Rapport à la Société sur des thermes et un cimetière gallo-romains, découverts à Rodez

Collectif
Texte établi par Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron, Société des lettres, sciences et arts de l'Aveyron (p. 66-80).
RAPPORT à la Société sur des thermes et un cimetière gallo-romains découverts à Rodez
Par M. l’abbé CÉRÈS[1].

Messieurs,

Quand je vous annonçai, il y a déjà quelques mois, la découverte de thermes aux environs de Rodez, je promis en même temps de vous tenir au courant de mes travaux de fouilles et de vous en faire connaître le résultat. J’aurais dû, j’en conviens, ne pas mettre un si long retard à l’accomplissement de ma promesse ; mais de nouvelles et non moins importantes découvertes sont survenues, elles se sont rapidement succédées et la pioche a dû primer la plume avec plus de raison, bien sûr, que la force ne doit primer le droit. La nature de ce modeste récit et l’intérêt qu’il peut offrir parleront-ils assez haut pour faire oublier ma faute ?

Nous connaissions déjà, du vieux Rodez, l’amphithéâtre qui avait diverti ses habitants et le merveilleux aqueduc qui les avait désaltérés. Depuis bientôt un an nous connaissons ses bains publics et depuis seulement quelques jours le champ qui offrit un dernier asile à nos vieux ancêtres ; j’ai donc à vous entretenir aujourd’hui, non-seulement des bains dont j’avais promis de vous parler uniquement, mais encore de la nécropole de l’antique

cité que le plus heureux des hasards nous a fait récemment découvrir.

À vrai dire, la première découverte des thermes de nos anciens prédécesseurs remonterait à l’année 1870 de funeste mémoire. En me promenant, un jour, avec un de mes amis, sur les bords de Lauterne, dont le faible cours contourne en partie notre ville et va, non loin de là, se jeter dans l’Aveyron, nous remarquâmes un exhaussement de terrain qui nous parut assez extraordinaire sur la surface unie que nous parcourions. Arrivés sur le monticule qui s’offrait à nous, de très petits fragments de brique attirèrent d’abord notre attention. Ce furent ensuite, sur les bords d’une haie, des fragments plus considérables avec des marques incontestables de leur origine gallo-romaine. Ce furent enfin de grandes lignes grisâtres tranchant vigoureusement sur le vert tendre de la prairie et dessinant, tantôt de longs parallélogrammes, tantôt des circonférences plus ou moins développées. Il fut très facile de reconnaître dans ces lignes, symétriquement disposées, de vastes substructions, sur lesquelles de persévérantes chaleurs n’avaient pu laisser au gazon qui les recouvraient qu’une misérable et languissante vie. L’ami qui m’accompagnait voulut bien relever sur une feuille de son calepin ces lignes énigmatiques. Le crayon manquant, ce fut un buisson arraché à la haie qui en remplit les fonctions, la longueur des pas servit de mesure, et en moins d’un quart d’heure nous eûmes, sous les yeux, non pas tout-à-fait le plan que j’ai l’honneur de vous soumettre aujourd’hui, mais quelque chose d’assez approchant.

Nous aurions dû nous mettre immédiatement à l’œuvre pour une découverte qui témoignait d’une si grande importance : le voisinage des lieux nous y invitait d’ailleurs. Mais le manque de fonds, mais surtout les grandes tristesses de la patrie, qui ne se firent pas longtemps attendre, vinrent mettre obstacle à l’entreprise et nous faire presque oublier notre découverte. Il n’a fallu rien moins que l’occasion du Congrès scientifique de France (XLe session) tenu à Rodez l’an dernier et le grand désir de nous rendre agréable aux membres de cette savante réunion pour nous faire renaître l’idée d’en entreprendre les fouilles sérieuses.

