Promenade d’un Français en Suède et en Norvège/13


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La grande vallée de la Dalécarlie. — Nombre et préjugés des habitats. — Le dialecte Dalécarlien. — Manufacture de porphire à Elfvesdale. — Usages. — Les quatre grands villages. — Mora. — Gustave-Vasa.


Traversant un pays assez fertile et toujours agréable et peuplé, je m’arrêtai pour voir une maison appelée Ârness, dans laquelle Gustave-Vasa s’était caché pendant sa fuite. Les réparations et l’entretien des différens endroits où Gusta-Vasa a reçu asile, sont faits aux dépens du gouvernement ; les timbres énormes qui composent la bâtisse de ces maisons, paraissent bien étonnans. On donnait alors au bois le temps de grandir. Ces arbres sont communément plus que trois fois aussi gros, que ceux que l’on employe à présent. Le propriétaire de cette maison a cru exciter davantage l’intérêt, en mettant dans la chambre qu’il prétend avoir été celle de Gustave, des figures étranges de Dalécarliens armés, de vieilles arquebuses, des flèches et quelques vieux livres. Il peut sans doute avoir raison, vis-à-vis de gens très-ignorans ; mais il se trompe fort vis-à-vis de l’homme qui sait le moins du monde raisonner. On sait fort bien que Gustave alors n’avait pas de lit de parade avec des couronnes sur les rideaux, ni d’autre garde que la providence, et qu’enfin il était caché dans le lieu le plus secret.

À quelque distance, j’aperçus de dessus la hauteur, la plaine superbe de Tuna, et les villages nombreux qui la couvrent. Je passai pour la cinquième fois la belle rivière qui la traverse. J’arrivai bientôt à Hus-hagen chez M. de Nardin, gouverneur de la province. Cette maison est située près d’une grande cascade de la rivière de la vallée. Sur la péninsule qui s’en approche le plus, la reine Marguerite de Valdemar, avait bâti un château fort, dans lequel elle avait placé quelques troupes danoises en garnison ; il est en ruines à présent, mais on y distingue encore trois fossés profonds qui en défendaient l’approche.

Au milieu de la vallée est un rocher appelé Buller Klac (le rocher du bruit) à cause du bruit des cascades. Il a à peine quarante pieds de haut, et du sommet par un beau temps, j’ai distingué 35 villages, entre les montagnes qui forment la vallée. Aucun pays ne peut offrir une population plus grande ; si toute la Suède était peuplée en proportion, il y aurait plus de trente millions d’habitans : mais cette vallée de la Dalécarlie est la seule qui le soit autant. Au sommet de Buller-Klac, on voit une grosse masse de granit, touchant la terre par trois côtés : quelques paysans m’ont assuré, qu’un certain géant l’avait placé là, pour servir de monument à quelque haut fait.

Je fus le dimanche à l’église de Tuna ; ce fut réellement pour moi un spectacle intéressant, de voir la foule qui y était ; je suis sûr qu’il y avait plus de huit mille personnes. Les femmes comme à l’ordinaire étaient séparées des hommes. En entrant dans l’église je ne me rappelais pas cette particularité et sans y faire attention, j’avais tout simplement été me placer sur le premier banc que j’avais vu, et dans lequel il se trouvait quelques jeunes filles. Le bedaut vint bientôt me prendre et me fit placer parmi les hommes. Tout ce monde était très-proprement vêtu et ce qui paraîtra étrange pour des paysans, presque tous avaient des gants blancs. La sortie de l’église est vraiment étonnante, c’est comme un fleuve qui se répand au loin ; généralement alors les femmes mariées vont ensemble, et les jeunes filles d’un autre côté et seules, ainsi que les hommes.

Près de la paroisse est un précipice de cent et quelques pieds de profondeur dans lequel les paysans jetèrent en 1600, le gouverneur Jacques Räf et plusieurs autres personnes qui ne voulaient pas reconnaître l’usurpation de Charles IX, et voulaient rester fidélles à son frère Sigismond, roi élu de Pologne. Ces princes étaient tous les deux, petits fils de Gustave-Vasa et fils de Jean III, le frère barbare d’Eric XIV.

Poussé par le désir de connaître tout-à-fait cette belle vallée, je me déterminai à aller jusqu’à l’atelier de porphyre à Elfvesdale. La quantité de villages que l’on rencontre dans cette vallée est vraiment surprenante ; pas un pouce de terre n’est sans culture. J’arrivai le soir à Lecksand : ce pastorat est sans contredit le plus considérable de la Suède ; il contient 11,000 habitans dans un espace très-circonscrit ; il a aussi plus de revenus que quelques évêchés. On assure que lorsqu’il vaqua, un évêque le demanda au roi, qui ne crut pas pouvoir permettre à un évêque de devenir curé.

La personne qui possède à présent ce pastorat, est dom prost (le doyen) Fant. Il était avant, doyen de Vesterôs. Je fus me présenter chez lui et j’en fus fort bien reçu. Les habitans connaissant son mérite et voulant l’avoir pour pasteur, envoyèrent une députation au roi pour le lui demander. Celui qui portait la parole adressa (m'a-t-on dit) cette apostrophe à Sa Majeste, dans son jargon un peu rude. » Du skull gif os, dom prost fant for Wör präst, or vi skall tag din crown frôn dig[1]. « Le roi qui n’avait point envie d’être détrôné, leur a bien vite donne le prêtre qu'ils voulaient avoir. L’usage de ces bonnes gens est de tutoyer tout le monde, et le souvenir des services de leurs pères, leur donne quelquefois un petit ton, qui serait arrogant, pris par d'autres, mais qui n’est que bonhomie chez eux.

