Quelques jours au Maroc/01
QUELQUES JOURS AU MAROC,
Par une belle et chaude matinée du mois de novembre, je traversais dans toute sa longueur le détroit de Gibraltar. La barque à deux voiles sur laquelle je me trouvais sert de courrier hebdomadaire entre l’Espagne et le Maroc. Favorisés par la brise qui enflait nos voiles, nous avancions rapidement, nous rapprochant, selon les courants, tantôt des rives de l’Europe, tantôt des bords africains. Étendus sur les marchandises dont la petite embarcation était chargée, les trois matelots, juifs de Tanger, se livraient aux douceurs d’une demi-sieste ; les trois passagers marocains, enveloppés d’énormes burnous blancs rayés de noir, et la tête protégée par de volumineux turbans, restaient flegmatiquement accroupis en méditation ou roulaient entre leurs doigts les grains de leur chapelet d’ébène.
Nous dépassions, en Afrique, Ceuta, située au pied d’une montagne peu élevée et presidio espagnol ; en Europe, Tarifa, pittoresquement bâtie en terrasse à la pointe même de la péninsule ; puis, nous éloignant de plus en plus de l’Espagne, nous longions les côtes escarpées du Maroc. Les monts s’y étagent les uns sur les autres, sombres, gris, dénués de végétation ; quelques petites tours ruinées, restes d’anciennes défenses portugaises, dominent parfois un port désert : peu à peu le détroit s’élargit, l’Europe semble toujours reculer davantage ; elle n’est plus bientôt qu’une ligne à l’horizon, et, doublant un dernier cap, nous pénétrons dans une petite baie au fond de laquelle s’étend la ville de Tanger.
MERCREDI.
À l’arrivée le coup d’œil est charmant : bâtie en amphithéâtre et se détachant sur le bleu du ciel et de l’océan, la ville déroule à la vue ses nombreuses maisons blanches à terrasses plates, ses deux minarets, l’un rose et l’autre vert, ses vieilles murailles crénelées et la citadelle à droite dominant le tout.
Le port, peu profond, ne permet pas l’entrée de notre embarcation, mais une nuée de canots nous entourent et les rameurs s’apprêtent à nous disputer entre eux. Un des passagers m’offre sa propre barque venue à sa rencontre ; elle s’arrête à vingt pas du rivage, et la lutte recommence, cette fois entre une multitude de porteurs nous présentant leur dos comme unique moyen de transport. Débarqué sur la plage sablonneuse, je subis mille plaintes sur la prétendue insuffisance du payement ; le serviable passager s’emporte encore plus que les autres sur la lésinerie du caballero ; la foule m’entoure : ce sont des Maures cachés sous leurs burnous, des nègres à demi nus, des soldats du pacha, et la sensation est curieuse de se voir, pour la première fois, complétement environné et serré par un triple rang de figures brunes ou noires ; tout porte un cachet nouveau, et la largeur du détroit a suffi pour entièrement changer l’aspect de tout ce qui frappe les yeux.
Le rivage est encombré de caisses, de bois de construction jetés en désordre ; quelques vieux canons garnissent les meurtrières à demi démantelées, où veille cependant une sentinelle ; à la première enceinte se tient un aga chargé de la police ; il est revêtu d’une robe rouge et d’un pyramidal turban bleu ; enfin, par une rampe escarpée et trois portes en fer à cheval, nous pénétrons dans l’intérieur de la ville. Mais ici quel bruit ! quelle confusion ! De quel effet indescriptible est cette rue longue, étroite, montante, encombrée d’ânes, de chameaux, d’hommes criant à tue-tête : Balak ! Balak ! Les uns vêtus de burnous blancs et noirs, bleus ou brun foncé, d’autres portant la longue tunique brodée, les bas de soie, les pantoufles et la calotte noire des enfants d’Israël, quelques-uns en simples chemises de grosse toile, ou drapés dans leurs manteaux et coiffés du turban, auquel d’autres encore ont substitué un fez éclatant ; tous, les juifs exceptés, ayant bras nus et jambes nues au moins jusqu’au genou et agitant avec force cris ces membres bruns et noirs. Enfin, je rencontre un guide, c’est Hamet, Maure, servant de guide et de domestique aux étrangers tentés de visiter ces parages ; il est attaché à la maison d’une vieille veuve écossaise qui loue des chambres aux Européens.