Elles commencèrent enfin au mois de septembre et ne furent terminées, ou plutôt ne cessèrent d'être poursui- vies qu'au printemps de l'année dernière. Voici mainte- nant le résultat de nos travaux ; mais hâtons-nous de dire avant de commencer que si nous nous permettons d'assi- gner un nom aux divers appartements à mesure que nous en signalons la découverte, nous n'entendons nullement prononcer en dernier ressort. Nous serons heureux d'ac- cepter, de personnes compétentes, les dénominations qui leur sembleraient plus naturelles et plus vraies.

Le plan fidèle et consciencieusement levé par M. Ar- ribat, l'habile et intelligent agent-voyer en chef de notre arrondissement et l'ami que j'ai déjà signalé, me dispen- sera de longs détails et me permettra de m'en tenir à la simple narration des faits.

Nos premiers coups de pioche, jetés presque au hasard, tombèrent assez heureusement sur l'épaisse muraille qui sépare l'area O de l'appartement A où nous placerions volontiers l'apodyterium (voir le plan). Nous rencontrâ- mes à ses deux extrémités les deux galeries parallèles NN que nous ne pûmes poursuivre dans toute leur étendue , mais qui, d'après la configuration du terrain, devaient, en se réunissant plus bas, décrire un arc surbaissé dont la flèche, d'une cinquantaine de mètres, tombait juste au milieu de la façade de l'édifice tourné vers l'Orient. Les imbrices et les teguloe, rencontrées en grande quantité sous ces galeries, étaient le témoignage évident qu'elles avaient été munies d'une toiture. Un petit aqueduc, d'une largeur de 28 centimètres, partait de l'apodyterium et tra- versant obliquement la grande muraille, conduisait ses eaux sous le sol circonscrit par la galerie. Nous avons trouvé dans les boues de cet aqueduc trois moyens bronzes du Haut-Empire et les deux tiers d'une bague en jais d'un travail assez délicat.

A mesure que nous approchions des deux pavillons cir- culaires II, en saillie de la moitié de leur diamètre sur le reste de l'édifice, des débris de vases se montraient à pro- fusion. Le galbe délicat de ceux qui étaient en verre lut- tait avec un avantage égal avec les formes non moins gracieuses des vases samiens. Plusieurs des premiers représentaient les uns des espèces de soucoupes ornées par- fois de filets rouges ou bleus. Les autres étaient des gutti pourvus d'une ou de plusieurs anses, et dont le goulot, fort étroit, ne devait laisser tomber qu'avec une certaine ava- rice le liquide qu'ils renfermaient. Les vases samiens ressemblaient aussi, quelques-uns du moins, à des coupes aux reliefs très variés, d'autres à des vases à boire. L'un d'entre eux, d'un rouge clair, avait son pourtour décoré de feuilles aquatiques et d'un quadruple rang de perles d'une irréprochable blancheur. Mais, puisque nous en som- mes à ces sortes de vases, citons encore trois fragments qui nous paraissent d'un certain intérêt : Le premier représente les deux fondateurs de Rome, Remus et Romu- lus allaités par la louve. Ils sont tels qu'on les voit sur quelques bronzes du Haut-Empire. Un autre de ces frag- ments nous offre un jeune aurige sur son char, vivement préoccupé de la conduite de deux coursiers qui l'empor- tent violemment. Certaines monnaies consulaires et gau- loises montrent encore assez fréquemment des biges sem- blables. Enfin sur un troisième fragment c'est un malheu- reux esclave, peut-être un chrétien, attaché dos à dos avec un lion furieux. C'est presque l'émouvante scène de l'infortuné Mazeppa emporté par la vitesse vertigineuse d'un cheval sauvage vers les sombres forêts de l'Ukraine. Ces intéressants débris font vivement regretter l'intégrité des vases dont ils faisaient partie. Leur quantité, leurs formes, quelques épingles à cheveux, recueillies dans ces deux appartements circulaires, fixeraient notre opinion sur leur destination que nous croirions être celle de chambres de toilette ou cabinets à parfums (eloeothesia).