Lecksand est situé au débouchement de la rivière Dahl-Elfen du grand lac Sillian ; c'est sur les bords de ce lac que sont situées trois paroisses, de celles qu’on appelle par distinction les quatre villages de la Dalécarlie ; ces trois paroisses sont Lecksand, Rättwik et Mora ; la quatrième est Tuna. Le lac Sillian, y compris la partie qu'on appelle lac d’Orsa, a près de huit milles de long : on voit naviguer dessus quatre ou cinq petits vaisseaux de 3, à 400 tonneaux qui ont été construits absolument pour sa navigation ; ils vont chercher le fer des forges qui sont à l’autre bout. Le niveau de la vallée est fort au dessus de celui de la rivière, mais son fond est de sable, la neige en se fondant creuse et ravage le terrain, et la rivière ronge souvent ses bords.

Tout le pays est possédé par les paysans, qui ont chacun leurs propriétés, séparées par des hayes de bois sec. Les grandes neiges de l’hiver écraseraient, m’a-t-on dit, les hayes vives, qui pourraient certainement croître dans ce pays et encore mieux dans le sud de la Suède. Les paysans Dalécarliens se sont ligues entre eux pour empêcher les habitans des autres provinces d’acheter des terres dans la leur, si sur-tout, ils étaient des gens au dessus de leur classe. Leur distinction à cet égard est fort simple. Comme l’usage chez eux est de ne pas avoir de boutons à leurs habits il suffit d’en porter, pour leur inspirer de la méfiance ; ils appellent Knapt herre (messieurs à boutons) toute personne qui en porte, et cette appellation est un terme de reproche, dont ils se servent même quelquefois entre eux, lorsqu’ils sont mécontens.

Leurs habits qui sont généralement noirs ou blancs, ne sont jamais attachés qu'avec des agrafes, et ressemblent assez à ceux des Quakers. Chaque village a quelque couleur et quelques usages particuliers. Les enfans sont ordinairement habillés avec une tunique jaune, dont la couleur est fabriquée dans le pays, avec l’écorce et la feuille du bouleau. Les enfans et les femmes ont quelquefois des boutons, mais jamais les hommes.

Je traversai des collines bien cultivées le long du lac Sillian, et je fus me présenter chez le curé de Rättwick. Chemin faisant je rencontrai beaucoup de paysans ; tous avaient un petit sac de cuir, contenant leurs provisions. Ils ne feraient pas deux pas sans l’avoir : les femmes qui conduisent les bestiaux ont toujours en outre, une espèce de poche pleine de farine et de sel, dont elles leur donnent une pincée de temps en temps, pour les engager à les suivre. Elles ont aussi souvent un enfant dans un sac de cuir attaché sur les épaules. Elles le portent même à l’église, pendant le sermon, elles le tiennent sur leurs genoux ; pour prévenir les cris des enfans, on leur met alors dans la bouche, comme à l’instant du baptême, une boule de pain et de sucre enveloppé dans du linge. Ceci ressemble assez à l’usage de l’Irlande rapporté page 268 du volume qui traite de ce pays.

Près des églises, il y a toujours nombre de maisonnettes en bois, où les paysans mettent leurs chevaux pendant qu’ils sont à la messe. Cet usage est assez général dans tout le nord de la Suède.

La chaîne des montagnes de porphyre, commence près de Rättwick et continue pendant un espace de 7 à 8 milles autour du lac, et loin dans l’intérieur des terres. De la hauteur, près de ce village, la vue du lac est fort belle : au milieu, est l’île de Solerö : elle n’a guères qu’un demi mille de long. elle contient cependant une paroisse de 1200 habitans ; celle de Rättwick en a près de 10,000.

Je traversai ensuite quelques bois, mais toujours un pays très-habité. Jusqu’alors je n’avais eu que des hommes pour me conduire ; les trois postes suivantes, j’eus le plaisir d’avoir une jeune fille et deux grands-mères sur le devant de mon kerra. Ces bonnes femmes me contaient l’histoire de leurs familles dans leur jargon, et je puis assurer que quoique les Suédois ne l’entendent pas, il m'était plus facile a comprendre que le suédois même.

Je passai près de Mora, j'aurais été fort tenté d’y aller sur le champ, mais je voulais completter le tour du lac, et je fus me présenter chez le pasteur d’Orsa le docteur Gezelius. Cette paroisse peut avoir 7,000 habitans. Mais comme elle approche des montagnes elle est fort étendue : il n’y a guères que les bords du lac, qui soient cultivés, le reste du pays est couvert de bois.

Il y a quelques villages dans les environs habités par des Finois, qui parlent leur langue ; ils savent aussi le suédois, mieux que les Dalécarliens qui ne les aiment guères et les jalousent. On croit généralement dans le pays que ce sont des Lapons qui se sont fixés ; mais le pasteur d’Orsa m’a assuré que les premiers habitans de ces villages sont venus s’y fixer, il y a environ 150 ans, après que leur pays, la Finlande, eut été dévastée par les Russes sous Gustave-Adolphe, et les derniers sous Charles XII. Le grand-père du pasteur, lui-même, était finois et était venu dans le pays en 1718. La cure d’Orsa, était dans sa famille depuis cette époque.

