Rational (Durand de Mende)/Volume 1/Deuxième livre/Chapitre 01

Traduction par Charles Barthélemy.
Louis Vivès (volume 1p. 146-176).
Livre deuxième


CHAPITRE PREMIER.
DES MINISTRES ET DES DIGNITÉS DE L’ÉGLISE, ET DE LEURS DEVOIRS.


I. Dans cette seconde partie, nous avons l’intention de traiter des ministres et des dignités de l’Église, et de leurs devoirs. Nous poserons avant tout, en principe, qu’il y a trois sectes[1] fameuses, à savoir : les Gentils, les Hébreux et les Chrétiens. La première est une secte d’erreur ; la seconde, de vérité ; la troisième, de vérité et de salut. Dans la première, nous faisons naufrage ; dans la seconde, nous sommes arrachés du péril ; dans la troisième, nous sommes sauvés. La première secte (secta) tire son nom de sectare (couper), parce qu’elle nous retranche, c’est-à-dire nous sépare de Dieu ; la seconde et la troisième sectes sont ainsi appelées (secta), de sectare (rechercher et posséder), parce qu’elles éclairent, sauvent et délivrent. Les personnes tant séculières qu’ecclésiastiques, parmi les chrétiens, sont prises et tirées des deux autres sectes, qui sont l’hébraïque et la païenne. Or, de même qu’il y a parmi nous deux sortes de personnes, à savoir : les laïques et les ecclésiastiques, il en était ainsi chez les Gentils et les Hébreux.

II. Chez les Gentils, les personnes séculières étaient le monarque ou l’empereur romain ; les patriciens, que l’on appelait aussi sénateurs, au gré desquels tout était ordonné ; les rois, les ducs, les comtes, les gouverneurs, les préfets, les suffètes, les tribuns des soldats, les tribuns du peuple, les préteurs, les centurions, les décurions, les quarteniers, les décemvirs, les questeurs, les édiles et les huissiers du palais. Parmi les inventeurs littéraires (poetas), on rangeait les avocats (advocati), les poètes épiques, les historiographes en vers, les comédiens, les tragédiens et les historiographes en prose.

III. Le mot vates, qui vient de vi mentis (le transport de l'ame), signifie tantôt le prêtre, tantôt le prophète, tantôt le poète. Selon [saint] Isidore, on comptait chez les Gentils, dans l’ordre des cérémonies du temple, les archiflamines, les protoflamines, les flamines et les prêtres, comme on le dira bientôt. Il y avait aussi chez eux des communautés (conventus) religieuses d’hommes et de femmes.

IV. Chez les Hébreux existait aussi la même diversité de personnes ; car les unes étaient séculières, et les autres consacrées au culte divin dans le temple. Dans le temple, il y avait le grand-prêtre, comme Melchisédech ; les prêtres d’un ordre inférieur, les lévites ; les nathinéens, ceux qui éteignaient les lumières ; les exorcistes, les portiers et les élus ou chantres. Quant au peuple, voici ce qu’on en peut savoir : Moïse en était le chef, et, au-dessous de lui, il y avait ceux qu’il avait établis, selon le conseil de Jéthro, son beau-père ; il y avait encore les chiliarches et les acontarches, les pentacontarches et les décacontarches, c’est-à-dire les milleniers, les centeniers et les dizainiers ; car khilias signifie mille, arkhôn, prince ; d’où khiliarkhos celui qui commande mille hommes ; d’où aussi arcontarche, celui qui avait l’autorité sur cent hommes. On appelle pentacontarche celui qui commande cinquante hommes ; car pente signifie cinq. Le decanus est celui qui a dix hommes sous lui ; car dika, c’est dix. On trouve aussi une pareille diversité de personnes chez les chrétiens. Et remarque que les chrétiens ont tiré leur nom du Christ, et que le Christ prend le sien de l’onction (chrismate) qu’il a reçue. On a parlé de cela dans la première partie, au chapitre des Consécrations et des Onctions.

V. Le nom des chrétiens fut d’abord inventé à Antioche, car, auparavant, tous s’appelaient disciples ou frères, jusqu’à ce que les Apôtres s’assemblèrent en concile à Antioche. Et l’on donne aux chrétiens le nom d’orthodoxes, c’est-à-dire d’hommes qui se glorifient à juste titre, et vivent selon ce qu’ils croient. En effet, orthôs, en grec, se dit recte en latin (d’une manière droite), et doxa signifie gloire (gloire juste et raisonnable). Le Christ s’appelle de ce nom, à cause de l’onction qu’il a reçue (chrisma), c’est-à-dire, en quelque sorte, l’Oint. Il a été oint éternellement par Dieu, par-dessus tous ses frères, comme on le lit dans les Actes des Apôtres ; et ce nom est une huile répandue. C’est pour cette raison que, dans l'Ancien-Testament, on appelait christs les prêtres et les rois, parce qu’on les oignait de l’onction matérielle, selon cette parole : « Ne veuillez pas (nolite) toucher mes christs (mes oints) »[2].

VI. Et ce nom de christ n’est pas le nom propre et particulier du Sauveur ; ce n’est que l’appellation vulgaire de la puissance. Car c’est un nom commun à toute dignité. Mais celui de Jésus est le propre nom du Sauveur, qu’il reçut de Fange Gabriel lors de sa conception, selon le témoignage de l’évangéliste : « Tu le nommeras du nom de Jésus » (dit-il), et il le reçut encore des hommes dans sa circoncision. Or, remarque que Jésus se dit en hébreu Messie, et en grec Christ, ou sôtèr ou bien sôfèr (sauveur), en latin oint, comme on l’a dit plus haut ; ou encore Sauveur, « parce qu’il sauvera son peuple de ses péchés. » Car il a le pouvoir de remettre les péchés, comme il le dit lui-même : il a aussi celui de sauver, parce qu’il nous a donné le salut. Si donc nous observons ses préceptes, nous posséderons la vie éternelle. Pour ce qui est de ce nom de Jésus, Porphyre, philosophe versé dans les langues grecque et latine, l’écrivait en latin Iesus, et en grec par un h, qu’on emploie en cette langue pour î long. Voilà encore pourquoi il y en a qui prononcent Gysus ; mais les Latins se servent de l’e long. Il paraît plus raisonnable d’écrire ce nom ainsi : Yhs, en se servant de l’abréviation grecque, que par Hiesus, avec l’aspiration latine. Et comme Christ est grec, on l’écrit en abréviation de cette langue : Chrs, car les Grecs emploient X pour chi, p pour r, et c pour s. Mais, si on l’écrit par s, il finit par la terminaison latine. Donc, si on l’écrit avec un mode long, on le représentera ainsi par aspiration : Christus.

VII. A l’égard des noms du Christ, il est à remarquer que certains par eux-mêmes sont dits appartenir à sa personne d’une manière relative ou en quelque façon relative (relative seu quasi relative), comme ceux de pasteur, époux et médiateur. D’autres lui appartiennent d’une manière non relative, comme homme ; d’autres au figuré, comme agneau, brebis, veau, serpent, bélier, lion, ver ; d’autres, enfin, lui sont devenus relatifs par la coutume : ce sont les prérogatives attachées à son privilège, comme Christ. Car Jésus est proprement son nom, comme on l’a dit plus haut. On appelle aussi le Christ l’alpha et l’oméga, c’est-à-dire le commencement et la fin, et en hébreu Emmanuel, ce qu’on interprète : Dieu avec nous. Il est en effet avec nous par la présence de sa majesté, par la participation de la vérité, par le lien de la charité et par l’accomplissement de la vérité. On l’appelle de plus la voie, la vérité et la vie. La voie, par l’exemple ou le précepte.