Après cette découverte, pendant qu'une partie des ou- vriers dénudaient les parements des murailles voisines et qu'ils mettaient à jour le grand aqueduc J, deux autres d'entre eux occupés vers l'extrémité de l'apodytérium rencontraient, au-delà d'une forte muraille , le spacieux appartement B désigné, peut-être témérairement, sous le nom de tepidarium. Son aire, consistant en briques fort épaisses et d'une dimension proportionnée, reposait sur une multitude de petits pilastres tantôt ronds, tantôt carrés. Ainsi qu'on peut le voir sur le plan, cet appartement mesure, dans oeuvre, onze mètres de largeur, sur une longeur de près de sept mètres. A l'opposé de la forte muraille que je viens de signaler et qui paraissait desti- née, comme la première qui fut découverte, à recevoir une colonnade, nous en rencontrâmes une troisième d'une pareille épaisseur. Elle était percée de trois issues que nous jugeâmes être des conduites de chaleur. Deux de ces dernières se dirigeaient l'une à droite, l'autre à gauche, passaient sous les deux espèces de niches en hémicycle QQ et allaient aboutir aux deux pièces E et D munies d'hypocaustes comme le tepidarium. Le troisième canal, partant du milieu, nous conduisit directement à la grande piscine ou baptisterium C large d'environ neuf mètres de diamètre. Autour de ce bassin régnait un promenoir sur lequel trois personnes au moins pouvaient marcher à l'aise et de front. Dans l'intérieur de la piscine trois siéges étaient établis pouvant recevoir chacun sept ou huit baigneurs et leur offrir le repos après avoir nagé et folâtré dans le bain. La disposition de ces trois siéges permet de croire qu'ils devaient encore servir de degrés pour descendre dans cet espèce de natatoria. Comme, sans doute, pièce plus fréquentée et par là même plus importante, cette piscine semblerait avoir été l'objet d'un soin particulier de la part du constructeur. Il avait fait de son ensemble un modèle parfait de régularité. Le béton dont il l'avait revêtu avait le poli et presque la dureté du marbre. Pour prévenir les infiltrations et les échappements qu'auraient pu occasionner la pesanteur de l'eau, il avait eu la sage précaution d'établir dans l'an- gle une sorte de bourrelet qui régnait tout autour, l'in- terrompant à propos pour permettre à un canal de fuite d'évacuer les eaux lors des opérations du nettoyage. Ce même canal recevait également les eaux du bain chaud E, que nous rencontrâmes à gauche du baptisterium, et les emportait au loin après avoir servi. Nous venons de don- ner le nom de bain chaud à la pièce E. Nous croyons en trouver la raison dans l'hypocauste sur lequel elle est assise et surtout dans les nombreuses plaques de marbre rencontrées dans son intérieur et destinées au dallage de son aire et à revêtir les parties inférieures de ses murail- les jusqu'à une certaine hauteur. A droite de la grande piscine et faisant pendant à la pièce dont nous venons de parler, nous en rencontrâmes une autre D qui, sans l'épaisseur extraordinaire de ses murailles, aurait eu les mêmes proportions que sa corres- pondante. Cette épaisseur des murailles ne serait-elle pas justifiée par le rôle que devait jouer, dans les ther- mes, cet appartement ? Ne peut-on pas supposer qu'en établissant de telles dimensions, l'architecte avait eu en vue de mieux concentrer la chaleur et l'empêcher de se perdre. Dans ce cas rien ne s'oppose à croire qu'il avait voulu asseoir là l'étuve à provoquer la sueur ou le suda- torium comme l'appelaient les Romains. Une autre raison qui viendrait à l'appui de cette opinion, c'est que, outre que cet appartement reposait sur un hypocauste, comme le bain chaud, deux grands foyers, au lieu d'un qui suf- fisait à ce dernier, avaient été disposés pour lui commu- niquer une plus grande abondance de chaleur, abondance nécessaire à la nature de ces sortes d'appartements.

