Puyjalon, le solitaire de l’Île-à-la-Chasse/02

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Du Limousin à la Côte Nord du Saint-Laurent — Une noble, ancienne et riche famille de France. — L’arbre généalogique des de Puyjalon. — Foin de la noblesse ! — Le village de Puyjalon. — Les relations d’Henry de Puyjalon. — Le souvenir d’un pamphlétaire. — Arrivée au Canada. — Un portrait de Puyjalon.

La terre natale nous marque d’une griffe tenace. On dirait qu’elle prend ses précautions pour qu’on ne la renie pas. Bien qu’Henry de Puyjalon eut quitté depuis nombre d’années son pays natal, le Limousin, il sembla toujours en subir les influences :

« Le Limousin », écrit Septime Corceix, « n’a pas les paysages romantiques et tourmentés de l’Auvergne, sa voisine, mais ses vastes champs de bruyères mauves et violettes, ses innombrables sources limpides, ses ruisseaux jasant sous les herbes mouillées, ses vieux châtaigniers aux larges ramures lui composent un visage de passion contenue, de charme grave et de pénétrante mélancolie ».

Passion contenue, charme grave, pénétrante mélancolie, voilà, en effet, ce qui distinguait surtout Henry de Puyjalon. C’est ce qu’il apporta de la terre limousine, et c’est ce qu’il conserva toute sa vie. Il est vrai que sur la terre ferme de la Côte Nord du Saint-Laurent, ou sur les îles qu’il habita, il se trouvait, peut-on dire, toujours comme en un coin de son terroir, à l’ombre des dernières forêts de ce « pays de mystères et de légendes », lisons-nous dans une chronique de Fels, « où l’on subit la hantise des forces obscures, où le Drac » rode dans le brouillard, noir et dangereux fantôme, et hante, parmi les châtaigniers, de farouches solitudes. »

Mais pourquoi Henry de Puyjalon avait-il quitté son pays pour venir s’ensevelir, peut-on dire, dans la sauvagerie de la Côte Nord du Saint-Laurent ? L’esprit d’aventures est profondément enraciné au cœur de l’homme ; et cela depuis les premiers âges de l’humanité ; depuis ces légendaires époques où les mers ténébreuses livraient leurs secrets à des marins sans peur… Et cet esprit d’aventures souffla probablement, comme chez tant d’autres, dans l’âme de Puyjalon. Il partit. Mais nous savons que sous un aspect plus prosaïque le talonnèrent d’autres motifs de départ : des revers de fortune, quoi ! qui ont tenu parfois une grande place dans l’histoire de maints personnages, aujourd’hui mi-historiques, mi-légendaires, et qui ont accompli de grandes choses que l’histoire n’aurait pas aujourd’hui à relater si la déesse Fortune n’eut pas cessé de leur sourire.

Le comte Henry de Puyjalon appartenait à l’une des plus anciennes et des plus nobles familles du Limousin. On se l’imaginerait, peut-être parfois, sur l’une des îles solitaires qu’il a habitées dans les archipels de Mingan et de Betchewan, dans une remontée à contre courant dans le passé, rêvant à un petit château presque en ruines, perdu parmi les châtaigniers noueux, et qui a l’air de faire une promenade dans la verdure mouillée, évoquant le souvenir des ancêtres coureurs d’aventures militaires… Mais non, sans renier ni sa famille ni son héroïque passé, Henry de Puyjalon, probablement à la suite de manœuvres, dont il aurait toujours conservé le mauvais souvenir, de quelques chevaliers d’industrie fourvoyés dans sa famille, a renoncé à ses titres de noblesse. Il s’en est détaché et y pense le moins possible. Le fait est qu’il n’y tenait pas.

Un jour, en 1890. alors qu’il gardait le Phare de l’Île-aux-Perroquets, l’une des îles Mingan, — dont il fut le premier gardien, — Henry de Puyjalon se mit à dresser l’arbre généalogique de sa famille, remontant en l’an 1060, au temps des Padeosalicone ou Padiavalione — devenu Puyjalon dans la suite : « Notes », écrit-il en tête, « pour servir à l’histoire de ma famille si jamais elle en mérite une ». Rendu à l’année 1772, il note dans cette généalogie :