VIII. La vérité, dans la promesse. La vie, dans la récompense. Et Sabaoth, c’est-à-dire le Dieu des armées. Adonay, qui signifie Seigneur (Domine). Athanatos, Immortel. Kurios, Maître (Sire). Theos, Dieu. Hanagatos, le meilleur des pères, qui a soin de tout, ou qui est parfait. Omousios[3], d’une seule essence. Voilà les noms de Dieu, et non pas seulement de la personne du Christ. De plus, le Christ, selon Isaïe, est appelé l’Admirable, le Conseiller, le Dieu fort, le Père du siècle futur, le Prince de la paix. Il est Admirable dans son incarnation[4]. Conseiller dans la pensée entière des choses. Dieu dans leur création. Fort dans leur gouvernement. Père du siècle à venir, à cause de la récompense qu’il donnera à chacun selon ses mérites. On l’appelle Prince de la paix, ou parce qu’il a été le médiateur de Dieu et des hommes, ou encore des hommes et des anges, ou bien parce qu’il leur donne cette paix qui surpasse le sens humain, cette paix qui n’aura jamais de fin. On donne encore au Christ le nom ineffable du tetragrammaton, c’est-à-dire des quatre lettres, qui sont ioth, he, vau, heth, qui sont gravées au dedans de nous-mêmes. Mais c’est parler à la légère que d’appeler ineffable Dieu, que non-seulement on ne peut nommer de ce nom (fari), mais qu’on ne doit encore invoquer, en le prononçant, que dans les circonstances difficiles, ou bien parce que le sens que ce mot renferme ne peut être suffisamment expliqué. Voici comment on l’interprète : ioth principe, he celui-ci, vau de la passion, heth de la vie, comme si l’on disait en quelque sorte : « Celui-ci est le principe de la vie, de la passion. » Le génitif, selon la coutume des Grecs, est employé ici pour l’ablatif, passionis pour passione, c’est-à-dire : par la passion (Celui-ci est le principe de la vie par sa passion). Mais nous ne pouvons pénétrer (intueri) comment notre vie découle de sa mort. On parlera de cela dans la troisième partie, au chapitre des Ornements de l’ancienne loi.

IX. Or, ce nom Dieu est propre au Père, au Fils et à l’Esprit saint, comme on le lit dans le symbole de saint Athanase, quoique aussi il s’étende parfois à d’autres personnes, selon cette parole : « Tu ne parleras point mal des dieux (les juges). » Et ailleurs : « Donne cela aux dieux (les prêtres ou les juges). » Et l’Apôtre dit : « Car encore qu’il y en ait qui soient appelés dieux (gar les païens) soit dans le ciel ou sur la terre, cependant il n’y a pour nous qu’un seul Dieu, Père, de qui tout procède. » Et il ajoute : « Si notre Évangile est voilé dans ceux qui périssent réprouvés, il l’est pour ceux de ce monde dont Dieu a aveuglé les âmes infidèles. »

X. Jésus est encore appelé Nazaréen, d’un bourg de Galilée. On lui donne le nom de Dieu à cause de la substance unique qu’il a avec le Père. On l’appelle Seigneur et Maître, à cause du culte que lui rend la créature, sa servante. Dieu et Homme, parce qu’il est Verbe et chair. Oa l’appelle Verbe, parce que c’est par lui que le Père a formé et a ordonné toutes choses. Image, à cause de sa ressemblance exacte avec le Père. Or, chez les chrétiens_, on donne aux personnes du siècle le nom de laïques, car laos en grec, se dit populus (peuple) en latin.

XI. Les clercs[5], ce sont ceux qui font le service de l’église ou la gouvernent ; leur nom vient de klèros, qui veut dire partage, comme on l’expliquera bientôt. Et ils se subdivisent lesuns en moines ou personnes demeurant chacune à part (monos en grec se traduit singularis, seul, en latin) ; les autres en religieux.

XII. Et il y a quatre sortes de moines : les uns, ce sont les cénobites, qui, renfermes dans un commun monastère, suivent une règle et passent leur vie à obéir aux plus âgés, élevés en dignités ; les autres, ce sont les anachorètes, qui édifient les déserts, et qui, quoique vivant ensemble, vaquent cependant à une contemplation particulière ; les autres, ce sont les ermites, qui vivent solitairement dans les déserts ; les autres, enfin, ce sont les gyrovagi, c’est-à-dire les vagabonds et les circoncellions. (Selon saint Augustin, moines qui n’avaient pas de demeure fixe.)

XIII. La religion est ainsi appelée, parce qu’elle nous rattache (religat) à un seul Dieu, auquel nous offrons un culte divin, enchaînés que nous sommes à son service. Ce culte lui est offert par les clercs séculiers, que l'on appelle séculiers par abus, à la différence des réguliers, qui ne possèdent rien en propre ; ce qui n’a pas lieu chez les premiers (les séculiers), car, selon saint Augustin, « Un mauvais moine fait difficilement un bon clerc. » Or, il y a deux classes de personnes ecclésiastiques.

XIV. L’une est de dignité, l’autre d’ordre. De dignité, comme le pape, le patriarche, le primat, l'archevêque ou métropolitain, ce qui est la même chose ; l’évêque, l’archidiacre, l'archiprêtre et le prévôt (prœpositus), quoique tous ceux qui commandent (qui prœsunt) soient généralement nommés à juste titre prévôts (prœpositi). Et, dans le chœur, les personnes sont : le doyen, le sous-doyen, le chantre ou préchantre, le sous-chantre, le trésorier ou sacristain, l’archiacolyte ou premier acolyte (archiacola), et les autres de cette classe. Or, les dignités comme les rangs ont tiré leur origine de l'ancienne loi, et ont été instituées à son exemple, selon cette parole : « Tu les établiras princes sur toute la terre ; » malgré qu’il y en ait qui disent que les dignités ont commencé à être connues chez les Gentils. Et les personnes d’ordre sont : le prêtre, le diacre et les autres dont nous parlerons plus bas.

XV. Voyons rapidement comment a eu lieu la translation des personnes de l’ancien culte, tant des Hébreux que des Gentils, à celui de l’Église actuelle, et comment les personnes qui occupent les dignités dans l’Église en ont tiré leur origine. Or, le seigneur Pape, qui est le père ou le gardien des pères, reproduit le type du souverain pontife ou grand-prêtre. L’empereur de Rome ressemble au monarque. La dignité des sénateurs et des patriciens se retrouve dans l’Église, dans les quatre patriarches, et dans l’Église romaine, dans les cardinaux. Les primats, qui ont sous eux trois archevêques, représentent le roi qui commande à trois ducs. Les métropolitains, ou archevêques, sont comparables aux ducs, qui ont sous eux plusieurs comtes, comme ceux-ci (les archevêques) plusieurs évêques. Cependant le pape Pelage dit « qu’une province a un roi et un métropolitain. » Les évêques ressemblent aux comtes. Les corévêques ou coadjuteurs (coepiscopi)[6], dont le pouvoir a été aboli, représentaient les gouverneurs et les intendants. Les prévôts rappellent les tribuns des soldats ; les archiprêtres, les tribuns du peuple ; les chanceliers, les préteurs ; les archidiacres, les centurions ; les doyens, les décurions ; les prêtres curés (presbyteri curati)[7], les avocats. Les personnes ordre ont aussi tiré leur origine des Hébreux et des Gentils, car les prêtres représentent les édiles ; les diacres, les quarteniers ; les sous-diacres, les duumvirs. Les exorcistes ont été créés à l’imitation des questeurs. Les portiers rappellent les huissiers du palais ; les lecteurs, les récitateurs des annales en vers ; les acolytes, les historiographes en vers.

XVI. Or, la dignité épiscopale, selon [saint] Isidore, est divisée en quatre parties, dans la personne des patriarches, des archevêques, des métropolitains et des évêques.

XVII. La foi, qui nous vient des Apôtres, comme dit le pape Anaclet, est la tête et le gond des autres vertus ; car, de même que la porte tourne sur le gond, ainsi toutes les églises se guident sur l’autorité de Rome ; et c’est pourquoi on a donné le nom de cardinaux (cardinales) (23)[8] à ceux qui gouvernent toute l’Église et sont pour elle ce que le gond (cardo) est pour la ; porte, c’est-à-dire des régulateurs. Et le prélat, l'évêque de cette Église, qui est le Pape, c’est-à-dire le père des pères, est encore appelé l’Universel, parce qu’il est le prince de toute l’Église, et on le nomme Père apostolique parce qu’il remplit la charge du prince des Apôtres, et le Souverain-Pontife parce qu’il est le chef (caput) de tous les pontifes, qui de lui descendent comme les membres de la tête (a capite), et de l’abondance de qui tous reçoivent, qu’il appelle tous à partager sa sollicitude et non à posséder comme lui la plénitude de la puissance. Il est, lui, Melchisédech, dont le sacerdoce ne peut être comparé aux autres.

XVIII. Patriarche, dans la langue grecque, signifie le plus grand des Pères, parce qu’il occupe le premier rang, c’est-à-dire celui d’Apôtre ; et, comme il est revêtu de l’honneur suprême, voilà la cause pour laquelle on lui donne un pareil nom. Or, il y cinq patriarches : celui de Rome, celui de Constantinople, celui d’Antioche, celui d’Alexandrie et celui de Jérusalem. On l’apelle encore patriarche (patriarcha), comme si l’on disait en quelque sorte (pater arcœ) père de l’Arche, c’est-à-dire de l’Église, ou bien le père des pères, le premier d’entre eux, car arxôn en grec se dit en latin princeps, prince. Le patriarche c’est Moïse, qui consacra Aaron pontife en l’oignant d’huile.

