Quinet, Œuvres complètes/Napoléon/Adieu
IV
adieu.
Adieu, mon fils Napoléon.
Le vaisseau part ; le vent est bon.
Que la Madone vous bénisse !
Et que son fils vous soit propice !
Quand vous errez, sans savoir où,
Portez cette amulette au cou.
Elle fait rebrousser les balles
Et trembler l’airain des cymbales.
Adieu, mon Nap ; adieu, mon fils.
Souvenez-vous de mes avis.
Court est le jour, long le voyage ;
Le chemin lent, et prompt l’orage.
Sous votre toit vivez de peu.
Dans votre nuit comptez sur Dieu.
Allez ! Tout petit que vous êtes,
Son œil vous suit dans les tempêtes.
Mon testament sera pour vous.
À vos sœurs cherchez des époux,
Quand je serai morte en ma tombe ;
Soutenez notre nom qui tombe.
S’ils se perdent dans le chemin,
Menez vos frères par la main.
Vous êtes d’eux tous, à votre âge,
Le plus petit, et le plus sage.
— Adieu, ma mère ; adieu, mes sœurs.
On lève l’ancre. Point de pleurs ;
Déjà l’aube attend son étoile ;
Déjà l’orage enfle ma voile.
Sous mon poids la barque gémit ;
Comme un coursier la mer frémit ;
Les vents couronnent, dans la brume,
Au loin, des fantômes d’écume.
Sur le rocher, attendez-moi,
Où se brisent les mâts du roi,
Quand au front des cimes chenues
Éclate la voûte des nues ;
Avant le jour, au fond des bois,
Quand la foudre roule sa voix ;
Dans la nuit, au bord de la grève
Où va passer le vent du glaive.
Je reviendrai pour vous revoir ;
Puis, au foyer, pâles, le soir,
Vous entendrez mes aventures.
Vos pleurs guériront mes blessures.
La même terre aura nos os ;
Nos berceaux seront nos tombeaux.
Adieu ! Je me ris du naufrage,
Fuyez, mes sœurs ! voici l’orage.
Que voit-on là-bas loin du bord ?
Est-ce un goëland qui bat de l’aile ?
Est-ce une orfraie, une hirondelle ?
C’est un vaisseau qui sort du port.