Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 24

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 130-153).


CHAPITRE XXIV.
DE L’ÉVANGILE.


I. Dans un des derniers chapitres, un peu ci-devant, on a dit comment le prêtre, lorsqu’il ne célèbre pas une messe solennelle, lit lui-même l’évangile. Mais quand l’évêque ou le prêtre célèbre le saint sacrifice en entier, dans toute sa pompe et entouré de ses assistants, alors, dans certaines églises, comme à Rome, le diacre, après avoir baisé la main droite du pontife, prend sur l’autel le livre des évangiles, le passe ensuite au sous-diacre pour qu’il le porte, demande ensuite à l’évêque ou au prêtre sa bénédiction et la reçoit. Cependant, dans les autres églises le diacre demande d’abord la bénédiction avant que de prendre le livre sur l’autel. Après avoir reçu la bénédiction, le diacre va au pupitre placé à droite du chœur ; il est précédé du sous-diacre portant l’évangile, devant lequel on porte l’encensoir avec l’encens, que devancent les céroféraires avec leurs cierges allumés. Dans certaines églises, on porte en tête de la marche l’étendard de la croix, et c’est dans cet ordre que le diacre monte au pupitre et commence l’évangile, après la lecture duquel tous retournent ensemble devant l’évêque ou le prêtre. Nous examinerons l’une après l’autre toutes ces particularités dans la suite de ce chapitre. Il est à remarquer qu’en certaines églises, aux principales festivités, lorsque le diacre veut aller lire l’évangile, il commence l’antienne qu’on dit à nocturne pour le psaume Benedictus, et que pendant qu’il se rend au pupitre le chœur chante et finit cette antienne, pour marquer la charité ; et on la dit sans neume, pour montrer que Dieu ne nous a recommandé que d’avoir la simple charité. Mais ce symbole est changé à l’heure qu’il est ; car le diacre, qui d’abord représentait le Prophète, figure à présent Jean l’évangéliste, parce que la loi et les prophètes se sont arrêtés à Jean-Baptiste, et c’est à partir de lui que le royaume des cieux a été annoncé (evangelizatur). On lit donc l’évangile, afin que, comme le Christ a prêché lui-même après la loi, les prophéties et les psaumes, de même, après l’épître, le répons et l' allelu-ia, sa prédication est annoncée au peuple par l’évangile.

II. Évangile veut dire bonne nouvelle, et se compose de deux mots grecs en et aggelion. L’Évangile, c’est la prédication du Christ et des apôtres ; il annonce, en effet, la vie après la mort, le repos après la fatigue, la puissance après la servitude.

III. Il faut savoir que, de même que la tête s’élève au-dessus de tous les autres membres du corps, et que tous dépendent d’elle, ainsi aussi, l’Évangile est le principe de tout ce qu’on dit à la messe et domine tout le saint sacrifice ; tout ce qu’on chante et lit se rapporte à lui, qui en donne l’intelligence, comme on le dira dans la sixième partie, à l’article du Dimanche en général.

IV. Or, le diacre baise d’abord la, main droite du pontife, sans rien dire, parce que le prédicateur doit répandue l’Évangile en vue de la gloire éternelle, dont la fiancée dit dans le Cantique des cantiques : « Il m’embrassera de sa main droite. » Et l’ange qui venait annoncer la gloire de la résurrection du Christ était assis à droite dans le tombeau, et revêtu d’une robe blanche. Cependant, dans les autres églises il ne baise pas la main du célébrant, mais il s’incline seulement pour demander la bénédiction. Le sous-diacre ou le diacre ne baise pas les mains, mais les pieds du pontife romain, pour rendre au Souverain-Pontife un souverain respect, et pour montrer qu’il est le vicaire de Celui dont la femme pécheresse baisait les pieds. On doit adorer (adorandum) l’escabeau de ses pieds, parce qu’il est saint, et quand le Christ fut ressuscité d’entre les morts, les femmes prirent ses pieds et les adorèrent. En général, personne ne doit baiser la main du Souverain-Pontife, à moins qu’il ne reçoive quelque chose de ses mains, ou quand il lui met quelque chose entre les mains, pour montrer que de deux manières nous devons rendre grâces à Celui qui donne toujours de ce qui lui appartient en propre, et qui ainsi ne reçoit jamais rien qui ne lui appartienne déjà. Nous dirons au chapitre des Oblations quelles sont les offrandes que reçoit le pontife romain.

V. Ensuite, le diacre prend sur l’autel le livre des évangiles, parce que « la loi sortira de Sion, et la parole du Seigneur de Jérusalem. » Et il ne s’agit pas ici de la loi de Moïse, qui avait été tirée du mont Sinaï, mais de la loi de l’Évangile, dont le Prophète dit : « Voici que les jours sont arrivés, dit le Seigneur ; je consommerai le Nouveau-Testament avec la maison d’Israël et la maison de Juda. » On prend encore le livre de dessus l’autel, parce que les apôtres reçurent l’Évangile de l’autel, lorsqu’en le prêchant ils annonçaient la passion du Christ. Ou bien ici l’autel indique les Juifs, à qui le royaume de Dieu est ôté pour être donné à un peuple qui en produira les fruits. Prendre le livre de dessus l’autel signifie que l’Évangile est la parole de Dieu, que symbolise l’autel, selon l'Exode, chapitre xx : « Vous me dresserez un autel de terre. » Et, pour les raisons précitées, certains prêtres voulant dire à la fin de la messe l’évangile de saint Jean ou un autre, impriment d’abord le signe de la croix sur l’autel, et ensuite sur leur front.

VI. Le diacre prend le livre, comme le veulent certains auteurs, à droite de l’autel, parce que l’Église des Juifs, dont la nôtre a pris naissance anciennement, était à droite ; et il le met dans sa main gauche, en appuyant dessus sa main droite, selon cette parole : « Il met sa main gauche sous ma tête, et il m’embrasse de sa main droite ; » et cela pour une triple raison. Premièrement, parce que l’Évangéliste nous enseigne à mettre les biens du ciel, figurés par la main droite, au-dessus des biens terrestres, représentés par la main gauche. Deuxièmement, le diacre abaisse le livre sur l’épaule gauche, pour marquer que la prédication du Christ passera des Gentils aux Juifs, selon cette parole d’Isaïe, chapitre xx : « En ces jours-là, Juda sera sauvé. » Troisièmement, parce que dans la vie du temps, désignée parla gauche, il est nécessaire de prêcher l’Évangile. Dans certaines églises, le livre des évangiles est orné à l’extérieur d’argent et de pierres précieuses, comme on l'a dit dans la troisième partie, au chapitre des Vêtements de l’ancienne loi. Ce livre, depuis l’entrée du prêtre à l’autel jusqu’à la lecture de l’évangile, reste sur l’autel pour figurer Jérusalem, parce que la doctrine de l’Évangile fut d’abord promulguée à Jérusalem et y demeura depuis l’avènement du Seigneur jusqu’au moment de sa publication aux Gentils, selon cette parole : « La loi sortira de Sion, et la parole du Seigneur de Jérusalem. » Or, Jérusalem est le théâtre de la passion, figuré par l’autel.