XIX. Le mot archevêque vient du grec ; il signifie qu’il est le souverain ou le prince des évêques. Il tient en effet la place des Apôtres, et gouverne tant les métropolitains que les autres évêques.

XX. Les métropolitains ou métropolites sont ainsi nommés (a metro) de la mesure et de l’étendue des cités, car ils veillent sur chaque province dont les prêtres sont leurs sujets et leurs disciples, et, sans leur permission, les autres évêques ne peuvent rien faire. Le soin de toute la province leur a été commis, et ils doivent veiller sur elle avec sollicitude ; ce qui a fait dire au pape Pélage : « Sachez que toute province bien circonscrite a dix ou onze cités, et un roi, et autant de puissances subalternes sous lui ; et un métropolitain, et dix ou onze autres évêques suffragants, qui sont les juges des fidèles. » On réfère au jugement des métropolitains toutes les causes des évêques, des autres prêtres et des autres cités. Et les membres de toutes les classes d’évêques et de supérieurs désignées plus haut sont appelés évêques, d’un seul et même nom. Mais il y en a qui se servent d’une appellation particulière pour mettre une distinction entre le genre de puissance qu’ils ont reçue chacun en particulier. On dira, au chapitre de l’Evêque, d’où a été tiré le vocable d’épiscopat. Enfin, selon le pape Anaclet, « les primats et les patriarches ont divers noms, mais ils jouissent des mêmes prérogatives et ont les mêmes devoirs à remplir. » C’est pour cette raison que certains primats s’arrogent le nom de patriarches, comme celui d’Aquilée et celui de Granden (Grenade ?). Et la primatie (primatia) a été ainsi appelée des prémices (a prîmitiis) de la conversion des peuples à la foi, que l’on a recueillies sur le lieu où plus tard on a établi les primats.

XXI. Il fut décidé, dans le concile d’Afrique, que l’évêque du premier siège ne serait pas appelé prince des prêtres ou souverain prêtre, ou quelque autre chose de semblable, mais seulement l’évêque du premier siège. Le pape Pélage établit encore qu’aucun patriarche n’emploierait jamais le nom d’universalité ou d’universel, et que personne ne le lui donnerait dans les lettres qu’il lui écrirait, parce que si un seul patriarche s’appelle universel, le nom de cette dignité sera rabaissé chez les autres et leur sera soustrait. Ajoutez à cela que l’établissement des souverains-pontifes, des prélats et des autres prêtres a commencé dans l’Ancien-Testament et a été plus entièrement consommé dans le Nouveau, car les grands prêtres et leurs inférieurs ont été établis de Dieu par Moïse, afin que le culte du Tabernacle fût perpétué par leurs successeurs au milieu des fils d’Israël. Et David institua de plus, pour le service de la maison de Dieu, les portiers et les chantres. Salomon eut l’idée (invenit) des exorcistes, comme on le dira au chapitre du Prêtre. L’Église a imité tout cela dans le Nouveau-Testament, comme on l’a déjà dit, car elle a des portiers qu’elle appelle concierges ; au lieu des chanteurs, elle a établi à la fois des lecteurs et des chantres ; elle a encore reçu des fils d’Aaron les exorcistes, en leur conservant leur nom et leur antique office. Tous ceux qui s’acquittent des fonctions et des devoirs du sacerdoce sous l’autorité du souverain-pontife ont été consacrés.

XXII. Parmi eux s’est élevée une distinction ; de sorte que les uns s’appellent simplement prêtres, les autres archiprêtres, les autres évêques, les autres archevêques ou métropolitains, les autres primats, les autres patriarches, les autres souverains-pontifes, comme il a été dit plus haut. Cette distinction a été établie surtout par les Gentils, qui appelaient leurs flamines les uns simplement flamines, les autres archiflamines, les autres protoflamines, c’est-à-dire primats. Ces prêtres portaient sur leur tête un bonnet surmonté d’une petite baguette, avec laquelle ils chassaient les oiseaux des viandes offertes en sacrifice. Et ce bonnet était encore surmonté d’une houppe de laine ; mais, comme ils ne pouvaient pas le porter pendant l'été, à cause de la chaleur, ils commencèrent à ceindre seulement leur front d’une bandelette de fil (filum).

XXIII. C’est pourquoi on les nomma flamines (flamines), à cause de ce bandeau de lin (a filo), comme si l’on eût dit en quelque sorte filamines (dont flamines est une contraction). Mais les jours de fêtes, déposant leur bandelette, ils se coiffaient, à cause de la majesté du sacerdoce, du bonnet dit flamen. Parmi les prêtres, la différence des plus grands et des plus petits a pris, dans le Nouveau-Testament, son origine du Christ lui-même, qui choisit, parmi les prêtres qu’il créa, les Apôtres pour le premier et plus grand degré, et les disciples pour les rangs plus bas et moindres. Pour Pierre, il l'éleva (elegit) au rang de souverain-prêtre. Les Apôtres, à leur tour, suivirent la même marche dans chaque cité ; ils y ordonnèrent des évêques et des prêtres, comme on le dira au chapitre du Prêtre. Nous lisons que les Apôtres ordonnèrent des lévites ou diacres, ce qui a fait dire à saint Cyprien : « Les diacres doivent se souvenir que le Seigneur a choisi les évêques et les supérieurs » (prœpositos).

XXIV. Les Apôtres s’adjoignirent donc des diacres après l’ascension du Seigneur au ciel, et, dans la suite, l’Église établit dans son sein les sous-diacres et les acolytes. Et le canon du pape Clément témoigne en quels termes le bienheureux Pierre a commandé de placer des évêques, des primats ou des patriarches dans les cités où jadis, chez les païens ou Gentils, résidaient leurs flamines et les docteurs de la première loi. Et dans celles où étaient autrefois, chez eux, leurs archiflamines, qu’ils réputaient d’un ordre inférieur à leurs primats, dont nous avons parlé plus haut, il commanda d’instituer des archevêques, et dans toutes les autres cités des évêques.

XXV. Le pape Anaclet établit qu’on mettrait et qu’on ordonnerait aussi des prêtres dans les hameaux (castella) et les villages (villas). Au reste, on lit dans le Lévitique que la voix d’en-haut dit à Moïse : « Dis à Aaron : Un homme de ta race « qui aura contracté une souillure per familias n’offrira pas les pains à son Dieu, et il ne sera pas admis au saint ministère, s’il est aveugle, boiteux ; s’il a le nez petit ou grand ou de travers, le pied brisé ; s’il lui manque un bras ou une main ; s’il est bossu, chassieux ; s’il a une taie dans l’œil, une gale continuelle, une dartre vive sur le corps ; s’il est pesant, s’il est débile ; parce qu’il ne convient pas de donner à Dieu ce que l’homme dédaigne. » Ce passage nous enseigne quels sont ceux qu’on doit repousser de la cléricature.

XXVI. Or, les clercs tirent leur nom de klèros mot grec dont le sens en latin est sors ou hœreditas (partage ou héritage), comme s’ils étaient en quelque sorte le partage du Seigneur, ou comme si le Seigneur était leur héritage, selon cette parole du prophète : « Le Seigneur est la part de mon héritage. » D’où il est manifeste qu’ils ne doivent rien avoir hors Dieu ; mais qu’ils reçoivent seulement les dîmes, les prémices et les offrandes qui sont les héritages du Seigneur, ou bien parce qu’ils sont en quelque façon élus par le sort. Car, dans l’Ancien-Testament et chez les Gentils, les clercs et les prêtres étaient élus par le sort et par leur inscription sur les tablettes » (libris) ; et, dans le Nouveau-Testament, Mathias fut choisi par le sort ; le premier clerc que l’on fit, ce fut Pettus. Le pape Iginius, le dixième depuis le bienheureux Pierre, composa le clergé et en distribua les rangs. A l’égard de la couronne des clercs, on doit faire attention à trois choses, savoir : la tonsure de la tête, la coupe des cheveux et la forme du cercle. Trois choses se rapportent à la tonsure de la tête ; ce sont : la conservation de la propreté, son altération et sa nudité. La conservation de la propreté, parce que c’est par les cheveux que les ordures s’amassent sur la tête. L’altération, parce que les cheveux sont pour orner la tête ; la tonsure signifie donc la pureté d’une vie sans ornements, c’est-à-dire, au dehors, un habit ou extérieur qui ne soit pas recherché, selon [saint] Denys, dans sa Hiérarchie ecclésiastique. La rasure et la tonsure des cheveux, c’est aussi l’abandon de tous les biens temporels. Car les clercs doivent se contenter de la nourriture et de l’habillement, et posséder tout en commun. C’est pourquoi, selon l’Apôtre, « qu’ils n’entretiennent pas leur chevelure, » mais qu’ils rasent le dessus de leur tête en forme de cercle. Et la mise à nu de la partie élevée du chef (capitis), marque qu’il ne doit pas y avoir de mur entre nous et Dieu, afin que, la face du Seigneur nous étant révélée, nous contemplions librement sa gloire.