« Léon de Puyjalon, chevalier, président trésorier général des Finances en la Généralité de Montauban, etc., eut pour fils Martin de Puyjalon, chevalier, baron de Rocheblanque, du Bournissart, seigneur de Lastourmeze, etc., qui fit ses preuves de noblesse devant Cherin, hérault d’armes de France en 1772, pour entrer dans les gens d’armes du roi — maison militaire, — passa aux compagnies rouges dans les gardes du corps… Conjointement avec son père il avait fait ériger les nombreuses baronnies et seigneuries qu’il possédait en Comté — 1787 — mais la révolution vint mettre fin à la série d’honneurs acquis par les aïeux et ni mon grand-père qui donna dans les idées libérales et fut l’ami du roi Murat, ni mon père ne voulurent porter de titres. La voix publique seule se plut à me titrer car à l’exemple de mon bisaïeul devenu député de l’empire, de mon grand-père et de mon père, qui ne furent rien, j’ai toujours dédaigné un titre que n’accompagnait pas la grande fortune de mes aïeux ».

Tous ces titres d’une haute famille laissaient donc parfaitement indifférent le solitaire de l’Île-à-la-Chasse.

Dans une lettre qu’il écrivait, quelques années avant sa mort et qu’il adressait à ses deux fils, il disait :

« Nous sommes les derniers descendants directs de notre race… Réné Lajard, qui se fait appeler de Puyjalon, porte sans droit le nom de sa mère, Irène de Puyjalon. Mais il importe peu ; cet espèce d’hommage d’un sot à notre nom ne vous enlève rien. Vous avez assez de documents pour le désavouer si un jour cela vous convient ».

Ne semble-t-il pas que ce Lajard soit pour quelque chose dans ce sentiment d’indifférence qu’Henry de Puyjalon ressentait pour ses titres de noblesse ? Dans la même recommandation à ses fils, il écrit :

« Rappelez-vous toujours que la noblesse de race n’est plus qu’une charge, qu’une tradition qui ne peut et ne doit exciter qu’une seule vanité : celle du bien. Il n’y a plus à notre époque que deux noblesses : celle de l’Or et celle de l’Intelligence. Bientôt, je l’espère, il n’y en aura plus qu’une seule : celle de l’Intelligence pour laquelle celle de l’Or ne sera plus qu’un vêtement. J’espère fermement et je souhaite que vous viviez un jour où il en sera devenu ainsi ».

Ces fières paroles d’Henry de Puyjalon à ses fils étaient écrites sur un méchant bout de papier daté du 23 octobre 1901 de l’Île-à-la-Chasse.

Mais nous aimons à citer la fin de cette espèce de testament moral qui accompagne les notes généalogiques de sa famille et auxquelles nous venons de faire allusion :

« Depuis que ces notes », ajoute-il, « ont été écrites, ma femme m’a donné un second fils né sur l’Île-aux-Perroquets et auquel nous avons infligé les noms de Raymond-Roger.[1] Il a eu pour parrain l’abbé Condé Nadeau, missionnaire sur la côte, et Madame Jane Hamilton, de Longue Pointe.

Puis j’ai perdu ma pauvre femme, ma coco. Elle était toute ma vie et me voilà bien seul, à 60 ans. malgré vous deux que j’aime, mes chers enfants. »

Mais avant de faire connaître ce qu’il est possible de rapporter de la vie de Puyjalon sur la Côte Nord et sur son œuvre, nous ne voulons pas mettre encore de côté ces notes manuscrites qu’il écrivait en 1890 sur sa famille. La lignée complète depuis 1060, jusqu’à la Révolution pourrait être quelque peu fastidieuse pour le profane, aussi ne nous attacherons-nous qu’à citer quelques annotations. Il écrivait :

« Nous sortons incontestablement du village de Puyjalon qui fut notre propriété ainsi qu’il résulte d’un testament du 12 août 1500, aujourd’hui déposé chez M. Joseph Roy, notaire, à Lévis, Québec. Ce village, placé sur une hauteur en pain de sucre, puy ou puch, en langage du pays, est situé dans le Bas Limousin — France. — J’y suis allé une fois. Il reste quelques masures sur les flancs et au sommet, les vestiges d’un mur d’enceinte ou de soutènement de quelques mètres d’épaisseur. La maison forte qui couronnait ce puy devait être considérable si l’on en croit les ruines qui subsistent encore. »