Vil. C’est avec raison que le diacre demande à être béni, parce que nul ne doit prêcher l’Évangile s’il n’en a reçu la mission, selon cette parole : « Comment prêcheront-ils, s’ils ne sont envoyés ? » (Extra De hœred. cum ex injuncto). Et le Seigneur dit aux apôtres : « Priez le maître de la moisson qu’il envoie des ouvriers en sa moisson » (xxv d., In novo). Et quand Isaïe entendit la voix du Seigneur qui disait : » Qui enverrai-je, et qui ira porter nos paroles ? » il répondit : « Me voici, envoie-moi. » Et le Seigneur lui dit : « Vas, et dis à ce peuple : Ecoutez ce que je vous dis, etc. » (VIII, q. i, Sciendum).

VIII. Moïse figura d’avance cette bénédiction, lorsque, montant sur la montagne, il reçut les tables et la bénédiction du Seigneur, et transmit ses commandements au peuple. Le Seigneur a aussi béni l’ordre diaconal ; il lui a donné l’Esprit saint, et il l’a envoyé prêcher par tout l’univers. Voilà pourquoi le pontife ou le prêtre bénit d’une manière visible le diacre, qui doit lire l’évangile, ce qu’il n’a pas fait pour le sous-diacre, qui lit l’épître ; parce que le Christ, demeurant invisible, envoya d’une manière invisible la loi et les prophéties figurées par l’épître ; mais, après qu’il se fut montré sur la terre et qu’il eut conversé avec les hommes, il instruisit et envoya d’une manière visible les apôtres et les évangélistes. « Et où vous irez (leur dit-il) prêchez, en disant que le royaume des cieux est proche. » Et, étant partis, ils allaient dans les bourgs, en prêchant la bonne nouvelle et opérant des guérisons. Le célébrant envoie le diacre lire l’évangile, pour marquer que le Christ envoya les apôtres pour annoncer le royaume de Dieu.

IX. Puis le diacre, méditant ce que le célébrant lui a dit en le bénissant, s’appliquera à avoir le cœur sans tache, la bouche pure, et la chasteté dans ses actions, afin de pouvoir dignement annoncer le très-saint Évangile :, parce que la source des eaux vivantes, c’est-à-dire la’prédication de l’Évangile, ne coule avec impétuosité, c’est-à-dire librement, que du Liban, c’est-à-dire d’un cœur chaste et d’une bouche pure. En effet, la louange n’est pas belle sur les lèvres du pécheur ; bien plus, Dieu lui a dit : « Pourquoi célèbres-tu ma justice et as-tu l’audace de me rendre témoignage par ta bouche ? » (III, q. viii, § Quod testatur). Et c’est pourquoi le diacre se munit du signe de la croix ; puis, ayant obtenu son congé et la bénédiction qu’il demandait, et ayant fait le signe de la croix afin de marcher avec sécurité, il s’avance vers le pupitre, en silence, la tête inclinée, et sans rien porter, dans certaines églises, à cause de la recommandation que le Seigneur lui-même fît aux apôtres, qu’il envoya pour prêcher le royaume de Dieu : « Vous ne porterez rien en voyage, et ne saluez personne dans le chemin. » Cependant, dans d’autres églises le diacre porte le livre, comme on le dira tout-à-l’heure. Arrivé à l’ambon, il salue comme s’il entrait dans une maison et qu’il lui souhaitât la paix, comme on le dira plus bas ; et il passe de la droite du chœur à la gauche, pour que le livre des évangiles suive cette direction, selon cette parole : « La loi sortira de Sion, et la parole du Seigneur de Jérusalem, » comme on l’a dit plus haut. En effet, la Judée ayant méprisé la parole de Dieu, les apôtres allèrent des Juifs aux Gentils, figurés par la gauche, et leur prêchèrent cette parole divine. D’où vient que l’Apôtre dit aux Hébreux : « Vous étiez les premiers à qui il fallait annoncer la parole de Dieu ; mais, puisque vous la rejetez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, nous nous en allons présentement chez les Gentils » (Extra De renun. nisi). On a parlé de cela ci-dessus, dans un des précédents chapitres.

X. Dans l’Église romaine et dans quelques autres, le sous-diacre ne suit pas le même chemin que le diacre pour aller au pupitre, parce que tous les deux accroissent la somme de leur science d’une manière différente, celui-ci en enseignant, celui-là en étudiant, et parce qu’ils progressent dans la justice, le serviteur par le mérite de ses œuvres, et le prédicateur par celui de sa parole ; ce qui a fait dire au Psalmiste : « Ta justice est comme les montagnes les plus élevées. » Ils descendent cependant par le même chemin pour retourner au pontife, parce que c’est en persévérant jusqu’à la fin qu’on arrive à la récompense, comme le Seigneur l’a dit : « Celui-là sera sauvé qui persévérera jusqu’à la fin » (De pœnit., dist. ii, Apostolus, etc., multi). Et, comme la prédication sans les œuvres ne suffit pas, Jésus commença à faire et à enseigner ; c’est pourquoi le prédicateur (le diacre) revient par le chemin qu’avait pris le serviteur (le sous-diacre) en allant. En outre, celui qui doit lire l’évangile part et monte par un chemin, et revient et descend par un autre, pour rappeler cette parole de l’Évangéliste : « Ils s’en retournèrent en leur pays par un autre chemin ; » et parce que les apôtres prêchèrent d’abord les Juifs et ensuite les Gentils, selon cette parole de l’Apôtre déjà citée : « Vous étiez les premiers à qui il fallait annoncer la parole de Dieu ; mais, puisque vous la rejetez et que vous vous jugez vous-mêmes indignes de la vie éternelle, nous nous en allons présentement chez les Gentils. »

