Répertoire national/Vol 1/L’Amour de la Patrie

Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 295-296).

1835.

L’AMOUR DE LA PATRIE.

Pourquoi suis-je amoureux du sol de ma patrie ?
Pourquoi la préféré-je au pays le plus beau ?
Et pourquoi mon désir que la même patrie
Où joua mon enfance accueille mon tombeau ?

Pourquoi mon âme est-elle abattue, alarmée,
Quand je quitte à regret la ville où je suis né ?
Que je n’aperçois plus ondoyer la fumée
Du toit qui me prêtait son abri fortuné ?

Et si j’ai terminé ma course aventurière,
Que mon œil voit déjà les bords du Saint-Laurent,
L’aspect des tristes lieux où repose ma mère,
Pourquoi pour m’attendrir est-il un talisman ?

Pourquoi, si des amis stimulant ma paresse,
Me disent : « Voyagez pour former votre goût, »
À suivre ce conseil qui me chasse et me presse
N’éprouvai-je jamais que tiédeur et dégoût ?

C’est que je ne suis bien qu’au foyer de mes pères ;
Là ma vie est plus douce et mes destins meilleurs :
Je ressemble à ces fleurs qui n’ont de jours prospères
Qu’au lieu de leur naissance et qui meurent ailleurs !

J’y trouve les objets de ma première ivresse,
L’arbre qui me donnait son ombrage et ses fruits,
Le beau fleuve où, nageur, j’exerçai mon adresse,
Le collège où coulaient mes jeux et mes ennuis.

Là j’eus les compagnons de mes belles années ;
L’absence dans mon cœur n’a point versé l’oubli ;
Chaque jour j’aime à voir leurs têtes fortunées ;
Leur nom dans le passé n’est point enseveli.

J’aime à vivre avec eux. Sur un autre rivage
Je ne pourrais fixer mes pas et mon séjour ;
Mon âme loin d’ici languit dans le veuvage
Et ne saurait se plaire aux amitiés d’un jour.

Je vivrais au vallon où Dieu m’a donné l’être,
Mon pays est si beau ! Que chercherais-je ailleurs ?
Quel air serait plus pur, quel site plus champêtre ?
Quelle terre embaumée étale plus de fleurs ?

J’aime à voir l’horizon bordé de ces montagnes
Que gravissaient ma course et mes pas enfantins ;
J’aime à rêver au sein de ces mêmes campagnes
Où les jeux du bas âge ont bercé mes destins.

Tout vient y réveiller ma pensée endormie :
Le lieu le plus aride est un doux souvenir :
Même un roc décharné, sur cette terre amie,
D’un bonheur qui n’est plus, me peut entretenir.

Je m’y sens imprégné d’une tendre atmosphère
Où respire pour moi la paix et l’amitié :
Le bonheur que j’éprouve ou bien le sort contraire
Y trouvent tour-à-tour la joie et la pitié.

Voilà pourquoi mon cœur sera toujours fidèle,
À la terre adorée où coule mon destin ;
Voilà pourquoi ma vie, enchaînée auprès d’elle,
Veut s’endormir le soir où brilla son matin.

N. Aubin.