Promenade d’un Français en Suède et en Norvège/16



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Forges de Graninge. — Cascade desséchée de Fors. — Le Jämeteland. — Usage particulier des filles à marier. — Frözon. — Désastre de l’armée de Charles XII en 1718, dans les montagnes.


Je quittai enfin la maison hospitalière de Holm, le cœur pénétré des attentions qu’on y avait eues pour moi. Je traversai à regret la belle rivière qui orne cette vallée et sur laquelle, durant ma maladie, j’avais souvent eu le plaisir de voguer. Je partis avec le fils du respectable vieillard qui m’avait reçu.

Le pays de l’autre côté ne semble pas aussi bien cultivé, mais il est cependant très-fertile. Les maisons des paysans sont également vastes et commodes et les villages sont très-nombreux. Le voyage me paraissait très-gréable, mais le souvenir de ma chute me faisait examiner bien attentivement chaque ornière. Nous nous arrêtâmes chez le prêtre de Sollefteô, le docteur Hasselhun, chez qui nous fumes reçus avec une politesse remarquable. Ce village est assez grand : c'est auprès qu’est la forge de même nom, dont j’ai déjà parlé.

Nous nous arrêtâmes dans le chemin, pour voir prendre les saumons à une des cascades : l’opération consiste à lever avec des poulies, de grands paniers, qu’on a placés dans les seuls endroits par où le saumon peut remonter le courant. La quantité qui s’y trouve prise, à chaque fois, est vraiment étonnante, mais c’est un spectacle cruel et une vraie boucherie. Un homme entre dans le panier, armé d’une petite massue et frappe à droit et à gauche jusqu’à ce que tout soit mort.

Graninge est une forge considérable, au milieu des bois les plus sauvages. Il y a sept marteaux, toujours employés, et à-peu-près quatre-vingts ouvriers, qui forment avec leurs femmes et leurs enfans un village de quatre cents habitans. M. Classon, à qui elle appartient, est beau-frère de Mr. de Nordenfalk ; je retrouvai dans son aimable famille les attentions de Holm.

À travers les bois, il y a un espace où il n’y a pas d’arbre, quoique les racines y soient encore ; ce fut par là qu’il me fallut passer dans une lourde cariole pour gagner la rivière Lindhal et la province de Jämeteland. La meilleure manière de voyager dans ces bois est sans contredit à cheval ; mais mon genou estropié ne me le permettait pas. Le fils de M. Classon ne voulut pas me laisser partir seul et m’accompagna à cheval.

Après quatre ou cinq heures de marche au milieu de ces bois absolument déserts, nous joignisses enfin la vallée du Lindhal. Cette rivière avait à Fors une cascade d’à-peu-près cent pieds de haut. Les paysans qui habitaient au-dela, jalousaient ceux qui demeuraient en-dessous et auraient bien voulu trouver une manière de faire monter le saumon chez eux. En 1796, ils firent un canal autour du rocher de la cascade qui joignait d’un côté le lac de Ragumla, et de l’autre la rivière. Leur intention était de rendre la pente des eaux plus douce, mais lorsque le canal eut été ouvert, il se trouva que le sol était une terre argileuse, mêlée de sables. Les eaux du lac, se précipitèrent avec tant de fureur par l’ouverture que les paysans avaient faite, que dans espace de trois heures, tout ce lac, qui avait un mille et demi de long, s’écoula entièrement et fit un dégât prodigieux. Les eaux montèrent le long de la vallée, à une hauteur dé cinquante pieds au-dessus de leur niveau, et emportèrent les maisons, les arbres et les terres avec une rapidité inconcevable.

L’eau de la rivière, qui traversait ce lac, s'est creusé un lit quatre-vingt pieds plus profond, que l’ancien fond du lac. J'ai moi-même été, avec ma cariole, dans des endroits quarante ou cinquante pieds au-dessous de l’ancien niveau des eaux. La cascade, depuis ce moment, est restée à sec et est près de cent pieds au-dessus du niveau de la rivière. On a commencé à cultiver le fond de l’ancien lac ; dans un autre pays, ce serait une propriété très-valuable, mais les habitans sont si peu nombreux, qu’il faudra du temps avant que ce terrain devienne de quelque importance ; en attendant les habitans ont du saumon, et c’est tout ce qu’ils voulaient.