XI. C’est avec raison que le sous-diacre précède le diacre, parce que Jean-Baptiste et sa prédication précédèrent le Christ et sa parole ; de plus, en certaines églises, il porte un coussin pour mettre sous le livre. Le coussin qu’on met sous le livre pour l’y poser signifie la consolation de la vie ou les biens temporels, comme si l’on disait : « Si donc nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une chose surprenante que nous recueillions un peu de vos biens temporels ? » (I Cor., ix, 11, q. § i) ; car, selon l’Apôtre dans la première épître aux Corinthiens, « ceux qui servent à l’autel ont part aux oblations de l’autel) » (Extra De prœbe), puisque, selon le Christ, « celui qui travaille mérite qu’on le nourrisse » (saint Mathieu, ch. x) ; et le Seigneur mit ce précepte dans la loi : « Tu ne fermeras pas la bouche au bœuf pendant qu’il foule le blé » (Extra De prœb. extirpandœ). On place ! encore un coussin sous l’évangile pour montrer que le joug du Seigneur ou le fardeau de l’Évangile est doux à porter pour ceux qui veulent bien l’accepter. On lit en saint Mathieu : « Mon joug est doux, et mon fardeau est léger. » — « Celui qui s’est soumis (subjicitur) à ce joug a tout subjugué (subjecta habet), » dit [saint] Augustin. Donc, le coussin c’est la suavité et la douceur qui résident dans les commandements de Dieu. C’est ce qui a fait dire au Prophète : « Tu t’es révélé au pauvre dans ta douceur, ô Dieu ! » et encore : « Combien sont doux à ma bouche tes enseignements, Seigneur ! » Cependant, dans l’Église romaine le diacre marche le premier, en sa qualité de docteur, et le sous-diacre le suit, au titre d’auditeur : le diacre marche le premier pour prêcher ; le sous-diacre le suit, pour remplir son emploi de serviteur. Mais, après la lecture de l’évangile, le sous-diacre, en quelque sorte suffisamment instruit maintenant, précède le diacre en rapportant l’évangile, parce qu’il rapporte la récompense d’avoir servi la cause de l’Évangile, selon ce que le Seigneur même a promis dans l’Évangile ; « Celui qui reçoit un prophète en qualité de prophète recevra la récompense du prophète. » Et le diacre envoie devant lui le sous-diacre au pontife, pour lui montrer qu’il rapporte le fruit de la prédication, touchant lequel le Seigneur avait ordonné ce qui suit : « Je vous ai établis, et je vous ai établis, afin que vous marchiez, que vous rapportiez du fruit, et que votre fruit demeure toujours. » Ajoutons à cela que le sous-diacre, qui rapporte le livre et le coussin, montre que le prédicateur doit offrir à Dieu sa vie ornée de bonnes œuvres. D’où vient que l’Apôtre dit aux Corinthiens : « Tout ce que vous faites ou en paroles ou en actions, faites-le au nom du Seigneur Jésus-Christ » (XXVII, q. ult., Non observetis).

XII. Le diacre fait aussi marcher devant l’évangile l’encensoir et l’encens, parce que les œuvres du Christ précédèrent son enseignement, selon cette parole : « Jésus commença à faire et à enseigner. » Et l’encensoir avec l’encens signifie la prière dite avec dévotion, que doivent surtout faire les fidèles alors qu’ils se préparent à entendre la divine parole. Le diacre envoie encore devant lui l’encensoir, parce que le prédicateur doit exhaler de sa personne l’odeur d’une bonne réputation, selon cette parole de l’Apôtre : « Nous sommes devant Dieu la bonne odeur du Christ en tous lieux. » Car le mépris est réservé à la prédication de celui dont la vie est regardée sans respect (Extra De sac. unc., c. i).

XII. Troisièmement, l’encensoir précède le diacre, afin que la prière monte vers le Seigneur comme la fumée de l’encens. Devant l’encensoir marchent deux porte-cierges avec des flambeaux allumés, d’abord parce que le diacre doit allumer dans le cœur des auditeurs le désir et la joie d’entendre avec plaisir l’évangile et de lui obéir de plein gré. Cependant, dans certaines églises l’encensoir précède les cierges, parce que les prières et les œuvres, toutes les vertus, en un mot, tirent leur flamme, leur lumière et leur éclat de la prière, figurée par l’encens, selon cette parole : « Que votre lumière luise ; » et : « Il sortait de lui une vertu qui les guérissait tous. » Ensuite, le prêtre ou l’évêque fait précéder le diacre de deux acolytes portant des cierges et de l’encens, pour montrer que le Christ envoyait devant lui deux par deux ses apôtres dans toute ville ou pays où il devait aller lui-même, portant devant lui l’éclat des miracles et le parfum des vertus. D’où vient qu’à leur retour ils lui dirent : « Seigneur, les démons se soumettent à nous en nous entendant prononcer ton nom. » C’est avec juste raison que les apôtres sont représentés ici comme la face même du Christ, car ils montraient aux peuples le modèle de sa doctrine ; c’est pourquoi il leur disait : « Qui vous reçoit me reçoit. » Troisièmement, l’encensoir et les chandeliers précèdent le livre des évangiles, parce que les vertus et la réputation du Christ précédaient son enseignement, au rapport de l’évangéliste saint Luc : « Jésus s’en retourna en Galilée plein de la force de l’Esprit saint, et sa réputation se répandit dans tout le pays d’alentour, et il enseignait dans leurs synagogues. » Quatrièmement, à cause de ce qui a été dit dans la seconde partie, au chapitre de l’Acolyte.

XIV. Les deux cierges allumés désignent encore les docteurs de l’Église, par qui l’Église est illuminée, et la science qu’ils doivent avoir de l’Ancien et du Nouveau-Testament. Et l’on décore aussi ces cierges, la plupart du temps, de lignes de diverses couleurs, pour montrer que la très-sainte Écriture est expliquée de diverses manières par ces mêmes docteurs, comme on l’a dit au commencement de ce livre. Quand ces lignes sont d’or ou d’argent, elles marquent que l’on trouve dans ces docteurs l’or de la science (sapientiœ) et l’argent de l’éloquence.

