Réflexions politiques (Chateaubriand)/Chapitre 22

Garnier frères (Œuvres complètes, tome 7p. 111-112).

CHAPITRE XXII.
QUE LE TRÔNE TROUVE DANS LA CHARTE SA SÛRETÉ ET SA SPLENDEUR.

Quant au roi, seroit-il plus le maître en vertu des anciens règlements que par la Charte qu’il nous a donnée ? D’un bout de la France à l’autre, une loi passée dans les deux chambres met à sa disposition notre vie, nos enfants, notre fortune. Qu’il parle au nom de la loi, et nous allons tous nous immoler pour lui. A-t-il à essuyer ces remontrances sans fin, souvent justes, mais quelquefois inconsidérées, quand il a besoin du plus foible impôt ? Rencontre-t-il dans toutes les provinces, dans toutes les villes, dans tous les villages, des privilèges, des coutumes, des corps qui lui disputent les droits les plus légitimes, ôtent au gouvernement l’unité d’action et la rapidité de la marche ? Derrière les deux chambres, rien ne peut l’atteindre ; uni aux deux chambres, sa force est inébranlable. Les orages sont pour ses ministres ; la paix, le respect et l’amour sont pour lui. S’il est entraîné vers la gloire militaire, qu’il demande, il aura des soldats. S’il chérit les arts et les talents, un gouvernement représentatif est surtout propre à les faire éclore. S’il se plaît aux idées politiques, s’il cherche à perfectionner les institutions de la patrie, oh ! comme tout va seconder ce penchant vraiment royal ! Et pourquoi les Bourbons seroient-ils ennemis de tout changement dans le système politique ? Celui qui vient de finir avoit-il toujours existé ? La monarchie a changé de forme de siècle en siècle.

La race auguste et immortelle des rois capétiens a vu, immobile sur ce trône, passer à ses pieds nos générations, nos révolutions et nos mœurs ; elle a survécu aux coups que nos bras parricides lui ont quelquefois portés, et elle n’en recueille pas moins dans son sein ses enfants ingrats. Nous devons tout à cette famille sacrée, elle nous a faits ce que nous sommes ; elle existoit pour ainsi dire avant nous ; elle est presque plus françoise que la nation elle-même. Sous les deux premières races, tout étoit romain et tudesque, gouvernement, mœurs, coutumes et langage. La troisième race a affranchi les serfs, institué la représentation nationale par les trois ordres, les parlements ou cours de justice, composé le code de nos lois, établi nos armées régulières, fondé nos colonies, bâti nos forteresses, creusé nos canaux, agrandi et embelli nos cités, élevé nos monuments, et créé jusqu’à la langue qu’ont parlée Du Guesclin et Turenne, Ville-Hardouin et Bossuet, Alain Chartier et Racine. Louis XVIII nous rendra florissants et heureux avec deux chambres, de môme que ses pères nous ont rendus puissants avec les états généraux. Il trouvera lui-même sa grandeur dans nos nouvelles destinées. La monarchie renaît dans ses antiques racines, comme un lis qui a perdu sa tige pendant la saison des tempêtes, mais qui sort au printemps du sein de la terre : ex omnibus floribus orbis elegisti tibi lilium unum[1].

  1. Esdr.