Afin de faire connaître les derniers ascendants du solitaire de l’Île-à-la-Chasse, mentionnons que son grand-père, Jean-Baptiste, qui épousa Marie-Josephine-Bernardine de Lachèze de Briance, sœur de la comtesse de Gironde, petite-fille du marquis de Gironde de Montclera, et de Charlotte de Gaumont LaForce, fille du duc, n’eut qu’un fils mâle, Louis-Joachim-Balthazar, père de celui qui nous occupe, qui épousa Marie-Amelie Maignen de Nanteuil, petite-fille du trésorier de la malheureuse reine Marie-Antoinette et du lieutenant-général des armées du roi Louis XVII dont il fut le plus fidèle et le dernier ami et dont il partagea le sort sur l’échafaud :

« Je suis », écrit encore Henry de Puyjalon, « le dernier représentant de la famille de Puyjalon avec Louis-Henry-Gédéon-Patrice, né de mon mariage avec Angelina Ouimet, fille de l’honorable Gédéon Ouimet, ancien premier ministre, surintendant de l’Éducation, commandeur de Saint-Grégoire et officier de l’Instruction Publique. »[2]

Et on lit encore dans ces notes :

« La légende veut que les derniers représentants des illustres familles des comtes de Toulouse et des vicomtes de Béziers, — d’où descend la famille de Puyjalon, — se soient éteints dans ma maison et dans celle de ma grand’mère, Mlle de Briance, dernière héritière avec sa sœur, du marquis de Gironde-Montclara, qui portait dans ses armoiries la croix fléchée et pommelée des Toulouse-Provence ; mais c’est une légende sans doute ».

Et encore :

« Les cadets de la famille furent presque tous prêtres et prieurs des prieurés de Nadailhac en Péricord et de Montignac en Limousin et paisibles possesseurs de la Chappellenie de Puyjalon fondée le 12 août 1500. — Testament déposé avec le contrat de mariage de mon bisaïeul et parchemin concernant un juge de mon nom chez le notaire Jos. Roy, de Lévis. — Cependant le juge Loranger,[3] et avant lui, Monsieur Auvray, Maire de Tours, m’ont dit avoir constaté qu’un gentilhomme de mon nom et titré marquis avait été grand Prévot de Touraine à une date très ancienne ».

Enfin ajoutons, d’après une autre source, qu’Henry de Puyjalon était cousin germain de la comtesse de Martel, bien connue dans le monde littéraire sous le pseudonyme de Gyp, auteur d’ouvrages universellement estimés.

À propos de ses relations, disons qu’Henry de Puyjalon, en France, fut un ami intime du célèbre compositeur Charles Gounod qui l’avait engagé, à cause d’une belle voix de ténor qu’il possédait, à soigner cette dernière et à entrer dans la carrière théâtrale où il réussirait dans l’opéra. Mais de Puyjalon avait catégoriquement refusé d’embrasser cette carrière du théâtre. Au Canada, à Montréal et à Québec, il fut l’ami intime de Sir Adolphe Chapleau, de Joseph Marmette, de Faucher de Saint-Maurice, d’Arthur Buies[4] et de nombre d’autres personnalités littéraires et politiques du temps.

Pour revenir à ses relations parisiennes, mentionnons qu’il fut aussi un ami intime du farouche pamphlétaire Léon Bloy qu’il faillit même, un jour, faire venir à Québec où il lui avait suggéré la fondation d’un grand journal catholique.

À ce sujet, nous lisons ce qui suit dans le beau livre de Stanislas Fumet publié en 1935 chez Desclés de Brower & Cie, — p.84 :

« Cette année-là, Léon Bloy est endeuillé par la mort de sa mère, suivie à un léger intervalle de celle de son père, qui eut lieu, comme Léon Bloy le calculera pour en éprouver une sainte horreur, dans un instant où lui-même se livrait à ses amours. Pour les pleurer tranquillement et se guérir, il va essayer d’une première retraite à la Grande-Trappe. Il y reste une semaine et rentre à Paris, où de nouvelles difficultés surgissent dans leur existence. La jeune femme qui s’était remise à son métier de couturière afin de gagner son pain est à présent menacée de cécité. Elle doit suspendre ses travaux d’aiguille. Bloy, qui n’a pour vivre que ses appointements, doit faire face à des charges bien lourdes. Il veut aider Anne-Marie qui s’est endettée et fait pour elle tout ce qu’un homme peut faire. Ils ont double loyer, le budget du jeune homme n’y suffit pas. Il se décourage et profite un beau matin de la première chimère qui passe pour l’enfourcher. Et voici sous quelle forme : un M. de Puyjalon fait miroiter aux yeux de Léon Bloy la fondation imminente d’un journal catholique à Québec. Léon Bloy partirait avec ce Puyjalon et serait sans doute le rédacteur en chef de la feuille canadienne. Avec une témérité que tous devaient longtemps critiquer par la suite, il envoie sa démission à la Compagnie du Nord, perd ainsi les quelques ressources régulières qui le faisaient subsister et, sans prendre congé d’Anne-Marie, fuit une seconde fois vers la Trappe, non pas dans l’intention d’y devenir moine — il ne se sentit jamais une réelle vocation religieuse, — mais pour y attendre, dans la prière et la solitude, les résultats des démarches de M. de Puyjalon. Il a laissé un peu d’argent à la pauvre fille éplorée ; de la Trappe il lui écrit bientôt et là, instruit sur ses vrais sentiments par le P. Roger, ne tarde pas à constater qu’il est amoureux d’Anne-Marie, qu’elle est presque alors toute sa pensée et que leur situation est inextricable. »[5]

