Puyjalon, le solitaire de l’Île-à-la-Chasse/04

◄  III
V  ►
IV

IV

La remontée des rivières à saumons. — L’abondance de ce poisson autrefois. — On en prenait partout. — Et comment nous assistons à une catastrophe. — Les moyens suggérés par de Puyjalon pour empêcher la disparition du saumon et autres poissons. — La pêche au homard autrefois ; ce qu’elle est aujourd’hui. — Haro sur les « homardiers-braconniers » — Encore des suggestions.

Puis ce fut, toujours dans des conditions aussi pénibles, à cause de la pénurie des moyens dont disposaient et l’explorateur et le gouvernement qui l’employait, la remontée des rivières à saumons de la côte : près d’une centaine. En effet, dans un inventaire qu’il a fait en 1897 des rivières et des ruisseaux de la Côte Nord du Saint-Laurent, Henry de Puyjalon a relevé et décrit dans tous les détails exactement quatre-vingt-quinze rivières, sans compter les ruisseaux à petites truites. Quelle richesse, et comme il avait raison de la vanter et de la faire connaître ; et que de choses utiles et intéressantes il y aurait à rapporter sur ces territoires si intelligemment étudiés ! Puyjalon a même calculé le rendement énorme que pourraient donner certaines de ces rivières à saumons, et il a démontré comme il eut été facile d’améliorer quelques rivières côtières et d’en faire de bonnes rivières à saumons.

Qu’on nous permette à ce sujet une petite digression que nous suggèrent précisément les rapports de M. de Puyjalon sur notre saumon laurentien qui disparaît, on le sait, petit à petit, et dont les rivières deviennent de plus en plus rares.

Les rivières à saumons de la province de Québec peuvent se grouper en deux divisions : celles de la rive nord du fleuve et du golfe Saint-Laurent, depuis le Saguenay jusqu’au Labrador, et celles de la Péninsule de Gaspé. Sur la rive nord, à l’ouest du Saguenay, on ne trouve presque plus de cours d’eau où l’on puisse faire la pêche au saumon, du moins comme on la faisait autrefois, par exemple dans la rivière Malbaie, à la Grande Rivière, ou encore dans la rivière Jacques-Cartier. Quelques saumons remontent peut-être encore ces rivières : mais autant dire qu’on n’en pêche plus. Et pourtant, on a fait jadis dans ces cours d’eau des pêches miraculeuses ; comme celles qu’on faisait autrefois dans les rivières qui se déversent dans le Saguenay : les Rivières-à-Mars, de l’Éternité, Shipshaw, Chicoutimi et Sainte-Marguerite. C’est dans cette dernière rivière qu’en 1847 le Prince de Galles, qui devint plus tard le roi Édouard VII, alla pêcher le saumon. C’était le paradis de ces poissons, de ces beaux saumons saguenayens dont la capture rendait un pêcheur pleinement heureux. C’est là encore qu’on capture, chaque printemps, les saumons qui doivent alimenter l’établissement de pisciculture de Tadoussac. Or, c’est à peine si, aujourd’hui, cette fameuse rivière peut satisfaire à cette capture annuelle. Plus loin, même rareté du saumon, encore que nous pénétrons dans le royaume de ce poisson, mais un royaume qui menace de devenir bientôt sans sujets. Les rivières Grandes et Petites Bergeronnes, celle des Escoumins, la Portneuf, le Sault-au-Cauchon étaient, naguère, le théâtre de véritables bancs de saumons. Les rebuts des scieries de la région les ont chassés. Un vieux pêcheur nous disait naguère, qu’autrefois, il prenait dans la rivière des Escoumins assez de saumons pour en remplir soixante-quinze barils chaque année. Le Dr Adamson, fameux pêcheur devant l’Éternel, a décrit les magnifiques pêches qu’il a faites dans cette rivière. Mais il y a plus de soixante ans de cela. Depuis, hélas ! le vide, pourrait-on dire, s’est fait dans ces rivières saguenayennes. Il en fut également, ainsi petit à petit, dans les rivières qui descendent plus à l’est de la Côte : les Rivières-aux-Outardes, Manicouagan, Pentecôte. Marguerite et dans les autres, dont le relevé a été fait par Henry de Puyjalon. Toutes étaient des rivières à saumons ou pouvaient le devenir en usant des moyens suggérés par M. de Puyjalon lui-même. En 1880, la bande de territoire qui entoure la partie supérieure de la rivière Betsiamites — ou Bersimis, — fut concédée aux indiens Montagnais comme réserve. Et ces sauvages s’en sont permis de toute nature dans la famille des salmonidés. Durant la première année de l’occupation de leur réserve, on vit des indiens revenir d’une nuit de pêche portant en un seul canot de cinquante à soixante gigantesques saumons. Aussi, en quelques années, à la suite de ces hécatombes, la production du saumon dans cette rivière a baissé de quatre-vingt-dix mille livres à vingt mille.

