Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 26p. 357-359).
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XXXV

Dire que l’activité de la science et de l’art — ou ce qu’on appelle maintenant de ce nom, — a aidé au progrès de l’humanité, c’est la même chose que dire que le rabouillage inexpérimenté d’une rame qui empêche d’avancer le bateau qui descend le courant, aide au mouvement du bateau. Il ne fait que l’empêcher. Ce qu’on appelle la division du travail, c’est-à dire la spoliation du travail d’autrui devenue de nos jours la condition de l’activité des savants et des artistes, était et reste la cause principale de la lenteur du progrès de l’humanité. La preuve en est dans cet aveu de tous les hommes de la science, que les acquisitions de la science et des arts sont inaccessibles aux masses ouvrières à cause de la mauvaise distribution des richesses.

Mais l’irrégularité de cette distribution, à mesure du développement des sciences et des arts, ne diminue pas, elle augmente. Et ce n’est pas étonnant, car cette distribution irrégulière des richesses naît seulement de la théorie de la division du travail que les savants et les artistes proposent dans un but personnel lucratif.

La science défend la division du travail comme une loi immuable. Elle sait que la distribution des richesses basée sur la division du travail est irrégulière, et cependant elle affirme que son activité, qui reconnaît la division du travail, mènera les hommes au bien. Il en résulte que les uns jouissent du travail des autres, mais que, s’ils en jouissent aussi longtemps et en aussi grandes proportions, la distribution irrégulière des richesses, c’est-à-dire la jouissance du travail des autres, cessera.

Les hommes se tiennent près de la source toujours grandissante de l’eau, et ils sont occupés à la détourner de ceux qui ont soif, et ils affirment que ce sont eux qui produisent cette eau et que bientôt il y en aura tant que tout le monde en recevra. Mais cette eau qui coule sans cesse et abreuve toute l’humanité, non seulement n’est pas la conséquence de l’activité des hommes qui se tiennent près de la source et la détournent, mais elle coule et déborde malgré les efforts de ces hommes pour arrêter son débordement.

Il y a toujours eu la vraie église, dans le sens d’hommes unis dans la vérité suprême, accessible à certaine période de l’humanité, mais ce ne fut jamais l’église qui s’octroyait ce nom ; il y eut toujours la science et l’art, mais pas ce qui s’appelle de ce nom.

Ceux qui s’intitulent les représentants de la science et de l’art d’une certaine époque, pensent toujours qu’ils ont fait et feront toutes sortes de miracles et, qu’en dehors d’eux, il n’y a pas eu et il n’y aura ni science, ni art ; c’est ce qui semblait aux sophistes, aux scholastiques, aux alchimistes, aux cabalistes, aux talmudistes c’est ce qui semble à notre « science scientifique », à notre art pour l’art.