Les femmes mariées portent ici, un ruban blanc sur la tête, et les filles un rouge. Dans la paroisse de Mora, elles ont un usage fort étrange : elles portent leurs chemises de deux pouces au moins plus longues que le jupon : on m’a assuré que c’est une marque de richesse ; celles (parmi les paysannes) dont la chemise déborde le plus, sont réputées les meilleurs partis, et sont les plus recherchées. Les dames du Portugal (à ce qu'on m’a assuré) bordent communément la leur avec une dentelle magnifique ; voilà comme les usages se rapprochent.

Les habitans sont assez bonnes gens, mais très défians ; l’année d’auparavant (en 1798) ils arrêtèrent deux voyageurs dont les passe-ports ne leur semblèrent pas en règle et les ramenèrent avec quatre hommes armés à Mora. La raison que les paysans me donnèrent de cette incartade, c’est que l’un des deux avait la barbe très-longue, un bas noir et un bas blanc, et des culottes déchirées, et qu’il avait donné quelques Shellings de trop au postillon. Comme ma barbe était faite, que mes bas étaient de la même couleur, et que je ne payais que ce qu’il fallait, je fus fort bien traité.

Ce fut encore une bonne femme, bien jaseuse, qui me conduisit : elle ne devait venir avec moi que jusqu’à un village où le curé m’avait adressé, Il m’avait donné un petit mot, contenant suivant l’usage, quatre grandes pages pour recommander à un homme de me fournir un cheval. Cet homme ne se trouva pas chez lui ; m'adressant à la bonne femme ; » est ce que tu voudrais me laisser ici mère ? « — » mais mon cheval est si fatigué. « — » Eh bien donne-lui ce verre d’eau de vie. « (elile le prit et le but » C’est fort bien, ajouta- t-elle, mais quand nous serons arrivés, le pauvre cheval ne pourra plus aller — « » Eh bien ! tu lui en donneras un autre « lui-dis-je. Alors sans plus balancer elle remonta sur le Kerra et acheva la traite qui était bien de cinq milles.

Je crus pouvoir ici m’écarter de ma règle, je la payai bien, et de plus je fis donner de l’herbe au cheval : la pauvre femme semblait très-reconnaissance et me répétait souvent so beshelig : (si obligeant) en me prenant les mains.

Il est étrange réellement que les Suédois ne puissent comprendre les Dalécarliens. La seule différence qui me paraisse sensible, dans les deux langues, c’est que ceux-ci abrègent les mots en retranchant ordinairement la dernière syllabe et quelquefois mettant la dernière en avant. Il y a bien aussi quelques mots qui diffèrent, mais la plupart ont rapport à l’anglais, ce qui m’aidait à comprendre ; ainsi un cheval se dit häst en suédois et horsa en Dalécarlien, une cuiller Shee en suédois et Sporna[2] en Dalécarlien etc. etc. L’accent d’ailleurs est très-aigre et change à chaque paroisse.

Plusieurs auteurs prétendent, qu’en lisant l’islandais aux Dalécarliens avec l’accent qui leur est propre, ils l’entendent aisément. Le professeur Enbergius dit positivement, Dalica et islandica per omnia adeo sunt similes. Ut, quando islandica accentu dalico legitur, omnes Dalecarlicam esse judicent ; id quod experimento certior factus[3]. Jean Ihre va plus loin encore, il prétend que cela fut prouvé à Upsal en 1692. Les Dalécarliens étaient assemblés, et ne sachant comment s’y prendre pour leur faire entendre le service divin, on s’avisa de leur lire l’évangile en Islandais, et ils l’entendirent très-bien.

Je ne prétends pas dire que l'islandais et le dalécarlien ne soient pas semblables en bien des points, comme à-peu-près tous les dialectes du Nord, et peut-être plus, mais l’exemple rapporté ici me paraît un peu apocryphe. Le silence et l’attention de l’auditoire dans un cas pareil, à mon avis ne prouverait rien : je me rappelle d’avoir entendu prêcher en Italien à Stockholm et quoique l’auditoire fût nombreux et fort tranquille, il y avait tout au plus quatre ou cinq personnes qui comprissent ce que le prêtre disait. On doit sentir que si personne n’y eût compris un mot c’eût été la même chose. D’ailleurs où était la nécessité de prêcher les Dalécarliens en islandais, puisque chez eux-mêmes, les ministres m’ont souvent assuré qu’on les avait toujours prêchés en suédois, comme on le fait à présent.

En fait de choses de ce genre, les savans ne se font guères de scrupule d’affirmer une chose douteuse et elle se répète comme une vérité incontestable. Si quelque voyageur finois allait se donner la peine de confronter en Hongrie, sa langue maternelle avec celle des habitans de ce pays, j’aurais grand-peur que les assertions du même Jean Ihre, que j’ai rapportées page 156, ne se trouvassent un peu hasardées.