Et on pourrait dire, sans la moindre exagération, qu’il en fut ainsi sur la côte sud comme sur la côte nord, dans toutes nos rivières à saumons. Du côté sud, les rivières du Bic, du Cap Chatte, la Matane, la Sainte-Anne-des-Monts, la Madeleine, le Grand et le Petit Pabos, la Port-Daniel et toutes les autres se dépeuplent d’année en année. Des pêches excessives au harpon et au filet anéantissent le poisson dans toutes ces rivières que nous venons de nommer comme dans la Cascapédia dont une partie seulement rapportait, naguère, 12,000 $ par année au gouvernement, seulement pour les droits de pêche ; comme dans la Ristigouche dont certains étangs à saumons se sont déjà vendus pour la somme de 30,000 $ chacun.

Et voilà comment nous assistons, tranquilles et d’un cœur léger, à une véritable catastrophe, soit dit sans exagérer.

…À moins que l’on en vienne aux moyens suggérés par M. de Puyjalon : industrialiser ou commercialiser la pêche : la réglementer sévèrement.[1]

Comme naguère Frank Forrester a prédit que sans de très sévères lois de protection on verrait, vers le milieu du XXe siècle, nos forêts désertes et sans voix. M. de Puyjalon n’a pas été moins pessimiste en ce qui à trait à nos eaux qui, sans ces mêmes lois de protection, seraient bientôt désertées par le saumon, la morue et le homard.

Henry de Puyjalon a signalé à maintes reprises dans ses rapports l’abondance des saumons dans la plupart des cours d’eau du Labrador canadien, surtout le saumon à chair rouge, comme d’ailleurs, le saumon à chair pâle, — ou slink, — ou « saumon allongé » également abondant dans certaines rivières comme celle des Esquimaux, la Kakapwai, la Cocoachoo. Il a aussi signalé l’existence de la ouananiche que l’on a cru longtemps n’exister qu’au lac Saint-Jean. Il en a trouvé dans deux lacs de la Côte, le grand lac de Washeecootai ainsi que le réservoir de la Cocoachoo, Il s’est intéressé également à la truite de mer en abondance alors dans les rivières du Grand Nord, vers le milieu de juin surtout ; à la truite mouchetée, ou de rivière, dans plusieurs cours d’eau mais en des lieux de son choix ; au brochet qui fréquentait même, assure-t-il, les eaux salées ; aux différentes sortes de poissons de fonds ; l’éperlan dont l’abondance était alors extrême dans presque tous les lacs de la Côte Nord ; à l’anguille qui se présentait aussi bien à la mer que dans les lacs et les rivières, et en « telle quantité que l’imagination a peine à le concevoir » ; au poisson blanc, — corégone, « le meilleur poisson qu’il y eut dans tout l’univers », notait dans son journal l’interprète Jérémie de l’expédition de Pierre LeMoyne d’Iberville à la Baie d’Hudson en 1697…

La morue était alors abondante sur toute la Côte, dans toutes les eaux du « Grand Nord », mais on sait qu’aujourd’hui, la pêche à ce poisson est loin de ce qu’elle était du temps de M. de Puyjalon. Alors un pêcheur pouvait capturer jusqu’à quatre-vingt quintaux de morues dans une saison. Tous en prenaient en quantité. Il est vrai que dans l’intervalle survint le marsouin, devenu un monstre de réprobation, et qui a fort décimé le peuple des morues du fleuve et du golfe Saint-Laurent. On sait qu’on a même mis sa tête à prix. Déchéance complète, quoi ! Et dire que pendant longtemps on a recherché ce pinnipède pour ses riches attributs ! Quoi qu’il en soit, au temps de l’abondance de la morue, on a entendu maintes fois Henry de Puyjalon lancé le cri d’alarme, comme il l’a lancé à plusieurs reprises pour le homard.

On lirait avec intérêt à ce sujet les rapports que M. de Puyjalon faisait en 1896 et en 1900 en particulier alors qu’il prédisait une très grave crise du homard. Quelle richesse nous aurions acquise dans l’organisation scientifique et raisonnée des homardières ! D’autant plus qu’il est reconnu que consommé frais ou en conserves, le homard du Canada est l’un des plus succulents produits de mer. On aurait pu seulement en réprimant les abus, doubler alors la valeur du homard consommé chez nous et exporté.