Nous rasons encore la tête des clercs, ne laissant de cheveux qu’au bas et en forme de couronne, parce que la tête représente l’ame, et les cheveux les pensées du siècle. De même donc que l’on purifie le haut de la tête en le dégarnissant des cheveux, ainsi notre ame, afin de pouvoir penser aux choses élevées, c’est-à-dire aux biens du ciel, doit être débarrassée auparavant des pensées du siècle. Mais on ne dégarnit pas la partie inférieure du chef, parce qu’il n’est pas défendu de penser quelquefois aux choses du monde, sans lesquelles on ne peut vivre ici-bas. A l’égard de la coupe des cheveux, il est à remarquer que les clercs doivent retrancher de leur ame toutes les pensées superflues.

XXVII. Or, les clercs doivent encore aller la tête tonsurée et les oreilles découvertes, de peur que les cheveux, en croissant, ne couvrent leurs oreilles, et ne les empêchent de voir clair en tombant sur leurs yeux ; car nous devons veiller à ce que les pensées du siècle ne viennent pas à boucher les oreilles et les yeux de notre ame, et ne nous entraînent pas à la recherche des biens de ce monde. C’est pourquoi nous coupons les cheveux des clercs au-dessus des oreilles, afin qu’ils aient les cinq sens de la tête libres et dégagés pour le service de Dieu. A juste titre donc il fut dit à Ezéchiel : « Les prêtres ne raseront pas leur chef et ne nourriront pas leur chevelure ; mais ils couperont leurs cheveux de temps en temps pour les tenir courts. » Or, comme dit [saint] Grégoire, dans le Pastoral (lib. II, cap. xviii) : « Les cheveux que l’on voit sur la tête, ce sont les pensées qui croissent dans notre ame. » Et ces cheveux qui s’élèvent insensiblement sur le sommet de la tête expriment les inquiétudes et les soins de la vie présente. Ces soins, que par un sentiment de négligence nous laissons parfois croître d’une manière importune, grandissent sans que nous le sentions en quelque sorte. Or donc, comme les prêtres, qui sont les chefs (duces) sacrés des fidèles, peuvent avoir les sollicitudes du dehors, et que cependant ils ne doivent pas s’y plonger avec force, on leur défend à juste titre de raser entièrement leur tête et d’entretenir leur chevelure, afin qu’ils ne retranchent pas entièrement d’eux les pensées qui occupeni le cœur des hommes qui sont sous le joug de la vie, et qu’ils ne se relâchent pas trop non plus en les laissant croître d’une manière désordonnée. Et l’on ajoute avec raison : « Qu’ils coupent leurs cheveux de temps en temps, pour les tenir courts ; » comme si l’on disait en quelque sorte : « Afin qu’il : pourvoient aux soins de la sollicitude temporelle autant qu’il sera nécessaire ; et cependant qu’ils y coupent court au plus vite, afin qu’ils ne s’accroissent pas d’une manière immodérée. » Lors donc que l’on a pourvu au soin et à la vie du corps par l’administration des choses du dehors, et que, grâce à l’intention modérée du cœur, on n’en est pas embarrassé, alors le ; cheveux demeurent sur la tête du prêtre pour couvrir la peau et on les coupe ensuite pour qu’ils ne lui bouchent pas les yeux. Pour ce qui est de la forme du cercle ou de la couronne il faut savoir qu’elle a lieu pour beaucoup de raisons.

XXVIII. Premièrement, pour marquer que le Christ, notre roi, prêt à s’offrir lui-même sur l’autel de la croix, a porté une couronne d’épines. C’est pourquoi nous aussi, qui désirons être sauvés par sa passion, nous portons au sommet de nos têtes le signe de la passion du Seigneur, c’est-à-dire la figure de la couronne d’épines qu’il porta sur son chef, afin de briser par ses souffrances les ronces de nos péchés, pour que, de même que lui pour nous, nous aussi pour lui nous montrions que nous sommes prêts à souffrir volontiers les railleries et les opprobres. Secondement, le cercle de cheveux désigne la vertu de l’égalité d’ame, qui se plie à tout ce que veut la raison chrétienne ; car les pensées que l’on a touchant les choses du temps sont bonnes et justes, si elles se rapportent à la raison dont nous venons de parler.

XXIX. Troisièmement, on fait cette figure circulaire, parce que cette figure n’a ni commencement ni fin. Ce qui nous donne à entendre que les clercs sont les ministres de Dieu, qui n’a pas eu de commencement et n’aura pas de fin. Quatrièmement, cette figure n’a aucun angle ; ce qui signifie que les clercs ne doivent pas avoir de tache dans leur vie : « Car là où il y a angle, là il y a immondice, » comme dit [saint] Bernard. Cela signifie encore qu’ils doivent être véridiques dans leur doctrine, parce que « la vérité n’aime ni les angles ni les détours, » selon l’expression de [saint] Jérôme. Cinquièmement, parce que cette figure est la plus belle de toutes les figures. Voilà pourquoi Dieu l'a donnée aux créatures célestes, les astres ; ce qui signifie que les clercs doivent être beaux dans leur ame, au dedans d’eux-mêmes et au dehors, par leur conversation et leur vie. Sixièmement, parce que cette figure est de toutes la plus simple ; car, selon [saint] Augustin, « aucune autre figure ne se renferme dans une seule ligne, si ce n’est la circulaire, dont une seule ligne dessine le contour ; » ce qui signifie que les clercs doivent avoir la simplicité de la colombe, selon cette parole : « Soyez simples comme des colombes. »

XXX. Septièmement, la couronne montre que les clercs sont spécialement le partage de Dieu et ses sujets immédiats ; car, selon [saint] Jérôme, « ils sont rois et prêtres, c’est-à-dire de royaux prêtres ; et ils sont rois, c’est-à-dire qu’ils règnent sur eux-mêmes et sur les autres par les vertus, et voilà pourquoi ils ont un royaume en Dieu. »

XXXI. « Assurément, la tonsure de la tête des clercs a lieu, comme dit [le vénérable] Bède dans l’Histoire des Angles, en mémoire de ce que, lorsque le bienheureux Pierre prêchait dans Antioche, on lui rasa le sommet de la tête par mépris pour le nom chrétien et pour la passion du Seigneur ; » ce qui, certes ! est passé aujourd’hui en honneur chez tout le clergé. Il y en a eu pourtant qui disaient que l’usage de la tonsure ecclésiastique est venu des Nazaréens (24)[9], qui gardent toutes les observances de l’ancienne loi. Or, ces hommes qui avaient d’abord gardé tout leur poil, après une grande continence de vie, rasaient ensuite leur tête entièrement, et jetaient leurs cheveux dans le feu du sacrifice, afin de se consacrer sous le joug du Seigneur avec un parfait dévouement (perfectionem devotionis). Ce fut à leur exemple que les apôtres établirent que les Nazaréens et les saints de Dieu renouvelleraient de temps en temps la coupe de leurs cheveux, après avoir préalablement reçu la tonsure ; et cela malgré qu’autrefois les chrétiens fussent appelés, d’une manière en quelque sorte outrageante, par les Juifs, du nom de Nazaréens, parce que notre Sauveur porte ce nom, qui lui vient d’un bourg de Galilée. On peut dire aussi que l’usage de la tonsure a tiré son origine de l’ancienne loi. Car le prêtre portait la tiare légale, c’est-à-dire le bonnet de lin très-fin fait en forme d’un demi-globe, sur la tête, et le roi portait la couronne. Mais la partie de la tête sur laquelle reposait la tiare était rasée. Le cercle d’abord est l’image de la couronne ; il marque que Dieu a fait des clercs une race élue pour un royal sacerdoce. La loi ordonnait encore que l’on fît une couronne de quatre doigts sur la table [de l’autel], et dessus une auréole. Au reste, le Seigneur dit à Ezéchiel : « Prends un glaive aigu et promène-le sur ta tête et sur ta barbe. » Car la longueur des cheveux signifie la multitude des péchés.