À peine parvenu au gîte et entré dans le petit salon dont la vue embrasse le haut de quelques terrasses avoisinantes, je suis persécuté par un juif qui veut me montrer ses marchandises, roule ses grands et magnifiques yeux noirs, fend sa bouche en cœur, baisse la voix, s’incline, sourit, proteste et supplie que je lui promette de ne pas voir d’autres objets avant d’examiner les siens.
Il me faut attendre Hamet occupé à aider l’unique étranger dans la maison, un voyageur anglais, dans la fustigation d’un domestique juif dont il a été mécontent et dont il paye en même temps les bons et les mauvais services par le salaire convenu et de formidables coups de bâton. Pendant notre promenade, Hamet communique ce fait, avec des cris de transport, à tous ses amis. Dans cette promenade, à chaque pas, se révèle à moi, la physionomie vraiment orientale de la ville. Les rues sont étroites, la plupart non pavées ; les maisons dépourvues presque toutes de fenêtres, recouvertes de terrasses plates, n’atteignent pas la hauteur d’un premier étage en France. Les portes forment l’ogive mauresque en fer à cheval et sont ordinairement surmontées de la représentation peinte, blanche ou noire et grossière, d’une main ouverte : c’est un talisman que l’on retrouve fréquemment en Orient. Souvent une arche lie un côté de la ruelle à l’autre.
Nous sortons de la ville par la porte méridionale, nous suivons les murs vieux et délabrés, assez dépourvus de canons, et rencontrons un des cent-gardes à cheval du pacha : drapés dans de grands burnous blancs qui recouvrent leur chemise blanche brodée, les jambes garnies de guêtres bleues, sur la tête un fez pointu rouge autour duquel, en le laissant dépasser, s’enroule le turban ; assis sur de grandes selles turques rouges et armées, leur long fusil croisé devant eux, ces gardes ont une tenue pittoresque et soignée. Un sabre, une poire à poudre qu’ils portent sur le dos complètent leur armement ; les fusils ont une crosse très-large garnie de cuivre ouvragé, et la housse en cuir rouge est suspendue à la selle. Les chevaux sont maigres ; Hamet en donne pour cause la cherté de l’avoine que les gardes, assez mal payés, doivent se fournir eux-mêmes.
Par une porte véritablement mauresque nous rentrons dans la ville du côté de la hauteur, et bientôt un intéressant spectacle attire nos regards, celui d’un tribunal marocain. La scène se passe sur une petite place irrégulière fermée à droite par un vaste bâtiment plus élevé que de coutume, et dont l’aspect indique aisément l’emploi, c’est la prison ; auprès est le corps de garde, dont le péristyle repose sur quelques marches et offre une succession de petites colonnettes mauresques qui se prolongent encore dans l’intérieur ; un peu à l’arrière-plan, le palais du pacha ; on ne distingue que la porte d’entrée et la coupole de la mosquée.
Sur le devant à gauche se trouve un portique à trois arches, le fond est fermé et les deux ouvertures secondaires de droite et de gauche sont palissadées : des colonnes sculptées séparent les arches et soutiennent le toit plat.
Autour de ce portique sont rangés six soldats ; sous l’arche du milieu est étendu le pacha, derrière lui un soldat, à côté un juif chargé des comptes. Le pacha fait un signe, un garde se rend à la prison et en ramène un malheureux trébuchant à chaque pas, embarrassé des grosses chaînes qui entourent ses jambes. Il s’incline le front contre la terre, puis s’accroupit devant son juge ; c’est un voleur saisi dans la campagne ; il mourait de faim, n’a dérobé que peu de chose et ne possède plus rien qu’on puisse lui reprendre ; aussi le pacha est-il clément : d’ordinaire le coupable, après un court interrogatoire, est fustigé, décapité ou empalé séance tenante ; on ramène celui-ci en prison ; d’autres lui succèdent. Plusieurs de ces infortunés subissent leur détention enfermés dans de petites niches grillées pratiquées à l’extérieur des murs de la prison ; ils y sont accroupis comme des bêtes fauves.