Il n’a pas péri autant de monde, qu’on l’aurait pu croire d’un débordement pareil : douze ou quinze personnes ont seules été perdues. Les plus petits ruisseaux se sont creusé dans cette argile des ravins d’une profondeur étonnante. Les ravages de cet écoulement se sont arrêtés à Bagunda, où heureusement il s’est trouvé une chaîne de rochers qui forme à présent une petite cascade.

Suivant mon usage, je voulus aller voir le pasteur de Ragunda, et je m’y rendis avec M. Classon. Connaissant par réputation les vieilles habitudes du bon curé, je pris le parti d’y aller vers huit heures du matin : il était déjà trop tard, le bonhomme était, non pas dans les vignes, mais par-dessus la tête dans les sups du Seigneur.

M. Classon le fils me remit ici entre les mains du landman, qui voulut n’accompagner jusqu’à l’endroit, où le sentier que je suivais depuis Graninge devait me quitter tout-à-fait, et où je devais m’embarquer sur le lac de Stugun. Dans le chemin, il me fit arrêter chez son beau-frère, un paysan riche de cette vallée. De tels paysans dans d’autres pays seraient de petits seigneurs ; chacun d’eux a une enceinte considérable. Vis-à-vis la porte d’entrée, il y a une chambre pour les gens ; à droite est celle des maîtres, à gauche la grande chambre de cérémonie tapissée d’habits et de jupons ; à côté un petit corps. de-logis avec des chambres très-propres pour les étrangers, de l’autre côté et vis-à-vis est la cuisine, puis les étables, les granges, et enfin au-dessus de la grande porte une chambre pour les filles à marier.

Il existe un usage dans ces provinces, mais sur-tout dans celle-ci (le Jämeteland) qui doi : sans doute paraître bien étrange à un habitant des pays de l’Europe, où elle n’a pas lieu. Il est d’usage, pour les filles à marier, de recevoir dans leur chambre et dans leur lit, les garçons qu’elles préfèrent. Ils se couchent tout habillés, et font, dit-on, la conversation, afin de se connaître plus intimement avant de se marier. Je croirais que le diable doit se rire de ces belles précautions, mais on assure que cela est fort rare. Il est même plusieurs fois arrivé a des jeunes filles de ne pas vouloir épouser un homme avec qui elles avaient couché pendant plusieurs mois. Dans ce cas, c’est une grande disgrâce pour l’homme, aussi bien que dans celui où il refuserait d’épouser lui-même. Ce serait avec beaucoup de peine, qu’il pourrait trouver à coucher avec une autre fille. C’est communément dans la nuit du samedi au dimanche que cette société se fait, et les jeunes filles s’arrangent et se nettoyent le samedi.

Elles ne se prêteraient en aucune manière, à passer ainsi la nuit avec des hommes d’un état différent du leur ; il est plusieurs fois arrivé qu’elles ont fait dégringoler lestement l’espèce d’échelle, qui sert d’escalier à leur chambre, a certains fils de prêtre, ou officiers qui cherchaient à profiter de la circonstance, à la faveur de la nuit. Elles reconnaissent d’ailleurs promptement leur monde, en portant la main sur la tête et à la queue ; car comme les paysans portent les cheveux en rond, c’est un signe évident, que celui qui a les cheveux attachés, n’est pas leur affaire.

Cette coutume plus ou moins, est généralement établie dans tout le Nord, même dans les villes. On se fiance plusieurs années d’avance ; le jeune homme, depuis ce moment, doit toujours être à côté de sa fästmö (fiancée), et est autorisé à bien des petites libertés que sans se gêner le moins du monde, il prend en public ; l’embrassant très-souvent sur les mains et sur la bouche, et quelquefois la faisant sauter des heures entières sur ses genoux etc. etc. Ces libertés paraissent un peu extraordinaires à un étranger, mais les gens du pays y sont si fort accoutumés, que personne n’y prend garde, et trouve cela tout simple.