Le comte Henry de Puyjalon n’était, on vient de le voir, ni un aventurier, ni un miséreux, ni un de ces « Hobos » de Vels Anderson qui traînent de pays en pays leur resquilleuse existence.

Il arriva au Canada en 1872 et se fixa tout d’abord à Montréal. Il semble qu’alors il lui restait quelques parcelles de la fortune de sa famille. Mais l’argent ne pesait pas aux doigts de cet aristocrate, de ce gentilhomme de roche. Avant son arrivée au Canada, il avait mené à grands guides, à Paris, la vie des nobles de France à qui il reste encore ce que l’on appelle de « l’argent de famille » : c’est du moins le témoignage de quelques-uns de ses amis canadiens. Léon Blumhart, Joseph Marmette, qui le connurent dans la Ville-Lumière au temps de sa splendeur. Il continua cette vie à Montréal et à Québec encore que sur une plus petite échelle. Le charme qui émanait de toute sa personne, son esprit, la vivacité de ses reparties, sa sagesse, moitié expérience, moitié indulgence, faisaient de lui un brillant causeur et lui conquirent de nombreux amis dans la plus haute classe de la société québécoise.

Dans la mauvaise comme dans la bonne fortune, le comte de Puyjalon sut toujours conserver ses aimables qualités de fin causeur, l’esprit sans cesse rempli d’aperçus nouveaux et originaux. Généralement grave et rêveur, il savait adroitement se faufiler dans les méandres de sa claire intelligence de façon à ne pas importuner, par des sautes d’humeur parfois brusques, ceux avec lesquels il était en contact. Il avait tout du misanthrope — et les dernières années de sa vie le prouvent assez, — mais il savait être un misanthrope gai, à la manière de Chamfort. Il était habituellement silencieux ; mais dès qu’on lui présentait un sujet qui l’intéressait, comme la chasse ou la pêche, alors il s’animait : il parlait lentement d’abord puis avec chaleur, toujours avec simplicité et sincérité. Très discret, peu expansif, même à ses amis les plus intimes, il ne laissa jamais rien transpirer de ses années de jeunesse. On n’a donc que peu ou même pas du tout de détails sur cette première partie de sa vie qu’on peut croire toutefois plus heureuse que la dernière, encore que le bonheur, chose relative, chez des tempéraments de cette trempe soit parfois fort capricieux au point qu’en réalité, il pourrait être permis de supposer que les dernières années de Puyjalon furent pour lui les meilleures de sa vie.

À sa mort, en 1905, un ami qui l’avait sans doute très intimement connu disait de lui dans un article publié dans la Presse du 28 août 1905 :

« M. Puyjalon était l’homme très indulgent pour les travers et les défauts d’autrui, à condition toutefois que ces défauts ne puissent en rien affecter les lois de l’honneur. Sur ce point, il était d’une rigidité inflexible et il n’admettait pas qu’un homme put survivre à la perte de l’honneur. Ces principes, cependant, n’étaient connus que de ceux qui le fréquentaient assidument, car il n’en faisait pas étalage et se bornait à les mettre en pratique. Nul plus que lui ne répugnait à donner des conseils ; mais si le concours de son expérience et de son savoir était vivement sollicité, et si le solliciteur avait droit à sa sympathie, il rendait le service réclamé avec une franchise qui fit souvent regretter à plus d’un d’avoir recours à son jugement ».

