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III

BIBLE ET ÉVANGILE


Luc, IV, 16-21. — Et Jésus revint dans son pays natal ; et le jour du Sabbat, selon la coutume, il entra dans la synagogue et se leva pour lire. On lui présenta le livre du Prophète Isaïe, il l’ouvrit et lut l’endroit où était écrit :

« L’esprit du Seigneur est en moi ; il m’a choisi pour annoncer le Bien à ceux qui sont malheureux et qui ont le cœur brisé, pour annoncer la liberté aux captifs, la lumière aux aveugles, le salut et la paix aux tourmentés, pour annoncer à tous que le temps de la miséricorde de Dieu est venu. »

Et il ferma le livre, le donna au serviteur et se rassit. Et tous attendaient ce qu’il allait dire. Et il dit : Maintenant cette parole de l’écriture se réalise sous vos yeux.


Jésus a donné le sens des paroles « le royaume de Dieu sur la terre » en employant les termes du Prophète Isaïe. Le règne de Dieu est le bonheur pour les malheureux, le salut pour ceux qui souffrent, la lumière pour les aveugles, la liberté pour les captifs.

À ses disciples, Jésus dit que le règne céleste consiste en ce que désormais Dieu ne sera plus le Dieu inaccessible de jadis, mais sera sur la terre et en communion étroite avec les hommes. Et quel est ce Dieu ? Est-ce le Créateur, trônant au ciel, en patriarche, ayant donné les tables de sa loi à Moïse, le Dieu vindicatif, cruel et terrible que connaissaient et vénéraient les hommes ?

Alors Jésus définit ce qui n’est pas Dieu.

Pour comprendre ce passage, il faut d’abord rétablir la véritable signification des paroles du Christ que toutes les Églises se sont évertuées a obscurcir. Le sens des discours et des actes notés dans ce chapitre est que le Christ rejette toute la doctrine juive, absolument toute. C’est tellement clair et certain qu’il semble ridicule de le démontrer.

Pour affirmer aussi niaisement le contraire et cacher l’évidence, il a fallu que nos Églises aient subi cette effrayante destinée historique qui les ait forcées, contrairement à tout bon sens, à réunir en un seul tout des doctrines aussi disparates, aussi contraires que la chrétienne et la judaïque. Il suffit, non pas de lire, mais simplement de parcourir le Pentateuque, où sont fixés jusqu’aux moindres détails tous les actes de l’homme dans des milliers de cas divers, pour s’apercevoir aussitôt que, dans cette énumération minutieuse, il ne saurait y avoir de place aux développements doctrinaires. On pourrait à la rigueur y découvrir une nouvelle loi si on lui attribuait une origine humaine. Or, il y est nettement dit que tout y est parole divine : quand et comment il faut couper ou ne pas couper tel appendice de la chair ; quand et comment il faut tuer toutes les femmes et tous les enfants ; comment et quelles gens il faut dédommager pour un bœuf tué par accident, etc.

Comment pourrait-on compléter de pareilles lois, sinon par de nouvelles règles détaillées concernant les appendices de la chair ou pour savoir qui il faut tuer encore ? Une fois cette loi admise comme divine, il est impossible de professer, non seulement la doctrine du Christ, mais encore une autre moins parfaite. Il ne reste plus rien à enseigner, tout est réglé. Dès la première parole d’une prédication chrétienne se référant au Pentateuque, celui-ci s’écroule. Or, l’Église doit persuader aux autres et se persuader à elle-même que le Pentateuque, de même que l’Évangile, vient de Dieu. De fait, tout ce qu’elle a à faire, c’est de fermer les yeux sur l’évidence et tendre tous ses efforts pour concilier l’inconciliable.

Cette inconséquence s’est produite à la suite de l’enseignement erroné de Paul, qui représentait tout ce qui était inintelligible dans l’enseignement du Christ comme la continuation de la doctrine juive. Une fois cette erreur commise, il ne s’agissait plus de comprendre le sens de l’enseignement du Christ, mais d’accorder les divergences, de biaiser, de prononcer des discours nuageux, décousus et pathétiques, tel par exemple l’épître de Paul aux Juifs, et en général tout le galimatias que prêchent depuis dix-huit cents ans les pères de l’Église et les théologiens.

L’Évangile défend non seulement de tuer, mais même d’avoir du ressentiment contre son prochain ; le Pentateuque, lui, dit : tue, tue, tue, femmes, enfants, bêtes.

Pour l’Évangile, la richesse est un mal ; pour le Pentateuque, elle est le plus grand bien et la récompense.

Pour l’Évangile, la pureté corporelle est de n’avoir qu’une femme ; pour le Pentateuque, on peut en avoir autant qu’on veut.

Pour l’Évangile, tous les hommes sont frères ; pour le Pentateuque, seuls les Israélites sont frères.

Aucun culte extérieur n’est recommandé par l’Évangile ; la plus grande partie du Pentateuque ne contient que des règles sur la façon d’adorer Dieu.

Et on veut affirmer que l’Évangile est le complément et la continuation du Pentateuque !

Jésus luttait contre toutes les lois du Pentateuque, sauf quelques vérités isolées que devait bien contenir cet amas d’insanités. Par exemple, il comprenait le commandement d’aimer ses père et mère dans le sens d’aimer son prochain. Mais le fait que Jésus a pu trouver dans le Pentateuque et reconnaître comme vraies deux ou trois phrases, ce fait ne prouve nullement que le Pentateuque complétait sa doctrine. Ce ne sont pas seulement les paroles des Pharisiens qu’il discutait, mais toute la loi, et, dans sa négation du culte extérieur, il a examiné tout ce qui constituait le dogme de la foi extérieure de chaque Juif adulte.