Les femmes point mariées, qui ont un enfant, sont condamnées à 1 Rthl. 32. s. d’amende (7 ou 8 livres tournois) ; au second enfant 2 Rthlr. 16 s. et au troisième 4 Rthlr. 52 s. ; au quatrième la loi les condamne à être fouettées, mais ce n’est pas exécuté, et elles payent toujours l’amende triple. Gustave III avait défendu dans une ordonnance, de rien reprocher aux filles qui se trouvaient dans ce cas. Son intention n’était pas tant d’augmenter la population, car c’est à peine sensible, que de prévenir les meurtres, que les filles faisaient quelquefois de leurs enfans.

Je m’embarquai sur le lac de Stugun ; il est d'à-peu-près deux milles et demi de long, sur un de large ; c’esr une belle et vaste pièce d’eau : mais le pays qui l'avoisine, quoique pas sans beauté, est un des plus sauvages que j’aie vu ; il est entouré de bois et toujours de bois de sapins, que l’on voit se prolonger à des distances prodigieuses dans les vallées, sans la moindre apparence d’habitation. On aperçoit autour de ce grand lac, tout au plus quatre ou cinq maisons de paysans qui paraissent aisées, mais il n’y a aucun autre chemin que les eaux du lac pour en approcher ; par-tout ce sont des bois sans fin, ni terme.

J’arrivai enfin vers dix heures «lu soir ; et il me fallut marcher un demi-mille pour me rendre à Stugun, ce que je fis non sans peine et aidé du bras d’un des bateliers, qui portait mon paquet. Après avoir payé ce qui était dû, fajoutai sept à huit shillings de plus, pour la peine qu’ils avaient eue avec moi : je les vis se regarder et se demander entre eux, pourquoi je payais plus qu’il ne fallait ; je n’entendis pas alors le résultat de leur conversation, mais le lendemain, lorsque je demand.ai ce que je devais pour le transport de ma cariole, on me répondit que les bateliers avaient payé ce qu’il fallait.

Le bon paysan chez qui je logeais, avait une maison considérable, dans le genre de celle dont j’ai parlé. Il me donna une chambre très-propre ; à souper et à déjeuner le lendemain ; il porta lui-même mes effets à la cariole, me fit traverser la rivière dans son bateau, et non-seulement ne demanda rien, mais même me rendit absolument l'argent que je lui mettais dans la main.

La couverture de mon lit chez ce paysan, était faite avec des peaux de lièvres aussi blanches que la neige, et sur lesquelles on avait placé quelques taches d’hermine par compartimens ; cet usage est assez commun dans ce pays.

Le village de Stugun dépend du pastorat de Hammerdal, qui est quatre ou cinq milles plus loin dans les bois. Il n’y a point de chemins ; mais la rivière Lindhal est navigable ; et pendant l’hiver, qui dure bien près de huit mois, elle forme une belle grande route où l’on peut aller en traîneau.

L’aisance qui règne dans ces habitations éloignées, est bien faite pour surprendre et paraît d’abord incroyable ; mais la réflexion fait bientôt connaître, que c’est l’éloignement même qui rend les habitans aisés, parce que chacun d’eux a autant de prairies, de foin, et de bois qu’il en désire, pour nourrir ses bestiaux, se loger et se chauffer. De la vient aussi que toutes les autres choses sont en abondance, hors l’argent, dont ils n’ont guères besoin.

J’osai encore une fois remonter dans ma cariole, et je traversai, comme je pus, le seul sentier du pays, assez large pour l’admettre, et qui me ramenait du côté de la grande route. Plusieurs lacs et quelques maisons de paysans récréent la vue un instant dans cette route abominable ; mais cependant c’est bien le pays le plus sauvage de la nature. Après avoir couru le risque de verser, je ne sais combien de fois, ce ne fut pas sans plaisir que je me revis sur la grande route de Frözon. Elle n’est cependant pas des meilleures, mais en comparaison des casse-cous que je venais de traverser, elle me parut superbe.