Les érudits dans la Grande-Bretagne croient que le Dalécarlien est un dialecte du langage celtique, ainsi que le bas-breton, le gallois et l’irlandais. J'ai vu cette assertion répétée dans je ne sais combien de livres ; le langage de cette province n’a cependant aucun rapport au celtique. Il diffère du suédois, sans doute, ainsi que le patois du Jämeteland, de l’Hériedale et des autres provinces du Nord : il en diffère cependant davantage, par l’isolement de la Dalécarlie. L’idiôme gothique qui est la source commune de toutes les langues du Nord, y semble mieux conservé. Les habitans ne fréquentant point les étrangers, n’ont jamais pu adopter des mots de leur langue ; tandis que les Suédois adaptent tous les jours à leur idiôme, une foule de mots de toute espèce et surtout de français. En’ajoutant un a, à l’infinitif de nombre de verbes terminés en er, les élégans les suédifient à l’instant, ainsi on dit souvent marchéra, échaufféra, commandéra, passéra etc. etc. On sent que de pareilles locutions n’iraient-pas trop bien dans la bouche d'un Dalécarlien.

Les habitans de la Dalécarlie ont cependant aussi, une manière vicieuse d’articuler les mots, en plaçant souvent une consonne devant le mot, quand il commence par une voyelle, et alors leur dialecte se rapproche de l'anglais. Par exemple les Dalécarliens prononcent Vord le mot suédois Ord (mot, parole). D’autrefois ils renversent le mot tout-à-fait et disent ragiö pour giöra, (faire) jasel pour selia (vendre). Ainsi que certains peúples de l’Italie, les Languedociens, et les Gascons disent chesa co pour casa c’e, (qu’est-ce que c’est) ; — mais c’est assez, si les étymologistes veulent trouver des restes de la nation Celtique en Suède, ils ont plus de probabilité de succès, de les chercher parmi les Finois et les Lapons, dont les ancêtres étaient les anciens habitans du pays, que parmi les descendans des Goths d’Odin.

Je n’ai point prétendu dire dans cette remarque que le Dalécarlien n’avait, point de rapport à l’Islandais, bien loin de là : le rapprochement des différens pater noster, rapportés dans l’historia linguæ dalecarlicæ, entre les trois principaux dialectes de la Dalécarlie, le gothique de l'évêque Ulfilas, au quatrième siècle de l’ère chrétienne et li islandais moderne, semble frappant, pas assez toutefois, pour que qui entendit l’un, pût aussi sans peine entendre l’autre.

Le docteur évêque Ruden, assure qu’un ambassadeur suédois avait amené avec lui en Angleterre un garçon de la Dalécarlie, et qu’il pouvait causer avec les Anglais des montagnes, (probablement les Écossais) ; il n’est pas, de doute que le dalécarlien et l’écossais ont beaucoup de rapport. Pour que les habitans de l’un de ces pays, comprissent ceux de l’autre, il faudrait cependant que les signes et les gestes suppléassent à ce qui manque de ressemblance entre les deux langues.

Le pays que je parcourais depuis Orsa, n’était pas à beaucoup près si fertile ni si peuplé. C’était des bois continuels : les montagnes s’élevaient peu-à-peu. La rivière Dal-Elfven dont je retrouvai le cours n’était plus si considérable ; tout annonçait le commencement des déserts, qui touchent à la Norvège ; tout à coup cependant, j’aperçus encore un bassin bien cultivé et rempli de villages, c’était le pastorat d’Elf-Dal, le dernier de ce pays.

Les fiälles, ou les plus hautes montagnes, sont encore à dix ou douze milles. Dans ce long espace, on ne trouve guères que deux ou trois petits villages. Un mille plus loin il faut abandonner les voitures : si on voulait remonter la rivière pour se rendre à la mine de cuivre de Röraas en Norvège on pourrait faire le trajet à cheval en six jours ; mais il faudrait passer trois nuits dans les bois. Il n’y a point de pont sur la rivière : on doit cependant la traverser plusieurs fois et il faut faire nager le cheval à côté du bateau dans lequel on la passe. Cependant quand on est muni d’un bon sac de provisions, et d’un manteau, on peut entreprendre cette route en été sans grande difficulté, car comme alors il n’y a point de nuit, ce n’est pas une grande affaire de se reposer sur l’herbe pendant quelques heures.

Drontheim n’est guères qu’à une cinquantaine de milles, et dans dix a douze jours, on pourrait facilement traverser ces déserts sans se fatiguer ; je savais fort bien tout cela, et pour être sûr de résister à la tentation, de passer les montagnes sur le champ, j’avais laissé mon porte-manteau et mes lettres chez M. Le gouverneur de Nordin ; si j’avais pu imaginer les fatigues et les accidens qui m’attendaient dans la longue tournée que je mëditais, je n’aurais pas regardé cette précaution comme si sage.

Charles XI dans ses vovages en Suède vint jusqu’ici : il passa deux nuits à la cure d’Elf-dal, et dansa le 15 juin 1686 au son d’une harpa, dans une fête de paysan. Il donna vingt ducats aux paysans, et en mit six dans la harpa de la femme qui jouait. Qu’on m’imagine pas, que je tire ce récit de ma tête seulement, il est encadré en lettres d’or, au presbytère, où je fus parfaitement reçu parle docteur Suedelius.