Le pacha est déjà vieux, sa physionomie respire la cruauté ; son fils passe près de nous, les jambes nues comme les autres habitants ; il ne se distingue d’eux que par la finesse de son burnous.
À quelques pas de la place du tribunal où se trouve l’Alcazaba (palais), on jouit d’un beau panorama sur la ville, la baie qu’elle entoure, les côtes d’Espagne à l’horizon et le point noir qui indique au loin le rocher de Gibraltar. On risque à tout moment de heurter un Arabe enveloppé dans son burnous blanc sale, et difficile dans son immobilité à reconnaître pour une créature vivante.
Nous visitons ensuite un caravansérail, vaste cour entourée d’arcades dont chacune communique à un petit réduit, en même temps habitation et dépôt de marchandises. La cour est remplie de chameaux dans toutes les attitudes, les uns attendant leurs fardeaux, les autres chargés et prêts à partir. Ces animaux sont d’une extrême douceur ; ils s’agenouillent au moindre signe, souffrent que nous nous promenions au milieu d’eux sans témoigner la moindre impatience, sollicitant même quelquefois une caresse et paraissant la recevoir avec plaisir. Les Arabes sont étendus près de leurs bêtes, et Hamet me fait remarquer le riche pistolet de l’un d’eux ; celui-ci le saisit avec méfiance et, en murmurant, le cache sous les plis de son burnous.
Du caravansérail nous allons à l’hôtel maure : la cour y est entourée d’un double rang d’arcades, l’une au rez-de-chaussée, et l’autre à l’unique étage du bâtiment ; la cour et les arcades du bas sont encombrées de ballots ; les arcades du haut forment une galerie, et chaque arcade correspond par une petite porte à un cabinet étroit, logement des différents voyageurs. Par cette porte basse, peu large et nécessairement laissée ouverte, entrent l’air et la lumière et s’échappe la fumée.
Chaque voyageur s’occupe de son aménagement ; on loue le réduit, mais on ne fournit rien aux hôtes ; aussi l’animation est-elle extrême.
Ici on cuit des mets, qu’on apprête un peu plus loin, et que l’on mange dans le cabinet à côté ; là, sur une natte que viennent d’étendre deux esclaves, causent avec gravité deux personnages importants ; en face, des nègres font les derniers préparatifs du départ près de Maures qui ouvrent leurs ballots, afin de s’installer dans l’espace qui leur est échu en partage ; en un mot, partout l’occupation, le bruit, et tout cela en même temps voilé de la fumée qui sort par toutes ces portes et inondé des rayons de ce soleil d’Orient qui projette sur les murs les ombres fantastiques des personnages. C’est un poëme que cette cour, que cette réunion d’hommes si différents de nos mœurs, de notre civilisation, de nos usages !
Après le café, où l’on fume en jouant aux tarots, j’ai visité l’habitation d’un riche marchand juif : une petite cour carrée, de grandes chambres, de nombreux petits miroirs ornés de cuivre doré, une école juive près de la maison, où les enfants récitent leur leçon en chantant en chœur, et une impression générale de propreté et de fraîcheur, sont les souvenirs que j’en ai emportés.
À ma rentrée, seconde et fort importune visite du marchand de tantôt, qui me persécute de coussins, de pantoufles et d’eau de rose.