XXXII. Ce passage apprend donc aux clercs qu’ils doivent raser leurs barbes. Car la raison que l’on donne des poils de la barbe, qu’on dit provenir des humeurs superflues de l’estomac, marque que nous devons retrancher les vices et les péchés, qui sont choses superflues en nous. Nous rasons donc nos barbes afin que, par l’innocence et l’humilité, nous paraissions purs, et que nous devenions les égaux des Anges, qui sont toujours dans la fleur du jeune âge. Cependant dans les jeûnes nous laissons quelquefois croître nos cheveux, parce que les pensées qui ne sont pas contre Dieu, comme de bâtir une église, de cultiver un champ, et d’autres semblables, que l’on a coutume de faire pendant le temps de l’abstinence, ne doivent pas être défendues. Le Concile de Carthage statua (Extra de vita et honestate cleric. ; Clerici xxxiii, distinct. Si quid), « que les clercs n’entretiendraient ni leur chevelure ni leur barbe. »

XXXIII. On ordonne les clercs pour qu’ils servent Dieu et que désormais ils abandonnent le service du monde et ne s’attachent plus à sa gloire ; ils doivent donc offrir leurs corps comme une hostie vivante, sainte et agréable à Dieu. Ce qui a fait dire par l’Apôtre, parlant aux Romains : « Qu’ils soient confondus tous ceux qui se glorifient dans la folie, c’est-à-dire dans la gloire du monde, qui n’est pas la véritable gloire, mais son image. » On dira, au chapitre du Diacre, pourquoi l’on étend la main sur ceux que l’on doit ordonner.

XXXIV. L’ordination a lieu aux quatre saisons de l’année, parce que les prêtres et les autres clercs prennent alors dans l’église la place qui fut assignée aux Lévites au milieu du peuple d’Israël ; car, ainsi qu’on le lit dans le livre des Nombres, le Seigneur les reçut pour ses premiers-nés et les conserva dans l’Égypte, pendant que ceux des Égyptiens étaient mis à mort. Par l’expression de primogenita, on entend en quelque sorte certaines prémices ; voilà pourquoi nous offrons comme des prémices, pour ainsi dire, au Seigneur, quand nous consacrons quelqu’un dans les saints ordres. Il convient donc que nous offrions les prémices des hommes, lors des prémices des quatre saisons, c’est-à-dire aux Quatre-Temps. Nous les offrons encore aux quatre saisons, afin qu’ils soient ornés de quatre vertus, et que ce soit pour eux un avertissement de servir le Christ et les églises, sous la protection et l’exemple des quatre évangélistes. Au printemps, afin que les vertus fleurissent en eux. Dans l’été, afin qu’ils portent des fruits. Dans l’automne, afin qu’ils recueillent les fruits des bonnes œuvres. En hiver, pour qu’après les avoir amassés ils les conservent dans le grenier et qu’ils en jouissent dans le Seigneur. Et vois, dans la sixième partie, au Samedi après le dix-septième dimanche.

XXXV. Mais les ordinations ont lieu aux samedis des Quatre-Temps de préférence aux quatrièmes ou sixièmes féries, parce que ce jour est consacré à l’Esprit saint, dont on reçoit les dons dans les ordinations. Car il fut commandé au premier peuple de célébrer le sabbat (samedi), afin que cela fût la figure de la sanctification de l’Esprit saint. C’est pourquoi on lit dans l’Exode : « Le repos du sabbat fut sanctifié par le Seigneur. » Et plus loin : « Gardez mon sabbat, car il est saint pour moi, parce qu’il sera le signe établi entre moi et vous, et il se perpétuera chez vos enfants d’âge en âge. » En outre, nous ne lisons jamais dans la Genèse que la sanctification ait lieu dans tous les premiers jours ; mais il est dit seulement du sabbat : « Dieu sanctifia le jour du sabbat. » Les ordinations ont encore lieu le samedi, pour marquer que ceux qu’on doit ordonner doivent avoir le repos (sabbatum) du temps pour passer enfin à celui de l’éternité (sabbatum œternitatis.) L’ordination que l’on fait le samedi n’est commencée que le jour suivant, car elle figure que les prêtres ordonnés sont les ministres des divers sacrements du Seigneur. Et cette cérémonie a lieu à l’heure de none (trois heures de l’après-midi), parce qu’alors ce temps se rapporte au jour du Seigneur (le dimanche), c’est-à-dire de la résurrection. On entend donc aussi par là que ceux qu’on va ordonner ressuscitent le samedi, à l’image du Christ.

XXXVI. Donc, c’est à juste titre que dans ce jour, qui est celui du Seigneur (le dimanche), on célèbre la cérémonie de la bénédiction sacerdotale, dans laquelle sont conférées les onctions de la grâce (chrismata gratiarum). En ce jour le Seigneur ressuscita, en ce jour il souffla sur les Apôtres en disant : « Recevez l’Esprit saint ; ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils leur seront remis. » En ce jour l’Esprit saint promis descendit. C’est donc bien à droit que dans ce jour nous appelons les bénédictions sur les prêtres, afin de pouvoir chanter joyeusement avec les Apôtres : « Viens, saint Esprit, remplis les cœurs de tes fidèles, c’est-à-dire de ceux qu’on a ordonnés. » Les ordinations ont lieu aussi le samedi de la Mi-Carême, où l’on chante : « Sitientes, etc., » et encore le Samedi saint. Mais cependant jusqu’aux temps du pape Simplicius on dit que les pontifes romains ont toujours célébré les ordinations en décembre, comme on le dira dans la sixième partie, au Samedi après le xviie dimanche. C’est aussi pourquoi l’on chante alors les offices entiers, ce qui n’a pas lieu les autres dimanches. Mais on ne confère pas les ordres sacrés le samedi après la Pentecôte, parce que dans la semaine suivante on célèbre la grâce de l’Esprit saint qu’on a reçue.

XXXVII. Seul, le pontife romain peut faire des diacres les dimanches. Les autres prélats peuvent seulement, les dimanches, conférer les ordres mineurs et consacrer les vierges. Si cependant, à cause d’une pressante nécessité, l’ordination a lieu le dimanche, parce que peut-être elle n’a pu être terminée entièrement le samedi, elle doit avoir lieu avec continuation du jeûne, tant de la part de celui qu’on doit ordonner que de celui qui ordonne, parce qu’alors, à cause de la continuation du jeûne, on simule un jour.

XXXVIII. Au reste, on dit qu’en certains lieux, ceux dont les fêtes des églises sont aux samedis des Quatre-Temps, transfèrent le jeûne à la semaine précédente, à cause de l’honneur de leurs festivités. Mais nous disons que cela ne leur est pas permis, et que l’on ne peut pas alors célébrer les ordres. Il est donc mieux de transférer les festivités elles-mêmes. On parlera de cela dans la sixième partie, à la quatrième Férie de la troisième semaine de l’Avent. On dira, au chapitre de l’Évêque, quel jour et à quelle heure on doit consacrer les évêques. Il faut encore considérer que les prêtres et les diacres sont seulement nommés par l’Apôtre dans sa lettre, parce qu’ils sont surtout nécessaires pour le service de l’autel. Mais les autres ordres ont été ajoutés ensuite pour l’utilité du ministère, parce que, à cause de la multitude des croyants, il ne pouvait être convenablement rempli par eux. C’est aussi pourquoi, selon [saint] Ambroise, « leur ordination est surtout célébrée autour des autels, et que l’évêque se prosterne pour eux devant l’autel. » Les autres ne sont en aucune façon ordonnés en face de l’autel, parce qu’on ne les établit pas pour le service des autels, mais pour qu’ils remplissent d’autres offices, en chantant ou en lisant, ou en faisant d’autres choses qui leur sont propres. Tous cependant requièrent la présence du prélat, c’est-à-dire la face du Seigneur, afin de pouvoir hériter au nombre des premiers-nés, comme Jacob, qui s’arrogea le droit d’aînesse de son frère. Et fais attention que, dans certaines églises, immédiatement après qu’on a conféré chaque ordre, quel qu’il soit, on chante le Répons ou Trait, comme on le voit dans le livre Pontifical que nous avons publié[10], et cela pour hien marquer que ceux que l’on a ordonnés pour être lecteurs, déjà instruits de ce qu’on leur a lu, sont appelés au soin et au travail que signifient le Répons et le Trait. Or, comme il a été fait mention de la consécration des vierges (25)[11], il faut voir : premièrement, quels jours on les bénit ; secondement, ce que signifient les cérémonies de leur bénédiction.