L’atelier où l’on travaille le porphyre, est a un quart de mille d’Elf-dal ; l’établissement est encore tout nouveau, et malgré l’esprit d’économie qui a envahi (on peut presque dire) le gouvernement et les habitans de la Suède, les soins du directeur, M. Hagström, l’ont mis dans un état assez florissant. Tous les fonds provenons des 10,000 premières actions, qui ont ensuite été réduites à la moitié, ne montent qu’à 15,000 Ricksdalers (75,000 liv. tournois) ; il faudrait au moins cent mille Ricksdalers, pour faire aller cet atelier comme il le devrait.

Si l'on avait eu le bonheur de trouver un porphyre aussi beau, quelque part dans la Grande-Bretagne, au lieu de 70 ouvriers on en aurait mis mille ; une compagnie riche en eût fait le seul objet de ses spéculations, qui j’en suis persuadé, pourraient lui rendre trente pour cent par an ; tel qu’il est, après tout, cet établissement est fort bien, il est très-nécessaire dans ces montagnes, dont les habitans ont si peu de moyens d'exercer leur industrie. Les pièces qu’on y travaille sont parfaitement finies et d’un poli superbe. Il y a des vases dont le prix monte jusqu’à deux et trois cents Ricksdalers (1200 liv. tournois).

Quand cet établissement sera plus généralement connu, il deviendra plus important ; mais je crois que dans l'endroit où il est situé, ce sera plus long et plus difficile, à cause de la difficulté du transport. Comme toutes les montagnes de ce canton sont également de porphyre, si on eût placé cet atelier sur les bords du lac Sillian, on aurait pu fabriquer et transporter aisément de très-grosses pièces, qui, à ce que je crois, sont les seules qui pourront jamais rapporter un profit considérable.

Les machines que l’on a construites pour scier le porphyre et le pôlir sont mues par l’eau ; elles sont fort bien entendues, mais pas encore très-considérables. Il a fallu bien de la peine pour faire concevoir aux paysans, la possibilité de scier une pierre aussi dure.

Pour avoir une idée de l’intérieur de ce pays, je gravis une montagne peu rapide, mais assez élevée. De son sommet, on découvre les fiälles, sur lesquelles je pus encore distinguer de la neige dans quelques endroits. Tout le pays d'ailleurs n’est qu’une vaste forêt de sapins, dont le feuillage lugubre offre une uniformité encore plus repoussante, que celle des déserts entièrement nuds. La population cesse tout-à-fait, et la première maison est dans la province de l’Heriédale à six milles, toujours à travers les bois. En hiver on peut parcourir cette distance dans un jour, mais en été il faudrait se résoudre à passer une nuit dans les bois. Il y a un sentier fait par les pieds des chevaux, car le passage est encore assez fréquenté par les gens des deux provinces, et même par ceux du Jämeteland, pour les échanges de bestiaux, de grains et autres productions.

Les habitans de ces provinces éloignées tirent sur-tout de la Dalécarlie, d’énormes pierres à aiguiser, qui s’y vendent fort cher par la difficulté du transport. Sans prétendre dire que l’on devrait faire un grand chemin dans ces déserts, je crois pourtant que l’on pourrait aisément faire abattre les arbres et arracher les racines et les pierres, de manière à ce qu’on pût passer. Ce serait la seule manière de donner de la vie à ces pays immenses, qui deviendraient d’une importance beaucoup plus grande qu’on ne l’imagine, car ils sont loin d’être infertiles.

Puisque je suis sur l’article des chemins, pourquoi ne dirais-je pas qu’il est inconcevable, que l’on n’ait pas cherché à ouvrir une communication par ces pays, entre la Suède et la Norvège ? Quoi ! parce que la Norvège forme un autre état faut-il laisser une trentaine de milles (15 de chaque côté) sans chemins, pour empêcher les armées d’entrer dans le pays ? En vérité on doit convenir qu’il faut avoir grand’peur les uns des autres pour se séparer de cette manière.

Les habitans de ces cantons nourrissent leurs vaches au printemps, avec l’écorce fraîche du sapin, qu’elles paraissent manger avec beaucoup d’appétit. On trouve dessous cette écorce et attenante au bois une pellicule blanche et déliée que l’on appelle Surea : l’on voit Souvent les enfans très-occupés à la gratter avec leur couteau, et à la manger. Après le souper, je vis apporter un grand arbre dans la cour du prêtre chez qui j’étais ; les demoiselles de la maison et les enfans furent bientôt après : ils en soulevèrent l’écorce et mangèrent cette pellicule (le Surea).

Un de messieurs d’Albion eût certainement fait la mine, à l’idée de se régaler avec de l’écorce d’arbre. Pour moi, j’y courus comme les autres et je puis assurer que ce dessert me parut très-délicat et très-rafraîchissant. C’est comme une espèce de gelée très-fraiche et très-douce. Lorsque la diseste se fait sentir dans ces parties, les habitans n’ont d’autre ressource, que l’écorce du même arbre ; ils font usage alors, non-seulement de cette légère pellicule, mais de la seconde écorce qu’ils font sécher et moudre pour en faire du pain. On a observé que quand on en est réduit à cette misérable ressource, il y a toujours des épidémies vers la fin de la saison et une mortalité considérable.

La quantité des petits fruits, qui couvrent la terre dans les pays du Nord, est vraiment incroyable ; on en compte huit à dix espèces et quelques-unes excellentes, mais si communes, qu’on n’y fait point attention. Lorsque la neige est fondue, on trouve sur la terre dans cette partie, un petit fruit rouge, qui s’est pour ainsi dire confit pendant l’hiver et qui au printemps est fort délicat.