Ces bois affreux pourraient être cultivés cependant ; il n’ a point de montagnes et les lacs sont très-communs ; le petit nombre de paysans qui ont eu le courage de venir s’y fixer, s’en sont généralement bien trouvés ; mais après de longues années de travail.

Le curé de Bagsiö était mort depuis quelque temps ; madame la prêtresse, sa femme, y était encore et, suivant l'usage de la Suède, ne devait quitter le bénéfice que deux ans après la mort de son mari. » Ah ! » dis-je au bon homme qui me racontait cela, » elle dit la messe,j'espère, » » Non pas, dit l’autre, elle donne à un pauvre chapelain une quarantaine d’écus par an. » » Ah ! ah ! j’entends, c’est fort commode. »

Sundsiö, l’endroit ou je joignis la route, est joliment située sur un grand lac. Quoiqu’il ne fût pas tard, je fus fort aise de m’y arrêter, pour éviter la gelée, qui depuis le 20 août ne manquait pas de venir aussitôt le soleil couché. Les gästigfvaregörd, dans le Nord, sont toujours décens : on y trouve un lit propre ; et quand on a de bon rum et du pain avec soi, on n'y est point mal du tout.

Je rencontrai dans cette auberge un officier du régiment de la province, qui avait servi en France. Nous nous rapprochâmes bientôt, et la politesse du lieutenant Calvagen, pendant le tems que j’ai passé dans le Jämeteland, mérite bien que j’en fasse mention. Je désirai voir le pauvre vicaire de Sundsiö, qui dépend du pastorat de Bagsiö ; il voulut bien me mener à sa cabane. Le pauvre diable, âgé de soixante ans, vivait, avec sa femme et ses cinq filles, sur une rente d’à-peu-près cent rixdales (500 liv.), dans une maison qui n’avait que deux chambres, ou tout ce monde était accumulé. Le métier de pasteur en Suède n’est pas mauvais, mais celui des pauvres vicaires est bien misérable : il n’est pas de paysans un peu aisés qui ne soient beaucoup mieux.

Les femmes des prêtres s’appellent fru prostinnan (madame la prêtresse) ; il faut avoir grande attention a nommer toujours l’état de la personne à qui l’on parle. C’est par cette raison que les gens n’étaient pas contens de moi, et me regardaient avec dédain, parce qu’ils ne savaient pas quel était mon caractère. J’avais beau répondre a leurs demandes qu’il était fort bon ; cela ne leur suffisait pas : il fallait au moins pouvoir me saluer d’un herr corporal, herr magister ; un commis s’appelle herr secretär. C’est sur-tout les femmes, qu’il ne faut pas manquer d’appeler du titre de leurs maris, fru biskopinnan (madame l’évêquesse) fru clock mastarinnan (madame la marguillière).

De Sundsiö, je me rendis à Brunneflo, où je fus reçu par Mr. Väsel härad-höfding du canton et par le docteur Letterberg, qui en est le pasteur. Un nommé pehr Sundrin, paysan de la paroisse, a fait de grands progrès dans le dessin, sans avoir jamais en de maîtres. On lui a fait dessiner le tableau au-dessus de l’autel de la nouvelle église, qui ne manque pas de goût ; il y a aussi plusieurs dessins de lui, chez l’härad-hofding.

Les Lapons viennent souvent en hiver visiter cette partie du pays, qui dans le fait est de toutes parts enclavée dans le leur ; presque toute la population du Jãmeteland est autour de Storsiö (le grand lac) ; ce lac a douze milles de long, sur sept à huit de large. Dans quelques endroits il est couvert d’îles, toutes assez fertiles.

