Hachette (p. 47-60).



V

les bouquets


Le lendemain de cette journée si agitée, Georges s’éveilla de bonne heure.

« Ma bonne, dit Georges, allez vite éveiller mes tantes Blanche et Laurence, pour porter nos bouquets à maman.

la bonne.

Pas encore, mon petit Georges ; il est trop tôt ; vos tantes dorment encore et votre maman aussi.

georges.

Je voudrais bien me lever, ma bonne, pour être habillé.

la bonne.

Tout à l’heure, mon ami ; je prépare tout et je vais aller chercher de l’eau chaude. »

Quand la bonne fut sortie, Georges s’assit sur son lit et regarda Isabelle, qui dormait encore profondément.

georges.

Tiens, Isabelle qui dort… Isabelle, Isabelle ! »

Mais Isabelle ne bougeait pas.

« Il faut bien pourtant qu’elle donne son gros bouquet à maman… Isabelle !… Elle dort toujours !… Je vais l’éveiller. »

Georges se lève et va secouer Isabelle.

« Isabelle lève-toi. Il faut donner les bouquets à maman. »

Isabelle entr’ouvre les yeux et les referme en murmurant : « Je veux dormir.

georges, très haut.

Il faut te lever pour donner les bouquets.

isabelle, engourdie.

Je veux dormir, laisse-moi.

georges, désolé.

Mon Dieu ! mon Dieu ! elle ne veut pas s’éveiller. Comment faire ?… (Il lui crie dans l’oreille :) Isabelle ! »

Isabelle se soulève à moitié, pousse Georges, qui tombe assis par terre, et retombe endormie sur son oreiller.

georges, se relevant.

Méchante ! Tu m’as fait mal ! Je te dis qu’il faut porter les bouquets. Elle dort de nouveau ! »

Il hésite sur ce qu’il a à faire.

« C’est que j’ai froid, moi, en chemise et nu-pieds… Alors je vais me recoucher, et quand ma bonne sera revenue, elle réveillera la grosse Bébelle. »

Georges se recoucha, se réchauffa dans son lit. Quand sa bonne rentra, il dormait aussi profondément qu’Isabelle.

« Tant mieux, dit la bonne, il est trop matin pour ce pauvre petit. Je vais préparer leurs belles toilettes pour souhaiter la fête à leur maman. »

Deux heures se passèrent et les enfants dormaient toujours. Blanche et Laurence entrèrent chez eux ; il était huit heures.

blanche.

Comment ! ils dorment encore !

la bonne.

Oui, Mademoiselle. Georges s’était éveillé à cinq heures et demie, il voulait se lever et vous faire éveiller pour porter les bouquets ; j’ai été chercher de l’eau chaude ; quand je suis revenue, il s’était rendormi et dort encore. »

La voix de leurs tantes réveilla Georges et Isabelle ; ils se frottèrent les yeux et furent enchantés de voir leurs tantes. Georges sauta à bas de son lit et commença sa toilette, aidé de Laurence, tandis que Blanche s’occupait d’Isabelle.

« Pourquoi tu m’as poussé et m’as fait tomber ? dit Georges à Isabelle quand le plus fort de la toilette fut fait.

isabelle.

J’ai pas poussé ; t’as pas tombé.

georges.

Je te dis que tu m’as poussé et que je suis tombé.

isabelle.

Non ; te dis que non.

georges.

Menteuse ! C’est vilain de dire non.

isabelle.

Moi pas menteuse ! Moi veux dire non.

georges.

Alors tu seras toujours une menteuse.

la bonne.

Mais, Georges, quand donc Isabelle a-t-elle pu vous pousser, puisque vous dormiez encore quand vos tantes sont entrées ?

georges.

Quand je me suis levé pour la réveiller, elle ne voulait pas ; elle dormait toujours ; alors j’ai crié dans son oreille ; alors elle m’a poussé, je suis tombé et je m’ai fait du mal.