Ce sont ces fruits qui nourrissent les gros oiseaux, de l’espèce de la perdrix, qui abondent dans ces pays : ils varient dans leur forme comme dans leur grosseur, depuis celle d’un gros dindon, jusques à celle d’un petit pigeon ; cette dernière espèce est la gelinotte, qui avec la rupa (espèce de perdrix blanche) sont les plus délicates. Les habitans les chassent avec un fusil, dont le canon est presque massif ; son ouverture est si étroite, qu'on ne peut y loger qu’un seul grain (le plomb ; il est fait ainsi pour ménager la poudre. Il est fort rare que les gens, qui font le métier de courir après le gibier, manquent leur coup, et c'est toujours la tête des gros oiseaux qu’ils visent, afin de ne pas gâter le corps.

Au confluent de la rivière Rota avec le Dal-Elfven, Charles XI avait fait construire un petit fort sur le chemin qui mène en Norvège ; il est à la tête du dernier pont, que l’on trouve avant de s’y rendre. Il y a eu, pendant long-temps, une compagnie en garnison ; ils est à présent abandonné mais il existe encore et comme les fortifications sont en terre, on pourrait le réparer aisément. Le pays, près de ce petit fort, n’est point mauvais, et s’il y avait des bras il pourrait être productif.

Les limites du Royaume étaient autrefois à quelques distances de ce petit fort, mais sous Charles XII (à ce que je crois), le vicaire de la paroisse d’Elf-dals se mit a la tête d’une trentaine de paysans, et fut conquérir le village d’Âsarna sur la Norvège ; il envoya de là un détachement de quatre ou cinq hommes, pour achever de soumettre le reste de la vallée. À la paix ces pays ont été assurés à la Suède, et les limites des deux royaumes sont au sommet des fiälles, et suivent autant que possible le cours des eaux. L’espace de terrain, que le bon vicaire acquit de cette manière a au moins quinze milles de long (40 lieues de poste) ce qui dans bien des pays ferait une province assez considérable. De l’autre côté de la rivière, on avait ouvert une mine d’argent, mais elle a été remplie dans une crue d’eau, ce qui joint à sa médiocrité, a forcé de l’abandonner.

Le dimanche est bien réellement pour ces bonnes gens un jour de fête ; ils se rassemblent avec plaisir et oublient la fatigue de la semaine en se voyant à l’église avec leurs beaux habits. Combien de fois, depuis que je cours le monde, n’ai-je pas eu lieu d’admirer la sagesse de la plupart des anciennes institutions. Que le philosophe moderne rie, si cela lui plaît, oui l’institution du dimanche est une des plus sages, une de celles qui doivent être les plus respectées. Je ne prétends pas dire ici, qu’il faille faire passer entièrement le dimanche au paysan dans des actes de dévotion, qui loin de le reposer augmenteraient encore sa fatigue. Ce serait changer le but de son institution première, mais qu’après avoir rendu hommage au créateur, il puisse se livrer à quelques plaisirs innocens, même sous la direction de son pasteur, ne serait en aucune manière le profaner.

L’ennui et le chagrin de se trouver seules à la maison, engagent les nourices à porter leurs marmots à l’église dans un panier qu’elles attachent leurs dos, et portent toujours avec elles pour peu qu’elles sortent de la maison. Les cris de ces enfans devraient déranger le ministre ; mais tout le monde y est très-accoutumé, et comme le soldat à qui le bruit du canon n’empêche pas d’entendre la voix de son officier, de même ces cris ne distraient en aucune manière l’attention de l’assemblée ; D'ailleurs on se sert pour faire taire les enfans, du moyen indiqué plus haut.

Les Lapons étendent leurs excursions jusques dans ces pays. L’hiver sur-tout, ils se rendent en grand nombre aux foires des gros bourgs et vont souvent jusqu’à Falhun porter le produit de leur industrie et acheter ce qui leur convient ; j’en ai vu plusieurs fois à Stockholm des bandes assez nombreuses.

Les habitans de ces cantons savent presque tous lire : il en est cependant fort peu qui sachent écrire. Leur curiosité est semblable à celle des habitans de tous les pays peu fréquentés ; la manière dont ils m’entouraient et est touchaient à tout me paraissait fort extraordinaire.. J’ai depuis vu des gens de Norvége bien plus curieux encore.

Il me fallut reprendre le chemin par où j'étais venu, et bientôt je retrouvai les pays cultivés et réellement très-jolis, qui avoisinent Mora. Ce village peut en quelque façon être appelé, la capitale de la Grande-Vallée-Des-Hommes (Stora-Dalar-Karlarne la Dalécarlie). Comme à mon ordinaire je fus me présenter chez le pasteur, le docteur Suèdelius, père de celui d’Elf-dal, et j’en fus parfaitement accueilli.

Les pasteurs de la Dalécarlie sont les plus grands seigneurs du pays : on peut presque dire que certains jours, ils tiennent cour. Le dimanche surtout, ils retiennent chez eux nombre de leurs paroissiens parmi les officiers de la milice de la province, les procureurs et autres gens employés par le gouvernement, en outre de leurs chapelains, qui sont souvent assez nombreux.