La pierre à chaux abonde dans ce pays : si l’on savait en faire usage, pour la culture des terres, on verrait peut-être bientôt de grandes améliorations. Le pays est coupé de milliers de lacs, plus ou moins grands. Il est fâcheux qu’il n’y ait aucune navigation établie jusqu’à Sundswall ; elle serait sans doute difficile, car Storsiö est à 1200 pieds au-dessus du niveau de la mer ; mais elle ne serait pas impossible en grande partie. Une coupure d’un demi mille à Fauby dans un terrain plat, joindrait le lac de Storsiä avec celui de Gesundsiö. Cette seule coupure qui n’aurait pas plus d’un quart de mille sur un terrain plat, donnerait une navigation de vingt milles dans l’intérieur du pays. Il faudrait ensuite transporter les marchandises par terre, un mille ou deux, en dessous des cascades de la rivière Lindhal, qui de-là est navigable jusqu’à Sundswall. Tous ces lacs au sur-plus, n’existent que parce que le pays n’est pas assez habité. Si la population augmetait, on pourrait les faire disparaître presque tous, comme celui de Fors, par des coupures près des cascades. Je fis un détour assez considérable, pour visiter le prêtre Behn pasteur d’Ovicken. On voit sur le chemin qui y conduit, deux ou trois églises neuves, encore bàties par les soins du feu roi.

Le grain dans cette province, ne se bat pas comme dans l’Ôngermanland ; la manière de le battre est particulière au pays et me semble préférable. Trois rouleaux de bois, sur lesquels il y a des barres placées horizontalement, sont attachés à un timon qui tient à un pivot, au milieu d’une grande chambre ; de l’autre côté, il y a un cheval qui en tournant le pivot, fait passer les rouleaux sur le grain. On fait aussi sécher le foin, en le mettant sur des espèces d’échelles très-larges, et plantées à quinze pieds de terre. Les gerbes de blé, (que dans l’Ôngermanland, ont met sur des échelles pareilles à celles de ce pays pour le foin, mais beaucoup plus hautes) sont ici enfilées à une perche d’une quinzaine de pieds de haut ; de manière que celle qui est la plus près de terre, en est toujours à deux pieds. L’épi est toujours tourné du côté du soleil.

On faisait alors la récolte, quoiqu’il s’en fallût beaucoup que le blé fût mûr ; mais les gelées des nuits obligeaient de se dépêcher, crainte de tout perdre. Les montagnes commençaient déjà à se couvrir de neige, et huit jours avant (le 22 aoust) 5 chèvres et autant de chevaux y avaient été gelés, avec le garçon qui les conduisait. Depuis ce moment on faisait quitter les montagnes aux bestiaux et rentrer dans les étables.

Il me fallut traverser un bras de Störsiü. Pour ne pas trop faire attendre les voyageurs, les bateliers ont placé, du côté d’où je venais, une espèce de télégraphe : on abaissa la planche, et une demi-heure après, les gens de l’autre bord vinrent me prendre.

Il m’est flatteur d’avoir à reconnaître l’accueil excellent que je reçus du prêtre Belin : à dire le vrai, je m’y attendais ; car suivant mon usage, je m’étais informé des paysans, de la manière d’être de leur pasteur. C’est une fort bonne coutume, et qui dans mes voyages m’a bien rarement trompé. Trois cents Lapons dépendent de ce pastorat Ils ont leur paroisse a quatre ou cinq milles, dans les montagnes voisines ; on les prêche en hiver, dans leur langue. L’église d’Ovicken est aussi nouvellement bâtie, elle est vraiment élégante : on y voit un bel orgue, que l’on ne s’attendrait pas à trouver dans ces pays reculés. De la hauteur, on a la vue du grand-lac, et de ses îles nombreuses, la plupart habitées. Les paysans ici, comme en Irlande, prétendent encore qu’il y en a 565.

Dans les montagnes qui dépendent de ce pastorat, joignant celui d’Undorsôker à la paroisse d’ôre, on trouve une pierre argileuse appelée Telg sten, dont on fait des marmites et des chaudrons qui vont très-bien au feu et durent fort long-temps. On en fait aussi des poëles. La pierre n’exige aucune préparation ; elle est si aisée à manier, qu’on la taillerait avec un couteau : elle est de l’espèce de l’ardoise, mais beaucoup moins dure, et par couches beaucoup plus épaisses.

