Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Deuxième livre/Chapitre 02

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 176-179).


CHAPITRE II.
DU CHANTRE.


I. Quelques auteurs (nonnulli), guidés par l’aveuglement de l’ignorance, croient et avancent que le cantorat ou dignité du chantre est du nombre des ordres mineurs, et cela parce que (comme on l’a déjà dit plus haut) dans certains canons il est fait mention du chantre parmi les ordres mineurs. Ils se trompent cependant, puisque c’est le nom d’une charge et non un ordre. Et l’on appelle aujourd’hui Lecteurs ou Psalmistes ceux que dans l’Ancien-Testament on nommait Chantres. On appelle donc chantre celui qui prête sa voix aux modulations du chant ; et il y a deux classes de chantres dans l’art musical : ce sont le préchantre et le sous-chantre. Le préchantre (prœcentor) entonne ; le sous-chantre (succentor) répond après lui. On nomme concentor (de cum et canere) celui qui chante d’accord avec les autres. C’est pourquoi celui qui ne chante pas dans le même ton que les autres ne chante pas d’accord et ne peut être chantre de chœur (concentor).

II. Or, David, le plus grand des prophètes, voulant célébrer plus solennellement le culte de Dieu, institua les chantres, qui devaient chanter devant l’Arche de l’Alliance du Seigneur, en s’accompagnant des instruments de musique et en modulant leurs voix. Parmi ces chantres, les principaux étaient Héman, Asaph et Aethan ; mais le premier de tous c’était Héman, dont maintenant le primicier remplit l’office et reproduit le type dans l’Église, ainsi que le préchantre, qui est le chef des chantres (prœcentor… prœlatus cantorum). On lit à ce sujet dans les Paralipomènes : « Voici ceux que David a établis sur les chantres de la maison du Seigneur, et ils se tiennent debout, selon leur rang, prêts à remplir leur ministère. Parmi les fils de Caphat, c’est Héman le chantre, fils de Johel ; et à sa droite Asaph, fils de Barachia ; à sa gauche et devant lui Aethan, fils de Cusi. »

III. Or, les chantres doivent chanter d’accord, à l’unisson et avec une suave harmonie, afin qu’ils puissent exciter à se dévouer à Dieu les cœurs de ceux qui les entendent. « Mais, selon saint Grégoire, la plupart du temps, tandis qu’on ne recherche pour ce saint ministère qu’une voix qui flatte l’oreille, on néglige que le chantre ait une vie convenable. » Le chantre représente Dieu par ses mœurs, quand il charme le peuple par les sons de sa voix. [Saint] Augustin, au livre de ses Confessions, dit : « Lorsque le chant me touche plus que la chose que l’on chante, j’avoue que j’ai péché d’une manière digne de punition, parce qu’alors j’ai écouté chanter seulement. » C’est pourquoi, dans l’Église romaine, les ministres de l’autel ne doivent pas chanter, et s’acquittent seulement de la charge de lire l’évangile pendant la célébration solennelle de la messe (la grand’messe). Et l’Apôtre dit : « Chantez et psalmodiez dans vos cœurs devant le Seigneur. » Et [saint] Jérôme : « Que les jeunes gens (dit-il) n’écoutent pas chanter, mais seulement ceux qui ont charge de chanter dans l’église, car on doit chanter pour Dieu, non pas autant avec la voix qu’avec le cœur surtout. Et l’on ne doit pas garnir sa bouche de lames d’airain, afin de donner, à l’exemple des acteurs de tragédies, plus de force à son gosier et à sa langue, en sorte que la douceur du chant ne transporte pas dans l’église les modulations du théâtre et les symphonies profanes. » Chantons donc de cœur et par la charité, chantons en chœur (in corde… in choro), car il faut plus chanter de la dévotion du cœur [devotione] que de l’éclat de la voix, et sans tenir dans les mains des cymbales ou quelque autre instrument de ce genre, comme cela se faisait dans l’Ancien-Testament.

IV. Au reste, c’est pour captiver les sens et non l’esprit que l’usage de chanter a été établi dans l’Église, afin que ceux qui ne sont pas touchés de componction par les paroles soient émus par la douceur de la mélodie. Ce qui a fait dire à [saint] Augustin, au livre de ses Confessions : « L’Église approuve l’usage du chant, afin que, par le charme qu’éprouveront les oreilles, l’esprit plus faible s’élève jusqu’à l’affection et à la pratique de la piété. » Les anciens, la veille du jour où ils devaient chanter, s’abstenaient de toute nourriture pour conserver leur voix pure, ne mangeant alors que les légumes propres aux personnes qui chantent. C’est de là que les chantres ont été vulgairement appelés fabarii, mangeurs de fèves (d’où le nom de Fabius, a faba).

V. Or, les chantres ce sont ceux qui louent Dieu ; ils représentent les prédicateurs qui excitent leurs frères à célébrer la gloire de Dieu. Car leur symphonie avertit le peuple de persévérer dans l’unité du culte d’un seul Dieu. La charge de chantre figure aussi celle du père de famille, qui « tire de son trésor des choses nouvelles et anciennes. »

VI. Il ne faut pas passer sous silence la raison pour laquelle les chantres tiennent des bâtons dans le chœur ; c’est pour représenter le commandement qu’avait fait la loi, à savoir : que ceux qui mangeaient l’agneau [pascal] eussent chacun un bâton à la main. Ce qui signifie que ceux qui se hâtent de rentrer dans leur primitive patrie pour y manger le céleste Agneau sont munis de bâtons, c’est-à-dire des enseignements des Écritures, pour se défendre contre les démons. Car, par les bâtons des chantres nous comprenons l’enseignement des Écritures et la doctrine des prédicateurs. C’est pourquoi les chantres les quittent pendant la lecture de l’évangile ; parce que, en écoutant la prédication de l’Évangile, nous avons abandonné les observances de la loi. On a parlé du chœur dans la première partie, au traité de l’Église, et l’on parlera du chant à la fin de la préface de la cinquième partie.