Les personnes qui ont des emplois quelconques dans cette province, sont tous étrangers. C'est un phénomène assez remarquable, que dans un pays, où il y a une population de plus de cent mille habitans, et où grand nombre de paysans sont assez riches, il n’y ait pas une seule famille, qui ait jamais pense à faire sortir ses membres de la classe commune, et que le gouvernement soit absolument obligé de se servir pour les emplois, où. il faut savoir écrire, de gens d’une autre province.

Les Dalécarliens appellent tous ces employés des Knapt-Herre (messieurs à boutons) et les considèrent fort peu. La manière d’être de ces Knapp-Herre est fort différente de celle des habitans ; ceux-ci sont ignorans, mais bonnes gens, rudes et grossiers, mais actifs et laborieux, d’une taille et d’une force extraordinaires. Les autres savent lire et écrire, il est vrai, mais ils se sont formé mille besoins nouveaux qui les rendent mous faibles et paresseux. Ils passent la journée toute entière a boire de a petite bière, à fumer, à gloser sur des fétus, à baiser la main de madame la prêtresse et à faire la cour à monsieur le curé en convoitant son bénéfice. Le moindre exercice les met en nage : à peine osent-ils sortir quand le soleil darde un peu fort, et tout de suite ils ont recours à la sup d’eau de vie

Le genre de vie de ces messieurs, est vraiment étrange ; en s’éveillant vers six heures du matin, ils prennent dans le lit le café, une sup d'eau de vie, et fument une pipe de tabac ; une heure après, le thé et encore une sup ; à neuf heures le Frukost (c’est-à-dire déjeuner avec de la viande et de la bière), et souvent deux sups. A midi la sup avant le diner, puis le café, la sup et force pipes. À trois heures un repas intermédiaire (dont je ne me rappelle pas le nom) et la sup. A cinq heures le thé, avec du pain, du beurre, le saumon crud et la sup. A sept heures autre repas intermédiaire et la sup, à huit heures le souper et la sup avant et après. Entre ces repas nombreux, ils vont à-tout moment visiter un énorme pot de très-petite bière, qui est placé sur le seuil de la porte, ils ont toujours la pipe à la bouche, se couchent avec elle, et s’endorment en fumant.

Qu’on ne croye pas, que c’est exagéré : c’est un fait indubitable, une douzaine de sup, ou grands verres d’eau de vie par jour, ne fait en aucune manière, passer un homme pour point sobre. Certes si j’avais à choisir entre ces deux états, ce-lui de paysan où de Knapt-Herre dans la Dalécarlie, je ne balancerais pas un moment. Toutes les fois que par bienséance j’ai suivi l’usage de ces messieurs, je n’ai jamais manqué d’attraper, (comme le dit un jour très-élégamment un d’eux) du cadavre de vache dans le ventre ; c’est-à-dire la colique : attendu que ko en Suédois, veut dire vache, et lick cadavre et que kolick est le mot propre ; il est sûr que la chose, et l’expression sont bien faites pour donner réellement la colique.

Au surplus ceci n’est pas particulier à la Dalécarlie ; les bourgeois de Suède dans les petites villes et dans les campagnes suivent assez souvent là même méthode. Il semblerait qu’il y ait réellement deux peuples bien distincts dans le même pays. Les premiers, dans tous les rangs de la sgociété, sont généralement d’une politesse achevée, aimables, instruits, et serviables ; les Paysans, dans les parties peu fréquentées, sont peut-être la race la plus respectable de mortels que l’on puisse trouver ; mais les autres par leur fainéantise, et leurs révérences et leurs baisers, tant sur la main des dames que sur la bouche des hommes, joint à leur suffisance, n’en sont assurément pas les plus aimables.

Le pasteur de Mora, le docteur Suèdelius, est un des hommes les plus respectables de cette province, et dont les manières franches et loyales n’ont guères de ressemblance avec celles que je viens de peindre ; c’est par cette raison, que pour ne faire allusion à personne, j’ai placé cet article ici.

Le pastorat de Mora était autrefois très-considérable ; et quoique on en ait détaché dix à douze paroisses, il peut encore contenir sept a huit mille habitans.

C’est sur un petit tertre, près de l’église de Mora, que Gustave-Vasa harangua les paysans de cette province, pour les déterminer à s’armer pour la défense de leur patrie. Sa harangue ne réussit pas d’abord, et il crut devoir s’échapper dans les montagnes. Les esprits cependant se montèrent après son départ et l’on fit courir après lui. Il revint sur ses pas, et après une longue série de combats glorieux, il purgea totalement son pays, de l'étranger qui l’avait subjugué. Lorsque Gustave III, abandonné par son armée en Finlande, vit encore la Suède envahie par les Danois en 1789, il fit ériger pendant la nuit du samedi une petite plate-forme en bois sur le même endroit, et le dimanche matin, lorsque les paysans arrivèrent à l'église, il les harangua, avec tant de force, que, dans la journée même, dix mille hommes s’armèrent en sa faveur, qui d’après son consentement nommèrent eux-mêmes leurs officiers, et marchèrent sur-le-champ.

Il n’est pas de peuple, chez qui l’esprit nouveau de la révolution pût moins pénétrer, et les Sans-culottes ne s’accorderont jamais avec les Sans-boutons. Tant que le souverain de la Dalecarlie saura ménager l’esprit de ses nombreux et braves habitans, je me plais à l’assurer, il pourra toujours braver l’ennemi étranger qui l’attaquera, et dëfier les intrigues plus dangereuses des mécontens de l’intérieur.

