auteurs donnent aux archanges des noms particuliers, afin de désigner par ces termes mêmes les attributions de chacun d’eux.

XVII. Gabriel, en hébreu, veut dire force de Dieu, parce que partout où Gabriel est envoyé la puissance et la force de Dieu se manifestent. Ce fut lui qui annonça la naissance du Christ, qui combattit le diable, et qui vint humblement batailler contre les puissances de l’air.

XVIII. Michel signifie qui est comme Dieu. Et quand il se fait quelque chose de merveilleusement fort dans le monde, cet archange est envoyé, et il tire son nom de son office même, car personne n’a la force de faire ce que Dieu peut faire, et c’est pourquoi cet archange fut envoyé en Égypte pour lancer les fameuses plaies. Cependant certains auteurs disent que Michel est le nom d’un ange.

XIX. Raphaël signifie guérison, ou remède de Dieu, parce que partout où il est nécessaire de guérir ou de médicamenter, l’archange Raphaël est envoyé. C’est ainsi qu’il fut adressé à Tobic pour le délivrer de sa cécité. On parlera de Gabriel, de Michel et de Raphaël dans la septième partie, à l’article de la fête de Michel.

XX. Uriel signifie feu de Dieu, et nous lisons que l’on vit le feu dans le buisson, et que la flamme voltigeait au-dessus et remplissait la mission qui lui avait été donnée. Ces noms sont pour personnifier les anges, et ils ne leur ont été imposés ni par eux-mêmes ni par Dieu, mais par les hommes, et on ne sait par qui : on ne trouve pas dans l’Écriture d’autres personnifications. Voici les autres noms des ordres ; ce sont : les Trônes, les Dominations, les Vertus, les Principautés et les Puissances, par lesquels l’Apôtre entend toute la société du ciel ; on entend par ces noms les ordres des anges et leurs dignités, comme on le dira bientôt.

XXI. Relativement à cette distribution des offices entre les anges, les uns sont appelés Trônes, les autres Dominations, ceux-là Vertus, ceux-ci Principautés, d’autres Puissances, à cause des dignités particulières qui les distinguent entre eux.

XXII. Les Trônes, ce sont les troupes d’anges qu’en latin on appelle Sedes et Throni, parce que le Créateur est assis (proesidet) sur leurs ailes, et qu’il rend ses jugements par leur intermédiaire.

XXIII. Les Dominations sont les anges placés au-dessus des Vertus et des Principautés, et qui, parce qu’ils dominent les autres troupes des anges, sont appelés Dominations. On en fait mention dans la préface, pour montrer que nous devons leur ressembler davantage, parce qu’ils nous enseignent la manière de nous dominer : se dominer, c’est faire la volonté de Dieu.

XXIV. Les anges qu’on appelle Vertus remplissent un ministère par lequel ont lieu les avertissements et les miracles en ce monde, et c’est pourquoi on les appelle Vertus.

XXV. Les Principautés, ce sont les anges qui commandent les troupes des anges, et qui, parce qu’ils ont sous leurs ordres des anges pour remplir les ordres de Dieu, ont reçu le nom de Principautés ; car les uns servent, et les autres assistent, comme le dit Daniel : « Un million d’anges le servaient, « et mille millions assistaient devant lui. »

XXVI. Les Puissances, ce sont les anges auxquels les vertus ennemies sont soumises ; d’où vient qu’ils ont le nom de Puissances, parce qu’ils écartent loin d’eux les puissances du malin esprit, pour qu’elles ne leur nuisent pas autant qu’elles désirent. On nomme donc les Puissances dans la préface, pour marquer que nous devons enchaîner la puissance du diable.

XXVII. Les Chérubins rendent témoignage des mystères angéliques et des puissances sublimes des cieux, et leur nom se traduit de l’hébreu en latin par multitude ou plénitude de la science. Les Chérubins sont, en effet, les plus grandes troupes d'anges, et, parce qu’ils approchent de plus près Dieu même, ils sont plus remplis que les autres de la divine science. Ce sont ces deux animaux de métal fondu qui avaient été placés sur le propitiatoire de l'Arche, pour figurer la présence des Apôtres, au milieu desquels Dieu se montre.

XXYIII. Les Séraphins, c’est cette multitude d’anges dont le nom se traduit d’hébreu en latin par ardentes ou incendentes (enflammés ou brûlants), parce qu’ils sont enflammés et qu’ils brûlent du feu de la charité par-dessus tous les autres anges, et parce qu’entre eux et Dieu il n’y a pas d’anges intermédiaires. Comme ils sont plus près de sa face, ils rayonnent plus que tous les autres anges de l’éclat de la divine lumière.

XXIX. C’est des Séraphins qu’Isaïe dit : « Ils voilent la face et les pieds de Celui qui est assis sur le trône de Dieu. » Le reste de la foule des anges ne peut voir entièrement l’essence de Dieu, puisque les Séraphins la couvrent, selon Isaïe. On mentionne dans la préface les Chérubins et les Séraphins, parce qu’à leur exemple nous devons être tous enflammés de l’amour de Dieu. On trouve le mot Séraphin du genre neutre et du genre masculin ; mais c’est un nom neutre qui se termme en n, comme on le voit en cet endroit de la préface : Beata Seraphin. Au masculin, ce nom se termine en m, comme dans ce passage du Prophète : « Les Séraphins (Seraphim) se criaient l’un à l’autre. » Saint Jérôme dit que Chérubim et Séraphin sont du nombre singulier et du genre masculin : la terminaison de ce nom est le plus souvent en n, non parce que les ministres de Dieu ont un sexe, mais parce que l’on donne divers genres aux mots, suivant la propriété d’une langue. La langue grecque termine d’ordinaire les mots du genre neutre en m. Josèphe dit que Chérubim et Seraphim sont deux animaux qui volent, comme on l’a dit dans la préface de cette partie. Les noms des autres ordres d’anges, à l’exception de ceux des Chérubins et des Séraphins et du nom général d’anges, sont latins. Il y a neuf ordres d’anges, comme on l’a dit.