Toutes les plantes qui portent des fruits rouges, se trouvent dans cette partie, à l'exception de l’Ôkerberg que l’on ne trouve pas plus loin que Ragunda : il faut aussi y ajouter le groseillier qui croit sauvage. Il est fâcheux que la culture des pommes de terre, ne soit pas plus générale dans cette partie ; elles auraient le temps d'y mûrir et les feuilles seulement seraient exposées aux premières gelées, sans qu’elles pussent endommager la plante. Il est rare que le blé (le seigle et l'avoine) mûrisse assez pour qu’on puisse en faire du pain, et encore plus pour pouvoir le semer. Ce n’est guères que l’eau de vie qu’on en tire, qui engage les habitans à la cultiver. Quand les étés sont chauds cependant, ou fait des récoltes abondantes de seigle. Il arrive alors que l’on exporte du grain de cette province, pour nourrir les autres.

Le bon prêtre Behn ne voulut pas me laisser partir seul et me conduisit chez un confrère à Sunne. Toujours suivant mon usage, je fus voir l’église : celle-ci est ancienne, et le tableau qui est sur l’autel fait connaître le goût du siècle, dans lequel elle fut bâtie. D’un côté, on voit le pape et les cardinaux : ces derniers ont chacun un grand diable à queue et à griffe à l’oreille, et le pape en a deux. De l’autre côté sont les docteurs noirs du luthéranisme, qui ont l’air au moins aussi farouches, que le grand diable lui-même. Les frukost (déjeuners) dans ce Pays, sont quelque chose de terrible ; on fait bien quatre repas avant le dîner, avec de la viande et de l’eau de vie, outre le thé, le café etc. Pour ne pas désobliger ses hôtes, il faut manger absolument. En poursuivant ma route, je passai près d'une maison, ou demeuraient quelques officiers du régiment du Jämeteland : on m’aperçut, on me courut après, et l’on n s’engagea à m’arrêter. On voulait encore me faire frukoster, mais c’était la cinquième fois du-jour que je me serais mis à table, et qu’il n’était que onze heures, cela me fut absolument impossible ; force me fut de prendre congé de ces messieurs, qui suivant l’usage du Jãmeteland, voulaient tous m’accompagner.

Le gouvernement a eu l’intention de bâtir une ville sur les bords du lac : il a accordé des privilèges à un certain endroit, et y a fait tracer les rues : je voulus donc aller voir cette nouvelle capitale du Jãmeteland. On la nomme Öster-sund (détroit de l’est). Elle est effectivement située sur le bras le plus à l’es| ; du lac sur lequel on a bâti un beau pont en bois. On voit à Öster-sund le tracé des cinq rues parallèles, que l’on espère devoir s’y bâtir ; tant qu’à présent il n’y a guères dans cette ville qu’une centaine d’habitans ; avec le temps il en viendra davantage. On y voit d’ailleurs quelques bâtimens publics et quelques boutiques déjà établies : il n’y a guères que dix ans qu» les privilèges ont été accordés.

Pour me rendre de-là à l’endroit où je devais aller, je traversai entièrement l’île de Frözon ; elle a un mille de long sur un demi mille de large. Ce ne fut réellement pas sans surprise, que j’en vis la culture et la fertilité : enfin je fus me présenter chez le baron Hiertat, qui est fixé dans ce pays depuis plus de trente ans ; il est colonel du régiment de la province, et commandant des troupes : feu fus reçu avec toute la complaisance et la politesse que je pouvais désirer.

Près du kongs-górd (maison du roi) il y a un de ces petits forts qu’on appelle skans ; c’est un enclos en terre, entouré de fossé, dans lequel les canons et les munitions sont déposés.

Le Jämtland a été peuplé par les Norvégiens, qui après la conquête de leur pays par Harald-haarfager (aux beaux cheveux), ne voulurent pas se soumettre à son pouvoir et se retirèrent dans les bois de l’autre côté des montagnes sous la conduite de Kietel-Jämtes, qui donna son nom au pays. Son fils, Tore-Helsing, se retira plus à l'est avec de nouveaux fuyards, et donna son nom à l’Helsingland : ces deux provinces ont appartenu long-temps à la Norvège. Le Jämtland a près de 50 milles de long, sur vingt de large ; mais il n’a guères que 23 mille habitans. L’Hériedal, autre province centrale, fut peuplée dans le même temps, par Herjulf-Hornbriottir.

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