Nous avions déjà découvert trois foyers ou proefurnia : celui du caldarium ou bain chaud et celui du sudatorium, contenus tous les deux dans les vastes emplacements GG (où devaient être aussi renfermés les combustibles destinés à leur entretien), et celui qu'on voit figurer dans le plan à l'extrémité de l'étuve à suer. Il en fut trouvé un quatrième à gauche de ce dernier et situé, comme lui, au nord-ouest et en saillie sur le bâtiment. Les trois pre- miers, comme nous l'avons vu, conduisaient directement leur chaleur sous les aires d'hypocauste E et D. Le qua- trième la portait sous le promenoir circulaire dans lequel, peut-être, on pourrait encore reconnaître une sorte de schola où les baigneurs, en se promenant et en devisant de chose et d'autre, attendaient leur tour pour le bain. Mais ce dernier foyer n'était pas uniquement destiné à procurer au promenoir une douce et agréable tempéra- ture, il contribuait aussi, en contournant les eaux du bain froid, au moyen d'une conduite, à rendre celles-ci supportables dans un climat rigoureux comme celui de Rodez.

Quant aux conduites de chaleur, après en avoir fait l'entière découverte, nous pûmes admirer leur ingénieuse et savante distribution. Correspondant toutes les unes avec les autres, elles paraissaient s'entr'aider et se prêter un mutuel secours pour la plus parfaite économie du calorique et sa plus utile diffusion.

Quel rôle devaient jouer les deux niches en hémicycle QQ , traversées l'une et l'autre par des conduites de cha- leur? Sans en avoir trouvé ni trace ni débris, on pour- rait, ce me semble, avancer avec une certaine probabilité, qu'elles pouvaient renfermer la statue de telle ou telle divinité et être en même temps pourvues de banquettes sur lesquelles le baigneur allait s'essuyer en sortant du baptisterium et se mettre à la disposition des aliptes. Quant à la destination des deux appartements carrés HH et les moins considérables de l'édifice, leur situation à proximité des différents bains, nous porterait à en faire le réceptacle de l'outillage de l'établissement, comme linges, strigilles, balais, etc. Ils pouvaient encore être l'asile provisoire des diverses catégories des esclaves aux ordres des baigneurs.

Les deux grandes surfaces MM qu'on voit autour des deux bâtisses dont nous venons de parler, devaient être vraisemblablement des basses-cours destinées à donner de l'air et du jour aux appartements. Elles pouvaient également être des espaces réservés à la gymnastique ou autres récréations avant ou après le bain. Enfin les deux autres surfaces LL , également à ciel ouvert, à cause de leur étendue, pourraient bien être des jardins d'agrément où les gazons étalaient leur fraîche verdure, où les mas- sifs prêtaient leur ombrage, où les fleurs offraient leurs parfums. On sait que rien ne manquait dans ces sortes d'établissements et que leur luxe et leur somptuosité les faisaient briller à l'égal des plus riches palais. Assuré- ment, il faut ici tenir compte de l'exiguité de nos ther- mes, exiguité commandée par un nombre plus restreint de baigneurs relativement à tant d'autres thermes fréquen- tés par les habitants de cités plus populeuses que la nôtre. Mais tout modestes qu'ils étaient, que leur manquait-il ? La symétrie qui règne dans leur ensemble, l'admirable distribution des appartements et leur nombre suffisant, l'élégance et là solidité de ses murailles ne seraient-ils pas capables de faire naître l'idée que le plan de cet édifice fut tracé, sinon de la main du maître de l'archi- tecture antique, du moins de celle d'un de ses fidèles et intelligents disciples ?