XXX. Le dixième ordre d’anges étant tombé à cause de son orgueil, se changea en la personne du diable, et les neuf autres furent affermis dans la possession de l’éternelle béatitude. On cherche pourquoi trois ordres sont exclus dans la préface ordinaire, et pourquoi cette hymne n’en contient que six, qui y sont désignés comme ayant seuls des trônes dans les cieux, comme on l’a dit. Il semble que ce soit parce que les trois ordres exclus de la préface ne glorifient pas et n’adorent pas comme les autres la majesté divine ; mais il n’en est rien, car les Vertus des cieux comprennent tous les ordres d’anges, comme l’atteste saint Grégoire dans son homélie sur l’évangile qui commence par ces mots : « Il y aura des signes dans le soleil et dans la lune. » Ce qui a fait dire au Psalmiste : « Les cieux ont été affermis par la parole du Seigneur, et toute leur vertu a été confirmée par le souffle de sa bouche. » Et encore : « Le Seigneur des vertus est lui-même ce roi de gloire ; » ou peut-être cela a lieu pour cette raison., quoique cachée.

XXXI. Saint Denys l’Aréopagite a enseigné qu’il y avait trois hiérarchies ou ordres d’anges, et il met trois ordres dans chaque hiérarchie, pour montrer que la ressemblance de la Trinité y est figurée. Hiérarchie vient de deux mots grecs : iéron, saint, et arkhè, commandement ; comme si l’on disait un saint commandement. Il y a trois ordres supérieurs et principaux, trois inférieurs, et trois moyens. Les ordres supérieurs sont : les Chérubins, les Séraphins et les Trônes. Les ordres moyens sont : les Dominations, les Principautés et les Puissances. Les ordres inférieurs sont : les Vertus, les Archanges et les Anges.

XXXII. Dans la préface on passe l’ordre moyen de chaque hiérarchie, pour montrer qu’en comparaison de l’éternelle Trinité, dont on loue principalement la majesté dans la préface, toute autre trinité se trouve amoindrie et imparfaite ; car qui, dans les cieux, sera égal au Seigneur ? et qui, parmi les enfants de Dieu, sera semblable au Seigneur ? On ôte des ordres supérieurs les Chérubins ; des ordres moyens, les Principautés ; des ordres inférieurs, les Archanges. Les Anges louent cette éternelle et indivisible Trinité, les Dominations l’adorent, les Puissances tremblent en sa présence. « Et nous te prions de rececevoir nos voix avec les louanges de ces bienheureux esprits, etc. »

XXXIII. Le Dieu tout-puissant a mis au monde deux créatures raisonnables, les anges et les hommes, pour qu’elles s’appliquent à louer Dieu et à lui rendre des actions de grâces ; et quand, unies par un même désir, ces deux créatures célèbrent ensemble le Seigneur, elles sont de cœur à l'unisson, comme les cordes hautes et basses dans cette harpe céleste dont saint Jean dit qu’il entendit une voix comme le son de plusieurs joueurs de harpes qui touchent leurs harpes, et ils chantaient comme un cantique nouveau.

XXXIV. Or, le prêtre dit : a Ils célèbrent ton saint nom dans des transports de joie, » parce que tous les ordres d’anges que nous venons de nommer, et avec eux les créatures humaines, célèbrent également tous ensemble la majesté de Dieu le Père, par le Christ, « en disant, par un humble aveu, » en disant, non avec une orgueilleuse présomption, mais en louant humblement Dieu : « Saint, saint, saint, etc. »

XXXV. Enfin, le pape Gélase a composé des traits et des hymnes, et il a noté des préfaces en musique dont le style n’est ; pas élégant. Il est à remarquer que, quoique jadis il y ait eu un nombre infini de préfaces, aujourd’hui elles sont réduites par les canons au nombre de dix seulement. D’où vient que le pape Gélase dit (De consec., dist. i, Invenimus) : « Nous avons trouvé qu’on ne devait recevoir que neuf préfaces dans les saints Livres : la première pour la résurrection et le samedi de Pâques, la deuxième pour le jour de l’Ascension du Sei : gneur, la troisième pour le jour de la Pentecôte, la quatrième pour Noël, la cinquième pour l’Epiphanie du Seigneur, la sixième touchant les Apôtres, la septième relativement à la sainte Trinité, la huitième en l’honneur de la Croix, la neuvième qui traite du jeûne et qu’on doit seulement dire pendant le Carême. » On parlera de cette dernière préface dans la sixième partie, au Mercredi des Cendres.

XXXVI. Le pape Urbain (lxx dist., Sanctorum) ajouta une dixième préface, relative à la bienheureuse vierge Marie ; c’est qu’elle qui commence par ces mots : Æquum et salutare : quæ est unigenitum tuum sancti Spiritus, etc.

  1. Pour V.