Quinet, Œuvres complètes/Napoléon/L’Étoile

Napoléon/L’Étoile
Prométhée, Napoléon et Les EsclavesPagnerre, Libraire-éditeurŒuvres complètes, Tome 7 (p. 174-176).
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V

L’ÉTOILE

 
Ah ! que la vague au loin est sombre !
Que la nue épaissit son ombre !
Quelle heure est-il ? Ah ! dans mon cœur,
Cieux, versez donc votre lueur.


De mon chant j’ai perdu la trace,
Et ma stance en ma nuit s’efface.
Mon chant se tait, mon pas se perd ;
Éclairez-moi dans mon désert.
Quelle heure est-il ? Ah ! Sur la grève
Une étoile des nuits se lève.
Les rêves sont évanouis,
Et tous les cieux sont éblouis.
Voyez ! La voilà qui rayonne
Comme le nœud d’une couronne,
Comme un éperon dans la nuit
Au pied d’un empereur reluit !
Elle a lui plus loin que l’abîme,
Sur le flot chancelant des mers,
Plus haut que les monts et leur cime,
Sur l’arbre effeuillé des déserts ;
Puis sur l’herbe de sang trempée,
Sur un soldat, sur son épée,
Sur un enfant élu des cieux,
Au large front, aux longs cheveux.
—C’est moi qui serai ton étoile ;
Quand l’aube viendra, sous mon voile,
Je ne veux luire que pour toi.
Enfant, ressouviens-toi de moi.
Mieux que les branches des vieux saules
J’aime à toucher de mon doigt d’or
Tes longs cheveux sur tes épaules,
Où la brise passe et s’endort.


Mieux que dans un pli de l’aurore,
Dans ton écharpe tricolore
Je veux me bercer tout le jour.
Mes cieux pour toi sont pleins d’amour.
Je veux me lever sur ta gloire
Comme sur un flot sans écueil ;
Et me coucher, dans la nuit noire,
Sur le sommet de ton orgueil.
—Belle étoile, les cieux pâlissent,
Mon épée a lui dans ma main ;
Les rois s’en vont, les dieux périssent.
La terre tremble en mon chemin.
—Encore un jour ! Et de ton glaive
Tu la frapperas dans son rêve.
Encore un jour, comme un flambeau,
Cache ton nom sous le boisseau.
Et chaque jour plus matinale,
Au bord de l’aube orientale,
L’étoile brillait dans la nuit ;
Le fleuve s’éveillait sans bruit.
Autour de l’aire paternelle
Le jeune aiglon battait de l’aile ;
Le jeune coursier bondissait ;
Le jeune géant grandissait.