Réflexions préliminaires des vrais principes politiques/De la nature des Lois

VI.

De la nature des Lois.


Toute bonne loi tire son origine des lois divines ou des lois naturelles. C’est vouloir assujettir la justice à la force que de porter une pénalité où il n’y a point de crime ou de délit. La loi est la droite raison, commandant les choses qui sont bonnes, et défendant celles qui sont mauvaises ; c’est la déclaration du juste et de l’injuste, des avantages et des peines qui s’y rattachent. Ainsi, la violation d’une loi ne constitue pas un crime où la loi est mauvaise ; mais la violation de ce qui devrait être loi, est un crime où la loi n’existe pas. L’essence du juste et de l’injuste ne dépend pas de clauses et de mots insérés dans un code ; mais de la raison et de la nature des choses antérieures aux lois humaines.

Cicéron a dit judicieusement, que qui a juste raison a droit ; que la vertu est parfaite raison ; et que toutes les nations, ayant la raison pour guide, sont capables d’arriver à la vertu. D’où il s’ensuit que tout peuple est susceptible de faire de bonnes lois ; et que là où les lois sont mauvaises, elles ont été faites par la corruption, l’esprit de faction, la peur ou la surprise.

Les armes et l’argent firent confirmer les actes de César ; il fut déclaré être au-dessus des lois ; mais César n’en fut pas moins traître à son pays, et ses actes ne restèrent pas moins pervers et tyranniques.

Il n’y avait point de loi écrite contre l’adultère lorsque le jeune Tarquin ravit Lucrèce ; néanmoins son attentat fut justement puni par les Romains.

La vertu porte en elle-même sa propre récompense, par la satisfaction qu’en ressent en la suivant ; mais elle ne suffit pas à l’homme dépravé par la prévarication d’Adam ; les récompenses et les châtimens constituent donc toute la force des lois. Ôtez-les, et leur promulgation devient inutile.

Les deux grandes lois de la société humaine sont l’équité et la préservation de soi-même ; toutes les lois de la société sont entièrement réciproques. Permettre à un homme, quel que soit son titre, de commettre le mal avec impunité, c’est faire triompher le vice sur la vertu ; c’est livrer l’innocence au coupable comme une proie ; c’est mettre la propriété à la merci de la rapine, et la vie entre les mains de la cruauté. La loi de la nature permet, et même oblige de nous défendre pour notre préservation. C’est un devoir, non-seulement envers nous, mais envers la société. Cicéron a dit que quiconque ne résiste pas au méchant, est coupable du même crime que celui qui déserte ses parens, ses amis et son pays.

Nul homme dans la société ne doit avoir de privilège au-dessus des autres, sans lui donner un équivalent pour un tel privilège. Les législateurs qui font de bonnes lois, les magistrats intègres qui les exécutent, avec fidélité, pour leurs services honorables au public, méritent le privilège et la paie qu’ils en reçoivent ; les places et le pouvoir sont les récompenses que paye le peuple à ses députés, à ses serviteurs. Si tout législateur, si tout magistrat est élevé au-dessus des simples membres de la communauté, la communauté elle-même est placée au-dessus de lui.