Dans un numéro de l’année 1900 du Bulletin de la Société Géographique Américaine de New-York, M. R. Malcolm Kerr, consacrait une intéressante étude aux pêcheries maritimes. Au sujet de la production du homard, il faisait les observations suivantes que nous résumons.

La pêche du homard était autrefois fort abondante le long de la côte Atlantique, de la baie Delaware jusqu’au Labrador. Le principal habitat de ce crustacé se trouvait sur les côtes du Maine et de la Nouvelle-Écosse. On faisait alors des captures prodigieuses. Ainsi, dans la région du Maine, on recueillit en 1889 jusqu’à trente millions de livres de homard, et il y avait des pièces de 20 à 40 livres. Aujourd’hui, c’est à peine si les captures de ce crustacé dépassent 15 millions de livres et que leur poids excède deux à trois livres.

La raison de cette diminution est attribuée par M. Kerr à l’extermination que les pêcheurs font de ce crustacé, sans le moindre discernement et à la violation des lois de pêche. Il est enclin à croire que cette pêche finira par être ruinée totalement si les pouvoirs publics n’interviennent pas d’une façon sérieuse.

Il en fut ainsi, peut-on dire, de nos pêcheries de homards au Labrador canadien, du moins si l’on en croit les rapports de Henry de Puyjalon sur ce sujet ; et il faut les croire, car ils ont le caractère de la plus absolue sincérité.

Le homard était abondant, naguère, dans notre Labrador canadien, a constaté M. de Puyjalon, mais, comme le reste, il a diminué d’une façon alarmante et ne cesse de diminuer. Dans son rapport de 1898. Il rappelle que, vingt ans auparavant, il capturait lui-même des homards pesant jusqu’à dix-huit et vingt livres et que la moyenne en poids s’élevait jusqu’à quatre ou cinq livres tandis qu’aujourd’hui cette moyenne s’est abaissée à deux ou trois livres et que les plus gros de ces crustacés dépassent en poids à peine sept livres.

C’est que le homard, malgré la fécondité des femelles, disparaît avec rapidité lorsqu’il est capturé à outrance et surtout sans méthode. Des réserves auraient assuré sa survivance presque totale.

« En thèse générale », écrivait M. de Puyjalon, « ce n’est pas l’énormité de la capture qui fait diminuer le gibier, le poisson, les crustacés, les mollusques, c’est l’inopportunité de l’heure choisie pour sa capture qui fait tout le mal. »

Et il ajoutait :

« Dans un pays aussi grand que le nôtre, enrayer le mal complètement est impossible pour le moment, on ne peut que l’atténuer et le seul moyen d’y parvenir est l’emploi de la RÉSERVE, — très usitée en Europe : Écosse, Belgique, Allemagne, France et Suisse, — sorte de foyer de production d’une surveillance facile et peu coûteuse d’où rayonne, chaque année, un surplus qui repeuple les régions fatiguées. »

Le homard pullulait donc, voilà une cinquantaine d’années, sur la Côte Nord du Saint-Laurent. La topographie spéciale de la côte coupée, pénétrée, échancrée par ses anses et ses baies, presque toujours cachée par les îles aux yeux des navigateurs du large, a fait autrefois de cette partie de notre province comme un lieu de rendez-vous pour les oiseaux de mer, les crustacés, les poissons mixtes, les pinnipèdes et les carnassiers terrestres qui en font leur nourriture.

On peut donc croire qu’à la fin du siècle dernier l’industrie des conserves de homard était prospère sur la Côte Nord ; même trop prospère. C’est non seulement ce qui a provoqué la diminution presque voisine de la disparition totale de ce crustacé de nos eaux, mais ce qui a failli chasser du Grand Nord le gibier de mer et de grève qui est composé de tous les oiseaux aquatiques, palmipèdes et échassiers, qui vont nicher, chaque printemps, sur la lisière du littoral, sur les îles, ilots et rochers qui le bordent et le défendent des flots du large.