XV. Ces mêmes cierges désignent aussi les deux Testaments, par lesquels le genre humain est illuminé ; ou bien la loi et les prophètes, que dans certaines églises, pendant la lecture de l’évangile, on met sur le pavé, parce que l’ombre de la loi et les énigmes des prophètes sont compris même par les plus petits (humilibus), avec le secours de la lumière de l’Évangile ; car devant la doctrine évangélique la loi et les prophètes se sont réduits entièrement à la lettre. Cependant, en certaines églises, aux jours ouvrables, un enfant portant un seul cierge précède le diacre, pour marquer qu’un seul précurseur, savoir, Jean-Baptiste, qui fut la lumière (lucerna) du Verbe, précéda le premier avènement du Christ, qui fut humble et caché. MaiS, aux jours de fêtes, deux cierges marchent devant le diacre, parce qu’au second avènement, qui sera solennel et manifeste, deux héraults, savoir, Elie et Enoch, seront envoyés en héraults et en éclaireurs, et ils seront tués par l’Ante-Christ dans Jérusalem, ce que symbolise l’extinction des cierges. On a parlé ailleurs des chandeliers et aussi des cierges, dans la première partie, au chapitre des Peintures.

XVI. La croix marche devant : Premièrement, pour montrer que le diacre doit prêcher le Crucifié. Deuxièmement, parce que celui qui le regarde avec foi est guéri de la morsure de l’antique serpent, car le Christ en croix c’est le serpent même d’airain sur le pilier. Troisièmement, la croix précède l’évangile, pour montrer que le prédicateur doit suivre le Crucifié. D’où vient que le Seigneur dit à Pierre : « Suis-moi » ([saint] Jean, chap. xxi). Puis le diacre monte à l’ambon.

XVII. On appelle, en latin, ambo, ambonis, le pupitre sur lequel on lit l’évangile (9)[1]. Le nom d’ambon vient du verbe ambio, ambis aller à l’entour, parce que cet endroit est entouré (ambitur) de degrés ou marches. Dans certaines églises il y a deux paires de degrés ou deux montées à l’ambon au milieu du chœur, l’une à gauche, savoir, vers l’orient, par où l’on monte ; l’autre à droite, savoir, vers l’occident, par où l’on descend, comme il a été dit plus haut. Le diacre monte du côté du midi, car le Christ vint (ascendit) de Béthel ou Bethléem, qui est au midi, à Jérusalem. Et il est dit : « Dieu viendra du côté du midi. » Le diacre monte donc à l’ambon pour marquer que le Christ entoure de sa protection (ambit) tous ceux qui gardent la parole de l’Évangile, pour pouvoir être compris (ambiri), et ainsi être mieux entendu par les hommes.

XVIII. Le diacre monte aussi, pour, d’un lieu élevé et à haute voix, annoncer l’évangile, de manière à ce qu’il soit entendu partout et par tous, selon cette parole du Prophète : « Monte sur une montagne élevée, toi qui annonces la bonne nouvelle (evangelizas) à Sion ; emploie toute la force de ta voix. » Et le Seigneur dit dans l’Évangile : « Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le à la lumière, et ce que vous entendez à l’oreille, prêchez-le sur les toits » (Extra De hœred. cum ex injuncto), afin que nous imitions le Seigneur, qui monta sur une montagne pour prêcher l’Évangile, et qui, ayant ouvert la bouche, instruisit ses disciples en ces termes : « Bienheureux les pauvres en esprit, etc. » La loi fut aussi donnée sur une montagne. Or, on lit l’évangile sur un endroit élevé et éminent, parce que la doctrine évangélique fut portée par toute la terre, selon cette parole : In omnem terram exivit sonus eorum, etc. (ix d., Ita). On lit l’épître dans un endroit plus bas, parce que la loi et les prophètes, symbolisés par elle, furent renfermés en Judée, selon cette parole : « Dieu s’est fait connaître dans la Judée, etc. » En outre, l’épître figure la prédication de l’Ancien-Testament, qui est terre à terre (humilior) ; tandis que par l’évangile on entend celle du Nouveau, qui est plus élevée. En effet, la doctrine du Christ ou la loi évangélique surpasse celle des apôtres, et celle des apôtres surpasse la doctrine de l’ancienne loi. Ce qui fait que l’Apôtre dit aux Hébreux, chap. vii : « La loi ne conduit personne à une parfaite justice, » tandis que l’Évangile sauve tout homme qui croit.

XIX. Mais à la messe pour les défunts on ne lit pas en un lieu éminent, mais près de l’autel, l’évangile et l’épître, pour marquer que les morts ne tirent aucun fruit des prédications que l’on fait publiquement aux vivants. Quand ces derniers manquent à l’église, on ne peut faire d’instructions publiques ou particulières, mais on prie plutôt pour eux le Christ, figuré par l’autel, pour qu’approchant de lui nous puissions obtenir pour eux quelque révélation.

XX. On lit d’ordinaire l’évangile sur un aigle, selon cette parole du psaume xvii : « Il a volé sur les ailes des vents ; » et l’on couvre cet aigle ou l’endroit où on lit l’évangile les jours de fêtes, d’une étoffe de lin ou de soie, pour signifier la flexibilité des cœurs des chrétiens. Car le Seigneur a dit par la voix du prophète Ezéchiel : « Je vous donnerai un cœur de chair, et j’écrirai ma loi dans vos cœurs. » Mais on ne couvre pas l’endroit sur lequel on lit l’épître, pour montrer la dureté des cœurs des Juifs.

XXI. Quand le diacre va lire l’évangile, il passe à gauche, comme on l’a déjà dit ci-dessus, au chapitre du Changement de Place du prêtre, et il tourne sa figure vers l’aquilon ou nord-est, selon cette parole d’Isaïe, chap. xviii : « Je dirai à l’aquilon : Donne-moi mes enfants, et au vent du midi : Ne les empêche point de venir, » pour montrer que nous devons nous armer de l’enseignement de l’Évangile et diriger spécialement la prédication du Christ contre celui qui a dit : « Je poserai mon trône contre l’aquilon, et je serai semblable au Très-Haut ; » car, selon le Prophète, « c’est de l’aquilon que tout mal se répandra sur les habitants de la terre. » On lit aussi l’évangile vers l’aquilon, selon ce qu’on lit dans le Cantique des cantiques, chap. iv : « Que l’aquilon se retire, » c’est-à-dire que le diable s’enfuie, ce et que le vent du midi vienne, » c’est-à-dire que l’Esprit saint s’approche. Or, c’est avec raison qu’on lit l’évangile contre le diable pour le chasser par sa vertu, car le diable ne hait rien tant que l’Évangile. L’aquilon, qui est un vent froid, signifie le diable, qui, par le souffle des tentations, refroidit et gèle les cœurs des hommes par la crainte de Dieu. Comme donc la foi est renfermée dans l'Évangile, qui est notre armure contre le diable, selon cette parole : « Résistez avec force au démon, » c’est avec raison qu’on lit l’évangile contre le diable. Parfois aussi on lit l’évangile en se tournant vers le midi, parce que la doctrine du Christ, qui fut d’abord enseignée aux Juifs, et qui l’est maintenant aux Gentils, leur reviendra à eux à la fin des temps, et qu’ils y croiront. Ceux qui ont précédé le diacre pour aller à la recherche de l’évangile, se tournent vers l’évangile et en face de celui qui le lit, comme on l’a dit à l’article de l’Epître.