XXXIX. On les bénit les dimanches, aux jours des Épiphanies (ou trois révélations du Christ)[12], in albis paschalibus (lorsque l’Église, vêtue de blanc, célèbre les fêtes de Pâques), et aux fêtes des Apôtres, afin que l’Esprit saint descende sur elles, simples comme des colombes, et que, de même que les Apôtres assurèrent par leur mort l’inviolabilité (virginitatem) de l’Église, elles soient consacrées au Seigneur et présentées par leurs successeurs au Christ, comme par les paranymphes de l’épouse. Il reste à voir ce que signifient les cérémonies de leur bénédiction, car, bien que toute ame soit fiancée à Dieu par la foi, ce qui a fait dire à Osée : « Je te fiancerai à moi dans la foi, » cependant on dit que les vierges sont plus particulièrement fiancées au Christ, parce que leur chair se joint plus étroitement à celle du Christ, par la raison que cette chair, ainsi que celle du Christ, n’a pas senti la corruption. Et c’est pour cette cause que les vierges suivent l’Agneau partout où il ira, dit l’Apocalypse.

XL. Or donc, les vierges que l’on doit bénir se tiennent debout sous un pavillon, ou en quelqu’autre lieu, jusqu’au moment où l’archiprêtre ou un autre chante à haute voix, avant l’évangile : « Prudentes virgines, etc. » Elles sortent, des cierges ardents dans les mains, têtes nues, au-devant de l’évêque, et entrent dans l’église. Or, elles portent dans leurs mains des cierges allumés, selon cette parole de [saint] Luc : « Que vos reins soient ceints, et que des lampes ardentes soient dans vos mains, » afin qu’elles se montrent les imitatrices des vierges prudentes, qui garnirent leurs lampes et sortirent au-devant de l’époux ; car leur époux, c’est le Christ, que le pontife, son vicaire, représente. Or, tenir des lampes ardentes dans ses mains, c’est, par ses bonnes œuvres, montrer l’exemple au prochain, selon cette parole du Sauveur : « Que votre lumière luise devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, etc. » Leur sortie du pavillon, ainsi que leur entrée dans l’église, marque qu’en recevant la bénédiction et en entendant la parole du Christ qui nous fiance à lui, elles passent d’une prison d’esclaves et de ses afflictions, des ténèbres de la vie présente et de ses prestiges, à la liberté du royaume des cieux, à sa joie et à sa splendeur, et dans le lit nuptial du souverain roi. C’est pourquoi l’Église dit : « Viens, toi que j’ai choisie, et je te placerai sur mon trône. » Elles viennent nu-têtes à la rencontre du prélat, et le pontife leur dit, en chantant : « Venez, » et elles, en chantant aussi, elles répondent. Maintenant, on représente ce qu’on lit dans les Cantiques : « Lève-toi, mon amie, ma fiancée ; montre-moi ton visage, et que ta voix résonne à mes oreilles. » La nudité de la tête marque encore d’une manière convenable l’abandon et l’entière renonciation aux choses de ce monde. Elles entrent aussi nu-têtes dans l’église, pour signifier qu’on les introduit, comme de belles et agréables fiancées aux yeux de l’époux, dans sa propre maison, selon ce qu’on lit dans les Cantiques : « Je suis noire[13], mais belle, et le roi m’a fait entrer dans son appartement le plus secret (in tabernaculum suum). »

XLI. Et on leur dit trois fois : « Venez, » pour marquer que nous devons venir à ce tabernacle de trois manières, à savoir : par l’abdication de la propriété, par le vœu de la chasteté et par la promesse [sponsionem] de l’obéissance. Les vierges doivent donc venir à la demeure du Roi des cieux : Premièrement, en abdiquant ce qu’elles possèdent en propre, c’est-à-dire la servitude du monde, l’esclavage de l’Égypte, la prison, ses liens et ses filets ; ce qui a fait dire au Psalmiste : « Les pécheurs tomberont dans le réseau du siècle ; » et à la Sagesse : « Les créatures de Dieu sont devenues une tentation pour l’ame des hommes, et un piège (muscipulam, a mus et capere), une souricière pour les pieds des insensés. » Secondement, elles doivent venir à ce palais divin par le vœu de la chasteté, en sortant des délices et de la complaisance de la chair, de l’impureté, d’un lieu empoisonné, où, si l’ame respire quelque chose et si elle ne le rejette pas par la pénitence, elle meurt de la mort éternelle. Troisièmement, par la promesse de l’obéissance, en sortant de sa propre volonté comme de la corruption, d’un four embrasé et de la fournaise de Babylone. Et c’est pourquoi elles disent avec les enfants qu’on y avait renfermés : « Et, maintenant, nous te suivons de tout notre cœur, et nous te craignons, et nous cherchons ta face » (In Dan., parum ante Psal. Benedi.). Il faut sortir de chacun de ces dangers, quel qu’il soit, par un ferme propos du cœur, par un vœu encore plus solennel, et par la persévérance continuelle dans le genre de vie dont on aura fait choix ; et ce sont comme trois abstinences. Il est dit dans l’Exode : « Nous marcherons pendant trois jours dans le désert. » Les trois invitations faites trois fois, comme on l’a vu plus haut, marquent ces trois abstinences, parce qu’en effet, après avoir formé un si louable propos, restent les embûches et les tentations du diable, et les combats très-rudes contre le monde, la chair et les démons, et, par là-dessus, la difficulté de l’observance régulière que la faiblesse de la femme ne peut suffisamment supporter par elle-même. C’est pourquoi on implore le secours de Dieu elles suffrages des saints par les Litanies que l’on joint aux cérémonies énumérées plus haut.

XLII. C’est avec raison que les vierges déposent leurs anciens vêtements et se revêtent de nouvelles robes bénies, pour marquer que, dans cette disposition où elles sont, elles dépouillent le vieil homme et revêtent le nouveau, « qui, comme on le lit dans l’Épître aux Éphésiens, a été créé dans la justice et dans la sainteté de la vérité. » Ces robes doivent être propres et blancbes, pour signifier que, comme elles sont fiancées au Fils de Dieu, elles doivent à l’avenir se préserver de toute tache et se conserver pures et saintes, selon cette parole de l’Apôtre : « Je vous ai fiancés à un seul homme, pour vous présenter au Christ comme une vierge chaste. » Or, la blancheur ou la propreté de l’habit des vierges est le symbole de ce que nous venons de dire. C’est pourquoi l’Ecclésiaste dit : « Que tes vêtements soient blancs et purs (candida) en tout temps. » Et cela a été emprunté de la bienheureuse Cécile, qui resplendissait au dehors par son vêtement, et brillait au dedans par sa chasteté ; et aussi des anges, qui, lors de la résurrection du Christ, furent vus revêtus de robes blanches. Ou bien, si l’habit des vierges est noir, il signifie la mortification de la chair. Car, de même que le Christ, leur fiancé (sponsus)[14], est mort pour elles, elles doivent, elles aussi, à leur tour, mourir toutes ensemble pour lui ; ce qui a fait dire à l’Apôtre : « Ceux qui sont du Christ ont crucifié leur chair avec ses vices et ses concupiscences. » Et l’Epître aux Romains : « Si nous sommes greffés sur le Christ par la ressemblance de sa mort, nous y serons aussi entés par la ressemblance de sa résurrection. » La couleur noire de l’habit virginal, c’est encore le mépris virilis amplexus.

XLIII. Ensuite, revêtues des vêtements bénits, elles viennent devant l’évêque, comme si elles lui disaient par cette action même : « Nous avons méprisé le royaume du monde et toute la pompe du siècle pour l’amour de N. S. J.-C., etc. »

XLIV. Et puis, selon la règle du pape Sother, on place sur leurs têtes, avec le signe de la croix, le voile qui leur pend sur les épaules et sur la poitrine : Premièrement, pour signifier qu’elles doivent, à cause du Christ, mépriser humblement le monde dans leur cœur et par leurs œuvres, voiler leurs sens et se fortifier par le souvenir de la passion du Christ, pour ne pas se laisser aller aux choses du siècle par l’impureté, et afin qu’elles ne pénètrent pas leurs sens, selon cette parole de l’Apôtre : « Le monde est crucifié pour moi, et moi je le suis pour le monde. » Secondement, on voile les vierges parce qu’elles ne sont pas l’image de Dieu[15]. Troisièmement, pour montrer leur soumission. Quatrièmement, afin qu’elles ne se laissent pas voir sans permission à tous les hommes. Cinquièmement, de peur que leur beauté ne soit une occasion de pécher à ceux qui les regarderaient ; car le Psalmiste dit : « Seigneur, tu m’as fait trouver des délices dans la vue de l’œuvre de tes mains ; » et les créatures de Dieu sont devenues un objet de tentation, comme on l’a dit plus haut. Or, le voile est le symbole de la pudeur et de la gloire future qui leur sera révélée. Ensuite, comme elles sont fiancées au Christ, qui est l’alpha et l’oméga, c’est-à-dire le commencement et la fin, on leur donne un anneau qui est rond, et n’a ni commencement ni fin ; et on le met au quatrième doigt, où il y a une veine qui vient du cœur, afin qu’elles sachent qu’elles doivent chérir le Christ, leur fiancé, de tout leur cœur, et lui être inséparablement attachées. Enfin, on leur met des couronnes sur la tête, selon cette parole de l’Ecclésiastique : « Viens, fiancée du Christ, et reçois la couronne, etc., » pour marquer que, quand la vierge est fiancée au roi suprême par la consécration, elle devient reine ; c’est-à-dire qu’elle se gouverne, elle et les autres, par la pratique et l’exemple de toutes les vertus. C’est pourquoi on lit dans les Proverbes : « Afin que la grâce couronne ta tête, et qu’elle soit comme un collier à ton cou. » Pendant ce couronnement, le pontife chante ce cantique d’allégresse : « Viens, toi que j’ai choisie, etc., » comme, s’il était le paranymphe du céleste époux. Et c’est pour cela que les amis et les parents des vierges se réjouissent lors de cette consécration. Le pape Léon fut le premier qui établit, dans ! le Concile de Chalcédoine, qu’il célébra et présida lui-même, « que les vierges seules devraient être voilées. »