« Je comprends, dit Laurence en riant. Vois-tu, mon petit Georges, elle t’a poussé tout endormie sans savoir ce qu’elle faisait ; et, après, elle l’a oublié : elle ne ment pas en disant non.

georges.

À la bonne heure ! Alors tu n’es pas une menteuse ; je te pardonne.

isabelle.

Merci, Georges. Je ne t’ai pas poussé alors.

georges.

Oui, tu m’as poussé mais je te pardonne.

isabelle.

Non, je ne t’ai pas poussé. »

Georges allait se fâcher de nouveau, mais sa tante lui expliqua encore qu’Isabelle ayant tout oublié, elle était trop petite pour comprendre qu’elle l’avait réellement poussé sans le savoir. Cette explication calma l’indignation de Georges ; leur toilette était finie, leurs tantes allèrent chercher les bouquets.

georges.

Qu’ils sont beaux, qu’ils sont beaux ! Merci, ma bonne tante ! Comme vous les avez bien faits ! Ils sont plus beaux qu’hier.

laurence.

C’est que j’ai ajouté quelques fleurs. »

En effet, Laurence avait remis dans les bouquets des enfants les camélias que Noémi avait trouvés si beaux la veille et qui ne couraient plus aucun risque, puisque les enfants ne devaient les avoir qu’au moment de les donner.

Georges et Isabelle se mirent en marche, se tenant par la main et suivis de leurs tantes. Leur maman était encore en robe de chambre ; elle les reçut en les embrassant bien des fois, ainsi que ses bonnes sœurs.

Quand Noémi eut bien examiné et admiré les bouquets, elle dit aux enfants qu’elle allait mettre les fleurs dans des vases que leur papa venait de lui donner.

georges.

Je vais mettre de l’eau, maman.

isabelle.

Et moi aussi, veux mettre de l’eau.

noémi.

Non, mes enfants, vous casseriez mes vases et vous répandriez de l’eau partout. Ôtez seulement les papiers qui enveloppent les bouquets, et donnez-les-moi ensuite. »

Laurence et Blanche aidèrent Noémi à placer les bouquets dans les vases ; les enfants tournaient autour ; ils étaient enchantés.

georges.

Maman, pourquoi vous voulez pas nous laisser mettre l’eau ? Giselle verse toujours l’eau de sa maman.

noémi.

D’abord Giselle est beaucoup plus grande que toi, mon petit Georges ; ensuite Giselle n’est pas obéissante ; elle prend de l’eau quand sa maman le lui défend ; moi, je ne veux pas que vous soyez désobéissants.

georges.

Mais si vous permettez, ce ne sera pas désobéissant. Je demande pourquoi vous ne permettez pas ?

noémi.

Parce que tu es trop petit ; tu n’as pas assez de force pour verser de l’eau d’un lourd pot à eau sans la répandre, et l’eau répandue mouille et abîme les meubles.

georges.

Oh ! je suis fort, moi.

noémi.

Ah bien ! puisque tu es si fort, prends mon pot à eau et verse-moi de l’eau dans le verre qui est sur la table. »

Georges, enchanté, courut au pot à eau, qui était plein, le saisit, en fit tomber la valeur d’un demi-verre sur sa blouse et l’apporta sans autre accident à sa maman.

georges.

Tenez, maman, prenez.

noémi.

Non, mon enfant, puisque tu es si fort, verses-en toi-même dans mon verre. »

Georges aurait mieux aimé ne pas verser lui-même ; il commençait à sentir que c’était trop lourd pour ses forces et il craignit de répandre de l’eau. Mais il ne voulut pas l’avouer et il leva le pot à deux mains. Malgré toutes ses précautions, il pencha le pot plus vite qu’il n’aurait voulu ; le verre se trouva en un instant si bien rempli que la table fut inondée, que l’eau coula de tous côtés et que les beaux habits de Georges furent trempés. Sa maman le regarda.

