Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 32

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 197-199).


CHAPITRE XXXI.
LE PRÊTRE ENCENSE L’AUTEL UNE SECONDE FOIS.


I. Après avoir reçu l’offrande mystique dont nous venons de parler, on brûle de l’encens, pour figurer ce que raconte Jean dans l’Évangile, et dont on a dit un mot vers le commencement du chapitre qui précède celui-ci, savoir : que Marie-Madeleine prit une livre d’huile de nard pur et précieux, et en oignit les pieds de Jésus, et la maison fut remplie de l’odeur de ce parfum. Le prêtre balance l’encensoir sur l’autel et autour, en formant le signe de la croix sur le sacrifice et l’autel, afin, par le signe de la croix et l’encens, de déjouer la malignité des piéges du diable et d’y échapper.

II. En balançant trois fois l’encensoir sur l’autel et autour, il rappelle que Marie oignit à trois reprises le corps de Jésus, premièrement, elle oignit les pieds de Jésus chez Simon le Pharisien. Deuxièmement, lorsque chez Simon le lépreux elle répandit un parfum sur sa tête. Troisièmement, lorsqu’elle acheta des aromates et vint embaumer Jésus, qu’on avait déjà mis dans le sépulcre, car la volonté est réputée pour le fait (XVII, q. i). Si donc elle n’a pas accompli son désir, cependant il a eu un commencement d’exécution. Lorsqu’ensuite on encense l’autel de tout côté, c’est pour montrer que cette action de Madeleine a été publiée par toute l’Eglise, comme le Seigneur lui-même l’atteste : « En vérité, en vérité, je vous dis que partout où sera prêché cet Évangile, c’est-à-dire dans tout le monde, on racontera à la louange de cette femme ce qu’elle vient de faire. »

III. On peut encore dire qu’on encense l'autel pour représenter l’ange qui se tenait devant l’autel du temple, ayant un encensoir à la main, d’où la fumée des aromates montait en la présence du Seigneur. Car le Christ, qui est l’Ange du grand Conseil, a offert pour nous au Seigneur, sur l’autel de la croix, comme un sacrifice d’agréable odeur, sa chair immaculée, embrasée du feu de l’Esprit saint. La fumée des aromates, ce sont les prières des saints, qui, entretenues par l’ardeur de la charité que leur inspire la passion du Seigneur, montent à Dieu le Père, et nous méritent d’être couronnés par la Trinité ; voilà pourquoi le prêtre encense en forme de croix et de couronne : en encensant une fois, il rappelle qu’il n’y a eu qu’une passion ; en décrivant une fois le cercle (corona), il rappelle la récompense d’un denier ; en encensant trois fois, il figure la coopération de la Trinité dans la passion, et la glorification des trois ordres, d’où vient qu’en encensant il dit : « Seigneur, que ma prière monte comme l’encens en ta présence, etc. ; » c’est dans le sens moral qu’il faut brûler l’encens de la dévotion dans l’encensoir du cœur, avec le feu de la charité, pour qu’il exhale une odeur suave, afin que, tant nous que notre offrande, nous soyons en bonne odeur devant Dieu ; sur quoi l’Écriture dit que nous sommes chargés des fonctions du sacerdoce et de louer le nom du Seigneur, etc. Le prêtre, qui figure le Christ, reçoit cet encens et en parfume le sacrifice et l’autel. On peut dire aussi que l’encensoir, dans lequel le prêtre offre l’encens, représente le Christ, par lequel il demande que Dieu lui soit propice. C’est avec raison que l’on encense toute l’assemblée des fidèles, pour montrer que tout ce que fait le prêtre se rapporte à tous ; ce qui a fait dire au Psalmiste : « Seigneur, que ma prière monte comme l’encens : en ta présence. » Cette cérémonie n’a pourtant pas lieu à la messe des morts, comme on le dira dans la septième partie, au chapitre de l’Office des Morts.

IV. Dans le Concile de Rouen, publié par Bouchard, livre iii, chapitre Ut tempore, on lit : « Nous avons décrété qu’après la lecture de l’évangile on encensera l’offrande en mémoire de la mort de notre Rédempteur. » Le pape Léon établit aussi qu’on encenserait l’offrande. Cependant certains hérétiques disent follement qu’on ne doit pas encenser pendant la messe, parce que le Christ n’a pas fait fumer l’encens terrestre dans la Cène, et qu’Isaïe dit : « L’encens m’est en abomination. » On a dit au chapitre de l’Aspersion de l’Eau bénite pourquoi l’on encense l’autel et le crucifix. Après l’encensement, le prêtre lave une seconde fois ses doigts, et il ne touche plus rien, jusqu’après la communion, avec les doigts qui lui servent à manier l’hostie consacrée, et après l’élévation de l’hostie il joint ses mains, comme on le dira à l’article de la huitième partie du Canon. L’assistant de l’évêque tire et ramène sur ses bras la chasuble (planetam) et ses autres vêtements, car dans l’ancienne loi, lorsque le grand-prêtre sacrifiait, il rejetait les extrémités de sa ceinture sur ses épaules.