XXII. Ensuite, celui qui doit lire l’évangile salue le peuple pour le rendre attentif à écouter la parole de Dieu, en disant : « Le Seigneur soit avec vous. » Il montre aussi, par cette formule, qu’il prie afin que le Seigneur soit avec eux, et il observe ainsi cet ordre du Seigneur : « En quelque maison que vous entriez, dites d’abord : Que la paix soit dans cette maison. » Et le chœur et le peuple, rappelés en quelque sorte à l’ordre et à l’attention, se tournent vers le diacre et du côté où se lit l’évangile, parce qu’il a été dit à tous : « Allez par tout le monde, prêchez l’Évangile à toutes les créatures, » c’est-à-dire à tous les hommes, pour qui tout ce qui est créé a été fait, ou qui participent en quelque chose avec toutes les créatures. Et ils répondront : « Et avec ton esprit. » Ajoute à ces mots ceux-ci : « Afin que tu puisses dignement lire l’évangile, » comme s’ils disaient : « Que le Seigneur soit avec toi pour le dire ; » et ils se saluent ainsi réciproquement, comme on le dira à l’article de la Préface.

XXIII. Or, c’est debout et non assis qu’on entend la lecture de l’évangile, d’après la règle établie à cet égard par le pape Anastase (De consec., c. i, Apostolica), pour marquer que l’on doit être prompt à marcher au combat pour défendre la foi du Christ. De là vient que [saint] Luc a dit, chap. xxii : « Que celui qui n’a pas d’épée vende sa tunique et en achète une épée. » Et parce que l’enseignement de l’Évangile dirige nos âmes vers l’amour des biens du ciel, pour désigner cette promptitude dont nous venons de parler quelques-uns ôtent leurs manteaux pendant la lecture de l’évangile ; et c’est aussi pour montrer qu’il faut abandonner tous les biens temporels pour le Christ, selon cette parole de l’Évangile : « Quant à ce qui est de nous, nous avons tout quitté et nous t’avons suivi. » D’après cela, il est manifeste que nous devons nous tenir debout, et non nous asseoir par terre (jacere) ou nous appuyer en écoutant la lecture de l’évangile. Donc, on quitte alors les sièges à dossier (reclinatoria), pour marquer que nous ne devons pas mettre notre confiance dans les princes, ni nous appuyer sur les choses de la terre, parce que l’Ecclésiaste a dit : « Vanité des vanités, et tout est vanité, » excepté Dieu, sur lequel nous devons reporter tous nos soins en ce monde. Et, selon l’ordre du même Anastase, nous devons nous tenir debout et inclinés, afin que la pose même de notre corps indique l’humilité que le Seigneur enseigne.

XXIV. On entend encore la lecture de l’évangile tête nue : Premièrement, pour montrer qu’on est attentif, et c’est aussi pour signifier la même chose qu’il y a certaines personnes qui alors tiennent dans leur main leur menton et leurs joues. Deuxièmement, pour que les cinq sens soient largement ouverts, afin d’entendre. Troisièmement, pour marquer que tout ce qui était contenu sous des voiles et des figures dans la loi et les prophètes, a été manifesté dans l’Évangile. Lors de la passion du Christ, le voile du temple se déchira en deux depuis le haut jusqu’en bas.

XXV. On met bas aussi alors les bâtons et les armes[2] : Premièrement, pour ne pas imiter les Juifs, qui portaient en présence du Crucifié des bâtons et des armes. Deuxièmement, pour montrer que, lors de la prédication du Christ, toutes les observances de l’ancienne loi, symbolisées par les bâtons, furent mises de côté. Troisièmement, la mise à bas des bâtons et des armes montre l’humilité, et que le propre de la perfection chrétienne est de ne pas se venger, mais de confier le soin de sa vengeance au Seigneur, selon cette parole : « C’est à moi que la vengeance est réservée, et c’est moi qui la ferai, » dit le Seigneur. Et [saint] Mathieu, chap. v : « Si quelqu’un t’a frappé sur la joue droite, présente-lui encore l’autre » (XXIII, q. i, § i). On écoute aussi l’évangile en silence, parce que toutes les promesses contenues dans la loi et les prophètes ont été accomplies et tenues par l’Évangile. Et le pontife ou le prêtre, pendant qu’on lit l’évangile, tourne son visage dans cette direction, pour marquer que le Christ a toujours les yeux sur les prédicateurs de l’Évangile, pour leur venir aide ; et il se tient sur le marche-pied de l’autel, pour montrer que toute puissance ennemie est battue en brèche par la prédication de l’Évangile et mise sous les pieds du Christ, et qu’ainsi s’accomplit cette parole du Psalmiste : « Jusqu’à ce que je réduise tes ennemis à te servir de marche-pied (scabellum). »

XXVI. Le diacre, aussitôt qu’on lui a répondu : « Et avec ton esprit, » afin de rendre tous les assistants dociles et bienveillants à ouïr la parole de l’Évangile, c’est-à-dire la bonne nouvelle qui annonce le royaume de Dieu, ajoute : « Suite du saint évangile, » en encensant le livre et en le marquant du signe de la croix. Et même, en certains lieux, il baise le livre, comme s’il disait : « C’est le livre ou l’Évangile de Dieu ; c’est le livre du Crucifié que je prêche ; c’est le livre du Pacificateur, par qui nous avons reçu la réconciliation ; » ce qui a fait dire à l’Apôtre, Ire épître aux Corinthiens, chap. i : « Nous vous prêchons le Christ crucifié. » La fumée de l’encens signifie l’odeur de la bonne prédication.