Mais, objectera-t-on, où sont les accessoires, les embel- lissements qui accompagnent d'ordinaire les monuments de ce genre ? où sont les colonnades, les peintures décorati- ves, les mosaïques, les statues..? Nous répondrons à cela : Les barbares ont tout brisé, tout anéanti et les longs siècles auxquels ont dû résister des murs qui offrent en- core tant de solidité ont laissé le temps, aux générations postérieures, de compléter l'oeuvre de destruction et per- mis d'emporter, à l'aise, aux nouveaux possesseurs, non seulement les restes des objets d'art, de tout temps re- cherchés, mais encore tous les matériaux utiles à leurs nouvelles et récentes constructions. Toutefois, nous pou- vons encore signaler les bases et tronçons de colonnes en grès trouvés çà et là qui, très vraisemblablement, ont dû tenir suspendue la coupole du baptisterium et celles qui, selon toute apparence encore, avaient été dressées sur l'épaisse muraille qui précède le tepidarium pour porter un fronton digne du monument. Une belle rangée de colonnes ne nous paraîtrait pas non plus une anomalie en architecture sur le large mur de façade qui embrasse, en y comprenant la largeur de l'apodyterium, toute la lon- gueur des jardins LL.

Les peintures décoratives ne devaient pas non plus faire défaut, puisque nous en avons de tous côtés rencon- tré les traces. Elles ne représentaient à la vérité que des lignes géométriques qui les soumettaient à l'humble rôle d'encadrement ; mais ces encadrements ne laissent- ils pas supposer des sujets dessinés dans leurs panneaux ? Quoi qu'il en soit, ces couleurs étaient encore vives comme au jour où le peintre les appliqua sur ces frag- ments de stuc qui nous les ont conservées. Quant aux mosaïques, elles y figuraient aussi ; nous en avons pu voir les cubes nombreux; mais, hélas! sans ordre et isolés.

Nous devons avouer que la récolte des objets, pour nous si précieuse en d'autres circonstances pour aider à la détermination des appartements, a été dans cette der- nière découverte extrêmement médiocre. Il ne sera pas cependant hors de propos de les signaler en indiquant en même temps l'endroit où ils ont été recueillis : Les abords du grand aqueduc J, destiné, selon toute apparence, à recevoir les immondices de l'établissement pour les por- ter vers les eaux de Lauterne, nous ont offert un bloc de monnaies moyens bronzes reliées toutes les unes aux au- tres par une forte oxydation; de plus une clé et une sonnette ou tintinnabulum en fer, une petite chaîne et une gracieuse agrafe en bronze, plusieurs débris d'épingles à cheveux, un fragment, en terre blanche, de tête de femme à grande coiffure, etc. Le grand aqueduc lui- même, dont le radier consistait en une épaisse couche de glaise fortement battue, nous a fourni de très beaux fragments de poteries samiennes et des débris de verre à vitre fort épais, grossier et parsemé de soufflures. De pareils débris ont été encore rencontrés en grande pro- fusion dans le baptisterium et sur l'aire des deux pièces adjacentes, le caldarium et le sudatorium. C'est encore sous l'aire des hypocaustes, et parmi les amas de cendre qui s'élevaient presque à la hauteur des pilastres, que nous avons trouvé beaucoup de pièces de fer informes, plus une pelle, des pinces, des ciseaux de maçon, des gouges, des poinçons, une truelle et des clous d'une forme originale que nous avons supposé avoir été fabri- qués à l'intention de rattacher entre elles les briques, à fort calibre, de l'aire et à les fixer aux pilastres qui les supportaient. Faisons observer, en passant, que les tufs de Salles-la-Source ou de Rodelle, taillés en larges ta- bles, jouaient un certain rôle dans nos trois hypocaustes, sans doute à cause de leur excessive porosité, si propre à transmettre la chaleur.