Vers sept heures et demie environ du soir, j’entends des sons discordants mêlés de coups de fusil. « Est-ce une émeute ? — Oh ! non, répond Hamet, c’est une fête, venez vite voir ; » et, saisissant sa lanterne, il me prend le bras et m’entraîne, à travers un dédale de rues obscures, du côté de la musique. Nous atteignons bientôt une troupe de vingt-cinq à trente hommes ; l’un d’eux joue du fifre et cinq jouent de tambours que d’autres accompagnent de la voix : c’est une musique vraiment sépulcrale ; les grands burnous des assistants, qui marchent trois à trois se donnant le bras, prêtent à l’ensemble un aspect fort lugubre. À la lueur tremblante des lanternes, nous voyons de grandes figures arabes se dresser le long du chemin et dans l’embrasure des portes. À mesure que nous approchons du but, tous les assistants, les musiciens exceptés, s’étreignent et, dansant en rond, se poussent mutuellement contre les murs, se pressent les uns les autres en luttant, à travers les nombreuses portes, sous les différentes arches étroites et basses qu’il nous faut traverser. Nous parvenons enfin à une petite cour de cinq mètres carrés environ : au milieu s’élève un magnifique figuier dont les branches étendues frôlent les murs qui l’entourent ; on y suspend trois des lanternes apportées. Après des salutations échangées avec le maître de la maison, venu quelques pas au-devant du cortége, la musique reprend de plus belle et douze danseurs, en rond, se tenant par la taille, exécutent pendant près d’une demi-heure, une danse nationale fort curieuse. La mesure change à plusieurs reprises, elle s’accélère, se ralentit et finit par une grande rapidité : les danseurs tantôt sautent alternativement sur chaque jambe, tantôt se penchent en avant par secousses toujours de plus en plus violentes. Au milieu du cercle se tiennent deux danseurs qui cèdent ensuite la place à deux autres, et de tous les amis, c’est encore l’hôte qui s’agite le plus. Cette danse a beaucoup de caractère ; malgré la singularité des mouvements, elle n’offre rien de disgracieux. La cour est remplie de monde ; j’y figure pour ma part comme seul étranger.
Les danseurs se reposent de leurs fatigues en mangeant du bœuf et du biscuit. Nous sommes chez un riche marchand marocain qui se marie demain, et se réjouit ce soir avec ses amis en prévision de cet heureux événement. Après le souper on étend des nattes sur le sol de la cour, qui se remplit de nouveau de monde ; les trois principales pièces du logis sont occupées par les plus distingués des invités ; dans l’une d’elles se tient le fiancé revêtu d’une robe rouge, d’un burnous et d’un turban blancs. Des esclaves, laissant soigneusement leurs babouches à la porte, et entrant pieds nus dans l’appartement, présentent les rafraîchissements, surtout du thé et du biscuit ; l’usage du lait est inconnu, mais le sucre abonde. Une nouvelle musique a commencé dans la cour, produite par deux joueurs de mandoline arabe que l’on racle avec un archet en forme d’arc, un tambourin et des chants accompagnés de battements de mains en cadence. Les chants sont graves, mâles, énergiques ; ils forment une mélodie indéfinissable qu’il faudrait entendre souvent pour pouvoir l’apprécier à sa juste valeur ; mais qui, j’en suis convaincu, ne laisse pas d’avoir son mérite, sauf lorsque des voix plus juvéniles y joignent un cri perçant comme le sifflet d’une locomotive. J’admire les poumons de ces musiciens qui poursuivent, pendant trois quarts d’heure, la même complainte aux interminables strophes, et qui en ont sans doute bien souvent charmé les ennuis de la caravane, dans sa marche à travers le grand désert marocain.
Ces fêtes sont rares ; le Maure n’aime pas à sortir de sa routine de chaque jour ; il vit dans son harem loin des yeux profanes et ne se mêle à ses amis qu’au dehors, dans la rue, au marché. C’étaient ici les adieux de la jeunesse, et demain, la maison, close aux amis, deviendra l’asile inviolable de la jeune épouse.
Les frais sont du reste peu considérables : les vivres sont à bon marché ; il y a huit jours, la viande se vendait à Battoun deux sous la livre et l’on se plaignait de cherté ; les musiciens sont payés au moyen d’une offrande envoyée le surlendemain par les invités. À dix heures le divertissement dure encore, mais déjà quelques-uns des assistants ont rallumé leur lanterne au fanal placé à l’entrée, et se sont silencieusement éloignés. Nous suivons des cavaliers à cet exemple ; la lanterne est fort utile, car, sauf de rares lumignons sous les arcades des maisons juives, tout est plongé dans l’obscurité la plus profonde. Au bruit de nos pas s’élèvent à nos côtés de sourds murmures, et nous distinguons des masses encapuchonnées ramassées contre les maisons : nous importunons leur sommeil : bientôt nous arrivons à notre gîte ; je suis fatigué, mais ravi de cette première journée.
JEUDI.