XLV. Mais on a fait mention plus haut du voile : il faut remarquer que cet ornement de tête est tantôt un signe de conversion, tantôt de consécration, tantôt de profession, tantôt d’ordination, tantôt de prélature. Une personne qui passe de la vie, séculière à la vie religieuse prend le voile de conversion ; et alors, si, pendant un an, elle persévère parmi les vierges voilées, elle ne pourra plus les quitter désormais. Le voile de consécration est donné par les seuls évêques aux vierges seulement, et encore ce n’est qu’aux festivités et les dimanches. Cependant, dans une nécessité pressante, il pourrait être donné, comme le baptême, à tous ceux qui en auraient le désir et la dévotion (omnibus devotis). On ne le donne pourtant pas avant que la récipiendaire n’ait vingt-cinq ans accomplis dans l’année où elle le recevra, à moins qu’il n’y ait, par hasard, une dispense. Une vierge reçoit le voile de la profession quand elle fait preuve de continence, et, cependant, pas avant douze ans, et on ne la bénit pas non plus avant ce temps. On donne donc ce voile en même temps qu’une bénédiction solennelle, qu’accompagne le chant des Litanies. Aucun évêque ne donne ce voile aux veuves ou aux femmes corrompues ; mais elles le prennent elles-mêmes de dessus l’autel (au dire de certains auteurs).

XLVI. Certes ! l’évêque voile la vierge et non la veuve, parce que la vierge, dans ses fiançailles, représente le type de l’Église, qui, pure et vierge, a épousé un seul homme, c’est-à-dire Jésus-Christ ; et c’est en signe de cela qu’elle reçoit le voile des mains de l’évêque, pour signifier que le Christ la prend pour son épouse. Il a été dit, en parlant de sa personne : « Le Seigneur m’a fiancée avec son anneau. » Mais, dans une pareille occasion, la veuve ne reproduit pas la figure de l’Église comme la vierge, puisqu’elle n’est pas entière dans son ame et dans son corps comme celle-là. C’est pourquoi elle n’est pas unie au Christ de manière à représenter l’union de l’Église ; c’est pourquoi elle ne reçoit pas le voile.

XLVII. De plus, il est défendu au prêtre d’assister aux secondes noces et de répandre la bénédiction sur ceux qui se marient une seconde fois, comme on l’a dit dans la première partie, au chapitre des Sacrements de l’Église. Or, cette veuve se marie en quelque sorte en secondes noces : d’abord fiancée à un homme, ensuite par la profession au Christ, ce qui fait qu’on ne lui présente pas le voile de la consécration, parce qu’on la considère à l’égal d’une personne qui célèbre des secondes noces ; ni même celui de la profession, mais elle le prend elle-même sur l’autel. Il y a cependant des auteurs qui disent que, quoiqu’elle ne puisse pas être voilée par l’évêque, elle peut l’être pourtant par un prêtre du voile de la profession ou de la conversion, et qu’elle reçoit aussi de lui ou de celui qui l’assiste l’habit ou le vêtement religieux. Toutefois, on trouve dans le livre Pontifical selon l’ordre romain la bénédiction d’une veuve faisant profession de continence et celle de son voile. Car le Seigneur consola la veuve de Sarepta par le ministère d’Elie, son prophète, et nous avons vu dans la ville d’Ostie (Hostien) l’évêque bénir, en même temps que les vierges, deux veuves en qualité de religieuses.

XLVIII. Le voile de l’ordination se donnait aussi à la diaconesse (26)[16], à l’âge de 40 ans, afin qu’elle pût lire l’évangile aux nocturnes[17]. Le concile de Laodicée (Laudicen) établit « que les femmes qui, chez les Grecs, étaient appelées prêtresses {presbyterœ), chez nous veuves (viduœ), et dans l’Église vieilles et respectables (seniores), veuves d’un seul homme (univirœ), ou sages-femmes (matricuriœ), ne devaient pas être ordonnées. »

XLIX. Autrefois, on donnait le voile de la prélature aux abbesses à l’âge de 40 ans. Or, il est une chose qu’il faut savoir, c’est que notre très-sainte et très-sacrée (sacrosancta) mère l’Église a des rangs et des degrés distincts. Et, lorsque le pontife romain célèbre solennellement la messe, il a avec lui six ordres de clercs, qui sont : les évêques, les prêtrès, les diacres, les sous-diacres, les acolytes et les chantres ; ce nombre est une preuve manifeste du mystère de cet office, car le nombre de six est un nombre parfait, comme on le dira dans la préface de la troisième partie. Et nous lisons qu’il y avait dans l’Ancien-Testament six ordres de ministres, à savoir : les pontifes, les prêtres, les lévites, les nathinéens, les portiers et les chantres, qu’Artaxercès distingua de l’ordre inférieur dans la lettre qu’il écrivit au scribe Esdras, et où il lui dit : « Nous faisons savoir, touchant tous les prêtres et les lévites, les chantres et les portiers, les nathinéens et les ministres de la maison de Dieu, qu’aucun impôt, tribut et taxe ne leur soit imposé d’aucune manière. »

L. Et le pape Sylvestre énumère en ces termes les ordres ecclésiastiques : « Qu’en tout lieu le prêtre obéisse au pontife, le diacre au prêtre, le sous-diacre au diacre, l’acolyte au sous-diacre, l’exorciste à l’acolyte, le lecteur à l’exorciste, le portier au lecteur, l’abbé au portier, le moine à l’abbé. » Le bienheureux Isidore dit encore : « Généralement on appelle clercs tous ceux qui servent le Christ dans l’église ; voici leurs noms et leurs rangs : le portier, le psalmiste, le lecteur, l’exorciste, etc. » Il fait aussi mention du chantre après les autres, et il dit : « Tous ces hommes se réjouissent déposséder le privilège de la cléricature. » Mais, cependant, certains hérétiques pleins de perfidie, méprisant le sacrement de l’Ordre, mentent lorsqu’ils disent que, dès le principe, l’Église du Christ n’avait pas des personnes qu’elle appelait exorcistes, céroféraires, lecteurs ou diacres, mais seulement les exorcistes des démons qui étaient contre [saint] Paul, et que le Christ n’a pas fait ce que l’Apôtre a dit, en parlant de fonctions si basses que nous énumérons ci-dessous, mais qu’il a révélé par ces désignations des choses plus élevées et plus précieuses que l’Église romaine ne connaît pas[18].

LI. Parmi ces ordres, il y en a certains qui ne sont pas sacrés (sacri), et d’autres qui le sont. Les ordres mineurs qui ne sont pas sacrés, ce sont : les emplois du chantre, du psalmiste, du portier, du lecteur, de l’exorciste et de l’acolyte. Mais les ordres sacrés ou majeurs, ce sont : le sous-diaconat, le diaconat, la prêtrise et le rang épiscopal.

LII. Communément on assure qu’il doit y avoir sept ordres, dont le portier est le premier et le prêtre le dernier, à cause des sept formes dont se revêt la grâce de l’Esprit saint, par le don duquel ils remplissent leurs ministères. Et si tu veux rapporter chaque don à chaque rang, en commençant par la crainte, tu l’assigneras au portier, et puis, donnant à chacun le caractère qui lui est propre, tu adapteras la sagesse au prêtre (Esa., iv). Ce sont les sept femmes chez lesquelles l’Esprit saint reçoit l’hospitalité, et chacune d’elles lui apprête son festin.