XXVII. Ensuite il se signe au front, sur la bouche et sur la poitrine ou le cœur, pour que le diable, qui tend des pièges aux bonnes œuvres, ne lui ôte pas, par le respect humain, la dévotion du cœur ou le témoignage de la bouche. C’est comme si le diacre disait ( Rom., i) : « Pour moi, je ne rougis point de la croix du Christ ; mais je la prêche de bouche et la crois de cœur ; » car c’est de cœur que l’on croit à la justice, et de bouche qu’on la confesse pour être sauvé. L’Apôtre dit aux Corinthiens (I, chap. i) : « Nous prêchons le Christ Jésus et le Christ crucifié, qui est un scandale aux Juifs et une folie aux Gentils ; » et aux Galates, chap. vi : « Mais, pour moi, à Dieu ne plaise que je me glorifie en autre chose qu’en la croix de notre Seigneur Jésus-Christ. » Le Seigneur dit aussi dans l’Évangile : « Si quelqu-un rougit de moi et de mes paroles, le Fils de l’homme rougira aussi de lui lorsqu’il viendra dans sa gloire et dans celle de son Père et des saints anges. » D’où vient qu’on lit dans Daniel : « Ceux qui mettent leur confiance en toi ne tomberont point dans la confusion. » Il y en a qui se signent seulement au front et à la poitrine, comme sur les deux entrées du corps. Le clergé et le peuple, ayant ouï le titre de l’évangile, savoir : « Suite du saint évangile selon, etc., » ou la bonne nouvelle, se tournent vers l’orient ou du côté de l’autel, pour glorifier Dieu, qui est le véritable Orient qui leur a envoyé la parole du salut, comme on le lit dans les Actes des Apôtres : « Et ils glorifièrent Dieu, en disant : Dieu a donc aussi fait part aux Gentils du don de la pénitence qui mène à la vie. » Ils répondront avec respect et honneur : « Gloire à toi, Seigneur. » Ainsi, quand on se propose de leur lire l’évangile, qui traite de notre gloire et de notre délivrance, et qui apprend comment le Christ a vaincu le diable, nous a délivrés de son esclavage et est monté vainqueur à la gloire de son Père, ces mêmes auditeurs de l’évangile, pleins de joie et louant leur Sauveur, s’écrient : « Gloire à toi. Seigneur, » comme s’ils disaient : ce Que ta gloire, qui nous est annoncée

Tome IL 10 dans l’évangile, demeure avec nous sans fin, et qu’elle croisse toujours. »

XXYIII. Et en disant ces mots ils se munissent en même temps du signe de la croix sur le front, la bouche et la poitrine, pour résister aux attaques du diable, afin qu’il ne les trouble pas pendant la lecture de l’évangile. Au front, parce que c’est là que résident la pudeur et la vergogne. C’est pourquoi, en imprimant la croix sur le front, on montre qu’on ne rougit pas de croire au Crucifié, dont on lit le livre, et de l’avoir pour Dieu et Seigneur. Sur la bouche, pour marquer qu’on prêche avec courage la croix du Seigneur. Sur la poitrine, pour montrer qu’on souffrirait volontiers pour le nom du Christ ; et c’est aussi pour cette raison qu’il y en a qui, pendant qu’on lit l’évangile, posent leurs deux pouces sur la poitrine, de manière à y figurer une croix. Nous nous signons encore sur la bouche, pour indiquer que nos paroles doivent être empruntées à l’Évangile ; et sur la poitrine, pour montrer que les paroles de l’Évangile doivent nous frapper dans la poitrine et dans l’ame. Après avoir fait le signe de la croix, on se tourne vers le diacre pour entendre l’évangile. On parlera dans la préface de la cinquième partie du mystère de la croix.

XXIX. Enfin, en quelques endroits le sous-diacre, pendant la lecture de l’évangile, met sa main gauche sous le livre, pour montrer que ceux qui vécurent sous le temps de la loi, dont la fin ou le dernier fut Jean, que représente le sous-diacre, lors même qu’ils faisaient quelque bien, ce bien était faible et infirme ; ce qu’indique la main gauche, parce que, si la loi disposait à la grâce, cependant elle ne la conférait pas. C’est donc avec convenance que le sous-diacre met sa main gauche sous le livre des évangiles, dans lequel est annoncée la foi du Christ, sans laquelle personne n’est sauvé, même par les œuvres de la loi. La main gauche signifie aussi les choses temporelles, et le livre des évangiles désigne comme il faut les choses spirituelles. Or, on met la main gauche sous le livre, pour marquer que, de même que l’ame ne vit pas sans le corps, ainsi les choses de l’esprit ne peuveut subsister longtemps sans l’assistance des choses du temps. On termine l’évangile en élevant la voix à la fin, comme on l’a dit à l’article de l’Épître, et, sitôt qu’il est achevé, le diacre se munit du signe de la croix, pour que le diable ne dérobe pas la semence de l’Évangile, qu’il vient de prendre d’un vase scellé (vase signato).

XXX. Et ensuite il baise l’évangile pour montrer qu’il a annoncé la bonne nouvelle par charité et amour. Les auditeurs se tournent vers l’orient, comme du côté de Jérusalem, pour rendre grâces à Dieu de ce que l’Évangile nous est venu de là, selon ce que dit le Seigneur dans l’Évangile : « Vous me rendrez témoignage de ces paroles parmi toutes les nations, en commençant par Jérusalem ; » et ils se munissent du signe de la croix sur la poitrine, contre le diable, de peur que la parole de Dieu soit étouffée en eux. D’où vient que [saint] Luc dit, chapitre viii : « Les oiseaux du ciel l’ont mangée. » C’est aussi pour que le diable ne ravisse pas de leurs cœurs la parole du Seigneur, comme s’ils disaient : « Que Dieu nous fasse persévérer dans la doctrine du Christ, » et pour signifier qu’ils ont dans leur cœur ce qu’exprime leur bouche. Ce que l’on désigne d’une manière encore plus claire en certaines églises où, quand l’évangile est fini, on dit Amen. Et à juste titre, comme si l’on disait : « Ce qui est dit dans l’Évangile est vrai ; » et cette pratique est contre certains hérétiques, qui, après avoir lu l’Évangile, disent en quelque sorte : « C’est faux, » par la contradiction de leur doctrine et de leur vie avec l’Évangile lui-même. Amen veut dire aussi : « Qu’il nous advienne ce que le Seigneur promet dans l’Évangile, » selon cette parole de Néhémias, chapitre viii : « Esdras bénit le Seigneur, le grand Dieu ; et tout le peuple, levant les mais en haut, répondit : « Amen, amen. Et, s’étant prosternés en terre, ils adorèrent Dieu. » Dans d’autres églises on dit : Deo gratias, comme cela a lieu après quelque leçon (ou lecture), ou le capitule. Certains lettrés disent aussi : « Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur, » qui est la fin de l’évangile de saint Mathieu qu’on lit à la fête du bienheureux Etienne et le dimanche des Rameaux. En certains lieux les cierges, qui signifient les docteurs par qui l’Église est illuminée, sont éteints après la lecture de l’évangile, parce que c’est seulement quand le Christ parle en eux qu’ils peuvent éclairer l’Église, tandis que lorsqu’il se tait, c’est-à-dire quand l’Esprit saint se retire d’eux, ils ne peuvent plus posséder cette faculté. En outre, quand la prédicatior de l’Évangile sera terminée, la loi et les prophéties cesseront Cependant, dans quelques églises, pendant qu’on lit l’évangile on dépose à terre les chandeliers garnis de cierges, pour montrer que la loi et les prophètes sont inférieurs à l’Évangile.