Le marché du jeudi est le plus considérable de toute la semaine ; aussi quelle affluence ! quelle animation ! Derrière la ville, hors la porte méridionale, s’étend une vaste plaine, irrégulièrement tracée ; elle est bordée d’un côté par les murs de la ville et le beau jardin du consulat de Suède, où s’épanouissent les orangers et les célestinas ; de l’autre, elle va se perdre sur les premières hauteurs de la campagne, et elle est séparée par de gigantesques roseaux des plaines de sable du désert. Tout cet espace est noir de monde, masse compacte d’où s’échappent mille cris confus : laboureurs et femmes de la campagne, accroupis au centre de leurs provisions, nègres courant çà et là pour faire les commissions de leurs maîtres, Maures achetant avec force vociférations, et juifs tenant leur longue bourse à la main et n’en sortant qu’avec peine la moindre pièce. Au milieu de tout cela, circulent chevaux ou ânes, dont les charges volumineuses débordent des deux côtés et causent d’aussi grands ravages dans les rangs de la foule que les pieds des quadrupèdes au milieu des provisions ; rien ne les gêne, ils ne se détournent pour quoi que ce soit.
Le haut du marché est rempli de tentes de toutes formes, les unes hautes et pointues, se reliant à une perche qui en occupe le milieu ; d’autres carrées ; d’autres enfin ne se composant que d’une grande toile jetée sur deux morceaux de bois parallèles. Ces tentes sont recouvertes en étoffes brunes, blanches et rayées ; plusieurs sont encombrées de marchandises, quelques-unes habitées provisoirement par des pèlerins récemment revenus de la Mecque, et qui reprennent des forces pour le grand trajet qui leur reste à parcourir. Auprès des tentes, les chameaux glanent le maigre herbage qui peut croître dans cette plaine sablonneuse. Au loin, l’on voit se perdre dans les sentiers du désert une caravane, dont la course, ce matin commencée, doit durer au moins un mois.
Les provisions exposées en vente consistent en légumes, volailles vivantes, chevaux, ânes, et grossiers ustensiles de ménage ; aujourd’hui les esclaves manquent. Les femmes de la campagne ont le visage soigneusement voilé, non, comme en Algérie, par de légers tissus de mousseline qui laissent aisément deviner les traits qu’ils recouvrent, mais par une grosse toile blanche au-dessus de laquelle brillent deux yeux noirs. Aucune femme maure de la ville ne paraît au marché ; les hommes, peuvent seuls sortir et font tous les achats ; et c’est ici l’occasion de remarquer, dans la variété de costumes et d’attitudes qui m’environnent, combien il est de manières différentes et caractéristiques de draper et de porter un burnous. Du haut de la colline, avec la ville dans le fond, et la mer formant l’horizon, le tableau est digne de nos meilleurs peintres ; le soleil, le plus grand artiste de tous, y prodigue les splendeurs de son étincelant coloris !
L’argent du pays, que les Marocains gardent d’ordinaire dans leur ceinture, se compose de petites pièces rondes assez informes appelées rrhani ; elles valent chacune quinze flous ; le flou est un liard, dont trois forment le gros sou, ou mouzourah, qui vaut deux cuartos de Gibraltar.
Hamet achète, après beaucoup de négociations, de pourparlers, et même de dégustations, une petite terrine de beurre fondu, et, prenant grand soin de me déguiser son intention, s’engage dans des rues détournées vers une maison écartée ; il frappe à la porte ; on ouvre, il entre en me priant de l’attendre. Je feins de ne pas le comprendre, et je le suis. Il se retourne alors, et, me voyant déjà au delà du seuil, d’un air vexé qui se change bientôt en demi-sourire : « Eh bien ! entrez, me dit-il, seulement ne le racontez pas ! »
(La fin à la prochaine livraison.)
- ↑ M. F. Schickler, qui veut bien nous permettre de publier son journal de voyage, n’a visité que Tanger. Nous donnerons prochainement le récit d’une excursion plus étendue dans le Maroc. Ce pays, dont la superficie dépasse celle de la France, est encore très-peu connu. On n’en trouve que des descriptions très-incomplètes dans les ouvrages de MM. Jackson, Graber de Hœmsö, le capitaine Washington, Wilshire, Taylor, Renou, Richardson, etc.