Grâce à toutes ces belles qualités du cœur et de l’esprit, Henry de Puyjalon, on le conçoit, faisait grande figure dans les salons canadiens. Alors, il se faisait tout à tous, et à toutes, toujours avec cette brusque franchise qui était un charme de plus chez lui. Il savait avec son éternel sourire se soumettre à toutes les exigences de la société.

« Il avait », dit encore l’ami que nous avons cité tantôt, « la science d’écouter les sots sans les entendre et sans tenter de corriger leur sottise. Il s’est ainsi épargné beaucoup d’inimitiés. Seulement, il ne tombait pas deux fois dans le même piège. Son esprit était d’une extraordinaire vivacité. Il ne dédaignait pas les bons mots mais il les lui fallait d’un choix délicat. Avec ses amis plus qu’avec tous autres, il était d’une courtoisie et d’une politesse raffinées. Il ne concevait pas que l’amitié put servir d’excuse à cette grossière familiarité qui autorise deux amis à se renvoyer des brocards qui seraient injurieux à l’adresse d’un indifférent ».

Henry de Puyjalon était d’une taille au-dessus de la moyenne, d’une solide carrure et d’un tempérament qui devait aisément l’aider à braver les rudes randonnées qu’il devait entreprendre pendant les vingt-cinq dernières années de sa vie au Labrador canadien. Ses traits étaient d’une grande finesse : ses yeux perçants, d’un éclat métallique et qui semblaient comme fouiller dans tous les sens l’interlocuteur. Comme disait un de ses amis, on ne pouvait longtemps soutenir une fausseté lorsqu’il braquait ces yeux-là sur vous avec sévérité. Il riait rarement, mais il souriait presque toujours, soit que ce sourire exprimât la satisfaction, l’indulgence ou l’ironie. « Il était gênant », dirait l’autre, avec son visage mi-sérieux, mi-moqueur, et ses yeux pétillants de malice. Parfois, il entrait comme dans une période de « bleus ». Alors tout semblait blesser ses convictions, anéantir ses vues d’un monde en voie de perfectionnement : tout semblait aller à l’encontre de sa nature. On eut dit que les mœurs nouvelles blessaient ses préférences et ses souvenirs.

Henry de Puyjalon était doué d’une culture aussi vaste que variée. Beaucoup de ses amis qui l’avaient intimement fréquenté pendant des années, sans soupçonner son savoir, découvraient tout à coup chez lui, au cours d’une discussion, de solides et profondes connaissances sur des sujets dont il n’avait jamais dit un mot. Était-ce de la modestie ? Était-ce de l’orgueil ? On ne sait guère. Il est des hommes qui possèdent le singulier privilège de se trouver à tous les carrefours, encore qu’ils ne soient pas des personnalités de très grande envergure ; mais ils échappent à toute investigation et à leur époque.

Mais nous avons les ouvrages de Puyjalon, diront les quelques rares personnes qui les connaissent aujourd’hui. Oui, mais alors, pas plus pour Puyjalon que pour les autres écrivains de son temps, la publicité ne venait battre ses rappels étourdissants de grosse caisse autour des « nouveaux parus ». Et c’est avec d’autant plus de plaisir qu’on ouvre aujourd’hui certains de ces bouquins nés, jadis, dans le silence, qu’aucun tapage n’avait encore désignés à l’attention et qui pourtant s’avèrent pleins d’intérêt dès les premières pages. On éprouve alors le sentiment égoïste de faire une découverte. On est frappé avant tout de la modestie des auteurs qui disparaissent tellement derrière leur sujet ; nous voulons dire qu’ils ont traité ce sujet de façon telle qu’on ne se préoccupe pas de leur personnalité et qu’on serait bien embarrassé de définir leurs qualités particulières.

Telle est l’impression que l’on peut avoir sur les œuvres de Henry de Puyjalon dont nous parlerons plus loin. Mais avant de faire connaître aussi intimement que possible la nature des travaux littéraires et scientifiques du comte de Puyjalon, il importe de montrer le champ d’action où il trouva la voie qu’il cherchait dès son arrivée parmi nous. Car, pendant les premières années de son séjour ici, à Montréal et à Québec, on sent qu’il attendait, non sans une certaine impatience, l’occasion d’agir. Et si, durant ces quelques années, son âme, prompte à l’enthousiasme, resta plutôt amorphe, ce fut faute d’un objet digne de l’occuper.