LIII. Il est encore spirituellement (et spécialement) portier, celui, quel qu’il soit, qui fait entrer spirituellement les autres dans l’Église, c’est-à-dire celui qui enseigne la foi en la prêchant. Il est lecteur, celui qui forme les mœurs ; exorciste, celui qui prie ; acolyte, celui qui fait briller ses mœurs par la pratique de la vertu ; sous-diacre, celui qui montre l’humilité dans sa conduite ; diacre, celui qui exhorte les autres ; prêtre, celui qui s’offre lui-même à Dieu comme une hostie sainte ; évêque enfin, celui qui administre les sacrements. Or, nous parlerons de chacune de ces personnes en particulier dans la suite de ce livre.

  1. Secta, dit Durand ; c’est pour nous conformer au strict mot à mot que nous traduisons secta par secte. Ici, ce mot a le sens de part, portion, et non pas de secte dans l’acception mystique des branches séparées du tronc nourricier de l’arbre de vie.
  2. Cette façon de parler, créée par Dieu, et que nous ne trouvons que dans la Bible et principalement dans l’Évangile, est généralement atténuée dans toutes les traductions, où on ne lui donne que la valeur d’une simple négation. Ainsi, l’on traduit : « Irascimini et nolite peccare, » par : « Mettez-vous en colère et ne péchez pas, » comme si, au lieu de nolite, qui signifie qu’on ne doit pas même avoir la pensée de la colère, on lisait : et non, etc., ce qui n’a plus le sens sévère et étendu que nous révèle ce mot de Jésus-Christ : « Je vous dis que celui qui aura regardé une femme avec un mauvais désir, et avec la volonté de mal faire, a déjà commis l’adultère. — Va, et n’aie plus la volonté de pécher, dit le Christ à la femme adultère ; noli peccare. » Le christianisme et Dieu, son divin auteur, ont pu seuls dire ce mot inconnu et impossible à l’antiquité païenne, qui ne condamnait, comme la justice imparfaite des hommes, que l’accomplissement du désir et non le désir lui-même qui échappait à ses lois, sur lequel elle n’avait et ne pouvait jamais avoir de droit. Traduisons donc ce noli si dur au monde et si consolant pour le chrétien, dont la vie la plus sainte comme la mieux remplie peut se résumer tout entière dans les victoires qu’à chaque instant Dieu lui fait une loi de remporter sur ses désirs déréglés. Nous pourrions multiplier à l’infini les exemples de ce genre d’observation ; les deux que nous avons indiqués suffisent, parce que l’un explique l’importance de l’autre.
  3. Boileau, dans sa XIIe satire (sur l’Equivoque), parlant de l’hérésie arienne, dit : [L’Eglise…]

    « Sentit chez soi trembler la vérité chrétienne,
    Lors qu’attaquant le Verbe et sa divinité,
    D’une syllabe impie un saint mot augmenté
    Remplit tous les esprits d’aigreurs si meurtrières,
    Et fit de sang chrétien couler tant de rivières. »

    Il s’agissait du mot omousios, d’une seule essence, auquel les Ariens substituaient le mot omoiusios. d’une essence semblable.

  4. Après avoir énuméré tous les titres les plus glorieux de la sainte Trinité, dans la personne du Père, du Fils et du Saint-Esprit, saint Ambroise et saint Augustin, les deux improvisateurs inspirés du Te Deum, s’écrient : « Tu (Filius Dei), ad liberandum suscepturus hominem, non horruisti virginis uterum. — Toi (le fils de Dieu), qui venais pour relever et délivrer l’homme, tu n'as pas eu horreur du sein d’une vierge » (et quelle vierge, Marie !). Il faut dire avec amour et répéter avec dévotion cette magnifique strophe, en la considérant comme le texte du commentaire, sublime dans sa brièveté même, de l’évêque de Mende : Admirabilis in incarnatione (le Christ est admirable dans son incarnation).
  5. Clericales, les personnes du clergé, ce qui comprend les prêtres et les ordres mineurs.
  6. Voir la note 22 page 403.
  7. Nous voyons par le grand Pastoral de l’église de Paris (Mss) que l’on désignait les curés tantôt par presbyter curatus, et tantôt par le terme de ' seulement. (V. page 24 de notre Hist. du village de Châtenay-lez-Bagneux et du hameau d’Aulnay, dépendant de Châtenay ; broch. in-8o raisin de 96 pages.)
  8. Voir la note 23 page 404.
  9. Voir la note 24 page 406.
  10. Le Pontificale, espèce de Rituel des évêques, ouvrage Mss. de Durand. (V. la Notice hist. sur la vie et sur les écrits de G. Durand, § ii.)
  11. Voir la note 25, page 409.
  12. L’Épiphanie ou Adoration des Mages, les Noces de Cana et le Baptême de J.-C. (V. le Rational, lib. vi, cap. xvi et seq., De festo Epiphaniœ.)
  13. C’est-à-dire brune (fusca), « quia decoloravit, me sol parce que le soleil m’a décolorée, » voilà pour le sens naturel ; quant au sens mystique, ce que dit l’épouse signifie que l’Église est noire, à cause de la fragilité des hommes mortels et sujets au péché qui la composent ; mais elle est belle à cause de la grâce dont son époux l’a ornée.
  14. C’est à tort qu’on traduit ordinairement sponsus par époux ; ce mot, qui vient du verbe spondere, signifie promis, accordé, fiancé. Dans une charte qui date de 1212, on lit : Uxore sua desponsata (*), en parlant d’un homme qui fait une damnation ; le vrai sens de ces mots, devant lesquels ont hésité des hommes que leurs études auraient dû, ce semble, rendre plus familiers avec les synonymes latins, est que le susdit individu venait de fiancer (desponsata) la femme qui, par la célébration du mariage civil et religieux, allait devenir son épouse (uxore sua) ; où l’on voit que sponsus n’a jamais d’autre sens que celui de fiancé ; mulier c’est le nom de toute femme, virgo d’une vierge, conjux d’une personne à qui l’on est uni en vertu d’une union reconnue ou non par la société et l’Église ; conjux signifie une femme qui a des enfants ; enfin, fœmina n’est qu’un nom commun aux femelles de toutes les espèces d’animaux.
    (*) V. Bibliothèque de l’École des Chartes, 2e série, t. 3, p. 253.
  15. Quia non sunt imago Dei. — Durand, en cette occasion, est l’échô des Conciles et de son siècle ; il a entendu à la rigueur le verset de la Genèse : « Faisons l’homme à notre image ; faciamus hominem ad imaginem nostram. » Mais Durand n’aurait pas dû oublier, ce nous semble, qu’immédiatement la Genèse dit ; « Dieu créa l’homme à son image… mâle et femelle ; creavit Deus hominem ad imaginem suam… masculum et feminam. » La naissance de la femme, tirée du côté de l’homme, n’est en quelque sorte que le dédoublement d’Adam, ou plutôt de cet être double créé du limon de la terre, homo ex humo, et qui contenait et renfermait les deux sexes, les deux classes d’habitants raisonnables et créés à l’image de Dieu pour gouverner la terre. Ainsi, il ne faut regarder que comme une acception trop rigoureuse du mot homme ce que l’on pourrait croire une injure faite à la femme, en disant qu’elle n’a pas participé à la dignité de l’homme ; ce qui est tout-à-fait contraire à l’enseignement de l’Église, et surtout à celui des premiers apôtres, et de saint Pierre et de saint Paul en particulier. La femme est l’os des os et la chair de la chair de l’homme ; elle est donc comme lui l’image de Dieu.
  16. Voir la note 26, page 411.
  17. ... Ut posset legere evangelium in Nocturnis. — Il est souvent fait mention dans les liturgistes, non-seulement de religieuses qui avaient le droit de porter l’aumusse, le surplis, le manipule et l’étole même, mais encore de lire l’évangile, comme nous le prouve te passage suivant de la Vie de sainte Aure, abbesse : « Un jour, dit son légendaire, cette bonne et sainte abbesse, impatiente d’ouïr mal prononcer l’évangile, ôta l’étole au diacre et entreprit de le dire elle-même, dont elle fut reprise par son bon ange. » La rude pénitence qu’elle s’imposa fut pour punir, non sa témérité d’avoir voulu faire une chose qui lui était permise de droit, mais son impatience très-condamnable dans un lieu consacré au recueillement et à la prière. (V. Jacques Quétif, Vie de madame sainte Aure, et Lebrun des Marettes, Voyages liturgiques en France.)
  18. Voici le texte de cette phrase assez obscure : « Nec ea quæ Christus fecit vel Apostolus dixit pro tam vilibus significationibus, quæ infra sequuntur, fecit et dixit ; sed altiora et pretiosiora, quee romaua nescit Ecclesia, demonstravit. »