Réflexions préliminaires des vrais principes politiques/Tout homme doit connaître ce qui le concerne, immédiatement dans ses droits, sa vertu, sa propriété et la sécurité de sa personne

V.

Tout homme doit connaître ce qui le concerne, immédiatement dans ses droits, sa vertu, sa propriété et la sécurité de sa personne.

Ceux à qui profitent l’oppression s’opposent à la propagation des lumières et de la liberté, biens inséparables ; qui détruit les lumières détruit la liberté. Où la vérité est dangereuse, la liberté est précaire. La tyrannie escortée de l’imposture, de l’ignorance et de l’esclavage ont conspiré contre la justice ; ils ont proclamé des doctrines perverses et destructives, dont la plus dangereuse, dans l’ordre politique, est d’admettre, que ce n’est pas le fait des hommes privés de s’immiscer aux affaires du gouvernement. Doctrine stupide, fausse et deshonnête, qui ne peut sortir que de la bouche d’un tyran ou d’un esclave, et que ne peut entendre, sans horreur et indignation, l’homme pénétré de sa dignité.

Tout homme doit, connaître ce qui le concerne immédiatement dans ses droits, sa vertu, sa propriété et la sécurité de sa personne. Les vertus et les vices des gouvernans deviennent aisément les vertus et les vices des gouvernés. La ville de Rome, par la nature de son gouvernement, a pu conquérir le monde ; mais le grand monarque de la Perse, le plus grand alors de la terre, n’a pu, lui, résister à la face d’une ville grecque.

Tels sont les résultats qui proviennent des gouvernemens ; telles sont les conséquences de leurs natures et de leurs administrations sur les peuples.

Dire qu’un simple citoyen n’a rien à faire avec le gouvernement, c’est avancer que sa condition heureuse ou malheureuse ne le concerne pas.

Le public est le corps collectif des citoyens dont chacun est membre, et comme le corps entier doit intervenir pour la conservation de tout individu, il est aussi du devoir de chaque individu de s’immiscer pour le tout, qui le comprend lui-même.

Un homme, ou quelques hommes, formant un corps particulier, n’ont souvent consulté que leurs intérêts personnels ; mais le peuple, au contraire, en s’occupant de ses propres intérêts, agit pour le public en agissant pour lui-même.

De toutes les sciences humaines, aucune ne concerne plus particulièrement l’homme en ce monde que celle du gouvernement ; elle est la plus aisée à être comprise, quoi qu’on en dise, et cependant la moins généralement entendue. Ceux qui ont intérêt à cacher la vérité voudrait faire croire qu’il y a en cette science des difficultés et des mystères au-dessus de l’entendement du vulgaire. Tout homme peut reconnaître un bon gouvernement d’un mauvais par ses effets ; il connait si le fruit de son industrie et de ses labeurs lui appartient, s’il en jouit avec sécurité et en paix ; et s’il ne connaît point les principes du gouvernement, c’est par défaut d’y penser ou de s’en informer : ils se fondent sur le sens commun.

Qu’est-ce qu’un gouvernement, si ce n’est un dépôt fait par un peuple à un seul homme, ou à plusieurs pour la conduite des affaires de tous, afin que chacun puisse, avec sécurité, jouir de ce qui lui appartient ?

C’est vraiment un honorable dépôt ; mais rarement conservé avec honneur ; ceux qui le possèdent ayant souvent plus à cœur d’augmenter leur pouvoir, que de se rendre utile ; d’être redoutables, plutôt que bienfaisans.

C’est donc un dépôt qu’on ne doit faire qu’avec de grandes et puissantes restrictions. Toute violation de ce dépôt sacré doit être sévèrement punie.

L’honnêteté, la diligence, le bon sens sont les qualités nécessaires pour l’exécution de ce dépôt, dont le bien public est la seule fin. Quant au raffinement des hommes d’état il n’est souvent que l’apparence de la sagesse.

Cincinnatus fut appelé, labourant son petit domaine, pour défendre et sauver la république de Rome en danger ; charge qu’il accomplit avec succès et honnêtement sans les grimaces et les profits de la plupart des hommes d’état. Vainqueur des ennemis de la patrie, on ne le vit pas obstinément se maintenir à la tête des affaires pour former un parti, faire sa fortune et s’établir au pouvoir. Il fut revêtu de la dictature avec le consentement général, et il la résigna avec l’applaudissement public. Le général Washington nous a aussi légué un grand exemple à suivre.