Dans la basse-cour M, traversée par le grand aqueduc, il a été ramassé un grand nombre de lamelles de plomb irrégulièrement découpées et toutes traversées par un clou de fer. Nous n'en avons pas encore compris la signi- fication. Là gisaient encore les débris de plusieurs lampes en terre cuite. Une d'entre elles représentait un aigle aux ailes éployées; trois autres, des mieux façonnées, portaient le nom de leur fabricant. C'est encore dans cette basse-cour et à peu de distance du tepidarium que nous avons eue l'émouvante surprise d'une espèce de coffre composé de grandes briques posées de champ et joignant étroitement l'une à l'autre. D'autres briques de même dimension les recouvraient par-dessus comme pour cacher quelque chose de précieux. Il va sans dire que l'ouverture de la boîte mystérieuse se fit avec la plus grande précaution. Hélas ! il ne s'y trouva renfermé que de la chaux ! Afin de ne rien oublier, signalons un grand couteau, une chaîne et des anneaux, le tout en fer, trou- vés près du foyer extérieur du sudatorium , des débris de robinets et plaques en plomb et plusieurs fragments de bronze de divers calibres, provenant de grandes chaudiè- res, recueillis dans la piscine ou aux environs.

Du petit nombre de douze à quinze médailles sorties de ces décombres, trois seulement nous ont paru mériter d'être mentionnées, les autres s'étant trouvées frustes et en très mauvais état de conservation. Nous ne citons la première qui est un grand bronze de Trajan que sous le rapport d'une mutilation que le fanatisme politique de l'époque a voulu faire subir à l'image d'un empereur qui cependant, parmi tant d'autres , avait seul mérité le beau titre de sage. Ce fanatisme est donc de toutes les époques; ne voyons-nous pas encore aujourd'hui sur nos monnaies des têtes de souverains, voire même celle de notre chère République , cruellement tranchées comme celle du sage empereur romain !

Une autre de ces médailles est encore un grand bronze offrant à l'avers la tête laurée d'Antonin le pieux adroite, avec la légende ANTONINVS AVG. PIVS. Le reste de la légende, se continuant au revers, nous fait connaître qu'il était alors consul pour la troisième fois, ce qui nous fixe sur la date de 140 à 143 ans après J.-C. Le revers porte la figure de l'Italie tourelée assise à gauche sur un globe tenant une corne d'abondance de la main droite et un sceptre de la gauche.

Enfin la troisième est une consulaire en argent de la famille Antonia, restituée par Marc-Aurelle et Lucius Vérus. Elle représente d'un côté une galère prétorienne avec ses rameurs et la légende abrégée : ANTONIVS AVGVR IIIVR REIPVBLICAE CONSTITVENDAE. Sur l'autre côté on voit un aigle entre deux enseignes mili- taires. Au dessous on lit : LEGIO VI.

Et maintenant, d'où pouvaient arriver les eaux qui devaient alimenter l'établissement? Elles ne pouvaient venir de l'Aveyron, puisque cette rivière coule en con- tre-bas des ruines ; elles n'arrivaient pas non plus du ruisseau de Lauterne : outre que les eaux de ce cours paraîtraient impropres aux bains à cause de leur stagna- tion et de leur état vaseux à la moindre pluie , elles au- raient été insuffisantes et, plus souvent encore, elles au- raient fait entièrement défaut aux époques de l'année où leur besoin se serait le plus fait sentir. Il aurait fallu d'ailleurs aller les prendre bien haut et consentir, par conséquent, à de fortes dépenses, dépenses inutiles, puis- que, assez près de là, coulait une grande source de la plus irréprochable limpidité. Cette source entretient encore aujourd'hui un étang renfermant du poisson. Ses deversements abondants sont mis à profit pour les utiles irrigations des prairies voisines. On peut encore suivre le lit que le petit ruisseau avait creusé depuis des siècles. Il conduit par une pente douce et naturelle presqu'au milieu des ruines dont nous parlons. Il ne sera peut-être pas inutile d'ajouter que nous avons trouvé des débris de construction assez considérables, comprenant une largeur d'environ deux mètres, et se dirigeant du baptisterium vers l'ancien cours d'eau comme par une sorte de rac- courci. Ne serait-ce pas là les restes d'un aqueduc établi pour élever le niveau des eaux et pour les faire arriver plus directement et, sans le secours des bras, dans la grande piscine? Espérons que les fouilles, qui restent encore à faire sur le tertre voisin , fourniront de nouvel- les clartés sur ces ruines qui, à notre avis , méritent le plus vif intérêt au point de vue des notes et documents qu'elles pourront fournir aux futurs historiens de notre antique cité.

