Répertoire national/Vol 1/À Salaberry

Collectif
Texte établi par J. Huston, Imprimerie de Lovell et Gibson (Volume 1p. 296-297).

1835.

À SALABERRY.

        Quoi ! pas un mot pour te défendre !
Ta gloire, tes exploits, tout cela dans l’oubli !
        Ton nom est-il enseveli
            Pour toujours sous ta cendre ?
      Toi, le héros de Chateaugai,
Toi, le vainqueur de la Pointe-aux-Érables,
        Ces noms impérissables
Passeraient sans le tien à la postérité ?

Chaque fois qu’on écrit l’almanach des grands hommes,
Déchire-t-on la page où brillait ton talent ?
L’encre est-elle effacée, ou si le firmament
Qu’habite ton étoile échappe aux astronomes ?
Où sont donc ces obus, ces bombes, ces boulets,
Dont les Américains ont senti la brûlure,
Et qui, sur leurs canons, gravaient ta signature
        Au bas de tes hauts faits ?

Où sont-ils donc ces jours d’orgueilleuse mémoire
Où les feux du génie auréolaient ton front,
Et séduisaient Clio qui cousait à l’histoire
Le feuillet qu’elle fit pour illustrer ton nom ?
Il était beau ce temps où tu voyais tout rose !
Voir au ciel, et pour nous l’horizon s’éclaircir,
        Et contempler dans l’avenir
        Le socle où son apothéose
            S’élève grandiose,
N’est-ce pas l’idéal du bonheur, du plaisir ?

Quand, de gloire enivrée, une jeunesse altière
Se ruait âme et corps sur les rangs ennemis !
Qui cédant au courage allaient dans la poussière
        Former des monceaux de débris ;
Ici, sous le plomb mortel qui rasait ton panache,
Tu marchais à la tête, et montrais le chemin
Où tes jeunes guerriers glanaient à pleine main
        Leur part des lauriers qu’on t’arrache.

Ces braves voltigeurs, trempés à ton creuset,
Ils étaient beaux à voir sur le champ de bataille !
Demi-dieux par le cœur et géants par la taille,
Ils tordaient dans leurs bras l’Amérique en arrêt !

Quand la mort vint poser ses doigts nus et livides
Sur ton front où Bellone avait tracé des rides
            Et l’immortalité ;
Quand ton âme, fuyant sa demeure argileuse,
S’élançait vers son Dieu pour prendre, radieuse,
            Sa place à son côté ;
Vit-on nos citoyens, dans des groupes funèbres,
Se pencher sur ta tombe et répandre des pleurs ?
Ce jour fut-il inscrit parmi les jours célèbres,
            Dans le livre des cœurs ?

Mais j’interroge en vain : depuis longtemps la place
N’était plus dans les cœurs qu’un vide, qu’un espace ;
Le poète a jeté pour toi dans l’avenir
            De l’encens et du baume ;
Mais l’histoire dira qu’un héros, un grand homme,
Trahit la liberté, qu’il aurait dû servir.

J. Phelan.