« Eh bien, Georges, avais-je raison de te dire que tu n’étais pas assez fort ? »

Le pauvre Georges était rouge et honteux. Sa mère lui prit le pot à eau des mains ; aidée de Laurence et de Blanche, elle épongea, essuya tout ce qui avait été mouillé. Isabelle crut aider beaucoup en épongeant avec son petit mouchoir ; elle profita d’une si bonne occasion pour laver sa petite chaise en velours bleu.

blanche.

Ah ! mon Dieu, Isabelle ! Que fais-tu ? ta chaise est trempée.

isabelle.

Elle est bien propre à présent ; voyez, ma tante Elle était très sale. Mon mouchoir, mes mains, tout est bleu.

laurence.

Quelle bêtise tu fais, Isabelle ! Ta jolie robe blanche est pleine de taches bleues.

isabelle.

Ça ne fait rien, ça ne fait rien.

noémi.

Comment, ça ne fait rien ! Tu vas aller bien vite mettre une autre robe et te savonner les mains. Quant à toi, Georges, tu vas aller te changer de tout, car tu es trempé de partout. Voilà ce que c’est que de se croire si fort !

laurence.

Et de ne pas croire ta maman. »

Georges et Isabelle se retirèrent sans répondre et furent très mal reçus par leur bonne, qui leur avait mis leurs plus beaux habits pour la fête de leur maman.

Quand ils furent lavés et rhabillés, leur tante Laurence vint les chercher pour déjeuner avec leur mère.

laurence.

À cause de la fête de votre maman, nous allons tous prendre du chocolat. Votre papa est là aussi ; nous vous attendons.

georges.

Est-ce que papa ne va pas me gronder ?

laurence.

Non, non, sois tranquille ; ta maman lui a expliqué ce qu’il était arrivé.

georges.

Qu’est-ce que papa a dit ?

laurence.

Il a dit que c’était bien fait ; que tu croyais toujours pouvoir faire comme les grandes personnes, et qu’il ne fallait pas t’écouter.

isabelle.

Et moi, qu’est-ce qu’il a dit ?

laurence.

Il a dit que tu étais une petite folle de trois ans et qu’il ne fallait pas te gronder. »

Laurence les embrassa et les emmena, très contents ; la bonne seule resta de mauvaise humeur des belles toilettes perdues.

En entrant chez sa maman, Georges regarda son père d’un air craintif. Isabelle, voyant son frère intimidé, fit semblant d’avoir peur aussi, et resta près de Georges les yeux baissés.


Georges et Isabelle se retirèrent sans répondre.

pierre, riant.

Allons, allons, mes enfants, ne tremblez pas si fort. Vous avez fait des bêtises et des maladresses ; mais les bêtises ne sont pas des méchancetés. Venez, que je vous embrasse, et prenons notre chocolat, qui se refroidit. »

La gaieté revint subitement. Les enfants embrassèrent tout le monde ; leurs yeux brillèrent comme des escarboucles quand leurs tasses se remplirent de chocolat ; un grand silence régna jusqu’à la fin du déjeuner, et un soupir de satisfaction annonça aux parents que les petits en avaient assez, ce qui veut toujours dire trop chez les enfants.

pierre.

À présent, mes enfants, allez courir dans le jardin, et soyez bien sages ; toi, Isabelle, ne fais pas la blanchisseuse, et toi, Georges, ne sois pas trop fort.

— Papa, je serai bien sage, dit Georges en embrassant son père.

— Papa, je serai bien sage », dit Isabelle en embrassant aussi son père.

Et ils partirent en courant.

Le père les regardait par la fenêtre.

« Ils sont gentils, ces enfants ; très bons tous les deux. Isabelle est drôle ; elle imite Georges en tout ce qu’il fait et ce qu’il dit.

laurence.

J’espère bien que Giselle ne viendra pas troubler notre journée, aujourd’hui. »