« Depuis que les usines de « paquetage » du homard ont été établies sur le littoral du Golfe », écrivait encore M. de Puyjalon dans un rapport qu’il rédigeait en 1900, « le gibier autrefois si abondant diminue dans des proportions les plus inquiétantes et il existe déjà des régions où il a été entièrement détruit. L’estuaire des rivières s’appauvrit également et il n’est pas jusqu’aux loups marins qui ne s’éloignent peu à peu des échoueries qu’ils avaient l’habitude de fréquenter. Tous les habitants de la Côte. — de Natashquan à Bonne-Espérance, — peuvent affirmer les faits que j’avance. »

Or, cette diminution du gibier était due à la multiplication des homarderies dont les propriétaires tuaient, sans restriction aucune, pour appâter leurs cages à homards, tous les oiseaux qui se présentaient à leur portée. Henry de Puyjalon estime que la Côte comptait à l’époque où il était garde-chasse et de pêche près de deux mille « homardiers-braconniers ». Il appelait ainsi les propriétaires des homarderies du Saguenay, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick, et surtout de Terreneuve, qui pillaient les nids des oiseaux de mer, tuaient ces derniers, détruisaient le jeune gibier dont ils appâtaient leurs cages, appauvrissaient ruisseaux et rivières dont ils sennaient le poisson, chassaient les loups marins à force de tirer des coups de fusil sur les roches à l’époque où ces pinnipèdes cherchent à s’approcher des échoueries.

Henry de Puyjalon rapporte, ce qui fait connaître assez clairement l’abondance du homard dans notre Grand Nord en 1900, qu’il a compté onze établissements où l’on s’occupait de la fabrication des conserves de homard, entre l’Île Saint-Charles et Natashquan, une distance d’à peu près soixante milles. La moyenne de production de chacune de ces petites usines privées devait être de soixante caisses, soit pour l’ensemble, 660 caisses. Chaque caisse a exigé pour être remplie cent-vingt homards. Il a donc été pris 79,200 de ces crustacés sur soixante milles de côte en une seule saison. Et il ne comptait pas les nombreux homards morts, et négligeait les points du rivage où ils n’étaient point capturés.

Devant une telle production, qu’il ne qualifiait toutefois pas encore d’anormale, il réclamait, pour conserver cet animal, une sévère règlementation ; d’autant plus qu’il est peu d’animaux plus susceptibles aux causes de destruction que le homard. On dirait, faisait-il remarquer, que tous les animaux des rivages et les hommes se donnent le mot pour détruire les œufs et les petits qui viennent d’éclore ; au point, affirme-t-il, que parmi les vingt ou vingt-cinq mille nouveaux éclos que la merveilleuse fécondité d’une mère a mis au jour, à peine une centaine atteignent l’état parfait. Et il faut ajouter que le homard ne devient utilisable qu’au bout de cinq à sept années pendant lesquelles il court encore mille dangers.

On conçoit que vu ce délicat état de chose, il faille pour conserver cet animal des règlements de la dernière sévérité. Quels sont les remèdes que préconisait Henry de Puyjalon ? Les voici :

Partager la Côte, de la Pointe-des-Monts à Blanc-Sablon, en districts de pêche au homard, chaque district renfermant une réserve gouvernementale où nulle licence ne serait accordée ; mettre les licences aux enchères dans chaque district et pour un nombre déterminé d’années ; varier la date de fermeture et d’ouverture de la pêche au homard dans chaque district.

« Le homard » écrivait-il, « est l’un des fruits des eaux marines de la province, mais je ne sais si cette dernière a le droit, en cette circonstance, de protéger son bien. Si elle a ce droit, il serait temps qu’elle en usât et qu’elle créât des parcs d’éclosion et des réserves protectrices ».

Et il insistait :

« La pêche au homard », écrivait-il dans son rapport de 1901, « ainsi qu’il fallait s’y attendre en présence de la multiplication des établissements de cette industrie est en pleine décroissance. Les homardiers ont vu, cette année, — 1900, — la production diminuer des deux tiers et quelques-uns, la plupart même, n’ont pas couvert leurs frais. Cette diminution est-elle le résultat d’un accident ou la suite naturelle d’un abus ? L’accident est possible mais il est bien difficile de l’admettre. »

Relativement aux réserves qu’il suggérait dans son rapport de 1898, M. de Puyjalon écrivait encore, détaillant son idée :

« Les dispositions de la Côte sont telles qu’on y rencontre avec facilité des bassins intérieurs où l’eau salée conserve un niveau minimum permanent tout en se renouvelant deux fois en vingt-quatre heures. Ces bassins sont éminemment propres à la reproduction du homard et l’on y rencontre souvent ce crustacé en quantité appréciable à l’époque de la ponte. On pourrait y créer presque sans frais des frayères naturelles. Il suffirait d’y transporter, après en avoir fermé au moyen d’un treillis en fil de fer l’issue en général très étroite les femelles œuvées. La question de nourriture serait quantité négligeable, les homards à cette époque recherchent surtout le zostère, ou herbe à Bernaches, sorte d’algue qui tapisse le fond de la plupart des anses et des baies communiquant avec la mer.