Que répondrons-nous enfin aux questions historiques touchant l'origine et la fin du magnifique établissement ? Quelle interprétation allons-nous donner au nom barbare de Balquières que nous attribuons aujourd'hui à l'étendue des prairies sur laquelle nous l'avons rencontré? Com- mençant par cette dernière question, nous répondrons : Le nom de Balquières nous avait longtemps occupé. Con- servant son radical, nous étions arrivé à en faire Balniè- res, balnea , bains, terme qui ne peut s'appliquer qu'à des bains particuliers, ce qui était loin de nous satisfaire vu l'importance de la construction , paraissant plutôt l'oeu- vre d'un gouvernement que celle d'un simple particulier. Ce mot de Balnières, disons-nous, nous préoccupait lors- que une lettre de notre savant archiviste vint nous annon- cer que, dans notre riche collection départementale de titres manuscrits, il s'était trouvé un acte de la date de 1400 attribuant la propriété des Balinieyros (terrain en question) à un. certain Géraud , de Rodez. Ce serait dans ce dernier sens , à notre avis, c'est-à-dire dans le sens de balinea , bains publics, thermes, et non dans celui de bal- nea, bains privés , qu'il faudrait interpréter le nom cor- rompu et relativement moderne de Balquières.

Quant aux deux autres questions concernant l'origine et l'époque de la destruction des thermes, ayant déjà été trop long, nous répondrons en deux mots que , vu le fini du travail de leurs murailles, la supériorité de l'ensemble de leur architecture et prenant d'ailleurs en considération certains objets recueillis dans les fouilles , ils ne ne nous paraîtraient pas inférieurs à la première moitié du second siècle de notre ère. Pour ce qui est de leur destruction , qu'avons-nous à en dire si ce n'est que, pas plus que les autres monuments élevés par les Romains dans nos con- trées , celui-ci n'a pu résister aux implacables fureurs des vandales du cinquième siècle, s'il n'avait pas succombé quelques années auparavant. Seulement ces masures déso- lées , comme nous l'avons insinué plus haut, ont dû sur- vivre longtemps aux premières dévastations en changeant de rôle. La solidité des murailles du superbe édifice ont pu permettre aux bergers, peut-être durant des siècles , d'en faire l'asile de leurs familles et le refuge de leurs

troupeaux.
Découverte d’un cimetière gallo-romain dans l’enclos de l’ancienne Chartreuse.

Nous devons encore être court dans ce qui nous reste à dire de ce que nous croyons être la nécropole des vieux Ruthènes découverte dans l’enclos des haras, autrefois enclos des Chartreux. Nous avions aperçu, à l’époque du concours régional de l’année 1868, quelques débris d’ur- nes cinéraires soulevés par la pioche des jardiniers fleu- ristes préparant leurs expositions. Ayant encore remar- qué l’an dernier, sur le même sol, de semblables frag- ments exhumés par des ouvriers qui traçaient une piste pour les chevaux , nous nous sommes hasardé à demander la permission d’opérer une petite fouille , permission qui nous fut tout de suite et gracieusement accordée par M. le directeur de l’établissement.

