Rational (Durand de Mende)/Volume 2/Quatrième livre/Chapitre 19

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 2p. 111-116).


CHAPITRE XIX.
DU GRADUEL.


I. Après l’épître, on chante le graduel ou répons, qui a trait aux œuvres de la vie active, pour marquer que nous mettons en pratique ce que nous avons entendu lire, c’est-à-dire la prédication. C’est aussi parce que Jean prêchait la pénitence, en disant : ce Faites pénitence, car le royaume de cieux est proche ; » et encore : « Faites de dignes fruits de pénitence. » C’est avec raison que l’épître est suivie du graduel, qui explique les lamentations de la pénitence. Voilà pourquoi on le supprime de l’office de la Pentecôte, comme on le dira bientôt. Troisièmement, l’épître est suivie du graduel, parce qu’après avoir ouï la prédication de Jean, ses disciples suivirent le Christ, comme le montre [saint] Jean l’évangéliste. Jean (dit-il) était avec deux de ses disciples, et, regardant Jésus qui venait à lui, il dit : « Voici l’Agneau de Dieu ; » ce que lui ayant entendu dire ses deux disciples, ils suivirent Jésus. Ce chant suit l’épître, parce qu’à la suite des discours des prédicateurs l’Église se réjouit, Dieu est loué, et ceux qui reviennent à la foi célèbrent leur conversion. Le graduel figure la conversion des Juifs, le verset celle des Gentils, l’allelu-ia la joie des deux peuples unis par la même croyance ; enfin, la prose ou séquence symbolise le chant de victoire de l’Église. On en donnera encore une autre raison au chapitre du Trait.

II. Cependant, dans certaines églises on chante le graduel avant l’épître, pour marquer que le prédicateur doit d’abord enseigner par ses œuvres et ensuite par sa parole.

III. Le graduel ou gradal est ainsi appelé à cause des degrés (a gradibus), savoir, ceux d’humilité, et il signifie que nous devons monter de vertu en vertu, comme les fils d’Israël s’avançaient d’étape en étape, afin de voir enfin le Dieu des dieux dans Sion. D’où vient qu’on lit dans le Deutéronome : « Notre pays est extraordinaire. » Ce pays, c’est la céleste Jérusalem, dont l’on prend possession par les pensées célestes. Le graduel se rapporte non à celui qui monte de vertu en vertu, mais qui est encore dans la vallée des larmes, et qui cependant rumine déjà dans son cœur de gravir la montagne.

IV. On fait donc mieux de chanter le graduel simplement et sans modulations, comme une mélodie grave, sévère, simple et lamentable. Cependant on chante le répons comme d’habitude, parce qu’il figure le Nouveau-Testament ; et on le chante plus haut que la leçon et l’épître, qui symbolisent la prédication de l’Ancien-Testament, afin que si par hasard il est un homme dont les oreilles du cœur, endurcies, ne sont pas réveillées par les avertissements de l’Ancien-Testament, au moins elles soient touchées par le chant élevé du Nouveau. Mais, cependant, le lecteur et le chantre qui s’apprêtent à remplir leur charge montent d’un ton (gradum), parce que celui qui enseigne doit surpasser la foule du peuple par la perfection de sa vie (iv d., Statuimus). On peut dire encore que l’épître figure la prédication de Jean, et le graduel celle des apôtres ; l’allelu-ia est le symbole de la dévotion et de l’allégresse. La lecture indique l’Ancien-Testament, et le chant le Nouveau. Ainsi donc, le chant est plus doux que la lecture, comme le Nouveau-Testament est plus doux que l’Ancien.

V. Deuxièmement, le graduel tire son nom des degrés (a gradibus) de l’autel, parce que dans les jours de fêtes on le chante, ainsi que l’allelu-ia, sur les degrés ou marches de l’autel, pour marquer les degrés (gradus) précités des vertus. Les jours ouvrables, on le chante au milieu du chœur, au bas des marches de l’autel, pour indiquer que nous devons jeter dans notre cœur (qui est au milieu du corps) les bases des degrés précités des vertus. Troisièmement, le graduel s’appelle ainsi, parce que les apôtres marchaient et s’élevaient (gradiebantur) à la suite du Seigneur, comme on le dira tout-à-l’heure.