Il est vrai que ces mêmes peuples, sont aussi susceptibles d’être induits en erreur, mais leur gros bon sens les en fait promptement revenir. En 1745, lorsque le sénat appela au trône le duc de Holstein évêque de Lubeck ; ils se révoltèrent. Accoutumés à obéir à des rois guerriers, ils ne voulaient pas qu’un prélat fût leur souverain. Ils s’armèrent et marchèrent sur Stockholm ; on fut obligé de les combattre : mais bientôt tout rentra dans l’ordre. Il est naturel de supposer que quelques mécontens les avaient mis en mouvement. Quelques bonnes gens du pays m’ont assuré que ce qui les avait déterminés alors, était la crainte d'être persécutés de sermons.

Gustave III ayant désiré savoir le présent qu’il pourrait faire aux Dalécarliens, en reconnaissance de la bonne volonté qu’ils avaient témoignée à défendre sa cause. Ces bonnes gens demandèrent des ornemens de prêtres et de beaux vases sacrés pour leur église. Gustave IV a rempli les engagemens de son père. J'ai vu dans l’église de Mora, ces ornemens et ces vases ils sont réellement très-riches et de toute beauté. Les habitans les chérissent et chaque fois qu’ils les voyent, ils se rappellent avec orgueil, le roi qui les leur a présentés et l’occasion qui le lui fit faire.

Autour (le l’endroit d’où les deux Gustaves ont harangué les Dalécarliens, on a planté quelques arbres. Comme le village de Mora est situé au milieu des montagnes d’où l’on tire le porphyre, je crois que l’on pourrait aisément y élever un monument et que cela conviendrait.

A quelque distance de Mora, est le village d’Utmedland où Gustave-Vasa a été obligé de se cacher assez long-temps dans un caveau.... J’y suis descendu avec vénération. À peine ce caveau a-t-il six pieds quarrés. On remettait à Gustave sa nourriture par une ouverture à la muraille, et entrée en était bouchée. Le feu roi Gustave III y a écrit son nom de sa main. C’est là que je me suis plu à le voir.

Quelle leçon, cette retraite obscure ne donnent-elle pas à des princes qui comme lui, sont capables de sentir le mérite de la conduite du héros qu’elle recélait, et de l’imiter. Les marches de cette cave humide, ont été pour Gustave-Vasa les marches du trône. C’est en bravant les dangers qui l’entouraient, qu’il a su s’attacher des amis fidelles et tout un peuple d’abord peu porté à le suivre : c’est de là, qu’est sorti celui pour qui la Suède répète encore avec enthousiasme.


En Gustaf fösterlandet's pris,
____Försynnens redskap, bieltars ära ;
____Naturen’s prakt, och kungau lära
Vôr frihets arm, tyranners ris.
Sin krona, han fortiäna vil.

____Sit höga môl med swejt han hiner
____Och genom ädel möda winner
Hwad andra printzar födas til.
____. . . . . . . . . . .
____. . . . . . . . . . .
____En spegel och ett lius han blifver
För Gustaf, som wör konung är

[4].

_______________Madame Nordenplycht.


Quoique l’opinion des Dalécarliens sur leurs mérites soit un peu exaltée, je crois très-à-propos de l’entretenir. Il peut se trouver des cas, où on pourra s’en servir. C'est au fait la seule province de Suède, où l’observateur puisse trouver un caractère décidé, c’est sans doute à la bonne opinion qu’ils ont d’eux-mêmes, que les Dalécarliens, le doivent.

Le discours de Gustave III, lors de la révolution en 1772, est près de l’autel de toutes les églises en Suède ; en outre de ce discours, on voit encore autour de l’autel de l’église de Mora, les portraits des rois de Suède.

Lorsque revenant sur mes pas j’aperçus à Bôsta, par où j’étais entré dans cette vallée, cette inscription sur la porte :

______en gud och en konug
______Dalkarlen ord sproket[5]

je ne pus que me dire que dans cette courte phrase, en gud och en konug, on avait réellement renfermé le sentiment de ce peuple simple et bon, et ce que le vrai philosophe considère aussi comme tout ce qu’il y a de plus respectable.


Fin de la première partie.


  1. Tu nous donneras le Doyen Fant pour prêtre, ou nous t'ôterons la couronne.
  2. Ces deux mots se disent en Anglais Horse et Spoon.
  3. » Le dalécarlien et l'islandais, sont tellement semblables, que quand on lit l'islandais avec l'accent dalécarlien, on le croirait la même langue : je m’en suis assuré positivement par plusieurs expériences. «
  4. Un Gustave l’éloge de la patrie, l’instrument de la des héros, l'éclat de la nature, la leçon des rois, le bras de notre liberté, le fouet des tyrans. Il méritera sa couronne, il gagne avec fatigue son haut poste, et par des moyens nobles, il saura atteindre ce que les autres princes acquièrent par la naissance :
    . . . . . . . . . . .
    . . . . . . . . . . .
    Un miroir et une lumière, il sera, pour Gustave qui est notre roi.
    Ce passage est le commencement d’un poème : j’ai cru devoir conserver aux verbes le temps, qu’ils ont dans le suédois, et le traduire aussi littéralement que possible.
  5. UN SEUL DIEU ET UN SEUL ROI
    Ralliement du Dalécarlien.