Cette fouille a enrichi notre musée de plusieurs vases funéraires d’une assez bonne conservation. Ils sont en verre , en terre cuite et offrent des formes aussi origina- les que variées. Une étroite fiole de douze à quatorze centimètres de hauteur porte à la face extérieure de sa base et autour d’une sorte d’écusson les lettres M. PRIMI (de la main ou de la fabrique de Primus). Evidemment ce sont là les insignes et le nom du fabricant. Quelques-unes de ces urnes nous ont paru antérieures à la conquête romaine. Quoiqu’il en soit, elles appartiennent incontes- tablement à l’époque des incinérations, puisque nous les avons trouvées , la plupart, noircies et détériorées par le feu parmi les cendres et les charbons. Elles gisaient dans des fosses tantôt carrées , tantôt en forme d’entonnoir et creusées dans un schiste assez tendre. Celles qui offraient une certaine capacité renfermaient, avec des cendres, les restes des ossements qui avaient résisté à la violence de l’ustion. D’autres vases, moins grands , leur servaient de couvercle ; des pierres plates et plus souvent des frag- ments de brique remplissaient aussi cette dernière fonc- tion.

Plusieurs autres objets, la plupart brisés ou dévorés par les oxydes ont été encore recueillis autour de ces urnes et dans les cendres de ces fosses. C'étaient des lam- pes, des fibules, des boucles de ceinture, des bagues et autres anneaux. Plusieurs clous en fer de grande et de petite dimension étaient le témoignage évident que le bois avait été employé, au moins, dans quelques-unes de ces sculptures sous forme de grandes et petites boîtes. Sur une certaine quantité de médailles (moyen bronze), toutes oxydées les unes plus que les autres, nous n'en avons ren- contrée qu'une , appartenant à Antonin, qui mérite d'être citée : on lit sur son revers et dans l'intérieur d'une cou- ronne de chêne : PRIMI DECENNALES COS. IIII. S.C. Or, on sait que les premiers voeux décennaux en faveur de ce prince furent exprimés en l'année 147 après J.-C. Nous devons citer, à titre de renseignement, une médaille gauloise recueillie sur le même terrain, offrant, à l'avers, une tête, à gauche, grossièrement représentée , et au revers un aigle , les ailes à moitié ouvertes, qui semble se précipiter avidement sur une proie.

Telles sont, Messieurs , nos deux dernières découver- tes. Je désire que le sans façon avec lequel je viens de vous les annoncer ne vous en fasse pas perdre de vue la haute importance. Il ne faut pas d'ailleurs oublier qu'il reste encore quelque chose à faire pour obtenir d'elles toute la clarté qu'elles sont capables de nous donner.

Depuis la lecture de ces rapports une autre petite fouille a été effectuée en vue de nouveaux éclaircisse- ments au sujet des thermes des Balinières. Ayant remar- qué, en terminant les premiers travaux, qu'il n'existait , dans l'antique construction, que les appartements absolu- ment nécessaires aux différents usages des bains, sans habitation aucune pour les administrateurs de l'établisse- ment , ni cellules pour les esclaves qui devaient le des- servir, nous avons dû chercher aux environs cette partie importante du bâtiment. A cent cinquante mètres de là , sur un autre petit tertre, des fragments de briques et de poteries s'étant de nouveau manifestés, nous crûmes de- voir pratiquer en cet endroit un léger sondage. Ce travail nous offrit bientôt plusieurs appartements et les restes d’une mosaïque en opus signinum semée de fleurons en cubes de couleur et disposés en losanges. Cette découverte et surtout la présence en cet endroit de débris de coupes samiennes, de lampes, d’aiguilles et d’épingles à cheveux, d’unguentaria et de fioles en verre, d’une cuiller en argent probablement à l’usage des parfums, et enfin d’un strigille presque entier; la présence de ces objets, disons-nous, ne serait-elle pas capable de nous faire supposer et croire que ce dernier bâtiment était une dépendance des thermes et la demeure des hommes préposés à leur service et à leur entretien ?

Trois monnaies seulement ont été trouvées dans cette dernière fouille ; c’étaient deux Claude, moyens bronzes sans importance, et un petit bronze de la Marseille phocéenne. Cette dernière porte une tête de femme, à gauche, élégammment coiffée en cheveux, et au revers un boeuf marchant à droite, avec la légende grecque en dessus MASSA.



  1. La 1re partie concernant la découverte des thermes a été déjà publiée, à peu de chose près, dans le Bulletin monumental, no 1, 1878.