VI. On donne encore au graduel le nom de répons, parce qu’il doit correspondre à un verset de psaume ou à une épître ; de sorte que si dans l’épître on parle de joie, la joie se reflète dans le répons, et si c’est de tristesse, que le répons exprime le même sentiment, pour qu’on ne puisse pas nous faire le reproche que Dieu formule en ces termes : « Nous avons chanté devant vous, et vous n’avez point dansé ; nous avons dit des airs lugubres, et vous n’avez point pleuré. » Et l’Apôtre ajoute : « Soyez dans la joie avec ceux qui sont dans la joie, et pleurez avec ceux qui pleurent. » On appelle aussi le graduel répons, parce que quand on le chante le chœur répond à ceux qui l’ont commencé, et aussi parce qu’il marque la vie active, dans laquelle les saints s’exhortent mutuellement à tendre de tous leurs efforts à la vie éternelle. On peut cependant rapporter le répons à la réponse que firent les apôtres au Christ, quand il les appela à lui, en leur disant : « Venez à ma suite. » Ils répondirent à cette invitation non-seulement de bouche, mais d’action ; car, ayant tout abandonné, ils le suivirent et marchaient après le Seigneur comme des disciples à la suite de leur maître. On parlera de cela dans la préface de la cinquième partie.

VII. Le graduel ou répons est le symbole de ceux qui sont livrés au travail en cette vie, et c’est pourquoi on ne le dit pas dans les octaves de Pâques et de la Pentecôte, qui figurent l’éternel repos (octavœ) après notre résurrection, quand nous serons exempts de tout labeur, « Dieu essuiera toutes les larmes des yeux de ses saints. » C’est pourquoi dans le graduel nous semons, et dans l’Allelu-ia nous recueillons. Le verset du répons s’appelle ainsi, parce qu’il ramène (fit reversio) au répons, comme on le dira au chapitre de l’Allelu-ia. Le graduel signifie aussi la bonne œuvre et la vie présente, pendant laquelle nous semons et nous errons, en étrangers, loin du Seigneur, et le verset marque l’aide que le Seigneur nous donne.

VIII. On chante le verset après le graduel, parce que nous avons besoin d’aide aussi longtemps que nous serons retenus dans cette prison d’esclaves. Le graduel commence lentement (plane), afin que le verset ne monte pas trop, et cela marque ceux qui redoutent d’entrer en religion à cause de son austérité ; le verset qui monte haut désigne ceux qui s’élèvent en jeûnant, en priant et en faisant d’autres bonnes œuvres, sans redouter la chair, qu’ils mortifient avec ses vices et ses mauvais désirs. Ensuite, une seule voix chante le verset, pour avertir que chacun traîne (tractet) après lui sa fragilité. Et, quoique le verset soit chanté par un ténor, il ne s’entonne pas à voix haute ; ce qui signifie encore ceux qui, considérant leur propre fragilité, font humblement tout ce qu’ils font. Le verset terminé, la voix s’élève avec confiance, pour marquer que, confiants en la miséricorde de Dieu, ils s’appliquent en paix à toutes leurs actions.

IX. Le graduel est chanté par des hommes mûrs, comme on le dira au chapitre suivant. Enfin, on ne répète ni en entier ni en partie le répons qu’on chante à la messe, et on n’y ajoute pas la formule : Gloria Patri, ce qui se fait cependant pour le répons des autres heures canoniales. Sur quoi il faut faire attention que les autres heures canoniales ont été instituées pour rendre à Dieu les louanges qui lui sont dues pour les divers bienfaits qu’on a reçus de lui à ces heures. C’est pourquoi on y dit d’abord une leçon, qui marque le bienfait ou la partie du bienfait accordé à cette heure ; ensuite on chante le répons, dans lequel la louange se rapporte au bienfait, parce que la louange doit être répétée, selon cette parole de l’Apôtre : « Réjouissez-vous sans cesse dans le Seigneur ; je le dis encore une fois, réjouissez-vous, » c’est-à-dire : « Louez Dieu. » Voilà pourquoi l’on répète ainsi le répons. Mais, comme tout homme est lié à son bienfaiteur, nous ne pouvons rien faire autre chose vis-à-vis de Dieu que de lui offrir gloire et honneur. C’est pourquoi, à la fin du répons et à chaque nocturne, dès que nous trouvons dans les leçons le souvenir de quelque bienfait entier ou en partie, nous rendons gloire et grâce à la Trinité. Le répons qu’on chante à la messe désigne la grâce, et on a dit ci-dessus que c’est la réponse (responsorium) que firent les apôtres au Christ qui les appelait, en quittant tout. Et, comme ils ne gardèrent rien dont la possession eût pu obliger à les rappeler, voilà pourquoi ce répons ne se répète d’aucune manière et ne se termine pas même par Gloria Patri, parce qu’ils furent appelés non à la gloire du siècle, mais à son deuil, selon cette parole du Seigneur, en saint Jean : « Comme mon Père m’a envoyé, je vous envoie aussi de même. »

X. Et remarque que Grégoire, Ambroise et Gélase composèrent des graduels, des traits et des allelu-ia, et établirent qu’on les chanterait pendant la messe. En outre, on chante parfois à la messe un seul répons, parfois aussi un seul alléluia, parfois un répons avec allelu-ia, parfois avec le trait, parfois allelu-ia avec le trait. Et l’on parlera de cela dans la sixième partie, au chapitre des Sept Jours ou de la Semaine de Pâques.