Hachette (p. 39-46).



IV

la sévérité de léontine


Une heure après le départ de M. Tocambel la porte s’ouvrit. Pierre entra, s’avança vers Léontine qui s’était levée, la prit dans ses bras et l’embrassa à plusieurs reprises.

pierre.

Pauvre sœur !… Comme te voilà triste et malheureuse ! Tu as donc réellement cru que j’avais torturé ta fille ?

léontine.

Pierre, mon bon Pierre ! pardonne-moi ! Oui, je t’ai cru méchant, cruel pour ma pauvre Giselle J’ai cru… »

Les larmes lui coupèrent la parole ; elle serra son frère contre son cœur, et pleura la tête appuyée sur son épaule.

« Si tu savais, continua-t-elle, combien il m’est difficile et douloureux de croire Giselle coupable de mensonge, de méchanceté, de fausseté. J’aime tant cette enfant, la seule, hélas ! que le bon Dieu m’ait donnée.

pierre.

Je comprends, chère Léontine, je comprends tout ; mais, dans l’intérêt même de Giselle, il faut que tu saches ce qui s’est passé ce matin ; tu verras ensuite ce que tu dois croire et ce qui te reste à faire. Asseyons-nous et écoute-moi. »

Pierre raconta exactement la scène qu’il avait eue avec Giselle, et ce qui s’était passé auparavant. Léontine pleura beaucoup. Quand il eut terminé son récit, elle l’embrassa affectueusement et lui dit :

« Mon bon Pierre, rends-moi un grand service : va chercher Giselle, amène-la-moi et reste là pour me donner le courage dont j’ai besoin et que je demande au bon Dieu. »

Pierre lui serra les mains et alla chercher Giselle.

pierre.

Ta mère te demande, Giselle ; viens au salon.

giselle.

Pas avec vous, toujours.

pierre.

Si fait, avec moi. Ta maman le veut.

giselle, avec malice.

Maman le veut !… Elle le veut si je veux.

pierre.

Tu te trompes, ma fille. Je te répète que ta maman le veut… Entends-tu ? Elle le veut,… et tu vas venir. »

Le ton ferme de Pierre décida Giselle à obéir de bonne grâce ; elle ne voulait pas que sa mère la crût capable de résistance ouverte à la volonté de son oncle. Elle se leva et le suivit.

Giselle eut peur en entrant chez sa mère ; le doux et affectueux sourire avait fait place à une expression froide et sévère. Giselle s’arrêta au milieu de la chambre.

« Approche, Giselle. Pierre, viens t’asseoir près de moi. »

Léontine se recueillit un instant, le visage caché dans ses mains qui tremblaient visiblement.

« Giselle, dit-elle d’une voix pleine de tristesse et de douceur, Giselle, tu m’as trompée ; mon frère m’a tout raconté. Il a eu cent fois raison ; ta conduite a été très mauvaise ; elle m’a beaucoup affligée. Tu as perdu ma confiance ; à l’avenir je ne croirai plus à tes paroles ; je sais maintenant avec quel aplomb tu sais mentir. Ma trop grande indulgence fera place à la sévérité. Va dans ta chambre et reste avec ta bonne ; tu y dîneras seule ; je ne veux pas te voir jusqu’à demain.

giselle.

Maman, ma bonne petite maman, je vous aime tant ! Pardonnez-moi, je ne savais plus ce que je vous disais en revenant de chez mon oncle ; je ne recommencerai pas, je vous assure. Croyez-moi, ma bonne petite maman, et laissez-moi avec vous. »

Giselle se jeta à genoux et baisa les mains de sa mère, qu’elle voyait fléchir et s’attendrir.

Léontine, irrésolue, regarda Pierre ; il lui serra la main et lui dit tout bas :

« Courage, ne cède pas. »

Léontine soupira, retira la main que baisait Giselle et lui dit avec froideur :

« Je ne te crois pas, Giselle. Obéis, et va-t’en. Quand je te verrai corrigée, je te rendrai ma confiance et ma tendresse. Pierre, mon ami, emmène-la et reviens près de moi. »

Pierre s’empressa de faire sortir Giselle, qui essaya de résister en se cramponnant à la robe de sa mère ; mais elle n’osa pas faire une scène de violence et se laissa emmener.

« C’est vous, dit-elle à son oncle, quand la


Pierre s’empressa de faire sortir Giselle.

porte fut refermée, c’est vous qui avez donné des

conseils à maman. Sans vous elle n’aurait pas eu le courage de me renvoyer.

pierre.

Tu ne te trompes pas, Giselle ; elle a écouté mes conseils et ceux de notre ancien ami M. Tocambel et, bien mieux, elle est décidée à les suivre à l’avenir ; ainsi je t’engage à changer de conduite et de sentiments, si tu ne veux pas voir diminuer de jour en jour sa tendresse pour toi. »

Giselle ne répondit pas ; elle résolut de ramener sa mère par ses câlineries et de se faire protéger par son père.

Pierre revint près de sa sœur, qu’il trouva désolée et inquiète. Il la rassura sur l’état de Giselle, l’approuva, l’encouragea à tenir bon et la quitta au moment où M. de Gerville rentrait.