XXXI. C’est avec raison que le sous-diacre rapporte le livre des évangiles, tandis que le diacre revient à vide (vacuus) pour montrer qu’ayant fini de prêcher il se livre (vacare) à la contemplation. En venant pour lire l’évangile, il portait, en certaines églises, le livre sacré, pour montrer qu’il devait non-seulement enseigner, mais aussi pratiquer. Il revient aussi à l’évêque ou au prêtre, dont il a reçu sa mission, pour faire voir que toute doctrine vient de Dieu et retourne à lui. Ce qui a fai dire à Salomon : « Les fleuves retournent au même lieu d’où ils étaient sortis. » On rapporte aussi le texte de l’évangile sur un coussin, parce que l’Église, dès qu’elle eut ouï l’Évangile, le reçut avec douceur dans son cœur et fut remplie de liesse, selon cette parole : « Sion l’a entendu, et s’en est réjouie ; » et : « Mon ame s’est fondue au son de la voix du Bien-Aimé. » On rapporte encore au pontife le livre des évangiles et l’encensoir, parce que l’on doit rapporter tous les biens à Celui dont tous les biens procèdent. Car il est la fin qui consomme mais ne consume pas, l’alpha et l’oméga, le premier et le dernier, le commencement et la fin. Et les apôtres ayant achevé de prêcher, revinrent au Christ, lui rendant grâces de leurs miracles et du fruit de leur prédication.

XXXII. L’évêque respire le parfum de l’encens et baise l’évangile : Premièrement, pour montrer que ce que l’évêque a inspiré et enseigné, il l’approuve et l’accepte. Car Dieu ne reçoit rien que ce qu’il produit, et il ne récompense que ce qu’il donne, parce que, comme tout ce qu’il a fait est bon, ainsi il n’y a de bon que ce qu’il a fait. « Dieu regarda ce qu’il avait créé, et tout était excellent. » Deuxièmement, le célébrant baise le livre ouvert, pour montrer qu’il doit savoir que tout est ouvert et à nu devant ses yeux dans l’ancienne loi, selon cette parole de [saint] Luc, chapitre viii : « Pour vous, il vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu. » Et Malachie, chapitre ii : « Les lèvres du prêtre sont les dépositaires de la science, et c’est de sa bouche que l’on recherche la connaissance de la loi » (Extra De hœr. cum ex injuncto). Troisièmement, parce que lui seul entre dans le saint des saints, comme on l’a dit dans la préface de cette partie. Quatrièmement, parce que ce baiser signifie l’ardeur de l’amour pour l’Évangile, qui doit surtout être plein de force dans l’évêque, de telle sorte qu’il soit prêt à subir la mort pour lui (XXV, q. i, Violatores). Cinquièmement, le sous-diacre présente ouvert le livre au prélat ou au prêtre pour qu’il le baise, pour montrer qu’il doit mettre ses délices dans la foi, dont le cœur des fidèles est pénétré et ouvert à toutes les bonnes inspirations par la prédication de l’Évangile, qui avait été d’abord renfermée et comme contenue en germe dans la loi. Ensuite, dans certaines églises, on montre le livre fermé à ceux qui sont dans le chœur, parce qu’après les susdites paroles : « Pour vous, il vous a été donné de connaître le mystère du royaume de Dieu, » suivent celles-ci : « Mais pour les autres il ne leur est proposé qu’en paraboles. »

XXXIII. Et il faut prendre garde qu’après que le diacre, ayant lu l’évangile, baise le livre pour montrer qu’il a évangélisé ses frères avec charité et amour, alors enfin on porte l’évangile à l’évêque, représentant du Christ, pour qu’il le baise, c’est-à-dire pour qu’il accepte la prédication ; et on ne fait pas cela avant, pour montrer que Dieu n’a pour agréable que la prédication qui est le produit de l’amour et de la charité. Mais, cependant, à la messe pour les défunts on ne porte pas l’évangile à baiser au pontife, autant parce qu’alors les raisons précitées cessent, que parce qu’à cette messe toute solennité est suspendue, afin que les chants de fêtes ne se mêlent pas aux plaintes de la désolation. Pourtant, celui qui lit l’évangile à la messe pour les défunts baise le livre, en certaines églises, parce que quiconque le prononce doit tendre par l’amour de la charité à Celui dont il a répété la doctrine évangélique, et cet amour est symbolisé par le baiser.

XXXIV. Et il faut faire attention qu’aussitôt après avoir baisé le livre le prêtre assistant encense le pontife, figure du Christ, pour montrer que le principal office du prêtre est d’offrir au Christ le sacrifice brûlant de la prière, symbolisée par l’encens, non-seulement en expiation du péché, mais encore en action de grâces, comme on le voit dans le Lévitique. On peut dire encore, en abrégé, que le livre des évangiles est porté par le sous-diacre ; que le diacre monte au pupitre ; qu’après avoir ouvert le livre, il salue le peuple, et que tous répondent ; qu’il dit le titre précité de l’évangile, qu’il le lit à haute voix et distinctement, et contre l’aquilon ; que tout le peuple tourne ses oreilles et ses yeux vers le livre et écoute en silence et debout, et qu’à la fin il lève ses mains au ciel et prie, en disant Amen. Tout cela, dis-je, est pris de l’ancienne loi. Car on lit, au commencement du livre de Néhémias, que le peuple s’étant assemblé dans la place qui est devant la porte des Eaux, Esdras, docteur de la loi, apporta le livre de la loi de Moïse, et se tint debout sur un marche-pied de bois qu’il avait fait pour parler devant le peuple, et il ouvrit le livre devant tout le peuple. Enfin, les Lévites faisaient faire silence au peuple, afin qu’il écoutât la loi, bénissant le grand Dieu ; et tout le peuple debout, chacun en sa place, répondit Amen. Et ils lurent dans le livre de la loi de Dieu distinctement, et d’une manière fort intelligible. Et tout Israël élevant ses mains, se prosterna à terre et adora Dieu.