Cette occasion, ce fut sa passion pour la chasse ; passion effrénée qu’intensifiait le naturaliste impeccable qu’il fut et dont ses ouvrages sont une preuve incontestable. D’autant plus que depuis plusieurs années, ses goûts étaient devenus fort simples et qu’il savait aisément s’accommoder de la frugalité que devait lui imposer la région déserte qui l’attirait : le Labrador canadien où il allait se munir d’un principe d’action.

  1. Raymond-Roger, fils cadet d’Henry de Puyjalon, né sur l’Île-aux-Perroquets, est mort à Ottawa en 1929, à l’âge de 34 ans. — Son frère, Louis-Henry, vit encore (1938), à Ottawa. Il est né à Québec en 1884. Il est le seul survivant de la famille de Puyjalon. Voir correction apportée par l’auteur
  2. L’hon. Gédéon Ouimet est né à Sainte-Rose, comté de Laval, le 3 juin 1823. Il était le 26e enfant de Jean Ouimet, capitaine de Milice, et de Marie-Louise Major. Il fut admis au Barreau de Montréal en août 1844. Il s’établit d’abord à Vaudreuil, puis à Montréal. Il fut Bâtonnier du Barreau de Montréal en 1871 ; président de la Société Saint-Jean-Baptiste en 1871. Il fut le premier Procureur-Général de la province de Québec lors de la Confédération. Il avait été élu par acclamation le 22 août 1867 dans Deux-Montagnes qu’il représenta jusqu’à sa nomination à la surintendance de l’Instruction Publique. Après la démission de l’hon. P.J.O. Chauveau, il devint premier ministre et secrétaire provincial. Il fut un des plus forts orateurs de son temps. Il fut officier de l’Instruction Publique. Il est l’auteur d’un catéchisme des Lois Scolaires.
  3. Le juge Louis-Onésime Loranger, 1937-1917. Né à Yamachiche et admis au Barreau en juin 1858. Échevin de la cité de Montréal de 1869 à 1877 ; député de Laval à la Législature le 15 juin 1875. Il entra dans le Ministère Chapleau, en 1879, en qualité de Procureur-Général. Le 5 août 1883, il devenait juge de la Cour Supérieure. Il prit sa retraite le 24 mai 1909. Il mourut à Saint-Hilaire, le 18 août 1917.
  4. Sir Joseph-Adolphe Chapleau, 1840-98. Avocat, homme politique, ministre, lieutenant-gouverneur, Chevalier et Commandeur. Il est né à la Canardière, près de Québec. Fut élu au Parlement de Québec en 1867. Il fut Solliciteur-Général dans le ministère Ouimet en 1873-74. Fut premier ministre de 1879 à 1882. Il fut Secrétaire d’État aux Communes en 1882. Nommé lieutenant-gouverneur en 1892. Mort à Montréal le 13 juin 1895.

    Joseph-Étienne-Eugène Marmette, 1844-95. Commis, directeur adjoint des Archives, romancier et historien, il a publié plusieurs romans canadiens historiques, de 1870 à 1895 année où la mort interrompit son dernier roman : « À travers la Vie ». Il a publié neuf romans ; aussi des récits, des souvenirs.

    Narcisse-Henri-Édouard Faucher de Saint-Maurice, 1844-97. Chasseur à pied, député greffier, journaliste, auteur. Membre fondateur de la Société Royale du Canada. Il fit du service militaire sous l’empereur Maximilien au Mexique. Il publia un grand nombre d’ouvrages : histoire, études, récits, souvenirs, esquisses historiques, monographies, etc.

    Joseph-Marie-Arthur Buies, 1840-1901 ; avocat, homme de lettres, journaliste, auteur de nombre d’ouvrages : études, histoire, chroniques. Ses principaux ouvrages sont des monographies relatives au Saguenay, à l’Outaouais, à la Matapédia, aux Laurentides, etc.

  5. Si Henry de Puyjalon n’a pas réussi à faire venir à Québec le sympathique « entrepreneur de démolitions » que fut Léon Bloy, il a pu induire le « Roi du chocolat », Henri Ménier, à venir dans notre province, où, sur une première et colorée peinture que lui fit M. de Puyjalon, il acheta l’Île d’Anticosti dont il fut possesseur de 1895 — 16 décembre, — jusqu’au 11 juillet 1926 alors que le sénateur Gaston Ménier, frère d’Henri, vendit pour la somme de 6,500,000 $ l’île qu’Henri Ménier avait payée 125,000 $, de la « Governor and Company of the Island of Anticosti ».