« Deux ou trois de ces bassins, alimentés avec sollicitude de femelles rapprochées de la ponte, — juin et juillet, je crois, — suffiraient à l’éclosion de plusieurs millions d’œufs, chaque animal portant sous les nageoires adventives caudales de dix-huit à vingt-cinq mille œufs. »

« Les réserves établies pour le homard peuvent coïncider avec les réserves établies dans le but de conserver et de propager le gibier ».

Dans son rapport de 1900, encore au chapitre des suggestions relatives au homard, Henry de Puyjalon suggérait la date du 15 août pour la fermeture de la pêche au homard alors fixée au 1er août. Il trouvait cette date prématurée encore qu’elle ne fut pas respectée. Il a vu, en effet, à la fin d’août, et même au commencement de septembre, des cages en pleine activité. Il en avait même compté dix-huit dans un espace restreint. Et il suggérait encore au gouvernement :

« Je ne sais si le département a pris garde ou sait que la plupart des constructions érigées pour la mise en conserve du homard sont établies sur le terrain du gouvernement, et qu’il y aurait lieu de percevoir un certain prix pour le droit d’occupation. Une grande partie des édifices en bois construits par les homardiers sont utilisés par des étrangers à notre province. Dans le nord-est du Golfe, c’est le cas le plus ordinaire. Presque tous ces homardiers sont des Terreneuviens. Quelques-uns paquettent, il est vrai, à bord de leurs goélettes, mais même en cette dernière alternative, n’y a-t-il pas lieu d’aviser ? »

Ce modèle de garde-chasse et de pêche voyait à tout.

M. de Puyjalon a préconisé maints autres remèdes aussi bien pour conjurer le massacre du gibier de mer, du saumon, que pour sauver le homard. Il est mort, peu d’années après sans avoir osé espérer que ses suggestions pourraient être un jour mises en pratique. Il est mort, solitaire, sur son Île-à-la-Chasse, entrevoyant, mélancolique et désolé, fuir de son cher Labrador, le saumon tant aimé de son ami Comeau, le homard, source de si beaux revenus, et les myriades d’oiseaux de mer et de grève dont il estimait avec tant de sagesse la richesse incalculable.

Et pendant ce temps-là, le homard du Labrador, lui aussi, oserions-nous dire, entrait en agonie.

En plusieurs endroits, il est mort tout à fait. Des Sept-Îles à Natashquan, soit une distance d’un peu moins de 200 milles, il ne se prend plus un seul homard. La prise totale de l’année 1937 ne s’est élevée qu’au poids de 36,000 livres dont la valeur n’a pas été probablement supérieure à 900.00 $.

Or, en 1900, d’après un rapport de M. de Puyalon, on a vu que dans seulement onze petites usines de paquetage de homards, de Natashquan à l’Île Saint-Charles, c’est-à-dire sur un parcours de soixante milles, il s’est capturé 79,200 homards d’une moyenne de trois livres, soit : 237,600 livres. C’est-à-dire que sur soixante milles de côte, en 1900, il s’est pris 200,000 livres de homard de plus que toute la production de la côte en 1937 ; et cela en un endroit où maintenant on ne capture plus un seul de ces crustacés.

  1. Dans un rapport de l’Assemblée Législative en date du 16 avril, 1884, publié dans le volume des « Débats de la Législature » pour 1884, recueillis par M. Alphonse Desjardins, M. Faucher de Saint-Maurice, alors député de Bellechasse, attire l’attention de la Chambre sur l’un des rapports d’Henry de Puyjalon adressé au Commissaire des Terres de la Couronne et concernant les ressources naturelles du Labrador canadien et la meilleure manière de les protéger. Faucher de Saint-Maurice profite de l’occasion pour faire les plus grands éloges d’Henry de Puyjalon et donne dans ses discours de nombreux renseignements sur la Côte Nord du Saint-Laurent puisés dans les rapports de M. de Puyjalon. Il attire surtout l’attention de la Chambre sur la protection qu’il y aurait à établir pour conserver certaines espèces de gibier et, en particulier, pour le canard eider. Faucher de Saint-Maurice fut secondé dans ses remarques par M. Desjardins, député de Montmorency, qui dit, entre autres choses : « La province a lieu de se féliciter des services importants de M. le comte de Puyjalon et nul doute que cette Chambre comme le pays lui sont reconnaissants des services signalés qu’il rend par ses travaux. »