XXXV. Il ne faut pas oublier de dire qu’en général deux préfaces précèdent les évangiles qu’on lit dans les églises. La première est : Initium, « Commencement du saint évangile » la seconde : Sequentia, « Suite du saint évangile. » Or, la première préface s’emploie au commencement de chacun des évangiles des quatre évangélistes, savoir : de l’évangile de saint Jean, In principio erat Verbum ; de l’évangile de saint Mathieu, Liber generationis ; de l’évangile de saint Luc : Fuit in diebus Herodis ; et de l’évangile de saint Marc, Principium Evangelium Christi. On emploie cette formule le premier dimanche de l’Avent, comme on le dira à cet article, et alors on n’y ajoute pas : In illo tempore, parce que dans ces commencements mêmes un temps certain est expliqué et déterminé ; d’où vient que ce serait un jeu et une superfluité que d’employer ces mots : In illo tempore. Quant à la seconde préface, on en fait précéder tous les autres évangiles. Et on l’appelle Suite, parce que ce qu’on va lire est la suite du commencement, ou après ce qui précède l’évangile du jour, d’où sont tirées les paroles du saint évangile, etc. Et Suite est du nombre singulier. Ainsi donc, quand on dit : « Suite du saint évangile selon saint Jean, » on sous-entend : « C’est là la suite, voilà la suite, etc. »

XXXVI. C’est avec raison que dans les évangiles devant lesquels on emploie la seconde préface on ajoute parfois : In illo tempore, et que parfois aussi on n’emploie pas cette formule. En effet, on laisse de côté In illo tempore quand les termes mêmes de l’évangile marquent un temps certain, comme on l’a dit ci-dessus, et alors on débute par quelque époque déterminée d’un règne ou de tout autre pouvoir, comme : « La quinzième année de Tibère ; » ou par une simple narration du fait accompli fixant lui-même son époque, comme celui-ci : « Cum esset desponsata. » Et cet autre : « Postquam consummati sunt. » Et : « Quand Jésus fut né, — Il arriva pendant qu’on le baptisait, — Lorsqu’il eut douze ans, — Les jours étant accomplis, — Le soir du sabbat, — Elizabeth impletum est, etc. Pour le reste des évangiles on ajoute : In illo tempore, « En ce temps-là, » dont voici le temps : « En ce temps de grâce, » dont l’Apôtre dit : « Voici maintenant le temps favorable ; voici maintenant le jour du salut » (De pœnit., dist. i, Ecce).

XXXVII. Il ne faut pas non plus oublier de dire qu’on lit l’évangile à l’église parfois comme histoire, tel que celui du jour de Pâques, des saintes femmes, et celui qu’on chante à Noël à la deuxième messe, et qui a trait à l’adoration des bergers. Parfois on lit l’évangile au point de vue de l’allégorie, comme celui de l’Assomption de la bienheureuse Marie, où il est parlé de Marie et de Marthe, et qui débute ainsi : « Jésus entra dans un bourg, etc., » comme on le dira dans la septième partie. Parfois on lit l’évangile au point de vue d’une réalité (secundum rem), comme celui de la sainte Trinité. Parfois il est personnel, comme celui qu’on chante à la fête de saint Thomas, apôtre, où l’on dit : « Thomas, un des douze. » Parfois au point de vue d’une particularité, comme celui de la fête de la sainte Croix, lequel traite de Nicodème, et où on lit : « Il faut que le Fils de l’homme soit ainsi élevé, etc. ; » parole par laquelle le Christ marque sa passion et l’élévation de son corps sur la croix. C’est pourquoi on lit, le jour de la fête de la sainte Croix, l'évangile qui en contient cette petite mention. Celui de la fête de saint Michel, archange, contient ce verset, et c’est ce qui l’a fait choisir pour cette solennité : « Les anges voient toujours la face de mon Père qui est dans les cieux. » C’est encore au point de vue d’une particularité qu’on lit l’évangile qui commence ainsi : « Livre de la génération du Christ, etc., » et cela à cause du dernier verset, dans lequel il est fait mention du Christ. Parfois au point de vue d’un événement complet, comme l’évangile qu’on lit à la Circoncision du Seigneur : « Postquam consummati sunt dies octo, etc. » Parfois selon le temps, comme celui qu’on dit le premier dimanche de Carême, et qui a rapport au jeûne. Parfois à cause des litanies, comme celui-ci : « Si vous demandez quelque chose en mon nom, etc., » qu’on dit les jours de litanies, et où il est fait mention de quelques pains et d’un poisson. Et parfois selon l’endroit, comme celui qu’on lit le dimanche de la Sexagésime, savoir : « Celui qui sème sortit, etc. »

XXXVIII. C’est aussi avec raison qu’une abbesse ne doit pas lire l’évangile : car, quoique la bienheureuse Vierge fût plus digne et plus excellente que tous les apôtres, le Seigneur, cependant, ne lui confia pas les clés du royaume des cieux (Extra De pœn. et remis. nova). C’est aussi pourquoi une abbesse ne peut bénir ses propres nonnes, ou entendre leurs péchés en confession, ou lire l’évangile, ou prêcher publiquement. Elle pourrait cependant, à matines, dire l’évangile, mais non pas en public (VII, q. i, Diaconissam). Et remarque qu’il y a quatre évangiles qui se rapportent à la bienheureuse Marie, comme on le dira dans la septième partie, à l’article de la Fête de l’Assomption.

  1. Voir la note 9 page 468.
  2. « C’est une coutume qui a été pratiquée en certains lieux, et qui se pratique peut-être encore, que ceux qui ont des armes dans l’église les mettent bas durant le lecture de l’évangile, etc Cromer, historien de Pologne, rapporte une coutume bien différente quant à ce point, qui est que, dès ausitôt qu’on commençait la lecture de l’évangile à la messe, les nobles polonais tiraient l’épée hors du fourreau, et la tenaient élevée jusqu’à la fin du même évangile, et les chevaliers de Malte pratiquent encore la même chose en pareille occasion, pour dire et faire voir qu’ils ne tirent l’épée que pour la cause de Dieu et pour soutenir l’Évangile. » (Gilbert Grimaud, la Liturgie sacrée, etc. ; édit. de 1678, t. 2, p. 26.)